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Histoire des salons de Paris. Tome 2

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SALON
DE
MADAME LA COMTESSE DE GENLIS.
PREMIÈRE ÉPOQUE.AVANT LE PALAIS-ROYAL, BELLE-CHASSE ET L'ARSENAL

J'ai peu vécu avec madame de Genlis; je ne suis même allée que deux fois chez elle avec le cardinal Maury, qui voulait former entre nous une liaison qui était impossible, parce que j'aimais avec passion le talent et le caractère de madame de Staël, dont elle s'était déclarée l'ennemie; mais j'ai passé ma vie avec les personnes de France qui pouvaient le mieux me la faire connaître: l'une était sa tante, madame de Montesson58, et les autres les plus intimes de la société de M. le duc d'Orléans. Madame de Genlis rentrait en France au moment de mon mariage. J'avais été prévenue en sa faveur par ses livres. Adèle et Théodore, ce chef-d'œuvre si vanté, qui n'est plus aujourd'hui qu'un ouvrage toujours remarquable, mais enfin susceptible de comparaison avec un autre livre, Adèle et Théodore me paraissait sublime… Ma mère, qui ne lisait jamais, et n'avait en toute sa vie lu que Télémaque, se faisait lire Adèle et Théodore, et retrouvait une foule de personnages de sa connaissance parfaitement dépeints dans beaucoup de portraits de cet ouvrage. Le vieux comte de Périgord (oncle de M. de Talleyrand) reconnaissait aussi des gens de sa connaissance lorsque le jeudi59 je lisais haut avant et après le dîner. J'avais donc beaucoup de raisons pour me laisser aller à de l'attrait, si j'en eusse ressenti pour elle; mais ce fut tout le contraire. Madame de Staël ne m'a jamais fait éprouver un pareil sentiment: j'ai admiré aussitôt que j'ai lu et entendu cette femme étonnante, sans qu'elle me commandât de le faire; et il y a en moi, pour madame de Genlis, une répulsion que je ne puis vaincre: elle s'impose avec une telle autorité, qu'elle inspire aussitôt l'envie de résister. Nous avons en nous l'esprit de contradiction, mais c'est là surtout que nous le trouvons plus actif que jamais… J'ai connu des amis de madame de Genlis qui la défendaient de ce reproche de fatuité; mais la preuve en est donnée par elle-même. Lisez ses Mémoires.

L'existence sociale de madame la comtesse de Genlis est une sorte de problème difficile à résoudre; elle se compose d'une foule de contradictions plus extraordinaires les unes que les autres. Elle était d'une famille noble dont le nom et les alliances lui donnèrent à huit ans le droit d'être nommée chanoinesse du chapitre d'Alix à Lyon, et elle se nomma jusqu'à son mariage madame la comtesse de Lancy. Elle épousa M. de Genlis, homme de grande qualité et allié de près à toutes les grandes familles du royaume; et jamais cependant madame de Genlis n'eut dans le monde l'attitude d'une grande dame… Parlant toujours de vertu, de piété, de devoirs, elle n'eut jamais dans toute sa vie la moindre considération, tout en fulminant contre les femmes qui avaient un amant… publiant des traités sur l'amitié, des protocoles d'affection de toutes les sortes, ayant toujours une collection de souvenirs pour chaque jour de l'année, et finissant par mourir isolée, sans un ami véritable pour lui fermer les yeux… Quelle est la morale de ces réflexions?.. Une bien triste!..

Quoi qu'il en soit, madame de Genlis, puis madame de Sillery, et enfin madame de Genlis a été assez influente sur nos affaires à l'époque où nous sommes dans cet ouvrage pour que nous lui donnions un moment de spéciale attention. L'importance que cette femme eut sur les destinées de la France est d'une telle nature que nous devons nous en occuper, et d'autant mieux qu'elle met à nier une foule de faits les plus notoires de ce temps, où son nom se trouve mêlé, une telle naïveté, qu'en vérité il est impossible de ne se pas croire sous une sorte de prestige lorsqu'on lit en même temps ces pages où elle prétend n'avoir jamais parlé à des hommes que non-seulement elle devait connaître comme rapports de société, mais dont elle devait être l'amie. Longtemps avant les premiers éclats de la Révolution, madame de Genlis préparait cette influence qui éclata ensuite comme une bombe maudite, et couvrit de ses éclats jusqu'à celle qui avait préparé la mèche et l'avait peut-être allumée.

C'est une vie bizarre que celle qu'elle avait menée dans sa première jeunesse, s'il faut le dire. Cette vie nomade, ambulante, avait à cette époque surtout un caractère d'autant plus étrange qu'il était inusité: ne quittant un château que pour aller dans un autre, se déguisant en paysanne pour courir la campagne… allant ou du moins voulant aller de Genlis à Paris à franc étrier et en bottes fortes, et trouvant, heureusement pour elle, un maître de poste dont la raison valait mieux que la sienne… mystifiant tous ceux qui lui tombaient sous la main, mangeant des poissons crus, et tout cela à dix-huit ans, avec une jolie figure; jouant de la harpe comme Apollon, jouant la comédie comme Thalie, dansant comme Terpsichore, faisant des armes comme Bellone, sage comme Minerve, voilà comment se trouvait en ce monde madame de Genlis, ainsi que je l'ai déjà dit, lorsqu'elle fut nommée dame pour accompagner madame la duchesse de Chartres…

On ne pouvait pas parler du salon de madame de Genlis avec cette vie nomade que je viens de rappeler. Le moyen de fixer une telle personne en un même lieu plusieurs mois de suite?.. Un seul endroit cependant était celui de sa prédilection: c'était le château de Sillery, lorsque surtout il appartenait à M. et à madame de Puisieux60… La raison qui lui fit prendre la route qu'elle suivit alors peut être bonne; je ne déciderai rien à cet égard. Je dirai seulement que ce salon de Sillery devait être une singulière école pour une jeune personne, lorsque madame de Genlis y tenait son cours de bonnes manières, à l'usage des jeunes filles qui doivent être modestes et retirées dans leur intérieur; c'est une sorte de parade, et pas autre chose61

 

Avant d'entrer au Palais-Royal, madame de Genlis eut cependant pendant un hiver un salon fort remarquable, en ce qu'il n'eut pas beaucoup d'imitateurs. Ce mouvement qui la portait à de continuels voyages se concentra dans l'intérieur de sa maison, mais avec le même désir de plaisirs et de fêtes. – Il se mêlait à cette activité joyeuse les relations douces et paisibles d'une amitié comme il s'en voit peu aussi de nos jours. Madame de Genlis était intimement liée avec la comtesse de Custine. C'était une personne de la plus haute vertu, comme je l'ai dit dans l'article qui la concerne. Madame de Genlis y allait tous les samedis régulièrement, mais madame de Custine allait moins chez elle; elle vivait fort retirée, et cette solitude à laquelle ses goûts la portaient l'éloignait des plaisirs bruyants que madame de Genlis provoquait chaque jour.

Chez madame de Genlis, on voyait déjà, à cette époque, quoiqu'elle fût encore fort jeune femme, combien elle aurait un jour le goût, non-seulement d'apprendre et de savoir, mais de vouloir qu'on ne l'ignorât pas. – Elle rassemblait chez elle des savants, des artistes, chose alors encore assez inusitée dans la haute compagnie. Le fameux Cramer, violon fort habile, ainsi que Jarnowitz, Duport, sur le violoncelle; mademoiselle Baillon62, sur le piano; madame de Genlis, sur la harpe et pour le chant; mais surtout Albanezi, chanteur italien; Friseri, sur sa mandoline, tous ces talents composaient des concerts charmants. – On jouait des proverbes – des charades en action; on mettait un fait quelconque en ballet, et on en faisait un quadrille. Ce fut ce même hiver que madame de Genlis inventa une mode fort originale, qui fut suivie avec une sorte de fureur. La mode de jouer des proverbes continuant toujours, madame de Genlis fit un quadrille appelé les Proverbes. Chaque couple formait un proverbe dans la marche deux à deux qui toujours précédait la danse principale. La duchesse de Lauzun, habillée fort simplement et parée de sa seule beauté, avait seulement une ceinture grise, et la devise était:

«Bonne renommée vaut mieux que ceinture dorée.»

Elle était menée par M. de Belzunce.

La duchesse de Liancourt, dont l'esprit et la grâce prouvaient dès cette époque que les femmes destinées à porter ce nom seraient aimables, spirituelles et gracieuses, madame la duchesse de Liancourt était menée par le comte de Boulainvilliers, et leur proverbe était:

«À vieux chat jeune souris.»

M. de Saint-Julien, un des hommes les plus agréables de la société de Paris, menait madame de Marigny; leur proverbe était singulier en raison de ce qui l'avait motivé. M. de Saint-Julien était déguisé en Maure… son visage était teint… Madame de Marigny tenait un mouchoir à la main, et de temps à autre elle le passait sur le visage noirci de M. de Saint-Julien; le proverbe était:

«À laver la tête d'un Maure, on perd sa lessive.»

Madame de Genlis venait ensuite, conduite par le vicomte de Laval magnifiquement vêtu, tandis qu'elle était habillée en paysanne… Elle avait l'air fort gai et fort animé, tandis que le vicomte de Laval, fort triste naturellement et presque toujours ennuyé, et tout chargé de pierreries, semblait succomber à un sommeil invincible; leur devise était:

«Contentement passe richesse.»

Gardel, alors l'homme le plus à la mode pour ces sortes de divertissements, fit la figure du quadrille, qui signifiait aussi un proverbe:

«Reculer pour mieux sauter.»

Gardel s'y surpassa, et fit la plus charmante figure de contre-danse et la plus animée qu'on puisse voir. Cette figure ressemblait beaucoup à une mazourka… Madame de Genlis en avait composé l'air.

On comprend qu'une vie aussi joyeuse devait être une vie de bonheur pour une jeune et jolie femme comme madame de Genlis. Son intérieur était heureux, du moins d'après ce qu'elle dit elle-même. M. de Genlis l'aimait avec passion, et partageait tous ses plaisirs ou plutôt toutes ses folies: il était lui-même un homme fort spirituel, faisait de jolis vers, jouait la comédie à ravir, et avait toute la corruption nécessaire pour être l'un des hommes les plus agréables dans un cercle où cette corruption était absolument nécessaire. M. de Sillery a été parfaitement dépeint à cet égard dans un ouvrage de beaucoup d'esprit qui parut il y a quelques années…

Madame de Genlis jouait la comédie chez elle à cette époque, malgré son retour à Paris (c'était ordinairement jusque-là un amusement uniquement réservé pour la campagne, mais elle eut toujours besoin de faire de l'effet), aidée, dans le commencement, par mademoiselle Baillon seulement; car les femmes du monde, dans ce temps, ne se lançaient point d'un pas aussi délibéré sur le théâtre du monde pour y comparaître tout à la fois comme actrices et comme femmes de la société. Les deux rôles étaient difficiles à soutenir et à bien jouer en même temps.

Cependant les succès de madame de Genlis inspirèrent de la jalousie; cela devait être: on le lui fit sentir à propos de ce quadrille des proverbes. On voulut le danser au bal de l'Opéra. Pour faire remarquer l'excessive différence des époques, je dirai que madame de Genlis et les femmes du quadrille, qui étaient madame la duchesse de Lauzun, madame la duchesse de Liancourt et d'autres personnes de cette classe, elle-même, enfin, qui tenait aux premières familles du royaume, entrèrent toutes cinq, avec leurs danseurs qui les conduisaient, dans la salle de l'Opéra, qui alors était au Palais-Royal; ces dames entrèrent à minuit, à visage découvert, et firent ainsi le tour de la salle, attirant plus que l'attention, attendu qu'elles la commandaient, parce que le privilége d'un quadrille était de suspendre toutes les autres danses.

Ce quadrille des proverbes fit donc son entrée et le tour de la salle, et se disposait à commencer son pas de ballet, composé par Gardel, lorsque tout-à-coup un énorme chat vint rouler en miaulant d'une manière effroyable jusqu'au milieu du groupe de proverbes, montrant des griffes qui menaçaient toutes les robes, et roulant deux yeux de feu qui faisaient vraiment pâlir les plus intrépides.

Le premier moment fut d'autant plus terrible que le chat, à qui le jeu plaisait, se hérissait de plus en plus et devint menaçant. Mais ici la scène changea. M. de Saint-Julien, très-ennuyé, à ce qu'il paraît, d'être dérangé, soit dans son rôle du quadrille, soit dans celui qu'il jouait alors, fut vraiment irrité. On avait d'abord repoussé assez doucement l'énorme Rominagrobis. Mais voyant qu'il s'entêtait, ils lui donnèrent des coups de pied qui dérangèrent la fourrure de chat qui l'enveloppait, et l'on vit le visage barbouillé d'un petit Savoyard que les coups de pied commençaient à faire pleurer. Les danseurs redoublèrent alors leurs corrections en raison de leur colère; car il était évident que c'était un coup monté contre le quadrille. Les spectateurs qui voulaient voir ce fameux quadrille prirent parti pour lui, et madame de Genlis fut bientôt vengée du mauvais goût de cette attaque. On sut quel en était l'auteur: c'était le duc de Chartres et ses amis… Il ne connaissait pas alors madame de Genlis… Les choses changèrent bien, depuis cette soirée, et en fort peu de temps. L'opinion des deux frères du prince, que j'ai beaucoup connus, M. de Saint-Albin et M. de Saint-Far, était que les sentiments qui attachèrent si longtemps M. le duc de Chartres à madame de Genlis datent de cette soirée, où il la vit sans en être aperçu.

Madame de Genlis était fort jolie à cette époque, très-fraîche, très-gracieuse, et, pour dire le mot, très-agaçante; son esprit, d'une haute supériorité, annonçait déjà ce qu'elle serait un jour. Son regard était ravissant et ses yeux d'une grande beauté. Son nez un peu fort, mais légèrement relevé à l'extrémité, donnait à sa physionomie une expression piquante qui, jointe à l'esprit d'observation qui dominait tout le reste dans cette jolie tête, devait lui donner une véritable séduction. Ses dents étaient encore bien alors, ce qui donnait de la grâce à son sourire. Sa taille, sans être élevée, avait la juste proportion qui plaît dans une femme… Son cou était seulement un peu long. Telle était madame de Genlis à vingt-deux ans.

Le jour de ce quadrille, elle était, comme je l'ai dit, habillée en paysanne; sa jupe était d'un taffetas broché rose sur rose, bordée de trois chefs d'argent cousus à plat sur la jupe. Le corset était en satin couleur de rose également, lacé par-devant avec un ruban de la même nuance, et semblait à peine retenir une chemise de la plus fine batiste, bordée d'une magnifique valencienne. La taille de madame de Genlis était ravissante à cette époque; elle était aisée, ronde et menue, souple et jouant avec toutes les attitudes, qu'elle prenait en s'y laissant aller plutôt que de se les laisser imposer par un rôle. Sur sa tête, pour compléter son costume, elle n'avait qu'une rose au milieu d'une touffe de gaze d'argent et de petites plumes63

Les acteurs de ses pièces étaient des hommes du monde. L'un, M. Coqueley, était un des premiers acteurs de Paris pour jouer les proverbes, avec le président de Périgny, ainsi que le comte d'Albaret. Ce dernier allait chez madame Necker, qui, dans ses Souvenirs, s'en moque avec assez peu de charité, ce que madame de Genlis reproche d'autant plus vivement à madame Necker, qu'elle trouvait M. d'Albaret charmant. Il jouait les proverbes à ravir, ce qui annonçait beaucoup d'esprit… Les femmes étaient la marquise de Roncé, mademoiselle Baillon et madame de Genlis. Quant aux spectateurs, ils étaient toujours bien choisis64. C'étaient des amis, des connaissances, et jamais des inconnus. Il fallait arriver à nos jours à cet entier démolissement de toutes les bonnes et anciennes coutumes pour voir un mélange bizarre de femmes et d'hommes se heurtant, se déchirant, et craignant de s'asseoir à côté l'un de l'autre, parce qu'ils ne se sont jamais vus. Ceci me rappelle le joli mot du duc d'Ayen à Louis XV.

 

C'était du temps de madame du Barry. On regrettait presque madame de Pompadour. Le vice avait au moins un masque avec elle, et si madame de Pompadour jouait à la souveraine, elle ne s'en acquittait pas mal… Mais l'autre, comme la nommait Dagé; c'était vraiment trop fort. Un soir, le roi vit à sa table des figures tellement étranges que le pauvre La France se pencha tout ému vers M. le duc d'Ayen, et lui demanda le nom de deux hommes assis en face de lui, et dont l'aspect ignoble contrastait avec le lieu où ils se trouvaient.

– Ma foi, sire, répondit le duc d'Ayen, je ne les connais pas… Je ne rencontre ces gens-là que chez vous!..

La société intime de madame de Genlis n'était pas de ce genre; le fond en était surtout remarquable, seulement pris dans sa famille: madame la marquise de Montesson65, sœur de la mère de madame de Genlis, madame de Bellevau, son autre tante, madame de Sercey, sœur de son père, madame de Puisieux, M. de Puisieux, la marquise de Sillery-Genlis, sa belle-sœur, le chevalier de Barbantane, M. de Sauvigny, auteur de plusieurs charmants ouvrages, l'abbé Arnaud, l'auteur du Comte de Comminges, le chevalier de Talleyrand, frère du baron de Talleyrand, M. de Vérac, madame de Vérac, sa femme, le comte et la comtesse de Custine66, le vicomte de Custine, le comte et la comtesse de Balincourt67, neveu et nièce du maréchal de Balincourt, madame de Gourgues, madame d'Harville. À ces réunions, qui avaient lieu presque tous les jours, parce qu'on se réunissait toujours chez l'une des personnes que je viens de nommer, venait quelquefois se joindre une femme charmante, madame la marquise de Louvois. Son histoire vraiment tragique donnait un grand intérêt à sa physionomie déjà fort aimable et gracieuse. Je l'ai rapportée en peu de mots pour donner un aperçu de ce qui est par tout pays une action simple sans doute, mais qui cependant, contée dans tous ses détails, révèle ce que la noblesse des sentiments, chez nous, était à une époque où la noblesse de la naissance entretenait celle des actions de la vie habituelle.

Le plaisir était donc le mobile de tout ce qui se faisait dans une réunion d'hommes et de femmes, dès qu'ils étaient rassemblés dans un salon.

On aurait, je crois, décerné un prix à celui qui aurait proposé un nouveau moyen de passer gaîment les heures de la soirée… Pour en donner une idée, je vais raconter ce qui eut lieu chez madame de Genlis, un soir de ce même hiver qui précéda son entrée au Palais-Royal.

Le comte d'Albaret, dont j'ai dit tout à l'heure que madame Necker se moquait, était le meilleur des hommes; mais il avait une qualité plus précieuse au milieu du monde où il vivait, il avait de l'esprit… Sa bonhomie, qui était extrême, prêtait quelquefois à rire, et voilà pourquoi madame Necker, qui prenait tout au sérieux, l'avait jugé moquable et même ennuyeux, tandis qu'il était au contraire fort amusant et fort spirituel.

Un soir il arrive chez madame de Genlis, où il trouve réunis le chevalier de Barbantane, M. de Genlis et plusieurs autres personnes du même esprit, et il leur raconte que la veille il avait passé une soirée charmante, quoique avec des pédants.

Il appelait ainsi en plaisantant les gens de lettres.

– Où donc avez-vous été? demanda madame de Genlis.

– Chez la muse Dubocage, répondit le comte d'Albaret, et je vous jure que je m'y suis fort diverti; on a raconté une foule d'histoires de M. de Voltaire, et lui-même y eût été si on avait voulu me croire.

– Et comment cela? dit madame de Genlis.

– Vous ne connaissez pas mon talent d'imitation? Demandez à M. de Genlis.

M. de Genlis certifia de la vérité de la chose. – Eh bien! voulez-vous mettre à exécution un joli projet? dit le comte d'Albaret. – Oui, oui! s'écrièrent toutes les jeunes femmes. Que faut-il faire? – Vous mettre tous dans les habits de la société Bocagère. Madame de Genlis, dont le talent mimique est parfait, prendra à ravir le personnage de madame Dubocage… Je me charge de Voltaire, Genlis fera l'abbé Duresnel68 ou Pinart, et madame de Roncé remplira le personnage de madame Fanny de Beauharnais.

Ce projet fut accueilli avec transport… Madame de Genlis avait non-seulement entendu parler de madame Dubocage, mais elle l'avait vue chez sa tante, madame de Montesson. Madame Dubocage avait été fort belle, et quoiqu'elle eût alors plus de soixante-cinq ans69, on voyait encore sur son visage des restes d'une grande beauté. Madame de Genlis prit des informations exactes sur son costume, ses habitudes, ses manières, et au bout de quinze jours elle représentait madame Dubocage avec une perfection qui devait bien alarmer son mari ou toute autre personne qui voulait lire dans son regard quelle était la pensée de son âme. Quant à M. d'Albaret, il copia Voltaire avec sa grande taille sèche et voûtée, son regard vif et malin, son sourire sardonique; il n'avait alors rien de celui du bonhomme que madame Necker raillait, et il prouvait sans lui répondre qu'elle s'était trompée. – En vérité, disait-il à madame Dubocage transformée, le jour où j'ai lu vos descriptions si animées de Rome et de l'Italie, j'ai cessé de regretter de n'avoir pas vu la ville sainte… Et il souriait… Je connaissais déjà Constantinople par lady Montague… Grâce à vous, je donne la préférence à Rome70.

Alors madame de Genlis prenait l'air d'une personne qui compte sur des louanges; elle parlait de son voyage en Italie.

– Ah! s'écriait madame Beauharnais71… c'est dans la Colombiade72 qu'il faut chercher de beaux vers.

– Cela ne vaut pas une seule page d'une lettre de Stéphanie73, répondait Genlis-Dubocage en souriant doucement.

– Ah! que dites-vous là?..

Et madame de Roncé, qui déclamait à ravir, agitant sa main pour faire faire silence, fit entendre les vers suivants:

 
Ces Ottomans jaloux peuplent de vastes champs,
Où brillèrent jadis des empires puissants:
Le berceau des beaux-arts, l'Égypte utile au monde;
L'opulente Assyrie, en voluptés féconde;
La Phénicie, où l'homme osa braver les mers;
Et tant d'autres états, dont l'éclat, les revers
Dans l'abîme des temps se perdent comme une ombre!
La renommée oublie et leurs faits et leur nombre;
Tout périt, tout varie, et la course des ans
Change le fil des eaux et la face des champs.
 

M. de Périgny, qui avait pris le personnage de M. de la Condamine, se pencha alors vers madame Dubocage, et lui dit d'un accent pénétré ce madrigal que M. de la Condamine avait en effet adressé à madame Dubocage, en dépit de l'anathème qui exclut les savants de l'arène poétique.

 
D'Apollon, de Vénus, réunissant les armes,
Vous subjuguez l'esprit, vous captivez le cœur,
Et Scudéri, jalouse, en verserait des larmes;
Mais sous un autre aspect son talent est vainqueur:
Elle eut celui de faire oublier sa laideur;
Tout votre esprit n'a pu faire oublier vos charmes.
 

À peine M. de la Condamine avait-il fini que M. de Voltaire reprenait, et puis c'était M. Duresnel, M. de Linant, madame de Beauharnais; mais Voltaire eut, à ce qu'il paraît, un triomphe complet. M. d'Albaret le jouait comme Fleury Frédéric II, sans aucune charge, sans aucune caricature… Il improvisait de temps en temps des vers en l'honneur de madame Dubocage, et alors la joie devenait folle… Ce divertissement, a dit elle-même madame de Genlis, dont nous ne prenions aucune fatigue, et dont le plaisir, au contraire, se renouvelait sans cesse, eut lieu jusqu'à cinq fois; et telle était la sûreté de la société à cette époque, que le secret en fut gardé religieusement, et ce ne fut que longtemps après la mort de madame Dubocage que madame de Genlis consentit à en parler…

La manie de la comédie de société était dans sa plus grande force à cette époque, et c'était madame de Genlis qui l'avait mise à la mode. C'était elle aussi, s'il faut l'en croire, qui, aidée d'un pauvre maître de harpe nomme Gaiffre, fit connaître ce qu'on pouvait tirer de cet admirable instrument. Mais ici je ne puis être aussi complaisante pour elle. Elle raconte quelquefois sans réfléchir, et l'histoire de la harpe est tout-à-fait dans ce cas d'oubli. Pour pouvoir l'accepter, il faudrait oublier ce qu'était Krumpholtz en 1782, tout ce qu'il avait déjà composé et les élèves qu'il avait faits74.

La France était à cette époque un vrai pays de féerie, et l'un de ses plus grands charmes était cette société si polie, si gracieuse, si soigneuse de plaire dans ses rapports mutuels! Quelles délices! quels plaisirs sans cesse renaissants dans cette association formée par des personnes qui vivaient toujours dans des rapports que rien n'altérait que quelques plaisanteries malignes, mais jamais de ces calomnies, même de ces médisances qu'aujourd'hui on raconte avec la grossièreté de la mauvaise éducation!.. Je ne sais si l'on appelle cela de la franchise… en tous cas on se tromperait fort… C'est de la méchanceté mal apprise, et cette méchanceté-là est la plus intolérable de toutes75

Parmi tous les moyens de s'amuser qui étaient autour de soi, un surtout fort agréable était de suivre régulièrement les réceptions des princes et d'être l'été des voyages: ceux de Villers-Cotterets, pour le duc d'Orléans; de l'Île-Adam, pour le prince de Conti; de Chantilly, pour le prince de Condé; de Navarre, pour le duc de Bouillon; de… pour le duc de Penthièvre. Tous ces voyages étaient charmants. On y jouait la comédie, on y dansait, on y faisait de la musique, et tout cela gaîment et sans l'ennui d'une étiquette gênante. La plupart des princes que je viens de nommer avaient une aisance communicative76. On s'y plaisait, et d'autant plus que les séjours formaient des liaisons que l'hiver voyait encore resserrer. À cette époque, tout contribuait à faire la société; aujourd'hui, tout, au contraire, nous conduit à son démolissement. Que nous étions Français alors! Que sommes-nous à présent?..

Il me revient à la mémoire un mot de madame de Montesson qu'elle me dit un jour à Bièvre en causant avec moi, pendant qu'elle peignait des fleurs à l'huile, ce qu'elle faisait admirablement, étant élève de Van-Spandonck:

– Ma belle petite, me dit-elle, vous venez de vous marier; vous êtes jeune, vous êtes jolie; vous entrez dans le monde; rappelez-vous une chose essentielle: c'est de ne pas vous laisser aller au très-mince plaisir de médire, car non-seulement cela gâte le ton d'une femme, mais cela la rend laide… C'est comme le jeu…

Jamais je n'ai oublié ce mot; il m'a expliqué pourquoi la société ancienne était si sûre…

– Ne vous laissez pas aller non plus, me disait madame de Montesson, à cet esprit moqueur qui aurait l'air de vouloir faire trop remarquer vos belles dents. La moquerie est une arme qui ne fait peur qu'aux sots, et qui vous fait haïr de tous. Il y a, dans la moquerie, de la pensionnaire tout à la fois, et de la sottise. Ne soyez pas moqueuse, par intérêt pour vous-même, ma chère enfant77

Pendant beaucoup d'années, madame de Genlis eut un salon particulier comme celui dont j'ai tout à l'heure fait la description, et elle maintenait, outre cette agitation musicale et littéraire, sept à huit autres salons dont on pouvait dire qu'elle faisait les honneurs. Cela est si vrai, qu'elle-même raconte comment elle bouleversait le Vaudreuil, chez le vieux président Portal, ainsi que Villers-Cotterets, chez le duc d'Orléans; car il paraît que la maison d'Orléans était habituée à sa domination. Elle était mariée, elle ne pouvait donc pas épouser M. le duc d'Orléans; mais sa tante, madame de Montesson, ne l'était pas, et son adresse fit peut-être réussir ce mariage plus que toutes les ruses coquettes de madame de Montesson. Madame de Genlis avait la plus singulière existence qu'on puisse imaginer, surtout à une époque où les femmes étaient paisibles et vivaient beaucoup dans leur intérieur de société; c'est-à-dire qu'on se voyait beaucoup, mais sans aller s'établir les uns chez les autres, comme le faisait madame de Genlis. Elle pouvait aller à Sillery, magnifique terre appartenant à M. de Puisieux, et puis au marquis de Genlis; mais il aurait fallu demeurer trois mois en repos, ne pas se montrer, ne pas faire du bruit enfin, et faire du bruit était ce qu'elle voulait… Cette existence nomade me paraît bien étrange! M. de Genlis, dont l'esprit et la finesse n'annoncent pas la faible apathie d'un homme qui se laisse mener, M. de Genlis conduisait sa femme partout; il était de toutes les fêtes, dont elle était l'âme, pour ainsi dire, et ne la quittait que pour aller à son régiment des grenadiers de France, dont il était l'un des vingt-quatre colonels78. Madame de Genlis préludait, à cette époque, au rôle que depuis elle a joué; son ambition a toujours été grande. Madame de Staël, accusée par elle et grandement méconnue, ou du moins dépeinte par une plume ennemie, n'a jamais montré la plus petite partie de ce caractère. Madame de Genlis, au contraire, toujours avide de succès et de louanges, souffrait aussitôt que l'attention se portait sur un autre que sur elle… cela se voit lorsqu'elle parle d'une aventure qui lui arriva chez madame d'Estourmelle79. Son fils, enfant gâté et insupportable, à ce qu'il paraît, se mit autour de madame de Genlis comme ces mouches qui ne nous quittent pas, et nous tourmentent non-seulement de leur bourdonnement, mais de leurs piqûres. Cet enfant voulut avoir le chapeau de madame de Genlis, un chapeau parfaitement frais et orné de charmantes fleurs… Rien n'eût été plus facile que de le refuser à l'enfant; mais madame de Genlis ne le voulut pas, dit-elle, pour ne pas l'affliger. Elle ôta son joli chapeau, ses cheveux demeurèrent épars, et elle resta bien autrement en vue que si l'enfant eût pleuré cinq minutes du refus du chapeau. Pour dire toute la chose, il faut ajouter que s'il ne se fût agi que de détacher un ruban et de livrer un chapeau à un enfant, sans trouver le fait plus croyable, je l'admettrais; mais lorsqu'on se reporte aux toilettes du temps, aux coiffures surtout!.. Ce chapeau tenait sur la tête de madame de Genlis par plus de cinquante grandes épingles noires; il fallait donc défaire ces épingles, se mettre entre les mains de madame d'Estourmelle, qui, à chaque épingle, devait pousser une exclamation sur la complaisance de madame de Genlis!.. Et voilà ce qu'on appelle du naturel et de la modestie!..

Cet adorable enfant qui faisait ainsi déshabiller les gens qui venaient chez sa mère, se jetait à corps perdu sur les genoux des femmes, déchirait leurs robes, les chiffonnait, faisait le plus détestable petit être que Dieu ait formé, et selon moi le moins supportable. Quant à madame de Genlis, elle s'en arrangeait, le trouvait même fort gentil… mais madame d'Estourmelle l'avait embrassée et avait dit tout haut:

58Madame de Montesson, tante de madame de Genlis, et non pas de M. de Genlis, comme l'ignorance à prétention le dit dans plusieurs biographies!..
59Lorsqu'on ouvrit les prisons après thermidor, le comte de Périgord, frère de l'archevêque, venait dîner tous les jeudis chez ma mère… Il m'aimait comme son enfant. C'était le meilleur des hommes: ce fut lui qui fit fermer sa porte à M. de Laclos lorsqu'il sut qu'il était l'auteur des Liaisons dangereuses. Il avait pour madame de Genlis la plus profonde des haines; il était convaincu qu'elle avait amené les malheurs de la Révolution, et cette pensée, jointe à celle du duc d'Orléans, lui donnait même une dureté étrangère à son caractère.
60M. de Puisieux était le chef de la famille de Sillery-Genlis; il avait désapprouvé le mariage de M. le comte de Genlis, et fut pendant longtemps assez irrité pour ne le pas vouloir accueillir, ainsi que sa femme. Madame de Puisieux était une personne dont l'esprit était fort imposant, à ce que dit madame de Genlis elle-même; aussi en avait-elle une peur affreuse, et lorsqu'enfin, la grande parente s'adoucissant, on permit aux jeunes mariés de venir à Sillery, madame de Genlis, ordinairement si mouvante et si parlante, ne bougeait et ne disait mot… Mais madame de Genlis était trop adroite pour ne pas profiter de son pouvoir de séduction. Madame de Puisieux fut conquise, comme le seront toujours les femmes qu'une autre femme voudra subjuguer avec de l'affection et des grâces de cœur… Le jour où la paix fut signée, madame de Genlis raconte que, lorsque tout le monde revint dans le salon, elle voulut l'annoncer elle-même. «…Au bout de quelques minutes je dis d'un ton dégagé que, n'ayant pas été à la promenade, je voulais me dégourdir les jambes… et me levant aussitôt, je fis trois ou quatre sauts dans la chambre, et puis j'allai me jeter sur la chaise longue de madame de Puisieux en disant mille folies…» Qu'on se reporte à l'époque… aux robes à queues… aux paniers… à tout ce qu'avait de solennel le maintien et l'attitude d'une femme alors! «Quelques jours après, dit-elle, un musicien de Reims vint à Sillery et joua du tympanon d'une manière surprenante. Madame de Puisieux se passionna pour cet instrument et regretta de voir partir le musicien. Aussitôt je pris la résolution, dit madame de Genlis, d'apprendre le tympanon.» Et en effet, elle en sut jouer au bout de six semaines aussi bien que le musicien rémois. Lorsqu'elle fut assez savante, ce qui lui coûta beaucoup de travail, et je crois cela sans peine, elle fit faire un habit d'Alsacienne, et un jour qu'il y avait du monde à Sillery, chose au reste fort ordinaire, car le château était toujours plein, madame de Genlis fit ôter la poudre de ses cheveux, les fit natter en deux tresses comme les Alsaciennes, puis, ayant mis sur sa tête une baigneuse et étant enveloppée dans une robe négligée et un mantelet de taffetas noir, elle descendit à l'heure du dîner, demandant pardon de son négligé et s'en excusant sur une migraine. Au dessert on vint dire à madame de Puisieux qu'une jeune Alsacienne venait d'arriver au château et demandait de jouer du tympanon devant elle. – Je vais la chercher, s'écria madame de Genlis en s'élançant dans la chambre voisine, où, jetant sa baigneuse et son mantelet, elle se trouva mise en Alsacienne avec son tympanon, et se présenta au même moment devant toute la société stupéfaite. Elle joua du tympanon à merveille, et charma tout le monde. «On me fit porter mon habit pendant quinze jours, dit elle-même madame de Genlis, pour donner une représentation de cette petite scène à tout ce qui venait à Sillery… Ce n'est pas sans dessein que j'ai rapporté ces détails, ajoute-t-elle… J'ai voulu montrer aux jeunes personnes que la jeunesse n'est heureuse que lorsqu'elle est docile et modeste147. Page 334, premier volume des Mémoires.…» J'avoue que j'ai cru avoir mal lu la première fois que je vis cette anecdote dans le premier volume de ses Mémoires!.. et je pensai que peut-être elle avait voulu mettre: «La jeunesse n'est heureuse que lorsqu'elle s'amuse;» mais pas du tout; c'est «modeste» qu'il faut être. Quant à cela, ça va sans dire; mais que pour être modeste il soit nécessaire de se mettre en évidence de cette manière, de faire de l'éclat, de se masquer, de fixer tous les regards, d'attirer tous les hommages d'un cercle, voilà ce que je ne puis trouver en accord dans ma pensée avec la modestie d'une jeune fille à l'existence pure et ignorée, et faisant l'orgueil et la joie de sa famille par ses vertus simples et modestes. Cette anecdote m'a toujours paru une vraie plaisanterie avec laquelle madame de Genlis mystifie ses lecteurs comme elle mystifiait le chevalier don Tirmane.
61Ce n'est pas que j'aie le mauvais goût de déclamer contre ce siècle; il vaut autant, peut-être mieux que le nôtre. Je dis seulement que ce qui existait alors n'existe plus. D'autres choses ont remplacé le passé, voilà tout.
147Page 334, premier volume des Mémoires.
62Mademoiselle Baillon était une charmante jeune personne, parfaite musicienne et composant à ravir. Elle a fait un opéra, appelé Fleur d'épine, qui eut du succès. Elle a épousé depuis le célèbre architecte Louis.
63Le portrait de madame de Genlis dans le costume de ce quadrille existe, et je le possède.
64Il n'en est pas ainsi aujourd'hui, où, pour entendre et souvent voir très mal jouer la comédie, on s'étouffe dans un lieu dans lequel on entasse à grand'peine six cents personnes, quand il n'y a place que pour trois cents.
65Il existe des biographies vraiment impardonnables, parce que les auteurs peuvent se procurer près de la famille tous les renseignements possibles. M. Prudhomme a fait une galerie de Femmes célèbres, où les mensonges les plus grossiers se rencontrent à chaque ligne. Madame de Montesson, qu'il fait naître en Bretagne, n'y a même jamais été de sa vie. Elle est née à Paris, et elle était sœur de la mère de la comtesse de Genlis, comme la comtesse de Sercey l'était de son père. L'autre jour, j'avais besoin d'un renseignement sur madame de Genlis; je fus avec confiance le chercher dans le Dictionnaire de la Conversation, à l'article Genlis, fait par J. Janin. Je ne m'attendais pas aux plus grossières erreurs; elles sont si singulières que je m'imagine qu'ayant trop d'occupation, M. J. Janin a fait faire cet article par un secrétaire, qui lui-même en a chargé quelqu'un très-ignorant de ce qu'a jamais fait madame la comtesse de Genlis.
66Grand-père et grand'mère du marquis de Custine, l'auteur du Monde comme il est.
67Le marquis Maurice de Balincourt, ami et estimé de tous ceux qui le connaissaient, est leur fils.
68Ami de madame Dubocage; on lui attribuait les ouvrages qu'elle faisait, ainsi qu'à M. de Linant, un autre ami comme lui, littérateur.
69Anne-Marie Lepage-Dubocage, née à Rouen le 22 octobre 1710. Elle mourut en 1802.
70Ce sont les propres expressions de M. de Voltaire à madame Dubocage.
71Amie fort intime de madame Dubocage, mais infiniment plus jeune ou moins vieille. Elle avait vingt-huit ans de moins, étant née à Paris en 1738. Elle a fait plusieurs ouvrages: une comédie, quelques romans et un volume de poésies; mais tout cela est dans l'oubli, tandis que les ridicules de l'auteur lui ont survécu. On connaît ce distique sur elle: Fanny, belle et poëte, a deux petits travers;Elle fait son visage et ne fait pas ses vers.
72La Colombiade, poëme en dix chants, de madame Dubocage, sur la découverte du Nouveau-Monde.
73Lettres de Stéphanie, roman historique en trois volumes, par madame de Beauharnais.
74Mon frère, M. de Permon, dont le beau talent sur la harpe a eu une réputation européenne et méritée, avait à quinze ans (en 1784) une manière de jouer tellement remarquable, que Marie-Antoinette le voulut entendre. Mon frère improvisait toujours. Il a cependant composé plus de vingt morceaux, qui tous ont été gravés. L'un d'eux, une œuvre de trois sonates, a été dédié à ma tante, la princesse Démétrius de Comnène. Mon frère n'avait à cette époque que dix-sept ans. Selon madame de Genlis, l'intervalle entre ce moment et celui où elle créa et le doigté et la harpe, pour ainsi dire, n'aurait été que de très-peu d'années. La chose est impossible.
75La grossièreté est aujourd'hui une partie indispensable de la manière d'être des hommes et des femmes. Les hommes sont mal élevés au point d'en être insupportables. Quant aux femmes, c'est encore pis, cela n'est pas tenable… plus elles sont grandes dames, plus je trouve la chose ridicule et sotte. Elles devraient savoir que, dans le temps d'une exquise politesse, il se disait d'un homme: Il est poli comme un grand seigneur. Pour les femmes, cela allait tout seul, on n'en parlait pas; elles étaient gracieuses, affables, prévenantes; et même, sans qu'on leur plût, elles savaient plaire.
76Je donnerai le salon de chaque séjour des princes. Celui de Chantilly et celui de Villers-Cotterets sont remarquables.
77Pendant les deux années que je passai à Bièvre avec madame de Montesson, j'ai recueilli de bien bons avis qu'elle me donna. Je ferai son salon à cette époque du consulat.
78C'est la vérité: il y avait vingt-quatre colonels.
79La terre de madame la comtesse d'Estourmelle s'appelait le Fretoy.