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Histoire des salons de Paris. Tome 1

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– J'ai longtemps repoussé les attaques dans lesquelles le nom de la Reine était mêlé, poursuivit M. de Périgord;… mais tout à l'heure en voyant moi-même cet appartement…

– Eh bien! qu'a-t-il donc, dit la Reine, de si révoltant, cet appartement?

Elle mit un accent tellement impérieux dans cette demande, que le comte ne répondit pas. La Reine poursuivit:

– Est-ce donc parce qu'excédée de l'ennui qui me suffoque dans ces salons dorés que j'ai là sous mes pieds… et elle frappa du pied avec violence;… est-ce donc parce que l'ennui m'excède au milieu d'une cour qui ne m'aime pas et que je n'aime pas davantage, et que je viens ici jouir en paix de la conversation de quelques amis et oublier, je le répète, que je suis Reine de France; est-ce donc cela qu'on me reproche?.. S'il en est ainsi, il faut désespérer de la France!..

Elle s'était levée et marchait à grands pas dans une agitation violente.

– Venez, dit-elle au comte de Périgord, voyez cet appartement… regardez-le bien, et dites-moi sur votre honneur si vous pensez qu'il mérite le nom d'une petite maison127.

Cet appartement était composé de trois ou quatre pièces, et se trouvait voisin de l'appartement qui fut arrangé pour madame de Lamballe, lorsque pour elle on créa la charge de surintendante de la maison de la Reine… L'ameublement en était simple, mais parfaitement commode; on voyait que la Reine avait bien souvent répété: «Faites-moi un lieu de repos où je sois commodément.» Dans l'une des pièces était un billard: la Reine y jouait bien et aimait beaucoup ce jeu, qui lui permettait de montrer la grâce de sa taille, et la beauté de ses bras et de ses mains…

– Vous voyez, dit-elle à M. de Périgord, que je ne mérite pas au moins le reproche de ruiner la France par mes folles dépenses… Je ne fais pas comme les favorites de Monsieur, moi… Je ne fais pas mettre le feu dans la nuit à l'ameublement d'un salon parce que cet ameublement déplaît… et madame de Balby est plus savante que moi, toute reine que je suis, en pareille matière…

La Reine pleurait!..

– Jamais, disait plus tard M. de Périgord, cette conversation ne sortira de ma pensée ni de mon âme… La Reine avait en moi un serviteur; de ce jour elle eut un ami de plus, car je compris qu'elle était calomniée… mais elle prêtait à cette calomnie, et je ne pus m'empêcher de le lui dire.

– J'agirai donc autrement, puisque l'on m'y force, répondit-elle; mais je n'en continuerai pas moins à vivre pour moi quelquefois, et pour mes amis… Cette retraite me plaisait… J'y soupais avec quelques personnes assez discrètes pour n'en pas parler; nous y avons ri et causé comme de simples humains, ajouta-t-elle en souriant… Le Roi y est venu quelquefois, mais en me demandant de n'y pas souper, car rien au monde ne lui ferait manquer l'heure de son souper de famille. Maintenant que vous avez vu tout cela de près, mon cher comte, me donnez-vous l'absolution?

M. de Périgord n'était pas éloquent avec toute sa bonté; eh bien! il le devenait en parlant de la Reine lorsqu'il racontait cette histoire. Je la lui ai entendu dire bien souvent, et toujours de même quant au fond, mais jamais d'une manière semblable quant aux détails de l'impression qu'il avait reçue de la Reine ce jour-là…

La Reine, en effet, changea immédiatement de façon d'être. Elle allait quelquefois chez madame de Polignac, elle y fut presque tous les jours: son affection pour la comtesse Jules, qui alors n'était pas encore gouvernante des enfants de France, et qui recevait tout son lustre de l'amitié de la Reine, justifiait assez son assiduité à aller chaque soir chez elle. Mais la Reine fit bien savoir qu'elle désirait qu'on vînt chez madame de Polignac comme si on était venu chez elle. Le fond de cette société, comme je l'ai déjà dit, était: madame la comtesse Jules et son mari, la comtesse Diane de Polignac, la duchesse de Grammont, madame la marquise de Bréhan, le comte d'Artois, madame la comtesse de Châlons, messieurs de Vaudreuil, monsieur le baron de Bésenval, le comte de Fersen, les d'Hautefort, la maréchale d'Estrées, le comte Étienne de Durfort, le comte Louis de Durfort, la duchesse et le duc de Duras, MM. de Coigny, et quelques autres personnes telles que monsieur de Breteuil, madame de Matignon… mais ils étaient moins souvent appelés que les premiers noms que je viens de dire.

La jalousie que la Reine excita de nouveau par cette faveur insigne d'aller chaque soir souper chez madame de Polignac, déchaîna encore davantage contre cette famille.

Cependant madame la comtesse, depuis duchesse de Polignac, était une personne parfaitement faite pour plaire à Marie-Antoinette: elle était douce et bonne, avait une belle âme et comprenait la vie sous le côté le plus honorable, bien qu'elle eût peu d'esprit, quoi qu'en disent quelques biographies écrites dans le temps du ministère de son fils. Elle était charmante: sa figure avait un éclat de blancheur; ses yeux, les plus beaux du monde, avaient un regard doux comme elle-même; son sourire était candide; ses manières, sa voix, en elle tout plaisait et attachait… Elle venait de se marier et avait peu d'espoir de faire une aussi brillante fortune que celle qui lui fut envoyée par le Ciel. Lorsque sa belle-sœur, la comtesse Diane de Polignac, obtint une place de dame pour accompagner, chez madame la comtesse d'Artois, la Reine alors connut la comtesse Jules, et l'aima au point de lui accorder sa confiance et des marques d'une affection peu commune. Le comte Jules fut fait premier écuyer de la Reine en survivance du comte de Tessé, et duc héréditaire en 1780. Le comte de Grammont, demandant en mariage la fille de madame la duchesse de Polignac, fut créé duc de Guiche, mais duc à brevet, et fait capitaine des gardes-du-corps du Roi… Enfin la Reine, voulant avoir continuellement madame de Polignac avec elle, fit ôter à madame de Rohan-Guémené la charge de gouvernante des enfants de France, et la donna à madame la duchesse de Polignac… et son mari obtint la place de directeur-général des postes et haras de France.

On a beaucoup parlé de tout ce que la famille de Polignac a coûté à la France. J'ai dit comme les autres, et puis en étudiant cette époque, en consultant des gens encore vivants et témoins oculaires, j'ai connu la vérité. La Reine, qui passait sa vie avec madame de Polignac qu'elle aimait tendrement, voulut la combler de biens et des marques de cette bienveillance que le public semblait vouloir lui refuser; mais il est faux que la duchesse de Polignac fut aussi ambitieuse qu'on le lui a reproché. C'était sa belle-sœur, la comtesse Diane de Polignac, qui était intrigante et avide: la Reine ne l'aimait pas; quant à la duchesse, elle avait peu d'esprit, mais elle avait un jugement sain, et donna souvent d'utiles conseils à la Reine. Une chose digne de remarque, c'est que les favorites de Marie-Antoinette n'avaient pas d'esprit. La princesse de Lamballe était douce, bonne et belle, mais elle avait encore moins d'esprit que madame la duchesse de Polignac. Cela prouverait ce que plusieurs personnes ont dit: c'est que la Reine avait elle-même un esprit ordinaire.

On a voulu ternir cette liaison de la Reine et de madame de Polignac par les plus infâmes calomnies… Il est des choses qui ne se réfutent pas…

Le salon de la gouvernante des enfants de France devint donc celui de la Reine; on invitait à souper en son nom, on y priait en son nom pour un concert ou pour une comédie.

Ce surcroît d'une immense faveur acheva de soulever la haute noblesse, déjà irritée contre la Reine, qui lui rendait, au reste, haine pour haine, et qui peut-être n'était aussi bien pour la famille de Polignac que pour prouver qu'elle pouvait créer une famille puissante et la transformer, par sa seule volonté, du néant au faîte du pouvoir.

On refuse encore aujourd'hui aux Polignac d'être d'une haute noblesse: on prétend qu'ils ne sont qu'entés sur les Polignac et qu'ils s'appellent Chalançon… Quoi qu'il en soit, le cardinal de Polignac a illustré cette famille; mais elle était encore en 1774 dans un tel état de médiocrité, qu'à peine possédaient-ils huit mille livres de rentes avec une petite baronnie en Languedoc; leur position de fortune, ai-je souvent entendu dire à des habitants de leur province, n'était pas au niveau de la bonne bourgeoisie pour la fortune.

J'ai beaucoup entendu parler de la comtesse Diane de Polignac, et les avis sont assez unanimes sur son compte; laide, méchante, ambitieuse et fort intrigante, on prétend que, chaque matin, elle dictait à sa belle-sœur sa conduite de la journée, et lui donnait la liste des places et des grâces à demander. Je crois que c'est exagéré comme le reste, mais je dirai comme je l'ai déjà dit: C'est une pensée qui peut être vraie et qu'il ne faut pas rejeter…

D'autres ont vu madame la duchesse de Polignac sous un jour bien différent: on la juge comme une femme d'une âme forte et d'un esprit calculé, n'ayant nul besoin d'être dirigée, et dirigeant elle-même; on lui attribue un grand courage et beaucoup de résolution. D'après cette nouvelle manière de la juger, elle aurait méprisé cette coutume humiliante de n'avancer à la Cour qu'à pas lents; elle voulut tout obtenir par surprise de la fortune, parce qu'elle comprenait qu'elle pouvait aussi tout prendre en un moment. Les noëls, les vaudevilles, les caricatures, tout ce qui frappe les gens qui sont placés en haut lieu ne lui fut pas épargné. Le seul M. de Calonne, dans le livre qu'il publia plus tard en Angleterre, voulut y prouver que la famille Polignac n'avait rien coûté à la France, ou du moins presque rien.

 

La comtesse Diane était généralement détestée, et c'était un problème que la faveur d'une telle femme. Arrivée à la Cour en 1775, en qualité de dame pour accompagner Madame, comtesse d'Artois, ce qui était, comme service d'honneur, la place la plus médiocre de la Cour, elle était devenue dame d'honneur de madame Élisabeth, qui, aussi douce, aussi angélique qu'elle était belle, en vint au point de tellement redouter la comtesse Diane, qu'elle quitta un beau jour Versailles, et vint à Saint-Cyr pour échapper à sa tyrannie. Le Roi, désespéré, et qui détestait lui-même madame Diane, s'en alla lui-même rechercher sa sœur à Saint-Cyr, en la suppliant de revenir, de patienter et souffrir128 la comtesse Diane. Le résumé de tout ce qu'on vient de lire, c'est que la famille Polignac avait un immense crédit par le moyen de la Reine, qu'elle plaçait entre elle et la nation comme une garde avancée.

J'ai parlé de la société de la Reine dans le salon de la gouvernante des enfants de France, ou plutôt dans le salon de la Reine elle-même. Cette société avait parmi elle de singulières innovations. La Reine ne pouvait pas se déguiser la vérité de sa situation: elle voulut tenter de la braver, et ne pouvant pas avoir dans son intimité des femmes titrées, elle voulut au moins avoir des gens qui l'amusassent, et elle y attira des artistes et des hommes amusants. De ce nombre fut Rivarol. Sans doute Rivarol était un homme d'un esprit supérieur, mais il n'avait que de l'esprit, et cela ne suffit pas pour rapprocher les distances qui existent entre un sujet et le souverain. Quoi qu'il en soit, cette admission suffit pour autoriser Rivarol à émigrer, et son frère à jouer le rôle d'une victime de l'empereur Napoléon, parce qu'il aimait les Bourbons; et par suite de cet attachement aux Bourbons, il se crut obligé de faire un quatrain qui devait lui attirer les honneurs de la proscription s'il eût été surpris, et cela, pourquoi, je vous le demande? Je sais bien qu'on peut crier: Vive le Roi! sans être M. de La Trémouille; cependant je trouve toujours un côté ridicule à ces passions de drapeau blanc qui prennent à des individus comme un accès de fièvre, sans but, sans motif, seulement pour faire du bruit; maintenant nous en avons un assez bon nombre en France comme cela, et remarquez que ceux qui crient si haut n'appartiennent ni par leur naissance, ni par leur position, à cette opposition du faubourg Saint-Germain qui, dans le silence, fait des vœux plus actifs pour le retour de la famille exilée. Mais en l'honneur de quoi ces gens crient-ils si haut? on n'en sait rien, ou plutôt on le sait bien. Ils ont crié: Vive l'Empereur! aussi fortement qu'ils crient maintenant vive Henri V! ou vive Henri IV! C'est vrai au moins ce que je vous dis là.

La Reine voulut jouer la comédie dans ses petits appartements; elle y remplit elle-même, ainsi que je l'ai déjà dit, de méchants rôles, qu'elle jouait mal elle-même. Cette manie de comédie devint alors universelle, parce que tout en blâmant la Cour, on l'imite toujours. Il y eut des théâtres, des comédies, dans presque toutes les maisons de campagne et les châteaux, ainsi que dans beaucoup de maisons de Paris, et les enfants eux-mêmes apprirent à déclamer. Beaucoup y perdirent leur temps, mais d'autres profitèrent des leçons et prirent un vrai plaisir en déclamant et jouant sur le théâtre qui fut organisé chez madame de Polignac.

Madame de Sabran, qui fut depuis madame de Boufflers, avait deux enfants: l'un était le comte Elzéar de Sabran, et l'autre, mademoiselle Louise de Sabran, qui, depuis, devint madame de Custine, belle-fille de ce vieux guerrier si lâchement assassiné! Mademoiselle de Sabran, déjà belle comme un ange, avait alors douze ans, et son frère un ou deux de plus. Ces deux enfants, élevés par leur mère, avaient un charmant talent, non-seulement de déclamation, mais de jeu théâtral. La Reine, ayant entendu parler de ces petits prodiges, voulut les voir et les entendre. Un théâtre fut monté exprès chez madame de Polignac, et les jeunes artistes y jouèrent Iphigénie en Tauride: mademoiselle de Sabran faisait Iphigénie et M. de Sabran remplissait le rôle d'Oreste. Les autres acteurs étaient Jules de Polignac129, les deux demoiselles Dandlaw, depuis mesdames d'Orglande et de Rosambo. Le succès fut complet; on avait préparé un souper pour ces jeunes acteurs: on les fit mettre à table, où le Roi et la Reine LES SERVIRENT et se tinrent debout, l'un derrière Oreste, l'autre derrière Iphigénie. Mademoiselle de Sabran, quoique fort jeune encore, était déjà de cette remarquable beauté qui la rendit célèbre lorsque, plus tard, elle se montra vraiment héroïne en consolant son beau-père dans son cachot, et lui servant d'ange gardien, lorsqu'il était en face du tribunal de sang qui le jugeait. Cette jeune personne, belle et charmante, que la Reine aimait à entendre chanter, à faire causer, partit de cette cour si brillante de Versailles pour aller dans un couvent… Là, plus de fêtes, plus de spectacles, plus de ces joies mondaines qui montraient sa beauté dans son vrai jour. Elle résista aux sollicitations de la Reine et de madame de Polignac; elle alla au couvent, et un an après, elle voulut y prendre le voile! Madame de Sabran s'y refusa et la maria avec M. de Custine, qui, lui aussi, mourut sur l'échafaud comme son père, et la laissa veuve avec un enfant130, deux ans après leur mariage. Elle fut une noble héroïne après comme avant cette cruelle catastrophe.

Parmi les habitués les plus intimes que la Reine accueillait dans le salon de madame de Polignac, j'ai oublié de nommer le prince et la princesse d'Hennin, et les Dillon, surtout celui qu'on appelait Édouard ou plutôt le beau Dillon: on a prétendu que la Reine l'avait aimé, je ne le pense pas.

La comédie ne fut pas longtemps une distraction pour la Reine. Cela l'ennuya bientôt, parce qu'elle jouait mal et qu'elle voyait qu'elle n'avait aucun succès; car on disait hautement:

– C'est royalement mal joué!

Alors on fit de la musique. – La Reine chantait et chantait aussi mal qu'elle jouait; mais elle était bonne musicienne, et la chose allait encore mieux qu'à la comédie; on faisait donc de la musique, et cela lui fut utile le jour où, voulant parler à M. de Fersen un langage plus clair que celui des yeux, elle chanta ce bel air de Didon: Ah! que je fus bien inspirée quand je vous reçus dans ma cour!

Cependant je ne crois pas que cette affection ait été autre chose qu'une très-vive coquetterie de cœur. La Reine fut si sérieusement occupée à l'époque où elle est accusée de cette liaison avec M. de Fersen, qu'il n'est pas croyable qu'elle ait eu de longues heures à consacrer à l'amour… Comment aimer avec l'existence infernale que cette malheureuse princesse subissait alors.

Le fait réel de cette société intime, c'est qu'il y avait à cette époque un relâchement de mœurs très-fortement excité par le siècle lui-même… Je ne crois pas qu'une jeune et agréable femme comme madame de B…n, par exemple, pût résister longtemps à une séduction, à laquelle concourent tous ceux qui l'entourent, et que mettent en pratique des hommes comme le baron de Bésenval, le vicomte de Ségur, le marquis de Vaudreuil, et des femmes comme la comtesse Diane de Polignac et quelques autres. – M. de D… n'était pas un homme corrompu, et cependant il a agi avec madame de B…n comme un homme digne de faire l'original de Valmont. Mais alors, cela paraissait tout simple.

La cour de France avait, au reste, une telle réputation dès la seconde année du règne de Louis XVI, qu'on vit les arts eux-mêmes en proclamer la turpitude… Le cabinet du Roi ordonna la grande et belle gravure du sacre. Jamais on ne vit une plus belle gravure! l'exécution en est d'un fini accompli, le burin en est presque aussi pur que celui de M. Godefroy dans la bataille d'Austerlitz. Je fais là un singulier rapprochement, quant au sujet…

On voit dans cette gravure du sacre le Roi, la Reine et la famille royale, les grands de l'État, au moment le plus intéressant du sacre… Où croirait-on que l'auteur a placé le tableau des vices de la Cour? sur les vitraux de la métropole de Reims, gravés dans le haut de l'estampe!..

Quant à madame de Polignac, dont la douceur et la bonté sont bien plus réellement le portrait que le caractère ambitieux qu'on lui prête, elle avait une liaison qui était avouée, comme cela était assez généralement. M. le marquis de Vaudreuil était son amant, et cela sans que M. de Polignac songeât à s'en fâcher. – Il était convenu que madame de Polignac avait M. de Vaudreuil; cela suffisait pour que la femme qui engageait madame la duchesse de Polignac à souper engageât aussi M. de Vaudreuil: – elle aurait failli à la politesse et au bon goût sans cette attention, et aucune femme du grand monde n'y aurait manqué…

Lorsque mademoiselle de P…c fut mariée, elle devint l'un des plus charmants ornements du salon de sa mère: elle était jeune et charmante; mais elle avait été à une école bien scabreuse pour une jeune fille. Il y avait d'ailleurs si peu de charme dans la personne de M. de G… qu'en vérité sa femme était excusable d'être en contravention avec son propre serment. Archambaud de P… était alors l'homme le plus charmant de la cour de France; il était jeune, élégant, riche131, et surtout à la mode, par une foule de succès et d'aventures qui devaient éblouir une jeune femme entrant dans le monde et encore sous le prestige de ce que peut sa vertu sacrifiée et l'abandon de ses devoirs. Madame de G… aima donc Archambaud, et M. de G… fut oublié. Archambaud fut pendant longtemps sous le charme d'un sentiment plus tendre que ce qu'il avait ressenti jusqu'alors; pour ne pas compromettre madame de G… il prenait toutes les mesures pour cacher leur commerce. Mais soit que le temps lui inspirât enfin moins de sollicitude, une nuit, comme il sautait par une des fenêtres de l'appartement de madame de G… il tomba au milieu d'une patrouille de gardes-du-corps. L'officier qui la commandait le reconnut à l'instant; mais, malgré ses instances, il ne put s'empêcher de l'arrêter et de le conduire à l'officier supérieur, qui commandait cette même nuit dans le château. Il se trouva que cet officier était des amis du comte de P…; il le reçut bien et lui dit en riant qu'il croirait tout ce qu'il lui voudrait dire. Archambaud, le voyant en si bon train de crédulité, lui dit qu'il avait eu une fantaisie pour une femme-de-chambre de madame de G… L'officier supérieur, qui était M. d'Agout, neveu du vieux lieutenant des gardes-du-corps, se mit à rire de bon cœur et félicita M. de P… sur sa bonne fortune, mais ne crut pas un mot de ce qu'Archambaud lui avait dit.

«S'il m'avait demandé ma parole, dit M. d'Agout, je lui aurais gardé le secret; mais il veut m'attraper, et je ne suis tenu à rien.»

Il y parut bientôt. Deux jours n'étaient pas écoulés, qu'il circula dans Paris une chanson dont le refrain si connu depuis était:

Sautez par la croisée, etc.

 

C'est pour cette circonstance qu'elle fut faite. On voit que le salon de madame de Polignac donnait naissance à des vers d'une facture bien opposée!..

La famille de Polignac n'était pas aimée avant la Révolution; mais cette aversion augmenta encore, lorsque M. de Calonne eut publié son livre, dans lequel, en voulant dire le contraire, il parle de tout ce que la famille Polignac a coûté à la France. Ce total est énorme. À la publication de cet ouvrage, la rage fut à son comble. La Reine, voyant elle-même combien elle était peu puissante pour protéger sa favorite, lui demanda, comme une preuve de son attachement pour elle, de quitter la France, et d'aller chercher la paix dans une terre étrangère. La famille tout entière quitta Paris et traversa le royaume au milieu des cris d'extermination sur la famille favorite, qui fuyait avec les Vaudreuil, comme eux désignés à la haine de la nation. Fugitifs, proscrits, ils ne parvinrent aux frontières qu'en maudissant quelquefois les Polignac et les Vaudreuil avec le peuple assemblé sur les places publiques!.. Enfin, cette femme trop louée et trop accusée parvint à sortir de France, et alla demander à Vienne un asile au neveu de la souveraine dont elle était l'amie, et qui l'aimait au point de dire lorsqu'elle était avec elle:

Je ne suis plus la Reine, je suis moi.

Madame de Polignac, déjà fort souffrante à son arrivée à Vienne, mourut à la fin de 93, en apprenant la mort de la Reine. Elle avait alors quarante-quatre ans! Son mari passa en Russie, où il obtint des terres en Ukraine de l'impératrice Catherine.

Je résumerai ce que j'ai dit sur le salon de madame de Polignac ou plutôt sur celui de la Reine, en faisant remarquer que tout ce qui fut fait, soit par l'imprudence de la Reine ou les conseils de la Reine, fut funeste à la France par l'action très-immédiate qu'eut cette conduite sur le reste de la nation, en laissant écrouler le vieil édifice de l'ancienne société française et cette forme de salon qui, jusque-là, avait servi de modèle à l'Europe entière. La Reine crut punir une noblesse insolente, et elle porta un coup irréparable à cette même noblesse, véritable soutien du trône;… elle inspira le désir de l'imiter, parce qu'une souveraine jeune et belle est toujours un modèle à suivre pour la foule et les masses; la magnificence des équipages, la somptuosité des ameublements, le grand nombre des valets, toute cette richesse élégante qui nous donnait le pas sur tous les peuples de l'Europe, tout ce qui marquait les rangs de la société et que Marie-Antoinette elle-même détruisit, toutes ces fautes sont à lui reprocher, parce que de la réunion de tout ce que je viens de rappeler dépend l'ensemble de la société. Elle fut la première à proscrire les étoffes coûteuses de Lyon et à porter du linon et de la mousseline; chez elle ce tort était grave: elle était Reine, et l'exemple d'un luxe bien entendu était un devoir; elle fit déserter la cour de Versailles à toute la vieille noblesse, scandalisée de voir si peu de grandeur dans la représentation royale; Versailles n'était quelquefois habité que par la famille royale et le service des princesses et des princes… Versailles ainsi abandonné, Paris devint plus habité; ses salons se remplirent; celui de madame de Coigny, dont je parlerai tout à l'heure, devint comme le centre de l'opposition contre la Reine; elle-même se mit à la tête de cette opposition qui ne trouva que trop d'imitateurs. Les grands voyages étant abandonnés, ce moyen de rallier la noblesse mécontente vint aussi à manquer au Roi. Enfin, l'achat de Saint-Cloud acheva de tout détruire… Marie-Antoinette crut qu'en ayant un château royal à elle seule, elle imprimerait plus d'affection! Quelle illusion! Une Reine ne doit pas chercher à aller au-devant des courtisans, ils doivent solliciter la faveur d'être admis auprès d'elle. Sans doute on criait: vive la Reine! mais M. Lenoir savait seul ce qu'il en coûtait à la police, pour que ce cri remplaçât celui des Parisiens, qui ne cessaient de crier tout le long du chemin: «Nous allons à Saint-Cloud voir les eaux et l'Autrichienne!..

127On lui avait donné un nom beaucoup moins honnête dans un Noël contre Marie-Antoinette, à propos de je ne sais plus quelle histoire.
128Propres paroles de Louis XVI.
129Le ministre de Charles X.
130Cet enfant est M. le marquis de Custine, auteur de plusieurs ouvrages remarquables et supérieurs, parmi lesquels le beau roman du Monde comme il est tient peut-être le premier rang. Sa mère était une personne adorable, dont le souvenir est demeuré comme un culte dans le cœur de son fils.
131Par son mariage avec mademoiselle de Villevieille.