Za darmo

Histoire des salons de Paris. Tome 5

Tekst
0
Recenzje
iOSAndroidWindows Phone
Gdzie wysłać link do aplikacji?
Nie zamykaj tego okna, dopóki nie wprowadzisz kodu na urządzeniu mobilnym
Ponów próbęLink został wysłany

Na prośbę właściciela praw autorskich ta książka nie jest dostępna do pobrania jako plik.

Można ją jednak przeczytać w naszych aplikacjach mobilnych (nawet bez połączenia z internetem) oraz online w witrynie LitRes.

Oznacz jako przeczytane
Czcionka:Mniejsze АаWiększe Aa

Une particularité assez frappante, parce qu'elle eut lieu dans un temps où Bonaparte ne proclamait pas ses intentions, ce fut l'ordre qu'il donna, le lendemain de son arrivée aux Tuileries21, d'abattre les deux arbres de la liberté qui étaient plantés dans la cour. Ces arbres n'étaient plus un symbole, à la vérité; ils n'étaient plus que des simulacres, et Bonaparte le savait bien.

Le consulat à vie montra de suite tout l'avenir.

Je vis arriver dans le salon de Saint-Cloud plusieurs personnes qui n'étaient pas à la Malmaison. Dans ce nombre était la duchesse de Raguse, alors madame Marmont. Elle avait été longtemps en Italie avec son mari qui commandait l'artillerie de l'armée. Elle était charmante, alors, non seulement par sa jolie et gracieuse figure, mais par son esprit fin, gai, profond et propre à toutes les conversations. Quoique plus âgée que moi de quelques années, elle était encore fort jeune à cette époque, et surtout fort jolie.

Une nouvelle mariée vint aussi augmenter le nombre des jeunes et jolies femmes de la cour de madame Bonaparte: ce fut madame Duchatel. Charmante et toute grâce, toute douceur, ayant à la fois un joli visage, une tournure élégante, madame Duchatel fit beaucoup d'effet. Il y avait surtout un charme irrésistible dans le regard prolongé de son grand œil bleu foncé, à double paupière: son sourire était fin et doux, et disait avec esprit toute une phrase dans un simple mouvement de ses lèvres, car il était en accord avec son regard; avantage si rare dans la physionomie et si précieux dans celle d'une femme. Son esprit était également celui qu'on voulait trouver dans une personne comme madame Duchatel.. En la voyant, je désirai d'abord me lier avec elle. Elle eut pour moi le même sentiment; et, depuis ce temps, je lui suis demeurée invariablement attachée par affection et par attrait. Elle me rappelait, à cette époque où elle parut à notre cour, ce que je me figurais d'une de ces femmes du siècle de Louis XIV, tout esprit et toute grâce. Je ne m'étais pas trompée.

Dans ce même temps, où tous les yeux étaient fixés sur cette cour consulaire qui se formait déjà visiblement, il survint un événement qui arrêta définitivement la pensée de ceux qui pouvaient encore douter: ce fut le mariage de madame Leclerc avec le prince Camille Borghèse. Elle était ravissante de beauté, c'est vrai; mais le prince Borghèse était jeune et joli garçon; on ne savait pas encore l'étendue de sa nullité; et deux millions de rente, le titre de princesse, furent comme une sorte d'annonce pour ceux qui voulaient savoir où allait le premier Consul.

J'avais vu la princesse, avec laquelle j'étais intimement liée, ainsi que ma mère, la veille du jour où elle devait faire sa visite de noce à Saint-Cloud. Elle détestait sa belle-sœur… mais la bonne petite âme n'était pas, au reste, plus aimante pour ses sœurs. Aussi quelle douce joie elle éprouvait en faisant la revue de sa toilette du lendemain…

«Mon Dieu! lui disais-je, vous êtes si jolie!.. Voilà votre véritable motif de joie, voilà où vous les dominez toutes, voilà le vrai triomphe.»

Mais elle n'entendait rien; et le lendemain, elle voulut écraser sa belle-sœur surtout, car c'était sur elle que sa haine portait plus spécialement: Hortense et sa sœur Caroline n'arrivaient qu'après. Quant à Élisa…

«Oh! pour celle-là, disait-elle plaisamment, lorsque j'aurai la folie d'en être jalouse, je n'aurai qu'à lui demander de jouer Alzire, comme elle nous a fait le plaisir de le faire à Neuilly, et tout ira bien.22»

Je me rendis à Saint-Cloud le même soir pour connaître la manière de penser des deux camps. À peine fus-je arrivé que madame Bonaparte vint à moi:

– «Eh bien! avez-vous vu la nouvelle princesse? on dit qu'elle est radieuse!

– Ah! vous savez, madame, combien elle est jolie; c'est un être idéal de beauté.

– Oh! mon Dieu! cela est tellement connu maintenant que la chose commence à paraître moins frappante.

– On ne se lasse jamais d'un beau tableau, madame; ni de la vue d'un chef-d'œuvre! jugez lorsqu'il est animé!»

Madame Bonaparte n'avait aucun fiel; et si elle montrait tant d'aigreur contre sa belle-sœur, ce n'était pas par envie; c'était comme une habitude défensive et elle savait fort bien que madame Leclerc n'était vulnérable que dans sa beauté; elle ne continua donc pas la conversation presque hostile commencée entre nous: elle connaissait d'ailleurs l'intimité qui existait entre nous et combien ma mère aimait madame Leclerc; elle fut donc à merveille avec moi, et loin de me montrer de l'humeur elle m'engagea à dîner pour le lendemain.

– «Car c'est demain qu'elle doit faire ici sa visite officielle, me dit madame Bonaparte… Je présume qu'elle se dispose à nous arriver aussi resplendissante que possible… Savez-vous comment elle sera mise, madame Junot, poursuivit-elle en s'adressant directement à moi.»

Je le savais; mais madame Borghèse ne m'aurait pas pardonné d'avoir trahi un tel secret: je répondis négativement, et madame Bonaparte, qui avait fait la question avec nonchalance comme n'y attachant aucune importance, ne voulut pas insister, quelque persuadée qu'elle fût que j'en étais instruite.

En arrivant le lendemain à Saint-Cloud, je fus frappée de la simplicité de la toilette de madame Bonaparte; mais cette simplicité était elle-même un grand art… On sait que Joséphine avait une taille et une tournure ravissantes; à cet égard elle pouvait lutter, et même avec succès, contre sa belle-sœur qui n'avait pas une grâce aussi parfaite qu'elle dans tous ses mouvements… Connaissant donc tous ses avantages, Joséphine en usa pour disputer au moins la victoire à celle qui ne redoutait personne en ce monde pour sa beauté, aussitôt qu'elle paraissait et montrait son adorable visage.

Madame Bonaparte portait ce jour-là, quoiqu'on fût en hiver, une robe de mousseline de l'Inde, que son bon goût lui faisait faire, dès cette époque, beaucoup plus ample de la jupe qu'on ne faisait alors les robes, pour qu'elle formât plus de gros plis. Au bas était une petite bordure large comme le doigt en lame d'or et figurant comme un petit ruisseau d'or. Le corsage, drapé à gros plis sur sa poitrine, était arrêté sur les épaules par deux têtes de lion en or émaillées de noir autour… La ceinture, formée d'une bandelette brodée comme la bordure, était fermée sur le devant par une agrafe comme les têtes en or émaillées qui étaient aux épaules… Les manches étaient courtes, froncées et à poignets comme on en portait dans ce temps-là, et le poignet ouvert sur le bras était retenu par deux petits boutons semblables aux agrafes de la ceinture. Les bras étaient nus: Joséphine les avait très-beaux, surtout le haut du bras.

Sa coiffure était ravissante. Elle ressemblait à celle d'un camée antique. Ses cheveux, relevés sur le haut de la tête, étaient contenus dans un réseau de chaînes d'or dont chaque carreau était marqué comme on en voit aux bustes romains, et était fait par une petite rosace en or émaillée de noir. Ce réseau à la manière antique venait se rejoindre sur le devant de la tête et fermait avec une sorte de camée en or émaillé de noir comme le reste. À son cou était un serpent en or dont les écailles étaient imitées par de l'émail noir; les bracelets pareils, ainsi que les boucles d'oreilles.

Lorsque je vis madame Bonaparte, je ne pus m'empêcher de lui dire combien elle était charmante avec ce nuage vaporeux formé par cette mousseline23, que bien certainement Juvénal eût appelée une robe de brouillard à plus juste titre que celles de ses dames romaines… Et puis, cette parure lui allait admirablement… Voilà comment Joséphine a mérité sa réputation de femme parfaitement élégante: c'est en adaptant la mode à la convenance de sa personne. Ici elle avait songé à tout!.. même à l'ameublement du grand salon de Saint Cloud, qui alors était bleu et or, et allait ainsi très-bien avec cette mousseline neigeuse et cet or qui tous deux s'harmoniaient parfaitement ensemble.

Aussitôt que le premier Consul entra dans le salon, où il arrivait alors presque toujours, par le balcon circulaire, au moment où l'on s'y attendait le moins, il fut frappé comme moi de l'ensemble vraiment charmant de Joséphine. Aussi fut-il à elle aussitôt, et la prenant par les deux mains, il la conduisit devant la glace de la cheminée pour la voir en même temps de tous côtés, et l'embrassant sur l'épaule et sur le front, car il ne pouvait encore se défaire de cette habitude bourgeoise, il lui dit: «Ah! çà, Joséphine, je serai jaloux! Vous avez des projets! Pourquoi donc es-tu si belle aujourd'hui?

 

– Je sais que tu aimes que je sois en blanc… et j'ai mis une robe blanche: voilà tout.

– Eh bien! si c'est pour me plaire, tu as réussi.»

Et il l'embrassa encore une fois.

– «Avez-vous vu la nouvelle princesse?» me demanda le premier Consul à dîner.

Je répondis affirmativement, et j'ajoutai qu'elle devait venir le soir même pour faire sa visite de noce à madame Bonaparte et lui être présentée par son mari.

– «Mais c'est chose faite, dit le premier Consul… D'ailleurs Joséphine est sa belle-sœur.

– Oui, général, mais elle est aussi femme du premier magistrat de la France.

– Ah! ah! c'est donc comme étiquette que cette visite a lieu? et qui donc en a tant appris à Paulette? ce n'est pas le prince Borghèse.»

Il dit ce mot avec une expression qui traduisait l'opinion qu'il s'était déjà formée de cet homme, qui, tout prince qu'il était, montrait plus de vulgarité qu'aucun transtévérin de Rome24.

– «Ce n'est pas Paulette qui d'elle-même aura eu cette pensée…» Il se tourna alors vers moi.

«Je suis sûr que c'est chez votre mère qu'on lui a dit cela?»

C'était vrai. C'était madame de Bouillé25 qui le lui avait dit. J'en convins, et la nommai au premier Consul…

– «J'en étais sûr,» répéta-t-il avec un accent de satisfaction qui disait que certainement il aurait recours à cette noblesse, qu'il n'aimait pas comme homme d'État, mais dont il ne pouvait se refuser à reconnaître la nécessaire influence dans une société élégante, et surtout dans une cour.

Quoiqu'on demeurât beaucoup plus de temps à table depuis qu'on y était servi avec tout le luxe royal, il était à peine huit heures lorsqu'on en sortit. Le premier Consul se promena quelque temps en attendant sa sœur qu'il voulait voir arriver dans toute sa gloire de princesse et de jolie femme; mais à huit heures et demie il perdit patience et s'en fut travailler dans son cabinet.

Madame Borghèse avait préparé son entrée pour produire de l'effet. Redoutant l'inégalité de son frère, qui souvent se mettait à table à huit heures et demie, elle ne voulut prudemment arriver qu'à neuf heures passées, ce qui lui fit manquer le premier Consul.

Elle avait voulu frapper depuis le vestibule jusqu'au salon, tous deux inclusivement. Elle était venue dans une magnifique voiture chargée des armoiries des Borghèses: cette voiture, attelée de six chevaux, avait trois laquais portant des torches… un piqueur en avant et un garçon d'attelage en arrière, l'un et l'autre ayant aussi une torche, complétaient cette magnificence encore fort inconnue, en France, pour la génération alors au pouvoir.

Lorsque le prince et la princesse arrivèrent à la porte du salon consulaire, l'huissier, préludant à l'Empire, ouvrit les deux battants et dit à haute voix:

«Monseigneur le prince et madame la princesse Borghèse.»

Nous nous levâmes toutes à l'instant. Joséphine se leva aussi; mais elle demeura immobile devant son fauteuil et laissa la princesse avancer jusqu'à elle et traverser ainsi une grande partie du salon. Mais la chose lui fut plutôt agréable qu'autrement, par une raison que je dirai plus tard, et à laquelle on ne s'attend guère.

Elle était en effet resplendissante, comme elle l'avait annoncé: sa robe était d'un magnifique velours vert, mais d'un vert doux et point tranchant. Le devant de cette robe et le tour de la jupe étaient brodés en diamants, non pas en strass, mais en vrais diamants, et les plus beaux qu'on pût voir26. Le corsage et les manches en étaient également couverts, ainsi que ses bras et son cou. Sur sa tête était un magnifique diadème où les plus belles émeraudes que j'aie jamais vues étaient entourées de diamants; enfin, pour compléter cette magnifique parure, la princesse avait au côté un bouquet composé de poires d'émeraudes et de poires en perles d'un prix inestimable. Maintenant, qu'on se figure l'être fantastique de beauté qui était au milieu de toutes ces merveilles, et on aura une imparfaite idée encore de la princesse Borghèse entrant dans le salon de Saint-Cloud le soir de sa présentation, comme elle-même le disait!

Je connaissais et la toilette, et les trésors, et la beauté; cependant, je l'avoue, je fus moi-même surprise par l'effet que produisit la princesse à son entrée dans le salon. Quant à son mari, il fut là ce qu'il fut toujours depuis, le premier chambellan de sa femme…

Joséphine, après le premier moment d'étonnement causé par cette profusion de pierreries qui ruisselaient sur les vêtements de sa belle-sœur, se remit, et la conversation devint générale. On servit des glaces, et alors il y eut un mouvement.

– «Eh bien! me dit la Princesse, comment me trouvez-vous?

– Ravissante! et jamais on ne fut si jolie avec autant de magnificence.

LA PRINCESSE

En vérité!

MADAME JUNOT

C'est très-vrai.

LA PRINCESSE

Vous m'aimez, et vous me gâtez…

MADAME JUNOT

Vous êtes enfant!.. Mais, dites-moi pourquoi vous êtes venue si tard?

LA PRINCESSE

Vraiment, je l'ai fait exprès!.. je ne voulais pas vous trouver à table. Il m'est bien égal de n'avoir pas vu mon frère!.. C'était elle, que je voulais trouver et désespérer… Laurette, Laurette! Regardez donc comme elle est bouleversée!.. oh! que je suis contente!

MADAME JUNOT

Prenez garde, on peut vous entendre.

LA PRINCESSE

Que m'importe! je ne l'aime pas!.. Tout à l'heure elle a cru me faire une chose désagréable en me faisant traverser le salon; eh bien! elle m'a charmée.

MADAME JUNOT

Et pourquoi donc?

LA PRINCESSE

Parce que la queue de ma robe ne se serait pas déployée, si elle était venue au-devant de moi, tandis qu'elle a été admirée en son entier.

Je ne pus retenir un éclat de rire; mais la Princesse n'en fut pas blessée. Ce soir-là on aurait pu tout lui dire, excepté qu'elle était laide…

LA PRINCESSE, regardant sa belle-sœur

Elle est bien mise, après tout!.. Ce blanc et or fait admirablement sur ce velours bleu…

Tout à coup la Princesse s'arrête… une pensée semble la saisir; elle jette les yeux alternativement sur sa robe et sur celle de madame Bonaparte.

LA PRINCESSE, soupirant profondément

Ah, mon Dieu! mon Dieu!

MADAME JUNOT

Qu'est-ce donc?

LA PRINCESSE

Comment n'ai-je pas songé à la couleur du meuble de salon!.. Et vous, vous, Laurette… vous, qui êtes mon amie, que j'aime comme ma sœur (ce qui ne disait pas beaucoup), comment ne me prévenez-vous pas?

MADAME JUNOT

Eh! de quoi donc, encore une fois! que le meuble du salon de Saint-Cloud est bleu? Mais vous le saviez aussi bien que moi.

LA PRINCESSE

Sans doute; mais dans un pareil moment on est troublée, on ne sait plus ce qu'on savait; et voilà ce qui m'arrive… J'ai mis une robe verte pour venir m'asseoir dans un fauteuil bleu!

Non, les années s'écouleront et amèneront l'oubli, que je ne perdrai jamais de vue la physionomie de la Princesse en prononçant ces paroles… Et puis l'accent, l'accent désolé, contrit… C'était admirable!

LA PRINCESSE

Je suis sûre que je dois être hideuse! Ce vert et ce bleu… Comment appelle-t-on ce ruban27? Préjugé vaincu!.. Je dois être bien laide, n'est-ce pas?

MADAME JUNOT

Vous êtes charmante! Quelle idée allez-vous vous mettre en tête!

LA PRINCESSE

Non, non, je dois être horrible! le reflet de ces deux couleurs doit me tuer. Voulez-vous revenir avec moi à Paris, Laurette?

MADAME JUNOT

Merci! j'ai ma voiture. Et vous, votre mari…

LA PRINCESSE

C'est-à-dire que je suis toute seule.

MADAME JUNOT

Comment? et votre lune de miel ne fait que commencer.

LA PRINCESSE, haussant les épaules

Quelles sottises me dites-vous là, chère amie! Une lune de miel avec cet IMBÉCILE-LA!.. Mais vous voulez rire probablement?

MADAME JUNOT

Point du tout, je le croyais; c'était une erreur seulement, mais pas une sottise… Et puisque je ne dérangerai pas un tête-à-tête, j'accepte, pour être avec vous d'abord, et puis pour juger si, en effet tout espoir de lune de miel est perdu.

La Princesse se leva alors majestueusement, et fut droit à madame Bonaparte pour prendre congé d'elle; les deux belles-sœurs s'embrassèrent en souriant!.. Judas n'avait jamais été si bien représenté.

Mais ce fut en regagnant sa voiture que la princesse fut vraiment un type particulier à étudier… Elle ralentit sa marche lorsqu'elle fut arrivée sur le premier palier du grand escalier, et traversa la longue haie formée par tous les domestiques et même les valets de pied du château avec une gravité royale toute comique; mais ce qu'on ne peut rendre, c'est le balancement du corps, les mouvements de la tête, le clignement des yeux, toute l'attitude de la personne. Elle marchait seule en avant; son mari suivait, ayant la grotesque tournure que nous lui avons connue, malgré sa jolie figure. Il avait un habit de je ne sais quelle couleur et quelle forme, qu'il portait à la Cour du Pape; et, comme l'épée n'était pas un meuble fort en usage à la Cour papale, il s'embarrassait dans la sienne, et finit par tomber sur le nez en montant en voiture. Le retour fut rempli par de continuelles doléances de la Princesse sur son chagrin d'avoir mis une robe verte dans un salon bleu.

Le lendemain nous nous trouvâmes chez ma mère, qui voulait avoir des détails sur la présentation, et avec qui Paulette n'osait pas encore faire la princesse.

– «Ainsi donc, dit-elle à la Princesse, tu étais bien charmante!»

Et elle la baisait au front avec ces caresses de mère qu'on ne donne qu'à une fille chérie.

– «Oh! maman Panoria28, demandez à Laurette.»

 

Je certifiai de la vérité de la chose… Ma mère sourit avec autant de joie que pour mon triomphe.

– «Mais, dit ma mère, il faut maintenant faire la princesse avec dignité et surtout convenance, Paulette; et quand je dis convenance, j'entends politesse. Tu es enfant gâtée, nous savons cela. Ainsi, par exemple, chère enfant, vous ne rendez pas de visite; cela n'est pas bien. Je ne me plains pas, moi, puisque vous êtes tous les jours chez moi, mais d'autres s'en plaignent.»

La Princesse prit un air boudeur. Ma mère n'eut pas l'air de s'en apercevoir, et continua son sermon jusqu'au moment où madame de Bouillé et madame de Caseaux entrèrent dans le salon. On leur soumit la question, et la réponse fut conforme aux conclusions de ma mère.

– «Vous voilà une grande dame, lui dirent-elles, par votre alliance avec le prince Borghèse. Il faut donc être ce qu'étaient les grandes dames de la Cour de France. Ce qui les distinguait était surtout une extrême politesse. Ainsi donc, rendre les visites qu'on vous fait, reconduire avec des degrés d'égards pour le rang de celles qui vous viennent voir; ne jamais passer la première lorsque vous vous trouvez à la porte d'un salon avec une femme, votre égale ou votre supérieure, ou plus âgée que vous; ne jamais monter dans votre voiture avant la femme qui est avec vous, à moins que ce ne soit une dame de compagnie; ne pas oublier de placer chacun selon son rang dans votre salon et à votre table; offrir aux femmes qui sont auprès du Prince, deux ou trois fois, des choses à votre portée pendant le dîner; être prévenante avec dignité; enfin, voilà votre code de politesse à suivre, si vous voulez vous placer dans le monde.»

Au moment où ces dames parlèrent de ne pas monter la première dans la voiture, je souris; ma mère, qui vit ce sourire, dit à Paulette:

– «Est-ce que, lorsque tu conduis Laurette dans ta voiture, tu montes avant elle?»

La Princesse rougit.

– «Est-ce que hier, poursuivit ma mère plus vivement, cela serait surtout arrivé?»

La Princesse me regarda d'un air suppliant; elle craignait beaucoup ma mère, tout en l'aimant.

– «Non, non, m'empressai-je de dire; la princesse m'a fait la politesse de m'offrir de monter avant elle.

– C'est que, voyez-vous, dit ma mère, ce serait beaucoup plus sérieux hier qu'un autre jour. Ma fille et vous, Paulette, vous avez été, comme vous l'êtes encore, presque égales dans mon cœur, comme vous l'êtes dans le cœur de l'excellente madame Lætitia. Vous êtes donc sœurs, pour ainsi dire, et sœurs par affection. Je ne puis donc supporter la pensée qu'un jour Paulette oubliera cette affection, parce qu'on l'appelle Princesse et qu'elle a de beaux diamants et tout le luxe d'une nouvelle existence. Mais cela n'a pas été… tout est donc au mieux.

– Mais, reprit doucement Paulette en se penchant sur ma mère et s'appuyant sur son épaule, je suis sœur du premier Consul!.. je suis…

– Quoi! qu'est-ce que sœur du premier Consul?.. Qu'est-ce que la sœur de Barras était pour nous?

– Mais ce n'est pas la même chose, maman Panoria!

– Absolument de même pour ce qui concerne l'étiquette. Ton frère a une dignité temporaire; elle lui est personnelle; et même, pour le dire en passant, elle ne devrait pas lui donner le droit de prendre la licence de ne rendre aucune visite. Il est venu au bal que j'ai donné pour le mariage de ma fille, et il ne s'est pas fait écrire chez moi

J'ai mis avec détail cette conversation pour faire juger de l'état où était la société en France, à cette époque: d'un côté, elle montrait et observait toujours cette extrême politesse, cette observance exacte des moindres devoirs; de l'autre, un oubli entier de ces mêmes détails dont se forme l'existence du monde, et la volonté de les connaître et de les mettre en pratique. On voit que ma mère, malgré toutes les secousses révolutionnaires par lesquelles la société avait été ébranlée, s'étonne que le général Bonaparte, même après les victoires d'Italie, d'Égypte et de Marengo, sa haute position politique, ne se fût pas fait écrire chez elle, après y avoir passé la soirée.

– «Mais il est bien grand, lui disait Albert, pour la calmer là-dessus.

– Eh bien! qu'importe? Le maréchal de Saxe était bien grand aussi… et il faisait des visites29

La société de Paris, au moment de la transition de l'état révolutionnaire, c'est-à-dire de la République à l'Empire, était donc divisée, comme on le voit, et sans qu'aucune des diverses parties prît le chemin de se rejoindre à l'autre. Ce qui contribuait à maintenir cet état était le défaut de maisons où l'on reçût habituellement. On le voyait, mais peu, dans la Cour consulaire; toutes les femmes étaient jeunes, et beaucoup hors d'état d'être maîtresses de maison autrement que pour en diriger le matériel. On allait à Tivoli voir le feu d'artifice et se promener dans ses jolis jardins; on allait beaucoup au spectacle; on se donnait de grands dîners, pour copier la Cour consulaire, où les invitations allaient par trois cents les quintidis; on allait au pavillon d'Hanovre, à Frascati, prendre des glaces en sortant de l'Opéra, tout cela avec un grand luxe de toilette et sans que l'on y prît garde encore; on allait à des concerts où chantait Garat, qui alors faisait fureur, et la vie habituelle se passait ainsi. Mais la société ne fut pas longtemps dans cet état de suspension. 1804 vit arriver l'Empire; et, du moment où il fut déclaré, un nouveau jour brilla sur toute la France; tout y fut grand et beau; rien ne fut hors de sa place, et l'ordonnance de chaque chose fut toujours ce qu'elle devait être.

2130 pluviôse an VIII.
22Cette représentation à laquelle elle faisait allusion avait eu lieu en effet à Neuilly, dans une maison où logeait Lucien et qu'on appelait alors la Folie de Saint-James… Lucien faisait Zamore et madame Bacciochi Alzire. On ne peut se figurer la tournure qu'elle avait avec cette couronne de plumes et le reste. Mais ce n'était rien auprès de la traduction et des gestes; aussi le premier Consul, qui était venu accompagné de la troupe de la Malmaison qui était rivale de celle de Neuilly, dit-il à son frère et à sa sœur, après la représentation, qu'ils avaient parodié Alzire à merveille.
23Je ne vois plus de ces mousselines dont je parle; les pièces n'avaient que huit aunes, et la mousseline était si fine et si claire que dans l'Inde on est obligé de la travailler dans l'eau pour que les fils ne cassent pas. Le prix de ces mousselines était exorbitant: je crois que la pièce de huit aunes revenait à six cents francs.
24Les Transtévérins ou hommes au-delà du Tibre sont très-beaux, mais tout à fait communs. C'est dans les Transtévérines que les peintres retrouvent encore les vraies madones de Raphaël.
25Mère de madame de Contades. Elle entendait à ravir tout ce qui tenait à l'étiquette de la cour. J'ai rapporté ce fait pour montrer à quel point Bonaparte attachait de l'importance à ces sortes de choses.
26Le trésor de la famille Borghèse, comme eux-mêmes l'appelaient, était estimé plus de trois millions. Madame Leclerc avait déjà de beaux diamants à elle en propre, et le prince Borghèse avait ajouté pour plus de trois cent mille francs à ceux de sa famille pour ce mariage.
27Dans les premiers moments de la Révolution, on fit un ruban où des raies vertes et bleues se mélangeaient.
28Nom d'amitié qu'elle donnait à ma mère. Ce nom de Panoria qui, au fait, était celui de ma mère, en grec signifie la plus belle.
29Ma mère avait connu l'Empereur tellement enfant, que, pour elle, la gloire du vainqueur de l'Italie et la haute position du premier magistrat de la république n'étaient pas aussi éblouissantes que pour les autres. Je me suis souvent demandé, connaissant sa manière de voir et son opinion très-tranchée pour un autre ordre de choses, comment elle aurait pris l'Empire.