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Histoire des salons de Paris. Tome 1

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Le brevet fut reçu avec révérence par le président et les membres du comité qui savaient lire; car tous n'en étaient pas là. – Maintenant l'interrogatoire devint fort comique; après plusieurs questions que je ne me rappelle plus, le président dit à Morellet:

– Pourquoi étais-tu gai avant la Révolution, et pourquoi es-tu triste depuis?..

Morellet était fort drôle en rappelant ce moment: il prenait une expression sérieuse, qui jointe à son énorme nez et à la charpente osseuse de sa figure, lui donnait vraiment un singulier aspect; il prit donc son air le plus grave pour dire au président qu'il ne riait jamais, et n'était pas né plaisant.

– Où étais-tu le jour de la mort du tyran? – À Paris. – Ah! et où cela?– Chez moi. – N'as-tu pas une maison de campagne? – Non. – Tu mens. – J'avais un prieuré à Thimer, près de Châteauneuf, mais pas de maison de campagne. – Ah! cela s'appelle un prieuré! Et qui te l'avait donné? – M. Turgot. – Oh! c'était un bon citoyen!.. qui aimait le peuple. Eh bien! après tout, tu es un bon enfant, dit le président à l'abbé Morellet; le comité est content de toi; tu peux te retirer sans remords

Quel est le mot qu'il voulait dire? Je crois bien que l'abbé ne s'embarrassait guère du vrai sens de la phrase dans un pareil moment; mais, à sa place, j'aurais été curieuse de le faire expliquer.

Il faisait un temps horrible; il était près de minuit; il pleuvait à verse, et l'abbé n'avait pas de parapluie, comme on le sait; un des membres du comité, qui était son voisin, lui offrit de partager l'abri du sien, et ils cheminèrent ensemble. Morellet le fit exprès, pour obtenir des renseignements sur son accusation; et ce qu'il apprit est très-curieux pour l'histoire de cette époque.

La femme d'un cocher de M. de Coigny, appelée Gattrey, logeait, en 1793 et une partie de 1794, dans une petite chambre ayant vue sur le jardin de l'abbé Morellet: le voyant se promener en robe de chambre, et sachant qu'il était seul et propriétaire de la maison, elle fit des démarches pour entrer à son service, ou du moins être femme de peine et faire le plus gros de l'ouvrage. Mais, malheureusement pour elle, l'abbé, en se promenant le soir, l'avait entendue pérorer dans une petite cour attenant au jardin, et ses discours étaient ceux d'une furie et d'une mégère, non-seulement comme femme du peuple bavarde et méchante, mais comme un monstre vomi par les enfers. La sœur de l'abbé avait voulu la ramener au bien avant de quitter Paris; mais il est des choses impossibles. Cette femme, poussée par le refus de l'abbé, résolut sa perte. C'était une chose qui était facile à cette époque. Elle quitta la section des Champs-Élysées, pour aller à celle de l'Observatoire. Là, parmi cette horrible troupe de tricoteuses qui entouraient l'échafaud pour ajouter une douleur à celles qui abreuvaient les victimes, madame Gattrey voulut servir la république à sa manière, en dénonçant et faisant périr un aristocrate. Par la même raison qui faisait entendre ce qu'elle disait à l'abbé, elle entendait ce qu'il disait dans son jardin. Elle recueillit ses souvenirs, arrangea des mots, en dérangea d'autres, inventa et forma enfin une accusation très-suffisante pour faire aller à la guillotine le pauvre Morellet, s'il eût été dans une plus méchante section. Il est merveilleux de voir comment la vie d'une famille était alors à la merci d'une furie qui pouvait d'un mot faire tomber une tête, en rapportant qu'un homme a ri en août et pleuré en janvier!.. Elle avait aussi son salon, madame Gattrey!.. et ce salon avait aussi son importance, comme on le voit. Et l'abbé Morellet, en 1794, isolé, malheureux, proscrit pour ainsi dire par la terreur dans le fond d'une maison solitaire, pouvait pleurer amèrement sur l'influence que ses maximes et celles de ses amis avaient eues sur les masses qui alors exerçaient un si funeste empire!.. C'était dans ces mêmes chambres jadis brillamment remplies de femmes aimables, d'hommes savants et distingués, et maintenant désertes et abandonnées, et seulement habitées par le propriétaire tremblant au seul bruit de ses pas.

FIN DU TOME PREMIER