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Czytaj książkę: «Les chasseurs de chevelures», strona 16

Czcionka:

XXVII
DACOMA

Apres cet episode, nous nous precipitames vers la source, et, mettant pied a terre, nous laissames nos chevaux boire a discretion. Nous n'avions pas a craindre qu'ils fussent tentes de s'eloigner. Autant qu'eux, nous etions presses de boire; et, nous glissant parmi les branches, nous nous mimes a puiser de l'eau a pleines tasses. Il semblait que nous ne pourrions jamais venir a bout de nous desalterer; mais un autre besoin aussi imperieux nous fit quitter la source, et nous courumes vers le camp, a la recherche des moyens d'apaiser notre faim. Nos cris mirent en fuite les coyotes et les loups blancs, que nous achevames de chasser a coups de pierres. Au moment ou nous allions ramasser les debris souilles de poussiere, une exclamation etrange d'un des chasseurs nous fit brusquement tourner les yeux.

– Malaray, camarados; mira el arco!

Le Mexicain qui proferait ces mots montrait un objet gisant a ses pieds, sur le sol. Nous fumes bientot pres de lui.

– Caspita! s'ecria encore cet homme, c'est un arc blanc!

– Un arc blanc, de par le diable! repeta Garey.

– Un arc blanc! crierent plusieurs autres, considerant l'objet avec un air d'etonnement et d'effroi.

– C'est l'arc d'un grand guerrier, je le certifie, dit Garey.

– Oui, ajouta un autre, et son proprietaire ne manquera pas de revenir pour le chercher aussitot que… Sacredie! Regardez la-bas! Le voila qui vient, par les cinquante mille diables!

Nos yeux se porterent tous ensemble a l'extremite de la prairie, a l'est, du cote qu'indiquait celui qui venait de parler. Tout au bout de l'horizon on voyait poindre comme une etoile brillante en mouvement. C'etait tout autre chose; un regard nous suffit pour reconnaitre un casque qui reflechissait les rayons du soleil et qui suivait les mouvements reguliers d'un cheval au galop.

– Aux saules! enfants! aux saules! cria Seguin. Laissez l'arc! laissez-le a la place ou il etait. A vos chevaux! emmenez-les! leste! leste!

En un instant chacun de nous tenait son cheval par la bride et le guidait ou plutot le trainait vers le fourre de saules. La nous nous mimes en selle pour etre prets a tout evenement, et restames immobiles, guettant a travers le feuillage.

– Ferons-nous feu quand il approchera, capitaine? Demanda un des hommes.

– Non.

– Nous pouvons le prendre aisement, quand il se baissera pour prendre son arc.

– Non, sur votre vie!

– Que faut-il faire alors, capitaine?

– Laissez-le prendre son arc et s'en aller! repondit Seguin.

– Pourquoi ca, capitaine? pourquoi donc ca?

– Insenses! vous ne voyez pas que toute la tribu serait sur nos talons avant le milieu de la nuit? Etes-vous fous? Laissez-le aller. Il peut ne pas reconnaitre nos traces, puisque nos chevaux ne sont pas ferres: s'il ne les voit pas, laissez-le aller comme il sera venu, je vous le dis.

– Mais que ferons-nous, s'il jette les yeux de ce cote?

Garey, en disant cela, montrait les rochers situes au pied de la montagne.

– Malediction! le Digger! s'ecria Seguin en changeant de couleur.

Le cadavre etait tout a fait en vue sur le devant des rochers; le crane sanglant tourne en l'air et vers le dehors de telle sorte qu'il ne pouvait manquer de frapper les yeux d'un homme venant du cote de la plaine. Quelques coyotes avaient deja grimpe sur la plate-forme ou etait le cadavre, et flairaient tout autour, semblant hesiter devant cette masse hideuse.

– Il ne peut pas manquer de le voir, capitaine, ajouta le chasseur.

– S'il le voit, il faudra nous en defaire par la lance ou par le lasso, ou le prendre vivant. Que pas un coup de fusil ne soit tire. Les Indiens pourraient encore l'entendre, et seraient sur notre dos avant que nous eussions fait le tour de la montagne. Non! mettez vos fusils en bandouliere! Que ceux qui ont des lances et des lassos se tiennent prets.

– Quand devrons-nous charger, capitaine?

– Laissez-moi le soin de choisir le moment. Peut-etre mettra-t-il pied a terre pour ramasser son arc, ou bien il viendra a la source pour faire boire son cheval. Dans ce cas, nous l'entourerons. S'il voit le corps du Digger, il s'en approchera, peut-etre, pour l'examiner de plus pres. Dans ce cas encore, nous pourrons facilement lui couper le chemin. Ayez patience! je vous donnerai le signal..

Pendant ce temps, le Navajo arrivait au grand galop. A la fin du dialogue precedent, il n'etait plus qu'a trois cents yards de la source, et avancait sans ralentir son allure. Les yeux fixes sur lui, nous gardions le silence et retenions notre respiration. L'homme et le cheval captivaient tous deux notre attention. C'etait un beau spectacle. Le cheval etait un mustang a large encolure, noir comme le charbon, aux yeux ardents, aux naseaux rouges et ouverts. Sa bouche etait pleine d'ecume, et de blancs flocons marbraient son cou, son poitrail et ses epaules. Il etait couvert de sueur, et on voyait reluire ses flancs vigoureux a chacun des elans de sa course. Le cavalier etait nu jusqu'a la ceinture; son casque et ses plumes, quelques ornements qui brillaient sur son cou, sur sa poitrine et a ses poignets, interrompaient seuls cette nudite. Une sorte de tunique, de couleur voyante, toute brodee, couvrait ses hanches et ses cuisses. Les jambes etaient nues a partir du genou, et les pieds chausses de mocassins qui emboitaient etroitement la cheville. Different en cela des autres Apaches, il n'avait point de peinture sur le corps, et sa peau bronzee resplendissait de tout l'eclat de la sante. Ses traits etaient nobles et belliqueux, son oeil fier et percant, et sa longue chevelure noire qui pendait derriere lui allait se meler a la queue de son cheval. Il etait bien assis, sur une selle espagnole, sa lance, posee sur l'etrier et reposant legerement contre son bras droit. Son bras gauche etait passe dans les brassards d'un bouclier blanc, et un carquois plein de fleches emplumees se balancait sur son epaule. C'etait un magnifique spectacle que de voir ce cheval et ce cavalier se detachant sur le fond vert de la prairie; un tableau qui rappelait plutot un des heros d'Homere qu'un sauvage de l'Ouest.

– Wagh! s'ecria un des chasseurs a voix basse, comme ca brille! regarde cette coiffure, c'est comme une braise.

– Oui, repliqua Garey, nous pouvons remercier ce morceau de metal. Nous serions dans la nasse ou il est maintenant, si nous ne l'avions pas apercu a temps. Mais, continua le trappeur, sa voix prenant un accent d'exclamation, Dacoma! par l'Eternel c'est Dacoma, le second chef des Navajoes!

Je me tournai vers Seguin pour voir l'effet de cette annonce. Le Maricopa etait penche vers lui et lui parlait a voix basse, dans une langue inconnue, en gesticulant avec energie. Je saisis le nom de Dacoma prononce, avec une expression de haine feroce, par le chef indien qui, au meme instant, montrait le cavalier qui avancait toujours.

– Eh bien, alors, repartit Seguin, paraissant ceder aux voeux de l'autre, nous ne le laisserons pas echapper, qu'il voie ou non nos traces. Mais ne faites pas usage de votre fusil; les Indiens ne sont pas a plus de dix milles d'ici; ils sont encore la-bas, derriere ce pli de terrain. Nous pourrons aisement l'entourer; si nous le manquons de cette facon, je me charge de l'atteindre avec mon cheval et en voici encore un autre qui le gagnera de vitesse.

Seguin, en disant ces derniers mots, indiquait Moro.

– Silence, continua-t-il, baissant la voix. Ssschht!

Il se fit un silence de mort. Chacun pressait son cheval entre ses genoux comme pour lui commander l'immobilite. Le Navajo avait atteint la limite du camp abandonne et inclinant vers la gauche, il galopait obliquement, ecartant les loups sur son passage. Il etait penche d'un cote, son regard cherchant a terre. Arrive en face de notre embuscade, il decouvrit l'objet de ses recherches, et degageant son pied de l'etrier, dirigea son cheval de maniere a passer aupres. Puis, sans retenir les renes, sans ralentir son allure, il se baissa jusqu'a ce que les plumes de son casque balayassent la terre et, ramassant l'arc, se remit immediatement en selle.

– Superbe! s'ecria le toreador.

– Par le diable! c'est dommage de le tuer, murmura un chasseur; et un sourd murmure d'admiration se fit entendre au milieu de tous ces hommes.

Apres quelque temps de galop, l'Indien fit brusquement volte-face et il etait sur le point de repartir, quand son regard fut attire par le crane sanglant du Yamparico. Sous la secousse des renes, son cheval ploya les jarrets jusqu'a terre, et l'Indien resta immobile, considerant le corps avec surprise.

– Superbe! superbe! s'ecria encore Sanchez. Caramba, il est superbe!

C'etait en effet un des plus beaux tableaux que l'on put voir. Le cheval avec sa queue etalee a terre, la criniere herissee et les naseaux fumants, fremissant de tout son corps sous le geste de son intrepide cavalier; le cavalier lui-meme avec son casque brillant, aux plumes ondoyantes, sa peau bronzee, son port ferme et gracieux et l'oeil fixe sur l'objet qui causait son etonnement.

C'etait, comme Sanchez l'avait dit, un magnifique tableau, une statue vivante, et nous etions tous frappes d'admiration en le regardant. Pas un de nous, a une exception pres cependant, n'aurait voulu tirer le coup destine a jeter cette statue en bas de son piedestal. Le cheval et l'homme resterent quelques moments dans cette attitude. Puis la figure du cavalier changea tout a coup d'expression. Il jeta autour de lui un regard inquisiteur et presque effraye. Ses yeux s'arreterent sur l'eau encore troublee par suite du pietinement de nos chevaux. Un coup d'oeil lui suffit; et, sous une nouvelle secousse de la bride, le cheval se releva et partit au galop a travers la prairie. Au meme instant, le signal de charger nous etait donne et, nous elancant en avant, nous sortions du fourre tous ensemble. Nous avions a traverser un petit ruisseau. Seguin etait a quelques pas devant; je vis son cheval butter, broncher sur la rive et tomber, sur le flanc, dans l'eau! Tous les autres franchirent l'obstacle. Je ne m'arretai pas pour regarder en arriere; la prise de l'Indien etait une question de vie ou de mort pour nous tous. J'enfoncai l'eperon vigoureusement, continuant la poursuite. Pendant quelque temps, nous galopames de front en groupe serre. Quant nous fumes au milieu de la plaine, nous vimes l'Indien, a peu pres a douze longueurs de cheval de nous, et nous nous apercumes avec inquietude qu'il conservait sa distance, si meme il ne gagnait pas un peu. Nous avions oublie l'etat de nos animaux: affaiblis par la diete, engourdis par un repos si prolonge dans le ravin, et, pour comble, sortant de boire avec exces.

La vitesse superieure de Moro me fit bientot prendre la tete de mes compagnons. Seul, El-Sol etait encore devant moi, je le vis preparer son lasso, le lancer et donner la secousse; mais le noeud revint frapper les flancs de son cheval: il avait manque son coup. Pendant qu'il rassemblait sa courroie, je le depassai et je pus lire sur sa figure l'expression du chagrin et du desappointement. Mon arabe s'echauffait a la poursuite, et j'eus bientot pris une grande avance sur mes camarades. Je me rapprochais de plus en plus du Navajo; bientot nous ne fumes plus qu'a une douzaine de pas l'un de l'autre. Je ne savais comment faire. Je tenais mon rifle a la main et j'aurais pu facilement tirer sur l'Indien par derriere, mais je me rappelais la recommandation de Seguin et nous etions encore plus pres de l'ennemi; je ne savais meme pas trop si nous n'etions pas deja en vue de la bande. Je n'osai donc faire feu. Me servirais-je de mon couteau? essaierais-je de desarconner mon ennemi avec la crosse de mon fusil? Pendant que je debattais en moi-meme cette question, Dacoma, regardant par-dessus son epaule, vit que j'etais seul pres de lui. Immediatement il fit volte-face et mettant sa lance en arret, vint sur moi au galop. Son cheval paraissait obeir a la voix et a la pression des genoux sans le secours des renes. A peine eus-je le temps de parer, avec mon fusil, le coup qui m'arrivait en pleine poitrine. Le fer, detourne, m'atteignit au bras et entama les chairs. Mon rifle, violemment choque par le bois de la lance, echappa de mes mains. La blessure, la secousse et la perte de mon arme m'avaient derange dans le maniement de mon cheval et il se passa quelques instants avant que je pusse saisir la bride pour le faire retourner. Mon antagoniste, lui, avait fait demi-tour aussitot, et je m'en apercus au sifflement d'une fleche qui me passa dans les cheveux au-dessus de l'oreille droite. Au moment ou je faisais face de nouveau, une autre fleche etait posee sur la corde, partait et me traversait le bras droit. L'exasperation me fit perdre toute prudence et, tirant un pistolet de mes fontes, je l'armai et galopai en avant. C'etait le seul moyen de preserver ma vie. Au meme moment, l'Indien laissant la son arc, se disposa a me charger encore avec sa lance, et se precipita a ma rencontre. J'etais decide a ne tirer qu'a coup sur et a bout portant.

Nous arrivions l'un sur l'autre au plein galop. Nos chevaux allaient se toucher; je visai, je pressai la detente… Le chien s'abattit avec un coup sec! Le fer de la lance brilla sous mes yeux: la pointe etait sur ma poitrine. Quelque chose me frappa violemment en plein visage. C'etait la courroie d'un lasso. Je vis le noeud s'abattre sur les epaules de l'Indien et descendre jusqu'a ses coudes: la courroie se tendit. Il y eut un cri terrible, une secousse dans tout le corps de mon adversaire; la lance tomba de ses mains; et, au meme instant, il etait precipite de sa selle, et restait etendu, sans mouvement, sur le sol. Son cheval heurta le mien avec une violence qui fit rouler les deux animaux sur le gazon. Renverse avec Moro, je fus presque aussitot sur pied. Tout cela s'etait passe en beaucoup moins de temps qu'il n'en faut pour le dire. En me relevant, je vis El-Sol qui se tenait, le couteau a la main, pres du Navajo garrotte par le noeud du lasso.

– Le cheval! le cheval! Assurez-vous du cheval! cria Seguin.

Et les chasseurs se precipiterent en foule a la poursuite du mustang, qui, la bride trainante, s'enfuyait a travers la prairie. Au bout de quelques minutes, l'animal etait pris au lasso, et ramene a la place qui avait failli etre consacree par ma tombe.

XXVIII
UN DINER A DEUX SERVICES

El-Sol, ai-je dit, se tenait debout aupres de l'Indien etendu a terre. Sa physionomie trahissait deux sentiments: la haine et le triomphe. Sa soeur arrivait en ce moment, au galop, et sautant en bas de son cheval, elle courut vers lui.

– Regarde, lui dit son frere, en montrant le chef Navajo; regarde le meurtrier de notre mere.

La jeune fille poussa une courte et vive exclamation; puis, tirant son couteau, elle se precipita sur le captif.

– Non, Luna! cria El-Sol, la tirant en arriere, non; nous ne sommes pas des assassins. Ce ne serait pas, d'ailleurs, une vengeance suffisante: il ne doit pas mourir encore. Nous le montrerons vivant aux femmes des Maricopas. Elles danseront la mamanchic autour du grand chef, du fier guerrier capture sans aucune blessure!

Ces derniers mots, prononces d'un ton meprisant, produisirent immediatement leur effet sur le Navajo.

– Chien de Coco! s'ecria-t-il en faisant un effort involontaire pour se debarrasser de ses liens. Chien de Coco! ligue avec les voleurs blancs. Chien!

– Ah! tu me reconnais. Dacoma? C'est bien…

– Chien! repeta encore le Navajo, l'interrompant.

Les mots sortaient en sifflant a travers ses dents serrees, tandis que son regard brillait d'une ferocite sauvage.

– C'est lui! c'est lui? cria Rube, accourant au galop. C'est lui! C'est un Indien aussi feroce qu'un couperet. Assommez-le! dechirez-le! echarpez-le a coups de lanieres; c'est un echappe de l'enfer: que l'enfer le reprenne!

– Voyons votre blessure, monsieur Haller, dit Seguin descendant de cheval, et s'approchant de moi non sans quelque inquietude, a ce qu'il me parut. Ou est-elle? dans les chairs' Il n'y a rien de grave, pourvu toutefois que la fleche ne soit pas empoisonnee. Je le crains. El-Sol! ici! vite, mon ami! Dites-moi si cette pointe n'a pas ete empoisonnee.

– Retirons-la d'abord, repondit le Maricopa, repondant a l'appel. Il ne faut pas perdre de temps pour cela.

La fleche me traversait le bras d'outre en outre. El-Sol prit a deux mains le bout emplume, cassa le bois pres de la plaie, puis, saisissant le dard du cote de la pointe, il le retira doucement de la blessure.

– Laissez saigner, dit-il, pendant que je vais examiner la pointe. Il ne semble pas que ce soit une fleche de guerre. Mais les Navajoes emploient un poison excessivement subtil. Heureusement j'ai le moyen de reconnaitre sa presence, et j'en possede l'antidote. En disant cela, il sortit de son sac une touffe de coton. Il essuya soigneusement le sang qui tachait la pointe. Il deboucha ensuite une petite fiole, et, versant quelques gouttes sur le metal, observa le resultat. J'attendais avec une vive anxiete. Seguin aussi paraissait inquiet; et comme je savais que ce dernier avait du souvent etre temoin des effets d'une fleche empoisonnee, j'etais peu rassure par l'inquietude qu'il manifestait en suivant l'operation. S'il craignait un danger, c'est que le danger devait etre reel.

– Monsieur Haller, dit enfin El-Sol, vous avez une heureuse chance. Je puis appeler cela une heureuse chance, car incontestablement votre antagoniste doit avoir dans son carquois des fleches moins inoffensives que celle-la. Laissez-moi voir, ajouta-t-il.

Et, soulevant le Navajo, il tira une autre fleche du carquois qui etait encore attache derriere le dos de l'Indien. Apres avoir renouvele l'epreuve, il s'ecria:

-Je vous le disais bien! Regardez celle-ci: verte comme du planton! Il en a tire deux; ou est l'autre? Camarades, aidez-moi a la trouver. Il ne faut pas laisser un pareil temoin derriere nous.

Quelques hommes descendirent de cheval et chercherent la fleche qui avait ete tiree la premiere. J'indiquai, autant que je le pus, la direction et la distance probable ou elle devait se trouver; un instant apres, elle etait ramassee. El-Sol la prit, et versa quelques gouttes de sa liqueur sur la pointe. Elle devint verte comme la precedente.

-Vous pouvez remercier vos patrons, monsieur Haller, dit le Coco, de ce que ce ne soit pas celle-ci qui ait traverse votre bras, car il aurait fallu toute la science du docteur Reichter, et la mienne, pour vous sauver. Mais qu'est-ce que cela? une autre blessure!.. Ah! il vous a touche a la premiere charge. Laissez-moi voir.

– Je pense que ce n'est qu'une simple egratignure.

– Nous sommes ici sous un climat terrible, monsieur Haller. J'ai vu des egratignures de ce genre tourner en blessures mortelles quand on n'en prenait pas un soin suffisant. Luna! un peu de coton, petite soeur! Je vais tacher de panser la votre de telle sorte que vous n'ayez a craindre aucun mauvais resultat. Je vous dois bien cela, car sans vous, monsieur, il m'aurait echappe.

– Mais sans vous, monsieur, il m'aurait tue.

– Ma foi, reprit le Coco en souriant, il est supposable que sans moi vous ne vous en seriez pas tire aussi bien. Votre arme vous a trahi… Ce n'est pas chose facile que de parer un coup de lance avec la crosse d'un fusil, et vous avez merveilleusement execute cette parade. Je ne m'etonne pas que vous ayez eu recours au pistolet a la deuxieme rencontre. J'en aurais fait autant, si je l'avais manque une seconde fois avec mon lasso. Mais nous avons ete favorises tous les deux. Il vous faudra porter votre bras en echarpe pendant un jour ou deux. Luna! votre echarpe!

– Non! dis-je, en voyant la jeune fille detacher une magnifique ceinture nouee autour de sa taille; non, je vous en prie, je trouverai autre chose.

– Tenez, monsieur, si cela peut convenir? dit le jeune trappeur Garey intervenant, je suis heureux de pouvoir vous l'offrir.

Garey en disant cela, tira un mouchoir de couleur de dessous sa blouse de chasse, et me le presenta.

– Vous etes bien bon; je vous remercie, repondis-je, bien que je comprisse en faveur de qui le mouchoir m'etait offert. Vous voudrez bien accepter ceci en retour?

Et je lui tendis un de mes petits revolvers; c'etait une arme qui, dans un pareil moment, et sur un pareil theatre, valait son poids de perles.

Le montagnard savait bien cela, et accepta avec reconnaissance le cadeau que je lui offrais. Mais quelque valeur qu'il put y attacher, je vis que le simple sourire qu'il recut d'un autre cote constituait a ses yeux une recompense plus precieuse encore, et je devinai que l'echarpe, a quelque prix que ce fut, changerait bientot de proprietaire. J'observais la physionomie d'El-Sol pour savoir s'il avait remarque et s'il approuvait tout ce petit manege. Aucun signe d'emotion n'apparut sur sa figure. Il etait occupe de mes blessures et les pansait avec une adresse qui eut fait la reputation d'un membre de l'Academie de medecine.

– Maintenant, dit-il quand il eut fini, vous serez en etat de rentrer en ligne dans une couple de jours au plus tard. Vous avez un mauvais mors, monsieur Haller, mais votre cheval est le meilleur que j'aie jamais vu. Je ne m'etonne pas que vous ayez refuse de le vendre.

Presque toute la conversation avait eu lieu en anglais. Le chef Coco parlait cette langue avec une admirable nettete et un accent des plus agreables. Il parlait francais, aussi, comme un Parisien; et c'etait ordinairement dans cette langue qu'il causait avec Seguin. J'en etais emerveille. Les hommes etaient remontes a cheval et avaient hate de regagner le camp. Nous mourions litteralement de faim; nous retournames sur nos pas pour reprendre le repas interrompu d'une facon si intempestive. A peu de distance du camp, nous mimes pied a terre, et, apres avoir attache nos chevaux a des piquets, au milieu de l'herbe, nous procedames a la recherche des debris de viande dont nous avions vu des quantites quelque temps auparavant. Un nouveau deboire nous etait reserve; pas un lambeau de viande ne restait! Les coyotes avaient profite de notre absence, et nous ne trouvions plus que des os entierement ronges. Les cotes et les cuisses des buffalos avaient ete nettoyees et grattees comme un couteau. La hideuse carcasse du Digger, elle-meme, etait reduite a l'etat de squelette!

– Bigre! s'ecria un des chasseurs; du loup maintenant, ou rien.

Et l'homme mit son fusil en joue.

– Arretez! cria Seguin voyant cela. Etes-vous fou, monsieur!

– Je ne crois pas, capitaine, repliqua le chasseur, relevant son fusil d'un air de mauvaise humeur. Il faut pourtant bien que nous mangions, je suppose. Je ne vois plus que des loups par ici; et comment les attraperons-nous sans tirer dessus?

Seguin ne repondit rien, et se contenta de montrer l'arc qu'El-Sol etait en train de bander.

– Oh! c'est juste; vous avez raison, capitaine; je vous demande pardon.

J'avais oublie ce morceau d'os.

Le Coco prit une fleche dans le carquois, en soumit la pointe a l'epreuve de sa liqueur. C'etait une fleche de chasse: il l'ajusta sur la corde, et l'envoya a travers le corps d'un loup blanc qui tomba mort sur le coup. Il retira sa fleche, l'essuya, et abattit un autre loup, puis un autre encore, et ainsi, jusqu'a ce que cinq ou six cadavres fussent etendus sur le sol.

– Tuez un coyote pendant que vous y etes, cria un des chasseurs. Des gentlemen comme nous doivent avoir au moins deux services a leur diner.

Tout le monde se mit a rire a cette saillie; El-Sol ne se fit pas prier, et ajouta un coyote aux victimes deja sacrifiees.

– Je crois que nous en aurons assez maintenant pour un repas, dit El-Sol, retirant la fleche et la replacant dans le carquois.

– Oui, reprit le farceur. S'il nous en faut d'autres, nous pourrons retourner a l'office. C'est un genre de viande qui gagne beaucoup a etre mangee fraiche.

– Tu as raison, camarade, dit un autre; pour ma part, j'ai toujours eu un gout particulier pour le loup blanc; je vas me regaler.

Les chasseurs, tout en riant des plaisanteries de leur camarade, avaient tire leurs couteaux brillants, et ils eurent bientot depouille les loups. L'adresse avec laquelle cette operation fut executee prouvait qu'elle n'avait rien de nouveau pour eux. La viande fut aussitot depecee, chacun prit son morceau et le fit rotir.

– Camarades! comment appellerez-vous cela? Boeuf ou mouton? demanda l'un d'eux qui commencait a manger.

– Du mouton-loup, pardieu! repondit-on.

– C'est ma foi un bon manger, tout de meme. La peau une fois otee, c'est tendre comme de l'ecureuil.

– Ca vous a un petit gout de chevre; ne trouvez-vous pas?

– Ca me rappelle plutot le chien.

– Ca n'est pas mauvais du tout; c'est meilleur que du boeuf maigre comme on en mange si souvent.

– Je le trouverais un peu meilleur si j'etais sur que celui que je mange n'a pas ete depouiller la carcasse qui est la sur le rocher.

Et l'homme montrait le squelette du Digger.

Cette idee etait horrible, et dans toute autre circonstance elle eut agi sur nous comme de l'emetique.

– Pouah! s'ecria un chasseur, vous m'avez presque souleve le coeur. J'allais gouter du coyote avant que vous ne parliez. Je ne peux plus maintenant, car je les ai vus flairer autour avant que nous n'allions la-bas.

– Dis donc, vieux gourmand, tu ne t'inquietes guere de ca toi.

Cette question s'adressait a Rube, qui etait serieusement occupe apres une cote, et qui ne fit aucune reponse.

– Lui? allons donc, dit un autre, repondant a sa place; Rube a mange plus d'un bon morceau dans son temps. N'est-ce pas, Rube?

– Oui, et si vous devez vivre dans la montagne aussi longtemps que l'Enfant, vous serez bien aise de n'avoir jamais a mordre dans une viande plus repugnante que la viande du loup; croyez-moi, mes petits amours.

– De la chair humaine, peut-etre?

– Oui, c'est ce que Rube veut dire.

– Garcons, dit Rube sans faire attention a la remarque, et paraissant de bonne humeur depuis que son appetit etait satisfait, quelle est la chose la plus desagreable, sans parler de la chair humaine, que chacun de vous ait jamais mangee?

-Eh bien, sans parler de la chair humaine, comme vous dites, repondit un des chasseurs, le rat musque est la plus detestable viande a laquelle j'aie mis la dent.

– J'ai mange tout cru un lievre nourri de sauge, dit un autre, et je n'ai jamais rien trouve d'aussi amer.

– Les hiboux ne valent pas grand-chose, ajouta un troisieme.

– J'ai mange du chince,15 continua un quatrieme, et je dois dire qu'il y a bien des choses qui sont meilleures.

– Carajo! s'ecria un Mexicain, et que dites-vous du singe? J'en ai fait ma nourriture pendant assez longtemps dans le Sud.

– Oh! je crois volontiers que le singe est une nourriture coriace; mais j'ai use mes dents apres du cuir sec de buffalo, et je vous prie de croire que ce n'etait pas tendre.

– L'Enfant, reprit Rube apres que chacun eut dit son mot, l'Enfant a mange de toutes les creatures que vous avez nommees, si ce n'est pourtant du singe. Il n'a pas mange de singe, parce qu'il n'y en a pas de ce cote-ci. Il ne vous dira pas si c'est coriace, si ca ne l'est pas, si c'est amer ou non; mais, une fois dans sa vie, le vieux negre a mange d'une vermine qui ne valait pas mieux, si elle valait autant.

– Qu'est-ce que c'etait, Rube? qu'est-ce que c'etait? demanderent-ils tous a la fois, curieux de savoir ce que le vieux chasseur pouvait avoir mange de plus repugnant que les viandes deja mentionnees.

– C'etait du vautour noir; voila ce que c'etait.

– Du vautour noir! repeterent-ils tous.

– Pas autre chose.

– Pouah? Ca ne devait pas sentir bon, si je ne me trompe.

– Ca passe tout ce que vous pouvez dire.

– Et quand avez-vous mange ce vautour, vieux camarade? demanda un des chasseurs, supposant bien qu'il devait y avoir quelque histoire relative a ce repas.

– Oui, conte-nous ca, Rube! conte-nous ca.

– Eh bien, commenca Rube, apres un moment de silence, il y a a peu pres six ans de cela; j'avais ete laisse a pied, sur l'Arkansas, par les Rapahoes, a pres de deux cents milles au-dessus de la foret du Big. Les maudits gueux m'avaient pris mon cheval, mes peaux de castor et tout. He! he! continua l'orateur, avec un petit gloussement; he! he! ils croyaient bien en avoir fini avec le vieux Rube, en le laissant ainsi tout seul.

– S'ils l'ont fait, remarqua un chasseur, c'est qu'ils comptaient la-dessus. Eh bien, et le vautour?

– Ainsi donc j'etais depouille de tout: il ne me restait juste qu'un pantalon de peau, et j'etais a plus de deux cents milles de tout pays habite! Le fort de Bent etait l'endroit le plus proche: je pris cette direction.

Je n'ai jamais vu de ma vie de gibier aussi farouche. Si j'avais eu mes trappes, je lui en aurais fait voir des grises; mais il n'y avait pas une de ces betes, depuis les mineurs aquatiques jusqu'aux buffalos de la prairie, qui ne parut comprendre a quoi le pauvre negre en etait reduit. Pendant deux grands jours, je ne pus rien prendre que des lezards, et encore c'est a peine si j'en trouvais.

– Les lezards font un triste plat, remarqua un des auditeurs.

-Vous pouvez le dire. La graisse de ces jointures de cuisse vaut mieux, bien sur.

Et, en disant cela, Rube renouvelait ses attaques au mouton-loup.

– Je mangeai les jambes de mes culottes, jusqu'a ce que je fusse aussi nu que la Roche de Chimely.

– Cre nom! etait-ce en hiver?

– Non. Le temps etait doux et assez chaud pour qu'on put aller ainsi. Je ne me souciais guere de mes jambes de peau a cet endroit; mais j'aurais voulu en avoir plus longtemps a manger.

Le troisieme jour, je tombai sur une ville de rats des sables. Les cheveux du vieux negre etaient plus longs alors qu'ils ne sont aujourd'hui. J'en fis des collets, et j'attrapai pas mal de rats; mais ils devinrent farouches, eux aussi, les satanes animaux, et je dus renoncer a cette speculation. C'etait le troisieme jour depuis que j'avais ete plante la, et j'en avais au moins pour toute une grande semaine. Je commencai a croire qu'il etait temps pour l'Enfant de dire adieu a ce monde. Le soleil venait de se lever, et j'etais assis sur le bord de la riviere, quand je vis quelque chose de drole qui flottait sur l'eau. Quand ca s'approcha, je vis que c'etait la carcasse d'un petit buffalo qui commencait a se gater, et, dessus, une couple de vautours qui se regalaient a meme. Tout c'etait loin de la rive et l'eau etait profonde; mais je me dis que je l'amenerais a bord. Je ne fus pas long a me deshabiller, vous pensez. Un eclat de rire des chasseurs interrompit Rube.

15.Chinche, mouffette, sorte de fouine douee d'une telle puissance d'infection que son simple passage suffit a empoisonner un endroit clos pour un mois
Ograniczenie wiekowe:
12+
Data wydania na Litres:
28 września 2017
Objętość:
470 str. 1 ilustracja
Tłumacz:
Właściciel praw:
Public Domain

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