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Lettres de Mmes. de Villars, de Coulanges et de La Fayette, de Ninon de L'Enclos et de Mademoiselle Aïssé

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LETTRE XVI

Paris, 25 mars 1695.

Mes secrétaires me manquent au besoin; mais, quand c'est à vous que j'écris, ma chère amie, mes deux doigts sont toujours disposés à écrire, ils ne vont plus que pour Climène. Que dites-vous de ne plus savoir M. le duc de Chaulnes gouverneur de Bretagne? On ne parle que de ce grand événement; les gens modérés croient que ce duc et cette duchesse se doivent trouver heureux de ce changement67; les autres les croient désespérés. Pour moi, je dis tout ce que l'on veut, et suis très-persuadée qu'il ne faut point juger de la manière de penser de nos amis par la nôtre. C'est cependant un tort que le monde a toujours, et qu'il ne peut pas ne point avoir; il a plutôt fait de juger par ses dispositions, que d'examiner celles des autres. M. de Chaulnes fait bonne mine. La duchesse se cache si bien, que je ne l'ai point vue: il est vrai qu'il est assez aisé de m'échapper; car je fais naturellement peu de diligence, et j'en fais moins que jamais, dans l'espérance d'avancer toujours dans cette parfaite indifférence, dont vous ne vous apercevrez jamais, ma très-aimable. Au reste, ma santé n'est pas du tout bonne. Il est plus question que jamais de me faire aller à Bourbon; il arrivera ce qu'il plaira à Dieu. Quand je songe que dix ou douze ans de plus ou de moins font la différence de cette affaire-là, je ne trouve pas que cela vaille la peine de la traiter si solidement. Peut-être penserai-je tout d'une autre façon, quand je me trouverai plus proche de la mort; il faut trancher le mot, ne fût-ce que pour s'y accoutumer. J'attends de vous un compliment qui sera bien sincère, sur l'aventure du feu. Cela a paru une occasion digne de m'attirer le monde entier; mais le monde est bien inutile; je l'ai évité avec assez de soin. Au reste, madame de Villars m'a fait promettre que je vous dirois des choses infinies de sa part, et sur-tout que j'apprendrois qu'elle ne pardonnera point à M. de Villars de n'avoir point parlé d'elle à madame de Grignan. Cela pourroit bien aller à une séparation, si madame votre fille ne s'y oppose. Comme j'achève ma lettre, voilà un secrétaire qui m'arrive. Il vous apprendra que je viens de voir M. de Chaulnes, qui m'a conté tout ce qui s'étoit passé entre le roi et lui; mais, comme en même temps, il m'a dit qu'il vous alloit écrire, je ne m'embarquerai point dans un récit que vous saurez encore mieux par lui-même: il me paroît tout plein de raison. Madame sa femme m'a envoyé prier qu'elle pût aujourd'hui passer la journée avec moi; je la plains, puisqu'elle est fâchée. Pour moi, qui ne connois point le goût de la représentation, ou, pour mieux dire, qui ne connois que celui du repos, quand on n'est plus jeune, je ne me trouverois pas à plaindre à la place de madame de Chaulnes. M. de Mêmes épouse mademoiselle de Broue, à qui on donne trois cent cinquante mille francs en argent, et cinquante mille francs en habits et en pierreries. On dit aussi que M. de Poissi épouse mademoiselle de Beaumelet68, qui aura un jour soixante mille livres de rente; et de ma pauvre nièce, pas un mot. M. de Coulanges arriva hier de Saint-Martin, et il est allé aujourd'hui je ne sais où. Le maréchal de Choiseul part dimanche. Il a le commandement de la Bretagne joint aux autres. Comme il a le commandement beau, je suis assez aise qu'il commande loin d'ici. Ce n'est pas que je ne sois une ingrate cette année; car je ne l'ai presque pas vu. Adieu, ma vraie amie; ne me laissez pas oublier à Grignan, et sur-tout de l'adorable Pauline.

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LETTRE XVII

Paris, 13mai 1695.

Je me porte beaucoup mieux; Helvétius ne m'a donné que d'un extrait d'absinthe, qui m'a rétabli, ce me semble, mon estomac; je vous assure, ma très-belle, que je suis bien éloignée d'avoir de l'indifférence pour ma santé, et que je supporte mes maux fort impatiemment: ainsi, je ne veux point me parer auprès de vous d'un mérite que je n'ai point. Je crois que si j'eusse imaginé de passer à Grignan le temps d'entre les deux saisons des eaux, je les aurois crues nécessaires pour ma santé: et je pense que si j'y étois une fois arrivée, j'aurois donné la préférence aux vins de Grignan sur les eaux de Bourbon. Je plains bien M. le chevalier de Grignan, et je suis bien honteuse de me plaindre de mes petits maux, quand j'en vois souffrir de si grands, et avec tant de patience. La pauvre madame de Carman est bien mal; nous verrons la fin de sa vie avant celle de sa patience. Mon Dieu! que je me presse de vous faire des complimens de M. de Tréville; il me gronde tous les jours de l'avoir oublié; il souhaite votre retour très-sincèrement. Il nous dit avant-hier les plus belles choses du monde sur le Quiétisme, c'est-à-dire, en nous l'expliquant; il n'y a jamais eu un esprit si lumineux que le sien. Monsieur Duguet69, qui n'est pas trop sot, comme vous savez, sur de tels sujets, étoit transporté de l'entendre. Parlons d'autre chose. Les princesses sont ici, et se divertissent si parfaitement bien, qu'on assure qu'elles n'ont nulle impatience du retour de la cour; elles se couchent ordinairement vers onze heures ou midi. Langlée donna hier un souper à M. et à madame de Chartres, madame la Princesse, madame la Duchesse, qui étoit la reine de la fête, madame de Montespan, une infinité d'autres dames, dont madame la maréchale et madame la duchesse de Villeroi étoient; M. le Duc, et tous les princes qui sont ici, s'y trouvèrent; mais une autre fête, ce fut celle que M. le Duc donna, il y a deux jours, dans sa petite maison de madame de la Sablière; tous les princes et princesses y étoient; cette maison est devenue un petit palais de cristal; ne trouvez-vous pas que ce sont les lieux saints aux infidèles70? Madame de Montespan a acheté Petit-Bourg quarante mille écus; elle le donne après sa mort à M. d'Antin. M. de Sévigné nous quitte après-demain; il m'assure qu'il vous retrouvera cet hiver à Paris; cela me fera paroître l'été bien long, malgré la belle saison. M. de Chaulnes reviendra le dix-sept de ce mois; et notre duchesse ne reviendra qu'après les fêtes. M. de Coulanges me mande que plus il a de printemps, plus il sent le printemps; voilà un grand prodige; car sans l'offenser, il a plus de printemps que madame de Brégi. Je vous prie, ma très-aimable, de dire bien des choses de ma part à madame de Grignan, et d'embrasser pour moi bien tendrement la tranquille Pauline; on dit que vous nous l'amènerez toute mariée; je sens déjà que je ne l'en aimerai pas moins. L'oraison funèbre de M. de Luxembourg71 sera achevée d'imprimer dans deux jours; l'on dît qu'on a retranché quelques traits du portrait du prince d'Orange72. Madame de Grignan73 va avoir le plaisir de recevoir des lettres tendres de son mari, et de lui en écrire; il est bien joli que tous ses sentimens se développent pour lui. Adieu, ma très-chère.

 
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LETTRE XVIII

Paris, 3 juin 1695.

Comment vous portez-vous, ma très-belle? je n'ai point reçu de vos nouvelles depuis la lettre que vous m'avez fait écrire par votre joli secrétaire. J'ai peur que vous n'ayez gâté votre belle santé par une médecine. Je vis hier monsieur de Chaulnes, qui est le parfait courtisan; il a demeuré dix jours à Marli, où il a 'passé ses journées à jouer aux échecs avec le cardinal d'Estrées; et sur ce qu'on lui a dit que cela faisoit ici une nouvelle: il a répondu qu'il en étoit surpris, par la raison qu'il y a long-temps qu'ils cherchoient à se donner échec et mat. Une autre nouvelle est que madame de Louvois a cédé Meudon au roi, qui l'a pris pour Monseigneur, en donnant quatre cent mille francs à madame de Louvois, et la charmante maison de Choisi, qui étoit la chose du monde qu'elle désiroit le plus; ainsi je crains qu'elle ne puisse plus avoir de désirs. Elle est fort mal contente de monsieur de Coulanges, qui, en arrivant de Chaulnes, partit le lendemain pour Pontoise. Quant à moi, je ne me sens plus de goût que pour le repos; on m'a priée d'aller chez le cardinal de Bouillon cette semaine; cela me paroît comme si l'on me proposoit d'aller faire un petit tour à Rome; je trouve qu'il faut de grandes raisons pour quitter son lit; c'est la mauvaise santé, qui fait penser ainsi, il faut bien le croire; la mienne est cependant meilleure qu'elle n'a été. Je ne suis point contente de celle de madame de Chaulnes; elle a un vilain rhume que je ne n'aime point. Je crois le marché du Ménil-Montant absolument rompu, d'autant que, selon toutes les apparences, le premier président ne le veut plus vendre. Adieu, ma très-aimable, ne me laissez point oublier à Grignan, je vous en prie; et dites à la belle Pauline de songer quelquefois à ce que je suis pour elle.

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LETTRE XIX

Paris, 20 juin 1695.

Vous jouissez présentement des beautés de la campagne, ma très-belle; le printemps paroît dans tout son triomphe. Je m'en vais faire un grand excès; car je compte partir dimanche pour aller à Saint-Martin avec M. et madame de Chaulnes, et y passer trois jours; les plaisirs que j'y espère seront bien troublés par une mauvaise santé; je suis arrivée à un tel excès de délicatesse, que la vue d'un bon dîner me fait malade; ainsi je suis intimidée, et dans cet état les plus petites choses paroissent considérables. Madame de Louvois alla hier remercier le roi; il lui donna une audience particulière chez madame de Maintenon; elle sent plus que jamais la joie d'être défaite de Meudon. Le roi est allé à Trianon, où il demeurera jusqu'au voyage de Fontainebleau. Je crois vous avoir mandé que M. de Montchevreuil marie son fils à la cousine-germaine de la maréchale de Lorges, qui est une petite personne que vous avez souvent vue avec elle; on lui donne trois cent quatre vingt mille livres. C'est vous qui me manderez que M. de Vendôme va commander en Catalogne, et que M. de Noailles en revient malade. M. de Coulanges a toujours plus d'affaires que jamais, et toutes de la même importance; mais elles sont agréables, quand elles le rendent heureux; c'est de cela qu'il est question. J'ai trouvé les couplets du comte de Nicci fort jolis; c'est un aimable enfant; aussi rien ne laisse des idées plus agréables que de ne le point voir; ce petit comte-là parviendra à l'immortalité. J'ai remarqué, comme vous, mon amie, le temps de la mort de notre pauvre madame de la Fayette. Madame de Caylus se divertit à merveille chez elle; la cour ne lui paroît pas un séjour de plaisir; elle ne quitte plus madame de Leuville, qui donne tous les jours les plus jolis soupers qu'il est possible. Je ne crois pas le marché de Ménil-Montant rompu sans ressource; et, n'en déplaise à madame de Chaulnes, c'est la plus jolie acquisition que puisse faire M. de Chaulnes. La maréchale d'Humières se retire aux Carmélites; elle a loué la maison de feue mademoiselle de Porte; elle gouverne entièrement le faubourg Saint-Jacques; et, ce qui est le plus étonnant, c'est que le P. de la Tour la gouverne. Vous savez que M. de Lauzun a l'appartement de Versailles du maréchal d'Humières: il fait faire pour sa femme un collier de diamans de deux cent mille francs. Adieu, ma chère amie; je souhaite bien plus votre retour que je ne l'espère. Je vous prie de dire des choses infinies de ma part à madame de Grignan. Priez la belle Pauline de ne me point jeter dans la nécessité d'aimer une ingrate. Madame de Mêmes paroît dans un carrosse de mille louis. Lisez un peu, dans le Mercure Galant, la généalogie de F***, et vous verrez qu'il n'y a que cette maison-là de noble et d'illustre dans le monde, et que le feu grand-maître74 s'est trompé, quand il a cru ne pas tirer de là tout son éclat.

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LETTRE XX

Paris, 24 juin 1695.

Madame de Louvois n'avoit point attendu l'approbation du monde pour désirer Choisi; ça été la seule maison qu'elle ait souhaitée. Le roi et elle ont fait un très-bon marché; ils en paroissent fort contens aussi. Cela se passe, de part et d'autre, avec des honnêtetés que l'on voit quelquefois entre les particuliers, mais que l'on éprouve rarement avec son maître. Le roi est à Marli pour neuf jours; la duchesse du Lude est de ce grand voyage; et, pour comble de bonheur, elle mène et ramène demain madame de Maintenon de Pontoise, où cette dernière va voir une fille de Saint-Cyr. Le roi donna une fête, lundi dernier, à Trianon, au roi et à la reine d'Angleterre. Il y eut un opéra où le roi alla; madame de Maintenon n'y parut point du tout. Il est grand bruit de la faveur de M. de la Rochefoucauld. On prétend qu'il s'est rendu maître de l'esprit de Monseigneur, et qu'il se sert de son crédit, tout comme le roi le peut désirer. Sa majesté mena, il y a quelques jours, madame de Maintenon suivie de ses dames, souper dans une maison de campagne de ce nouveau favori, qui se nomme la Selle, et je vous le dis ainsi, pour ne vous point dire qu'il les mena à la selle. Il doit, aller (le roi) un de ces jours à l'Étang, chez M. de Barbesieux, afin d'avoir l'air de partager ses faveurs. Une autre grande nouvelle: les princesses ont mené dîner et souper, à Trianon, avec le roi, la comtesse de la Chaise, les marquises de la Chaise et de la Luzerne. Je crois que cette distinction les a fort touchées; car jusqu'alors elles n'en avoient eu qu'au salut. M. de Coulanges arriva avant-hier de Saint-Martin. Il fut tout de suite à Choisi, le lendemain à Versailles, et part enfin aujourd'hui pour Evreux, avec M. de Bouillon. Je lui propose de ne plus tant perdre de temps en chemin, et de se mettre tout d'un coup dans une escarpolette, qui le jetera tantôt d'un côté, tantôt de l'autre, afin de ne pas mettre au moins les pieds à terre. J'attends aujourd'hui une compagnie qui ne vous déplairoit pas, ma très-belle; c'est M. de Tréville, qui vient lire à deux ou trois personnes un ouvrage qu'il a composé. C'est un précis des Pères, qu'on dit être la plus belle chose qui ait jamais été. Cet ouvrage ne verra jamais le jour, et ne sera lu que cette fois seulement de tout ce qui sera chez moi; je suis la seule indigne de l'entendre, c'est un secret que je vous confie au moins:

 
…N'abusez pas, prince, de mon secret;
Au milieu de ma lettre, il m'échappe à regret.
 

mais enfin, il m'échappe. M. de Bagnols est parti pour l'armée; et ma sœur sera, je crois, bientôt de retour. Cependant elle ne me parle point encore du jour de son départ. Avez-vous bien chaud à Grignan, ma très-belle? Je me souviens d'y avoir été par un temps pareil à celui-ci. L'affaire du Ménil-Montant paroît tout-à-fait rompue; cependant j'ai dans la tête qu'elle se raccommodera. Adieu, ma chère amie.

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LETTRE XXI

Paris, 8 juillet 1695.

Je puis répondre pour M. de Tréville qu'il auroit été ravi que vous eussiez augmenté la bonne compagnie qui l'entendit; et je suis assurée, ma chère amie, que vous auriez été contente de votre journée; mais vous nous regardez du haut en bas de votre château de Grignan, et je m'amuse à vous désirer toujours sans m'en pouvoir empêcher. On est fort alerte ici sur le grand événement du siège de Namur; car c'est tout de bon, et apparemment ce siège sera meurtrier; vous savez que le maréchal de Boufflers s'est jeté dedans avec six régimens de dragons à pied, et celui du roi à cheval; ainsi le pauvre Sanzei est dans Namur tout comme un grand homme. M. le maréchal de Boufflers a la fièvre double-tierce; mais il aura bien d'autres affaires qu'à l'écouter. Le maréchal de Lorges est hors de danger. Tout retentit ici des louanges du maréchal de Villeroi; il n'y a guère de jours que le roi n'en parle avec éloge, et tous les guerriers qui composent son armée, n'écrivent ici que pour chanter ses louanges. Je crois qu'à la fin M. le duc de Chaulnes va acheter Putaut, qui est une maison près du pont de Neuilli, située sur le bord de la rivière; il y a de quoi faire des merveilles, et il les fera; car il a une extrême envie d'une maison de campagne. Le roi va à Marli pour quinze jours. Si la duchesse du Lude est de ce voyage, ce sera pour la troisième fois de suite; ces distinctions charment quand on est en ces pays-là: heureux qui peut voir cela du point de vue où il faut l'envisager! Je n'ai point vu la lettre du P. Quesnel; on dit qu'il la désavoue, et il ne sauroit mieux faire. Vous savez, ma très-belle, que M. de la Trappe75 a remis son abbaye entre les mains de don Zozime, supérieur de sa maison, avec la permission du roi, et qu'il se va trouver simple religieux; cette fin est bien digne de lui, et couronne parfaitement une si belle vie. Pour l'oraison funèbre du P. de la Rue, on n'en parle non plus présentement, que de celle que l'on fit pour la reine mère. On ne sait pas qu'il y ait eu un M. de Luxembourg dans le monde. Est bien fou qui compte sur la gloire qui suit la mort; ce n'est en vérité pas de cela qu'il faut être occupé dans cette vie; mais les hommes auront toujours leurs erreurs et les chériront. M. de Coulanges arriva avant-hier au soir ici, plus charmé de M. de Bouillon, de mademoiselle de Bouillon et de Navarre, que de tous ses anciens amis; il partit hier pour Choisi, où il sera jusqu'à ce que notre voyage de Saint-Martin s'accomplisse; je ne me sens pour ces sortes de parties que la force du projet; l'exécution est fort au-dessus de moi. Ma sœur monte dimanche sur l'hippogriffe, et arrive lundi à Paris. M. de Bagnols76 ne perd pas de vue le maréchal de Villeroi; cela me fait craindre pour sa vie. M. de Reims a acheté la maison d'Erval deux cent vingt-une mille livres. Adieu, ma très-aimable; n'oubliez pas de m'aimer, je vous en conjure, et ne me laissez point oublier dans le lieu que vous habitez; mandez-moi si la charmante Pauline aura été bien contente du portrait mystérieux que vous lui avez donné. Madame de Caylus me vint voir hier plus jolie qu'un ange; elle me demanda en grâce de venir voir l'arrangement de sa maison; j'aurois plus de peine à rendre cette visite, que je n'en montrerai; ce que je sens là-dessus ne peut être confié qu'à vous, ma chère amie.

 
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LETTRE XXII

Paris, 29 juillet 1695.

Il n'est plus question, ma chère amie, ni de M. Arnauld ni du P. Quesnel; toutes les pensées sont détournées du côté de Namur. Ces derniers tués ont jeté une consternation qui ne laisse plus de joie ici. Madame de Morstein est inconsolable. La bonne chancelière77 pleure amèrement son petit-fils de Vieuxbourg; et madame de Maulevrier renvoie bien loin tous les gens qui lui veulent parler de consolation, jusqu'au P. Bourdaloue. On ne sait point de nouvelles du comte d'Albert, sinon qu'on le croit trépané; et, depuis cela, pas un mot. M. et madame de Chaulnes en sont dans une extrême inquiétude. Vous savez que M. le prince de Conti a la petite vérole; elle est sortie avec abondance, et commence à suppurer sans aucun accident; ainsi on espère qu'il s'en tirera heureusement. On fait des détachemens de tous côtés pour envoyer au secours de Namur. Sanzei est dans la place, et il n'y a que sa mère qui soit plus à plaindre que lui. Madame la duchesse du Lude, qui est de retour de Versailles m'a conté qu'elle avoit mené ma petite nièce de la Chaise dîner à Trianon avec le roi. S. M. et Monsieur ne parlèrent que de l'agrément de cette petite personne, et de son peu d'embarras. Pour moi, je crois qu'elle confesseroit78 fort bien le roi. M. le premier président79 a eu une manière d'apoplexie; on l'a saigné quatre fois; sa bouche est demeurée un peu tournée. Il doit partir incessamment pour Bourbon. Voilà une épigramme que l'on a faite sur son mal.

 
Ne le saignez pas tant; l'émétique est meilleur.
Purgez, purgez, purgez; le mal est dans l'humeur.
 

Je crois que je ferois bien de prendre le même chemin que ce magistrat; car mon estomac ne se rétablit point du tout. Au reste, ma très-belle, j'ai consulté si l'on pouvoit prendre du café deux heures après la germandrée. On en peut prendre en toute sûreté, et même ils s'accordent fort bien ensemble. Adieu, ma très-aimable; je ne vous en dirai pas davantage aujourd'hui; je vous supplie seulement de faire mes complimens à tutti quanti, et sur-tout de vous, faire la violence d'embrasser pour moi bien tendrement la charmante Pauline. Ma sœur80 vous rend mille grâces de l'honneur de votre souvenir; elle en a été fort touchée; elle est à Versailles pour quelques jours.

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67Le gouvernement de Bretagne fut donné à feu M. le comte de Toulouse, et celui de Guyenne à M. le duc de Chaulnes.
68M. de Poissi n'épousa point mademoiselle de Beaumelet, et ne se maria qu'en 1698 avee mademoiselle de Varangeville.
69L'abbé Duguet, auteur de l'Institution d'un Prince.
70A cause de l'extrême dévotion de madame de la Sablière, à qui cette maison appartenoit auparavant.
71Par le P. de la Rue, jésuite.
72Guillaume III, roi d'Angleterre.
73La marquise de Grignan.
74Le duc du Lude.
75L'abbé de Rancé.
76Intendant de l'armée de Flandre.
77Anne-Françoise de Loménie, femme de Louis Boucherat, chancelier de France.
78Allusion au père de la Chaise, confesseur du roi.
79Achilles de Harlai, premier président du parlement de Paris.
80Madame du Gué-Bagnols.