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CHAPITRE XIV

Il faisait sombre sous les arbres du boulevard; bien qu'ils fussent dépouillés, leurs branches formaient un inextricable réseau laissant à peine parvenir quelque clarté sur le chemin suivi par Robert et par l'enfant. Les maisons étaient fermées et leurs lumières éteintes. Une seule brillait encore et projetait sa lueur au-dehors à travers les vitres de la fenêtre.

– C'est là-bas, dit Sarah en montrant ce carré de lumière dessiné sur le sol.

Le bruit d'une dispute parvenait jusqu'à eux à mesure qu'ils approchaient.

– Il y a du tapage, je crois, dit le docteur.

– Le mari est ivre peut-être, murmura Sarah en tirant la main du jeune homme pour lui faire rebrousser chemin.

Ils arrivaient devant la porte.

– N'ayez pas peur, dit Robert, la retenant près de lui.

Ils s'arrêtèrent avant de frapper Dans le silence de la nuit à peine troublé au loin par les derniers bruits de la vieille cité au moment de s'endormir, on entendait distinctement ce qui se passait dans la maison où une voix avinée faisait entendre une série de jurons dont l'enfant frissonna. Elle jeta un regard par la fenêtre éclairée et vit cet homme en costume débraillé, le poing levé vers une malheureuse femme debout devant lui et qui semblait s'être placée là pour protéger deux enfants cachées derrière elle.

– Pierre, écoute-moi, disait-elle, je gagne cher à aller dans cette maison. Je devais y passer la journée, j'ai promis à ces messieurs de le faire et de soigner la petite; il faut que j'y aille. Laisse-moi coucher les enfants, ils dormiront et tu n'auras pas à t'en occuper.

– Non, répondit l'homme en la repoussant brutalement, c'est ton affaire à toi, les mioches! Je ne veux pas que tu les quittes. Ils m'ont réveillé la nuit dernière.

– Ils ne le feront plus, je te le promets.

– Laisse-moi tranquille!

– Nous avons tant besoin d'argent!

– Tu es une dépensière!

La pauvre femme se privait parfois du nécessaire afin de faire plus grande la part de son mari et de ses enfants, elle travaillait encore nuit et jour pour remplacer l'argent dépensé par Pierre au cabaret. Mais elle ne releva point ce reproche. A quoi bon?

– Que va devenir la petite fille? Elle mourra de frayeur! Se dit-elle à demi-voix.

Elle était mère et se sentait au coeur une pitié naturelle pour l'orpheline.

– Le beau malheur! repartit son mari, qui avait entendu. Une fille de juif!

– Elle est chrétienne comme notre propre fille. Elle porte au cou une médaille avec la date de son baptême.

– Chrétienne! Ca! dit Pierre avec un profond mépris en levant les épaules.

– Puisqu'elle a été baptisée!

– Je te jure qu'elle est juive! reprit avec une véritable fureur l'ouvrier, auquel l'ivresse donnait une irritation stupide.

A cet instant, la porte s'ouvrit et Robert, après avoir vainement attendu que la querelle se calmât, entra ayant Sarah sur ses talons.

A l'aspect du jeune homme, Pierre Bléreau porta machinalement la main à sa casquette absente. Ce mouvement était un reste de sa première éducation, mais il reprit promptement son assurance insolente et le ton d'égalité avec lequel, depuis quelque temps, il avait appris à traiter ce qu'il nommait: le bourgeois.

Pierre, au fond, n'était pas un méchant homme; longtemps même, il avait passé pour être un des meilleurs ouvriers de la fabrique dans laquelle il travaillait depuis son enfance. Un jour, cette fabrique ayant changé de maître était tombée entre les mains d'un propriétaire antireligieux, qui avait laissé les mauvais journaux et les mauvais livres se répandre autour de lui. Il avait même employé sa puissante influence à renverser les principes de morale entretenus avec soin par son prédécesseur. Les anciens ouvriers, ceux qui croyaient en Dieu et savaient se contenter de leur sort, avaient opposé une assez vive résistance à ces efforts coupables; puis, peu à peu, les doctrines du patron avaient fait des adeptes et Pierre était de ces derniers.

Sa femme, chargée de trois enfants, l'avait entendu avec effroi redire au sortir de l'atelier quelques-unes de ces phrases creuses que les plus habiles lisaient dans leurs journaux et qu'ils ressassaient à leurs camarades. Quand elle l'avait vu faire le lundi, ce qui ne lui était jamais arrivé durant les quatre premières années de leur union, et rentrer en rapportant seulement une partie de sa paie, elle avait essayé quelques remontrances.

– De quoi? De quoi? avait-il répondu. Je suis le peuple, moi!

Et le peuple souverain, entends-tu?

– Souverain de quoi, mon pauvre homme? Triste souverain qui mourra de faim, s'il se nourrit de ces sottises-là! Que signifient-elles, mon Dieu?

– Elles signifient…

Pierre resta coi au commencement de sa phrase. Il n'était pas un beau parleur et n'avait pas reçu ce don fatal don abusent ceux qui soufflent la haine entre les différentes classes de la société. Mais il écoutait volontiers les discoureurs de cette sorte et sa courte intelligence avait saisi seulement les promesses avec lesquelles ils éveillent les convoitises de la foule. Il avait vu briller à travers les fumées du vin bu au cabaret, des mots qui jusque-là avaient à peine existé pour lui, dont la jeunesse calme et digne s'était passée dans un travail paisible, satisfaisant à ses besoins et à ceux de sa famille.

Cette science était de date trop récente pour qu'avec un esprit peu délié, il sût répéter les absurdes commentaires dont était suivie cette déclaration dans le journal où on la lui avait lue.

– Ceux qui t'entraînent au cabaret te disent des bêtises!

Qu'allons-nous devenir, les enfants et moi, si tu les écoutes?

Cette question était posée avec une profonde tristesse. Bien qu'elle fût jeune, la femme de Pierre avait l'expérience des femmes du peuple; après avoir vu quelques-unes de ses compagnes mariées à des ivrognes et à des paresseux, elle savait où conduit le vice, et la misère lui apparaissait faisant irruption dans son ménage.

La pauvre créature ne s'était pas trompée dans ses prévisions, et la vue lamentable de cet intérieur étonna Robert à son entrée. Le plus petit des enfants dormait dans son berceau; les deux autres, sales et déguenillés, demeuraient cachés derrière leur mère afin d'éviter les coups de l'ivrogne. Accoutumés à ce spectacle, ils riaient entre eux, tout en se tenant à distance du chef de famille. Sur une table boiteuse, placée au milieu de la chambre, se trouvaient les restes du souper et plusieurs bouteilles pleines ou à demi vides qui, depuis quelque temps, étaient en permanence à la portée de Pierre, quand il rentrait à la maison. Il exigeait ce luxe, même dans son intérieur où le pain se faisait, hélas! souvent rare.

Le lit des enfants et celui du père n'avaient pas été faits, et des vêtements souillés et déchirés étaient épars sur toutes les chaises. La mère de famille avait passé au bord de la rivière afin d'y laver l'absolu nécessaire tout le temps dérobé aux soins qu'elle devait à Sarah, et elle était rentrée pour préparer en hâte le maigre repas du soir.

Un des carreaux de la fenêtre était cassé, le vent s'engouffrait par cette ouverture, menaçant d'éteindre la lampe placée sur la table et dont la lumière jetait dans tous les sens sa flamme allongée et fumeuse. Sur les murs, dont en plein jour on eût vu le crépissage gris de poussière et tapissé de toiles d'araignées, pendaient quelques images aux couleurs voyantes que les enfants, dans leurs heures de solitude, s'étaient amusés à maculer ou dont ils avaient emporté des lambeaux. Enfin tout, même à cette lumière dont l'odeur âcre remplissait la chambre, représentait le désordre et la gêne qui le suit inévitablement.

Certes, il y avait loin de cet intérieur à celui de Pierre pendant les premières années de son mariage, quand sa femme, active et laborieuse, entretenait avec soin son ménage et s'occupait uniquement, grâce au gain fidèlement rapporté intact par son mari, à soigner ses enfants et à préparer les vêtements de la famille. Aujourd'hui, triste, découragée par l'inutilité de ses efforts pour le retenir sur la pente où il se perdait, affolée par la besogne dont elle se chargeait afin de gagner quelques sous, elle n'avait plus de coeur à rien, comme elle le disait elle-même, et, s'abandonnant au découragement, elle travaillait dans l'unique but de fournir l'absolu nécessaire à ses enfants et à elle. Le chef de la famille ayant abandonné ses devoir, sa compagne se sentait impuissante à le remplacer et ne se soutenait plus guère que par l'instinct de la bête luttant pour sa vie.

– Bonsoir, dit le docteur en entrant.

– Bonsoir. Qu'y a-t-il pour votre service? demanda brusquement

Pierre Bléreau.

Robert attira Sarah devant lui.

– J'ai trouvé cette enfant grelottant dehors en attendant votre femme. Ne viendra-t-elle pas ce soir?

– Non.

Le visage rouge de Pierre s'était levé hardiment vers le jeune homme, et il avait sentencieusement prononcé ce mot avec l'orgueil évident de faire peser sur quelqu'un son autorité.

– Pierre… commença la femme.

– Tais-toi! Je suis le maître.

La malheureuse baissa la tête. Elle lisait dans les yeux injectés de sang de son seigneur et maître une irrévocable résolution, et depuis quelque temps les coups lui avaient appris la limite de résistance qui lui était permise.

– Comment faire? dit le docteur. Cette petite n'osera pas rentrer seule dans la maison.

– Oh! non, murmura Sarah en se pressant contre lui.

– Comme elle voudra! Je garde ma femme pour soigner mes enfants, je ne veux pas qu'elle les quitte pour aller soigner ceux des autres.

– Elle est payée pour cela, il me semble, dit Robert gravement, et elle s'est engagée à le faire.

Payée ou non, elle restera ici.

Devant cet entêtement d'ivrogne, le docteur n'insista pas. Tenant la petite-fille de Nicolas par la main, il se tourna vers la porte en disant:

 

– Vous êtes libre. Adieu.

– Où aller? s'écria Sarah, aussitôt qu'ils eurent passé le seuil de la maison.

Ce mot prononcé avec une sorte de désespoir résonna comme une plainte dans la nuit et tomba sur le coeur de Robert, ému de compassion. La résolution du jeune homme fut promptement arrêtée. Il serra la petite main tremblante qui s'accrochait à la sienne dans son enfantine terreur et répondit doucement:

– Avec moi, men enfant. Je connais quelqu'un qui aura pitié de vous.

Les yeux de la petite fille, ces yeux parfois si étrangement étincelants, se levèrent, confiants et rassurés, vers le docteur. Un mince rayon de lune, pénétrant tout à coup les ténèbres du boulevard, tomba à travers les branches des arbres sur la tête de l'orpheline, et, éclairant son visage, permit d'y lire la foi naïve qu'elle éprouvait en son protecteur improvisé.

Une heure plus tard, Sarah, assise devant le feu, répondait timidement aux questions de Mme Martelac. Etonnée en entrant dans cet intérieur si différent de celui de son grand-père, elle sentait une jouissance inconnue pénétrer tout son être, et ses yeux rayonnants allaient de la flamme du foyer à la figure sympathique de la mère de Robert. Son visage, sur lequel la chaleur avait amené une teinte rosée, avait une expression de contentement qui depuis bien des années n'y avait pas fait son apparition. Comme l'oiseau né pendant l'hiver s'élance, joyeusement surpris, dans l'air tiède d'une première journée de printemps, la petite-fille du vieil avare était transportée dans un monde nouveau, et son âme ignorante et pure se sentit immédiatement à l'aise dans ce nid paisible où la Providence l'avait amenée.

CHAPITRE XV

La première impression ne fut pas trompeuse, et Sarah fut promptement habituée chez Mme Martelac. Celle-ci, de son côté, ayant consenti à s'en charger, trouva en elle une compagne intelligente et docile.

Tout était à faire dans l'éducation de l'enfant, Nicolas ayant négligé les plus simples éléments d'instruction qu'il eût pu lui faire donner. Le vieil avare avait pour principe que l'unique science utile en cas bas monde est l'économie.

M. d'Hassonville raconte, dans un de ses ouvrages, qu'un paysan, après lui avoir fait l'éloge de son fils, ajouta avec émotion: "Et puis, Monsieur, il est si intéressé!" L'économie poussée jusque-là était pour lui la première de toutes les vertus. Nicolas Larousse eût, certes, dépassé de beaucoup à l'égard de Sarah l'estime de ce brave paysan pour son fils; mais la consolation de lui donner un pareil éloge ne lui fut jamais accordée, et sa petite-fille témoigna toujours une profonde insouciance des marchés heureux dont il se vantait parfois devant elle, n'ayant personne autre aux yeux de qui il pût faire valoir son habileté en affaires.

Lui trouvant l'esprit réfractaire quand il cherchait à lui faire suivre ses calculs sordides, il avait abandonné l'espoir de la former à son image et la considérait comme un être mal doué, incapable de s'élever au-dessus des occupations auxquelles elle s'était accoutumée mécaniquement pendant les quelques années de sa vie chez lui.

Nature absolument neuve, mais, contrairement aux méprisantes conjectures de Nicolas, riche de tous les dons de l'intelligence et du coeur, Sarah reçut avec joie et reconnaissance les impressions nouvelles d'une éducation bien différente. Grâce à la fortune entassée sou à sou par l'avare, on put charger d'excellents professeurs de réparer le temps perdu pour son instruction. Mme Martelac se chargea elle-même de l'initier à la science religieuse, dont elle ignorait encore le premier mot, et l'âme de l'enfant s'éleva rapidement sous la pieuse influence de celle qu'elle aima bientôt comme une mère.

La petite-fille du marchand d'antiquités n'avait, au moins, subi aucune mauvaise direction. N'ayant point vécu au contact d'enfants étrangers et n'ayant guère vu de près personne autre que son grand-père, son intelligence était une page blanche encore ou à peu près, puisqu'elle ne contenait que les souvenirs éloignés et presque illisibles de sa première enfance.

Nicolas était mort depuis quelques mois, quand un matin Mme Martelac entra dans la chambre de Sarah, communiquant avec la sienne. La vieille dame tenait une lettre à la main et son visage était fort ému. La petite fille, occupée à un devoir d'écriture, laissa en commencement le mot auquel elle donnait à ce moment-là toute son application et se leva, comprenant qu'il y avait quelque chose de nouveau.

– Sarah, lui dit sa protectrice, connaissiez-vous le frère de votre mère?

– Je l'ai vu, vous le savez, un instant seulement, la veille de la mort de mon grand-père, comme je vous l'ai raconté, mais j'ignorais qu'il fût mon parent, et c'est seulement après ce triste événement que j'ai su quel était cet homme, duquel j'avais été si effrayée.

– Et votre père, l'avez-vous connu?

– Non, Madame.

– Vous en êtes sûre? Rappelez bien vos souvenirs.

L'enfant s'arrêta un moment pour faire appel à sa mémoire et répondit avec assurance:

– Je ne l'ai pas connu. J'ai connu ma mère pendant quelques années, mais je ne me souviens pas d'avoir vu près d'elle personne autre que mon grand-père.

– Celui-ci vous a-t-il parlé de votre père?

– Il ne m'a jamais parlé d'aucun des membres de ma famille.

Ce n'était pas la première fois depuis son séjour chez la mère du docteur qu'on questionnait ainsi l'enfant; mais elle était toujours obligée de faire les mêmes réponses, car elle ne se rappelait rien de ce qui avait eu lieu avant son arrivée à Poitiers avec son grand-père, et celui-ci n'avait jamais pris la peine de causer de ses parents avec elle.

– Savez-vous où vous êtes née?

– Non, Madame.

La mère du docteur fit un geste découragé.

– N'avez-vous dans l'esprit aucun indice pouvant le faire soupçonner? Rien ne réveille-t-il vos souvenirs?

– Pas grand'chose, non. Je crois, pourtant, qu'il faisait très chaud dans l'endroit où nous étions alors; car, bien que je fusse toute jeune au moment de mon arrivée ici, la différence de température me frappa et j'ai, malgré les années, gardé souvenir de cette impression.

– Vous ne savez rien sur vous-même? dit Mme Martelac avec compassion. Vous êtes en ce monde comme un pauvre petit être tombé on ne sait d'où et uniquement confié à la Providence.

– Pourquoi me faites-vous encore une fois toutes ces questions? dit Sarah en regardant la lettre tenue par sa protectrice, se doutant bien qu'il existait un rapport quelconque entre elle et l'interrogatoire qu'elle subissait.

– Asseyez-vous et je vais vous l'expliquer. Mais nous ne savons pas grand'chose de nouveau, vraiment! Et ni la justice ni vos amis ne parviendront à voir clair dans votre histoire si Dieu n'y met la main.

La petite fille s'assit en face de Mme Martelac, en tournant vers elle la chaise sur laquelle elle était au moment de son entrée.

– Vous savez, reprit celle-ci, qu'après la mort de votre grand-père on trouva, dans sa caisse vide, un billet, dont alors on vous lut le contenu, espérant pouvoir obtenir de vous quelques renseignements. Ce billet était, il est vrai, signé par M. Larousse, mais il était bien insuffisant pour éclairer les démarches de la justice. C'était une dénonciation contre son propre fils. Il l'accusait de l'avoir, à deux reprises, dépouillé des valeurs qu'il possédait chez lui et avouait l'avoir sauvé une première fois en sacrifiant le mari de sa fille et en le faisant condamner. Ce papier ne contenait ni la date du premier vol, ni, ce qui sans doute eût rendu les recherches plus faciles, l'endroit où il avait eu lieu et où votre père avait subi le jugement. M. Larousse écrivit cela sous l'empire de la colère qui, probablement, détermina la congestion dont il est mort; l'écriture était tremblée, formée avec peine et à la hâte. Frappé soudainement, il n'eut pas le temps de relire cette déclaration et de la compléter assez pour permettre de réparer le crime dont il s'était rendu coupable en faisant condamner un innocent. Eh bien! par une inconcevable fatalité, une nouvelle déclaration, celle-là du coupable lui-même, est interrompue aussi par la mort. L'aveu de Marc Larousse ne peut, pas plus que l'écrit de votre grand-père, nous mettre sur la voie pour retrouver, s'il vit encore, et pour réhabiliter votre malheureux père.

– On a retrouvé le frère de ma mère? s'écria Sarah.

Mme Martelac lui montra la lettre envoyée par le docteur et qu'elle tenait à la main.

– Robert m'écrit ce matin et joint cette lettre à la sienne afin de nous tenir au courant des événements ayant rapport à votre situation. Elle est de M. Hilleret, que vous avez connu pendant son séjour ici; le plus grand des hasards l'a fait assister aux derniers moments de Marc Larousse. Après avoir volé à son père tout ce qu'il pouvait emporter, le misérable est passé en Algérie, où il s'est mis à faire le commerce avec les Arabes, se hasardant, paraît-il, au milieu de tribus mal soumises, et courant parfois de grands dangers dans lesquels l'appât du gain et son humeur aventureuse le poussaient malgré les avis des colons qu'il connaissait. Il y a quelques jours, on l'a trouvé frappé à mort, après avoir été dépouillé de tout ce qu'il portait avec lui. Le détachement qui l'a rencontré au moment où il allait rendre le dernier soupir était justement commandé par Jacques Hilleret. Celui-ci l'a, dit-il, préparé de son mieux à rendre à Dieu son âme si coupable, et, à défaut du prêtre absent dans cet endroit désert, il a reçu ses dernières confidences et l'aveu de son désir de réparer son crime. Malheureusement, il perdit presque immédiatement la parole, sans avoir pu compléter ses renseignements et les mots prononcés par lui viennent seulement confirmer la déclaration de son père.

– Oh! Madame, quel malheur! Si mon pauvre père vit, je serais si heureuse de pouvoir le consoler et lui faire oublier l'horrible injustice ont il a été victime!

– Peut-être n'existe-t-il plus, ma pauvre enfant. Votre grand-père ne vous traitait-il pas comme une véritable orpheline?

– Sans doute et longtemps, ignorant les raisons qu'il avait pour me le faire croire, je me suis aussi regardée comme telle; mais aujourd'hui, un secret espoir s'est emparé de moi et je m'explique que mon grand-père, dans de telles conditions, ait pu sans aucune certitude me laisser croire à la mort de mon père.

Mme Martelac secoua la tête.

– Confions-nous en Dieu! Le docteur fera tout au monde pour savoir la vérité à ce sujet. Il s'est déjà livré à bien des recherches dans les différentes parties de la France; mais nulle part il n'a obtenu un renseignement sur un condamné de votre nom.

La petite fille écoutait ces paroles, les yeux pleins de larmes et les mains croisées.

– Il faut prier, mon enfant; le ciel nous viendra en aide. S'il a permis que ces deux tentatives de réparation demeurassent inachevées, c'est pour nous éprouver; mais si votre pauvre père existe encore, il vous donnera, je l'espère, la joie de le revoir.

Sarah écouta ces paroles avec cette confiance particulière à la jeunesse, toujours croyante en l'avenir. Pourtant les mois s'écoulèrent, l'année se passa, une autre lui succéda et Robert n'aboutit à rien, bien qu'il mît tout en oeuvre. Sa mère et lui finirent par penser que le père de leur petite protégée était maintenant dans un autre monde où la justice infaillible de Dieu rend à l'innocent et au coupable ce qui leur est dû. Toutefois, ne voulant point affliger Sarah, ils continuaient à l'engager à s'adresser à Dieu pour obtenir la consolation qu'ils étaient impuissants à lui donner, malgré leur active affection.