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Histoire des salons de Paris. Tome 1

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M. de Juigné était plus doux que M. de Beaumont, et d'abord les attaques furent en effet moins acerbes de part et d'autre; mais bientôt les bannières furent élevées. Madame de Marsan, croyant que son devoir pieux était de prêter non-seulement son appui comme protection au parti de l'archevêque de Paris, appuya de tout son crédit les écrivains qui attaquèrent les philosophes. Il y avait du courage; madame de Marsan en eut. Toutes les femmes de sa société, toutes celles qui avaient une autorité dans le monde l'employèrent, et la guerre fut continuée avec acharnement.

L'abbé de Vermont était accusé par le parti dévot d'être une des causes principales, sinon la première, de tout ce qui se faisait à la Cour. Le parti religieux prétendait avec raison que les nominations du clergé, que la direction de la feuille des bénéfices était une des causes des malheurs du temps… et la Reine, qui était son élève, était accusée en premier ressort de ces mêmes malheurs.

Une brochure qui parut en ce temps sous le nom de Lettres d'un marquis, et qui sortait évidemment du salon de madame de Marsan et de M. de Juigné, fit un fracas épouvantable. Ce pamphlet accusait de la manière la plus virulente M. de Marbœuf, ministre de la feuille des bénéfices, et sa coalition avec les archevêques de Bordeaux, Toulouse et Aix. Dans ce pamphlet toutes les exactions de M. de Jarente, évêque d'Orléans et prédécesseur de M. de Marbœuf, furent rappelées; il y eut scandale pour faire le bien. Voilà où conduisent les passions.

«Que faites-vous des fonds destinés aux pauvres prêtres? Vous avez accordé quarante mille francs à l'évêque de Grenoble pour réparer son palais épiscopal… Quel usage a-t-il fait de cet argent?.. Je l'ai vu, ce palais! Il ressemble au-dehors à une maison de débauche… au spectacle construit récemment à Paris sous le nom de Redoute chinoise… C'est vous qui avez donné deux abbayes à cette religieuse concubine de M. de Brienne, réfugiée dans son palais de Paris pendant son ministère, et qui vendait les grâces!.. On prétend, il est vrai, que vous ne faites pas ce que vous voulez, et que l'abbé de Vermont vous dirige et vous domine… Alors, je vous dirai comme l'Évangile:

«Si votre œil vous scandalise, arrachez-le.» Mais les prélats ne croient plus!..»

Remarquez que c'est ici le clergé qui parle au clergé!..

M. de Juigné, au désespoir de ce qu'il voyait et des maux qu'il prévoyait, agit admirablement dans ce temps malheureux et en véritable apôtre, comme l'aurait fait un premier père de l'Église, seulement avec moins de moyens, surtout répressifs. M. de Beaumont était bien violent; mais il valait encore mieux que trop de douceur… En quoi que ce soit, les larmes ne remédient à rien.

La dépravation du clergé était ensuite un des motifs les plus terribles comme sujets d'attaque… L'archevêque de Toulouse, celui de Narbonne, mais surtout l'évêque de Strasbourg, monseigneur le prince de Rohan, grand-aumônier de France… Ce qui arriva à M. de Rohan dans l'affaire du collier acheva de donner un coup mortel et à la couronne et au clergé. Un cardinal, un évêque, un prince de l'Église découvrant au grand jour les faiblesses de sa nature, au point de montrer ses relations avec un homme qu'il croyait magicien; M. de Rohan croyant au diable et l'interrogeant dans la personne de Cagliostro, et le questionnant pour savoir s'il obtiendrait les faveurs d'une femme, et cette femme est la reine de France!.. et cela en 1786… On croit rêver!..

C'est ici le lieu de parler de cette trop malheureuse affaire du collier. J'ai réuni non-seulement tous les anciens documents que je possédais à une foule de nouveaux que j'ai recueillis, et je crois être assez éclairée pour avoir le droit d'en parler; mais Cagliostro est un acteur de ce grand drame. Il me faut dire aussi ce que je sais de lui. On en a beaucoup parlé en France: le fait est que nous ne savons rien de positif. Il est aussi sans doute prouvé que Cagliostro n'est pas le diable; mais voilà ce qu'on peut savoir.

Il est né, dit-on, en Sicile, à Palerme, en 1743, d'une famille obscure et pauvre. Son éducation fut négligée ou plutôt nulle, comme celle des Italiens d'une classe inférieure, à cette époque surtout… Son véritable nom est Balsamo… Mais, je le répète, toutes ces notions sont douteuses. Le cardinal Consalvi et monseigneur Galeppi, les hommes les plus distingués de l'Italie dans le dernier siècle et que j'ai connus intimement, m'ont affirmé que Cagliostro n'était pas connu. Il paraît seulement qu'il est le fils naturel d'une personne puissante. On ne peut expliquer ses premières années. Son éducation fut, dit-on, négligée, et cet homme ayant à peine vingt-cinq ans parlait des choses les plus abstraites, traitait des sciences occultes et pouvait converser avec les savants les plus habiles de nos académies. Où donc cet homme avait-il pris une si profonde instruction des connaissances devant lesquelles plus d'un savant de l'Académie des Sciences est demeuré interdit? Lavater, qui eut avec lui de longues conférences, a dit à mon frère, dans une correspondance suivie qu'Albert eut avec le savant de Zurich: «Cet homme est un être sur la nature duquel je ne puis prononcer.»

Fort jeune encore, il eut la passion des voyages. Il manquait d'argent; il en attrapa à un orfèvre de Messine nommé Marano. Ce qu'il a parcouru de pays est incalculable, et ses voyages sont positifs. Il a vu l'Asie, l'Afrique, l'Europe, et partout il a laissé des traces de son passage. Souvent il guérissait, rappelait à la vie des corps déjà glacés. Les médecins se liguèrent contre cet homme qui venait renverser leur ignorance et la frapper de moquerie en guérissant ce qu'ils abandonnaient. Il pénétra dans les harems de l'Orient, dans le boudoir de la femme de Paris, dans le gynécée de la femme grecque, dans le palais du boyard russe, enfin il alla partout… et partout son nom fut connu et célébré comme un charlatan peut-être; mais j'avoue que j'ignore ce que veut dire ce mot: Cagliostro est un homme extraordinaire.

En Orient il s'appelait Acharat, disciple du savant Althoras, Arabe solitaire vivant dans les cavernes de l'Atlas et communiquant, dit-on, avec les puissances des ténèbres… Arrêté à Naples par suite des plaintes de l'orfèvre Marano, il ne demeura néanmoins que peu de jours en prison; s'il n'eût été qu'un aventurier sans relation, il eût langui dans un cachot et y fût mort ignoré. À Rome il trouva une ravissante créature qu'il aima, qu'il épousa, et dont le père était fondeur en cuivre: soit que la transmutation des métaux fût un lien entre ces deux hommes, il y eut alliance, et le mariage se fit.

La figure de Cagliostro était agréable: elle exprimait son génie. Son regard de feu lisait au fond du cœur… Il attachait involontairement, et ses traits étaient d'ailleurs agréables. Il se faisait appeler le comte de Cagliostro, et d'autres fois le marquis de Pellegrini ou bien le marquis de Belmonte… Son luxe était inconcevable: à Londres, à Paris, à Vienne, partout où il demeurait, il laissait des monceaux d'or; une traînée de diamants, une voie lactée de pierreries révélait son passage. Quelque temps avant la mort de M. de Vergennes, Cagliostro alla à Strasbourg muni de lettres de recommandation de ce ministre, de M. de Miroménil (garde des sceaux) et de M. le maréchal de Ségur: ceci est un fait… Précédé par une réputation inouïe et fantastique, appuyé par ces recommandations, Cagliostro fut reçu à Strasbourg avec un enthousiasme délirant, qu'il accrut encore en visitant les hôpitaux, parlant aux malades, les guérissant, faisant enfin le rôle d'un dieu, répandant l'or sur son passage pour les besoins des malheureux et les médicaments les plus chers… Ce fut alors que le cardinal de Rohan, évêque de Strasbourg, connut Cagliostro. Il l'accueillit avec respect. Cet homme allait combler ses désirs… Il lui parla avec confiance: il aimait et était ambitieux…

– Vous serez heureux, et votre ambition sera satisfaite, lui dit l'homme étonnant.

Le cardinal fut au moment de se prosterner.

On revint à Paris: on était alors au commencement de l'hiver. Le cardinal présenta Cagliostro à une femme de ses amies, madame la comtesse de Lamothe.

– Elle a plus de droits pour habiter le Louvre que ceux qui y sont, dit à Cagliostro le cardinal dans un moment d'abandon, et il lui expliqua comment elle était Valois143. Elle était bien autre chose, vraiment!

Le cardinal de Rohan était détesté de la Reine, et il le savait. Il savait que jamais il n'arriverait au ministère tant que le ressentiment de la Reine durerait; de plus il était doublement malheureux, car il aimait la Reine. Mais la Reine savait qu'il avait mis tous les obstacles possibles à son mariage avec Louis XVI, et jamais elle ne l'oublia.

Madame de Lamothe, intrigante, indigne du nom de femme, mit la paix dans le cœur du cardinal en lui promettant de le faire réussir: quels moyens devait-elle employer? voilà ce qu'on ignorait.

Bohmer, joaillier de la Couronne, avait présenté à la Reine un collier de diamants du prix de seize cent mille francs; la Reine le fit voir au Roi: – J'aime mieux avoir un vaisseau, dit-il.

Bohmer remporta le collier.

Quelques jours après, une voiture très-élégante et armoriée s'arrête chez lui; c'est une femme ayant toutes les apparences de la haute classe qui vient de la part de la Reine, et lui dit que, toutes réflexions faites, la reine prend le collier, mais à l'insu du Roi: elle le paiera en quatre billets, de quatre cent mille francs chacun. Bohmer hésite: la chose ne lui paraissant pas suffisamment claire, il demande une garantie donnée par une personne marquante: le cardinal de Rohan se présente. Bohmer livre le collier à madame de Lamothe et reçoit les quatre billets, soi-disant de la Reine; le premier paiement devait avoir lieu le 1er août, le paiement ne se fait pas. Bohmer alarmé va trouver Campan144, et la ruse est découverte… La Reine, confondue de cette hardiesse, rassembla ses preuves, et parla de cette affaire au Roi.

 

Ce fut le comble de l'imprudence de la part de la Cour… Le cardinal arrivant à Versailles pour y officier en rochet et en camail, est arrêté et conduit d'abord dans le cabinet du Roi; là il trouve Marie-Antoinette, M. le baron de Breteuil et le Roi.

LE ROI

M. le cardinal, vous avez acheté des diamants à Bohmer?

LE CARDINAL

Oui, sire.

LE ROI

Qu'en avez-vous fait?

LE CARDINAL

Sire…

LE ROI, tremblant de colère et avançant sur le cardinal

Qu'en avez-vous fait, monsieur?..

LE CARDINAL

Je croyais que la Reine les avait.

LE ROI

Qui vous avait chargé de cette commission?

LE CARDINAL

Une dame de condition.

LE ROI, d'une voix forte

Son nom, monsieur.

LE CARDINAL

Madame la comtesse de Lamothe-Valois. Elle m'a montré une lettre de la Reine par laquelle Sa Majesté…

LA REINE, en l'interrompant

Comment pouvez-vous croire, monsieur, que moi, qui ne vous ai pas adressé la parole depuis huit ans, je vous aurais écrit une seule ligne?

LE CARDINAL

Je vois que j'ai été trompé… indignement trompé.

LE ROI, lui montrant une lettre

Comment avez-vous pu écrire une pareille lettre, monsieur le cardinal?..

LE CARDINAL, la parcourant en tremblant

Je ne me souviens pas de l'avoir écrite… mais si l'original est signé…

LE ROI

Il l'est, monsieur…

LE CARDINAL

Alors elle est vraie…

LE ROI, très-ému

Et vous avez eu, monsieur, la sottise d'ajouter foi à des lettres signées de cette manière?

Et le Roi mit sous les yeux du cardinal la copie des billets de la Reine et ses lettres; tout était signé: Marie-Antoinette de France… Le cardinal se frappe le front comme un homme qui sort d'un rêve!..

Grand Dieu, est-il possible!..

LE ROI

Vous avez l'air surpris, monsieur…: vous soutiendrez peut-être que vous ne saviez pas comment signait une archiduchesse d'Autriche! vous qui avez été ambassadeur à Vienne!.. Ne proférez pas un mensonge de plus.

LE CARDINAL, pâlissant et s'appuyant sur la table

Sire… que Votre Majesté m'excuse… mais je ne suis plus à moi.

LE ROI

Remettez-vous, monsieur; et si notre présence vous trouble, passez dans la chambre voisine… vous y trouverez des plumes et du papier… écrivez.

Le cardinal passa dans la pièce voisine, où il écrivit pendant un quart d'heure. Quand il rentra dans la chambre, il était pâle et tremblant… La feuille qu'il avait écrite était obscure et inintelligible; le Roi sourit avec amertume… il se tourna vers la Reine, et lui parla quelques moments à voix basse… – Qu'on avertisse M. de Villeroi, dit le Roi à M. de Breteuil.

Et il congédia le cardinal.

Celui-ci, en sortant du cabinet du Roi, fut arrêté par M. le duc de Villeroi, capitaine des gardes de service et conduit à la Bastille, sans même aller chez lui; mais il eut le temps de dire deux mots en allemand à un domestique de confiance à lui, qui se trouva sur son passage, et ses papiers importants furent mis à l'abri.

Madame de Lamothe fut arrêtée dans une terre de son mari près de Bar-sur-Aube; son mari s'était sauvé en Angleterre. Elle nia toute l'affaire, mais elle dénonça le comte de Cagliostro comme connaissant des secrets qui y étaient relatifs. Cagliostro fut arrêté rue Saint-Claude au Marais, où il demeurait, au moment où il partait pour aller à Lyon établir une loge égyptienne; il avait acquis un immense empire sur le cardinal. La veille du jour où le cardinal fut arrêté, il avait soupé chez lui avec Cagliostro, Gabrielle d'Estrées et Henri IV.

Cette affaire du collier fut tellement publique pour le procès, que je n'en parle que dans les détails qui se sont mûris. Le Roi envoya des lettres patentes au Parlement, pour instruire l'affaire, qui respiraient le plus grand mécontentement… Cette conduite fut bien imprudente de la part du Roi!.. Il y avait du scandale, sans que la malignité s'en mêlât; qu'on juge ce que cela devint entre les mains de l'esprit de révolte et de haine qui existait alors contre la Reine, lorsqu'il courait dans Paris une caricature infâme qui représentait un animal informe; au-dessous était écrit:

«Cet animal se nomme fagua; il a été trouvé dans un lac de l'Amérique Méridionale, et il est maintenant exposé à la curiosité des savants, pour déterminer de quelle espèce il est; on le croit amphibie. Quant au sexe, il est douteux, quoique le sexe féminin prévaut de beaucoup en lui, surtout pour la fécondité. Mais ce qui surprend est sa voracité: il lui faut par jour un taureau, un bélier, deux boucs et plusieurs sangliers.»

Le cardinal fut acquitté. Madame de Lamothe fut condamnée à être fouettée et marquée, et le fut en effet, et puis ensuite enfermée à la Salpêtrière145. Cagliostro fut banni de France; il n'en partit pas toutefois au même instant. Il y demeura encore plusieurs mois caché à Villers-Cotterets et au Raincy… Il y a encore, il y avait du moins des traces encore assez frappantes du laboratoire dans l'appartement qu'il occupait au Raincy, et qui m'a été montré par une vieille femme employée à la lingerie, et qui vivait encore retirée à Bondy… Cette femme se rappelait que la nuit on faisait souvent des courses nocturnes aux flambeaux, et qui faisaient une extrême peur aux paysans de Bondy et des environs.

Quant à ce qui concerne mademoiselle Oliva et à sa ressemblance avec la Reine, ce n'est pas pour cette portion de l'ouvrage. Je dirai seulement que le cardinal fut exilé, malgré les efforts de la Reine, qui voulait une autre punition, à son abbaye de La Chaise-Dieu… Son ressentiment fut terrible. Il prétendit toujours avoir été joué; il avait peu d'esprit, et madame de Lamothe en avait beaucoup. Elle lui avait fait accroire que la Reine lui accordait sa confiance, qu'elle lui contait ses peines, ses joies. Ainsi madame de Lamothe se faisait conduire par le cardinal lui-même au bas de l'un des escaliers dérobés qui menaient chez la Reine, et là, elle le faisait attendre une ou deux heures; puis elle descendait après avoir erré dans les corridors du château, et rapportait au cardinal une fleur – un ruban – une chose qui avait appartenu à la Reine, disait-elle, et elle l'abandonnait au cardinal, qui plaçait le gage sur son cœur, et qui faisait ainsi plus de niaiserie qu'un enfant à peine sorti de ses langes. – Lui, le cardinal, amoureux de la reine Marie-Antoinette!..

Cette affaire fut désastreuse pour la Reine: elle fut comme le dernier coup donné à cette renommée qui avait tant de rayons lumineux qui s'éteignaient autour d'elle… le Roi devait payer et se taire.

Quant au parti religieux, le cardinal lui fit un tort immense à cette époque, où les gens qui ne croyaient déjà guère ne demandaient pas mieux que de ne plus croire du tout… M. de Juigné fit une prière quotidienne pendant quarante jours, pour demander à Dieu de calmer sa colère et de retirer sa main de la nation qu'il aimait et qu'il abandonnait. J'ai connu un ecclésiastique qui était auprès de lui alors, et qui l'a vu pleurant au pied de l'autel de son oratoire, en priant pour le salut du cardinal…

– Tous les malheurs qui fondirent jadis sur Israël nous sont envoyés aujourd'hui. Oh! mon Dieu, disait le saint homme, sauvez-nous de nous-mêmes, Seigneur, sauvez-nous!..

Ce fut vers ce temps qu'eut lieu l'assemblée des notables. – Le clergé y était ainsi appelé:

L'archevêque de Paris, l'archevêque de Reims, celui de Narbonne, celui de Toulouse, celui d'Aix, celui de Bordeaux, les évêques de Blois, de Langres, de Nevers, de Rhodez et d'Alais. —

Une particularité très-peu connue, et que j'ai apprise il y a seulement quelques mois, c'est que lors de cette malheureuse affaire du collier, madame de Marsan reçut un homme qui lui apporta un pamphlet affreux contre la Reine, dans lequel étaient des lettres de Marie-Antoinette, à ce qu'il prétendait: elles étaient sans doute fausses comme les autres; mais elles étaient là, et la haine aussi. Madame de Marsan acheta le manuscrit et le brûla. L'homme s'appelait Mariani: il était Italien d'origine, mais Français; – il n'avait pas fait le pamphlet et le vendit cent louis. Madame de Marsan ne parla jamais de cette aventure; la Reine avait toujours été mal pour elle, comme pour toutes les vieilles dames de la Cour146, et son ressentiment était aggravé par sa piété, qui était blessée chaque jour; mais cette même piété lui disait aussi de pardonner et de rendre le bien pour l'injure.

SALON
DE
Mme LA DUCHESSE DE MAZARIN

Dans la galerie que j'ai entrepris de faire connaître, et où je fais passer tant de personnages, il me faut bien aussi faire comparaître les personnages ridicules qui toutefois marquaient dans cette société brillante et joyeuse, où les défauts étaient assez tolérés pour que les ridicules ne le fussent pas: car il fallait bien que le côté satirique de notre esprit s'exerçât sur un sujet, et nous n'étions pas encore assez méchants pour creuser profondément lorsqu'on voyait du mal à la surface… Nous sommes devenus moins difficiles depuis que nous ne rions plus: en sommes-nous meilleurs?..

Nous avons tous connu quelqu'un qui ressemblait à la duchesse de Mazarin; nous avons tous rencontré des femmes, et même des hommes, qui avaient de la beauté, de l'esprit, de la fortune, de la naissance, et qui, avec tous ces avantages, plaisaient moins que des gens laids, ennuyaient plus que des bêtes, avaient plus de privations que des pauvres et finissaient cette belle existence-là par être moins considérés que des gens sans naissance. Non-seulement nous en avons connu, mais nous en connaissons encore.

La duchesse de Mazarin était belle personne, mais immense, et disposant tellement de son gros individu que rien n'en était perdu pour la disgrâce. Par sa nature, elle avait habituellement le visage très-coloré147; dans les moments où il l'était le plus, elle mettait toujours une robe rose pâle ou bleu céleste. Sa manière de s'habiller n'était pas la partie la moins ridicule de sa personne… Son ameublement, qui était des plus magnifiques, était toujours en désaccord sur quelques points: aussi lui avait-on donné plusieurs surnoms pour la corriger de ses ridicules, si jamais on les connaissait. La maréchale de Luxembourg148, dont le bon goût était reconnu, ne pouvait pardonner à madame de Mazarin ses continuelles gaucheries…

 

– Pauvre femme! disait la maréchale: elle a reçu tous les dons que les fées peuvent faire à une créature humaine; mais on a oublié de convier la méchante fée Guignon-Guignolant, qui l'a douée de tout faire de travers, même de plaire.

C'est aussi la maréchale de Luxembourg qui disait de madame de Mazarin dont on vantait l'extrême fraîcheur devant elle:

– Ah! vous trouvez qu'elle est fraîche? vous appelez cela de la fraîcheur, je le veux bien; seulement ne dites pas qu'elle est fraîche comme une rose… mais comme de la viande de boucherie…

Elle avait des diamants superbes. Un jour elle fit monter une paire de girandoles, mais d'une telle dimension que ses oreilles en étaient allongées d'un pouce… Ce fut ce soir-là que M. d'Ayen dit qu'elle ressemblait à un lustre.

Ses soupers étaient parfaits: elle avait les meilleurs cuisiniers de Paris, et les choses les plus rares y étaient admirablement employées; mais elle avait une singulière manie qui désolait M. de Lavaupalière: c'était de vouloir que les plats fussent tellement déguisés qu'on ne pût connaître ce qu'on allait manger. M. de Lavaupalière ne parlait jamais des soupers de la duchesse de Mazarin sans une sorte de colère fort amusante, parce qu'en résumé il convenait que ces soupers étaient excellents et surtout servis à merveille. Eh bien! on se moquait de ces malheureux soupers, parce que M. de Bièvre avait dit que la duchesse de Mazarin, étant trop grasse pour danser, ne donnerait plus de bal, mais des soupers masqués

Elle avait de l'esprit avec tous ses ridicules et surtout son guignon; elle avait de l'esprit et écrivait fort bien: j'ai connu plusieurs personnes qui ont vécu dans son intimité et qui avaient d'elle des lettres charmantes. Elle passait pour méchante; mais n'y avait-il pas un peu de cette irritabilité d'humeur qui est excitée par une injustice incessante? Cela pourrait être…; cependant, de la manière dont je me représente la duchesse de Mazarin, elle ne devait pas croire qu'on se moquât d'elle.

Sa société était formée de tout ce que Paris avait alors de plus élégant et de plus élevé: on riait de ses fêtes, mais on y allait; et puis après tout, comme je l'ai dit plusieurs fois, la raillerie et les plaisanteries n'étaient jamais amères, jamais on n'était injurieux.

C'était l'hiver où le roi de Danemark vint en France. Tout ce que Paris renfermait de hautes positions s'empressa de donner les plus belles fêtes au roi voyageur; il était poli, gracieux, fort reconnaissant de l'accueil hospitalier de la France, et surtout fort émerveillé, je crois, du luxe de la France en le comparant à celui de la cour de Copenhague. Reçu par le Roi et toute la famille royale avec une magnificence étourdissante, qui doublait de prix par la bienveillance et la flatterie qui se mêlaient à la moindre fête, le roi scandinave se croyait pour le moins dans le palais d'Odin son aïeul; il était heureux surtout des louanges qu'on lui donnait et que son esprit traduisait encore à son avantage, comme on peut le croire, car il avait le malheur de très-peu comprendre le français, et le bonheur d'avoir une grande vanité; l'un de ses gentilshommes, qui lui racontait tout ce qui se disait dans les académies, dans les fêtes, lui exagérait encore les compliments déjà outrés qu'on lui faisait; et le Roi, la tête tournée de tant de flatteries149, ne savait plus s'il y avait une différence entre lui et le grand Odin.

Dans le nombre des personnes qui lui donnèrent des fêtes, la duchesse de Mazarin ne doit pas être oubliée. Cependant elle n'y songeait pas: elle avait donné beaucoup de fêtes ce même hiver, et son constant malheur lui faisait redouter quelque nouveau ridicule… car elle sentait fort bien la valeur de tout ce qui lui arrivait.

Ses soupers particuliers étaient encore plus exquis que ceux des jeudis, qui étaient ses grands jours. Les autres jours de la semaine, elle n'avait chez elle que quinze ou vingt personnes qu'elle croyait ses amis, et dont la plupart l'étaient en effet.

Un soir des petits jours, elle vit arriver chez elle la maréchale de Luxembourg. La maréchale sortait peu, et quoique madame de Mazarin ne l'aimât pas parce qu'elle connaissait son mot sur elle, elle était polie et prévenante chez elle, et elle l'accueillit avec une extrême bienveillance: on annonça successivement quelques habitués de la maison, comme le marquis de Lavaupalière, madame de Serrant150, madame de Berchini, madame de Cambis151, le comte de Coigny152, le comte de Guines153, M. le chevalier de Jaucourt, qu'on appelait clair de lune, parce qu'il avait en effet un visage rond, plein et pâle, et ne portait pas de poudre… et plusieurs autres habitués de l'hôtel Mazarin. La conversation tomba bientôt sur les fêtes données au roi de Danemark.

– Que comptez-vous faire? demanda la duchesse de Luxembourg à madame de Mazarin.

– Mais, répondit-elle, rien du tout. J'ai donné trois bals, un concert, des proverbes, et ma fête…

Ici elle s'arrêta parce que le souvenir de sa fête champêtre lui apparut comme un spectre…

– Ah! oui! dit madame de Cambis, votre fête villageoise… elle a mal tourné… quelle idée vous avez eue là aussi!

– Eh! mais, dit la duchesse de Mazarin, c'est vous et madame de Luxembourg qui me l'avez conseillée!..

MADAME DE CAMBIS

Je crois que vous vous trompez, madame la duchesse.

LA DUCHESSE DE MAZARIN

Je vous assure que c'est vous.

LA MARÉCHALE DE LUXEMBOURG, avec assurance et froidement

La duchesse a raison. C'est nous qui le lui avons demandé. Mais nous ne lui avions pas dit de lâcher des moutons dans son salon comme dans un pré… et quel salon surtout!

Et la maréchale jetait un regard moqueur sur d'immenses glaces placées dans des niches et occupant le lambris depuis le plafond jusqu'au parquet… Ces glaces étaient entourées d'une large baguette dorée… quelques-unes portaient encore des traces visibles de l'invasion moutonnière. Voici comment l'aventure s'était passée.

La duchesse de Mazarin, engagée par la maréchale de Luxembourg et madame de Cambis à donner sa fête champêtre, conçut la plus bizarre idée du monde. La maréchale lui avait donné celle d'une fête villageoise; au lieu de s'en tenir à cette seule intention, qui pouvait être bonne, elle imagina de faire garnir un cabinet, qui était au bout de son grand salon, de feuillage, de fleurs et d'arbustes; elle fit venir de la campagne une douzaine de moutons bien beaux et bien frisés; on mit les infortunés dans un bain d'eau de savon, on les frotta, on les parfuma, on leur mit des rubans couleur de rose au cou et aux pattes, et puis on les renferma dans une pièce voisine en attendant le moment où une des femmes de la duchesse habillée en bergère et un de ses valets de chambre déguisé aussi en berger devaient conduire le troupeau et le faire défiler en jouant de la musette derrière une glace sans tain qui séparait le cabinet du grand salon. Tout cela était fort bien conçu, mais toujours mal ordonné, comme c'était la coutume à l'hôtel Mazarin. Le malheureux troupeau devait avoir un chien; on ne se le rappela qu'au moment… et l'on alla prendre un énorme chien de garde à qui l'on fit subir le bain savonné des moutons, et puis ensuite pour commencer la connaissance on le fit entrer dans la chambre où étaient les moutons. Mais à peine eut-il mis la patte dans cette étable d'un nouveau genre, qu'étonné de cette société, le chien fit aussitôt un grondement si terrible, que les moutons, quelque pacifiques qu'ils fussent de leur nature, ne purent résister à l'effroi qu'il leur causa. Ils s'élancèrent hors de la chambre, et une fois les premiers passés on sait que les autres ne demeuraient jamais en arrière, et quoiqu'ils ne fussent pas les moutons de Panurge, ils n'en suivirent pas moins leur chef grand bélier, qui, ne sachant pas ce qu'il avait à faire, enfila la première porte venue, et cette porte le conduisit dans le cabinet rempli de feuillage, d'où il se précipita en furieux, suivi des siens, dans le grand salon, où la duchesse de Mazarin dansait de toutes ses forces, habillée à la bergère, en attendant la venue du troupeau… En se trouvant au milieu de cette foule, le bruit, les lumières, mais surtout la vue de ces autres moutons qui les regardaient tout hébétés, rendirent les vrais moutons furieux; le bélier surtout attaqua le bélier ennemi et cassa de sa corne une magnifique glace dans laquelle il se mirait… les autres moutons se ruèrent sur les femmes en voulant se sauver et augmentèrent tellement le trouble, qu'on aurait cru que l'hôtel Mazarin était pris d'assaut… les cris forcenés de toutes ces femmes dont les robes déchirées, les toilettes en désordre, étaient le moindre inconvénient, plusieurs d'entre elles ayant été terrassées par les moutons et fort maltraitées. Enfin tous les valets de chambre et les valets de pied de la maison s'étant mis en chasse, on parvint à emmener le malencontreux troupeau… Il commençait à s'en aller avec assez d'ordre, lorsque le chien qui avait conquis l'étable et en était paisible possesseur s'avisa de venir voir aussi la fête: à l'aspect de sa grosse tête, les moutons se sauvèrent de nouveau avec furie; mais cette fois ce fut dans le jardin: là, une sorte de folie les prit, et pendant une heure la chasse fut inutile, on n'en pouvait attraper aucun… Je laisse à penser quelle agréable fête madame de Mazarin donna à ses amis… Le lendemain, il y eut mille couplets sur elle et sur sa fête champêtre; on la chanta sur tous les tons, et elle fut un texte abondant pour les noëls de l'année154… Telle était la fête que rappelait la maréchale de Luxembourg… On doit croire que le souvenir n'en était pas agréable à madame de Mazarin.

– Ma foi, dit le marquis de Lavaupalière, je ne vois pas pourquoi madame la duchesse ne donnerait pas à S. M. danoise un très-beau dîner, après lequel il ferait une partie de pharaon ou de quinze.

LE CHEVALIER DE JAUCOURT

Non, non, un bal!.. un bal…

LE COMTE DE COIGNY

Mais il ne danse pas.

LE CHEVALIER DE JAUCOURT

Qu'est-ce que cela fait?.. nous danserons pour lui.

LA DUCHESSE DE MAZARIN

Il faut trouver quelque chose qui l'amuse… lui a-t-on donné la comédie quelque part?

143On connaît cette histoire; elle est dans les Souvenirs de Félicie, et très-vraie.
144Attaché au service de la chambre de la Reine, et beau-père de madame Campan ou son mari.
145D'où elle s'échappa aidée de la supérieure elle-même. – Tout le monde fut contre la victime dans cette odieuse affaire, – et cette victime, c'était la Reine!..
146J'ai été bien aise de rapporter ce fait dont je puis certifier la vérité et qui ne peut être qu'agréable à la famille de madame de Marsan, s'il reste d'elle quelqu'un qui lui tienne d'assez près pour cela.
147Hortense Mancini, nièce de Mazarin, épousa, en 1661, Charles-Armand de la Porte de La Meilleraie, fils du maréchal de ce nom, et lui porta les biens immenses de la maison de Mazarin. Elle mourut en 1699, laissant un fils qui hérita de cette fabuleuse fortune. Ce fils n'eut qu'une fille, qui à son tour fit entrer la riche succession des Mazarins dans la famille de Duras, d'où elle a passé par les femmes dans la famille d'Aumont, et puis dans celle des Matignons, ducs de Valentinois…
148Duchesse de Boufflers en premières noces.
149Il me faut raconter un trait qui fera juger de la moralité, comme honneur dans l'acception générale attachée à ce mot, de cette époque… Le prince de Conti donna une fête admirable au Temple, au roi de Danemark. Il y avait une quantité de femmes toutes plus parées les unes que les autres et couvertes de diamants. Celles qui n'en avaient pas assez en empruntaient ou en louaient chez leur joaillier. Madame de Brionne était, ce même soir, d'une magnificence achevée: sa robe était rattachée avec des nœuds de diamants et des fleurs en pierres précieuses… Sa robe n'avait été apportée qu'au moment de sa toilette, et ses femmes dûrent se hâter pour coudre les nœuds de pierreries et les fleurs… La robe était d'un velours nacarat très-épais, doublé de satin blanc… La difficulté de coudre dans cette étoffe fit que ses femmes posèrent les fleurs et les nœuds très-peu solidement… Au moment où la foule était le plus pressée, et comme on allait souper, plusieurs de ces nœuds et deux fleurs tombèrent sans que la princesse s'en aperçût. Elle ne le vit qu'à son arrivée dans la salle à manger, où la foule était si grande, qu'il fut impossible de retourner d'abord dans la grande galerie pour chercher les diamants. Lorsqu'on y fut, on retrouva non-seulement les nœuds, au nombre de trois, et les deux fleurs, mais l'un des nœuds ayant été écrasé sous les pieds, et les diamants s'étant échappés de la monture, on les retrouva tous… Sire, ils étaient trois mille181181. Vers des Templiers de Raynouard.! et on peut bien dire ce mot; car pour ces sortes de bijoux, il faut des diamants d'un ou deux grains, ce qui fait appeler ces diamants de la grenaille. Eh bien! on a tout retrouvé. Je n'accuse aucune époque; mais je ne sais si aujourd'hui on serait aussi heureux que le fut madame de Brionne. Ce n'est pas madame Schickler, du moins; car ayant perdu, chez le comte Jules de Castellanne, une perle du prix, dit-on, de quinze mille francs, il fut impossible de la retrouver. Cela me parut d'autant plus singulier, qu'une perle fine ne s'écrase pas facilement.
181Vers des Templiers de Raynouard.
150Femme du gouverneur des pages de M. le duc d'Orléans (Montesson).
151Sœur du prince de Chimay et de madame de Caraman.
152Frère du duc de Coigny.
153Il fut depuis duc de Guines.
154À cette époque c'était la mode de faire des noëls sur tout ce qui se passait dans la société: ils étaient toujours méchants.