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Czytaj książkę: «A fond de cale», strona 11

Czcionka:

CHAPITRE XXXVI

Un odieux intrus

Je fus longtemps sans pouvoir m'endormir, j'étais préoccupé de la disparition mystérieuse de mon biscuit. Je dis mystérieuse, parce que j'étais convaincu de ne l'avoir pas mangé; il fallait s'expliquer le fait d'une autre manière. Je n'y pouvais rien comprendre; j'étais seul dans la cale; personne n'y pénétrait; qui donc aurait pu toucher à mon biscuit? Mais j'y pensais maintenant: et le crabe de mon rêve? peut-être avait-il existé. Je n'étais pas allé au fond de la mer, pas plus que je n'étais mort, je l'avais rêvé, c'était incontestable; mais ce n'était pas une raison pour que le reste de mon cauchemar fût un mensonge, et le crabe qui avait rampé sur moi, avait pu manger mon souper.

Ce n'était pas sa nourriture habituelle, je le savais bien; mais à fond de cale, et n'ayant pas de choix, il avait pu se nourrir de biscuit à défaut d'autre chose.

Ces réflexions, et la faim qui me dévorait, me tinrent éveillé pendant longtemps; je finis toutefois par m'endormir, mais d'un mauvais sommeil, d'où je me réveillais en sursaut toutes les quatre ou cinq minutes.

Dans l'un des intervalles où j'étais éveillé, il me sembla percevoir un bruit qui n'avait rien de commun avec tous ceux que j'entendais ordinairement. La mer était paisible, et ce bruit inaccoutumé, non-seulement résonnait au-dessus du murmure des vagues, mais se distinguait à merveille du tic tac de ma montre, qui n'avait jamais été plus sonore.

C'était un léger grattement, il était facile de s'en rendre compte, et il provenait du coin où gisaient mes bottines; quelque chose en grignotait le cuir; était-ce le crabe?

Cette pensée me réveilla tout à fait; je me mis sur mon séant; et l'oreille au guet, je me préparai à tomber sur le voleur; car j'avais maintenant la certitude que la créature que j'entendais, que ce fût un crabe ou non, était celle qui m'avait pris mon souper.

Le grignotement cessa, puis il revint plus fort; et certes il partait de mes bottines.

Je me levai tout doucement afin de saisir le coupable, dès que le bruit allait reprendre, car il avait cessé.

Mais j'eus beau retenir mon haleine, y mettre de la patience, rien ne se fit plus entendre. Je passai la main sur mes bottines, elles étaient à leur place; je cherchai dans le voisinage, tout s'y trouvait comme à l'ordinaire; je tâtonnai sur mon tapis, je fouillai dans tous les coins: pas le moindre vestige d'un animal quelconque.

Fort intrigué, comme on peut croire, je prêtai l'oreille pendant longtemps; mais le bruit mystérieux ne se renouvela pas, et je me rendormis pour me réveiller sans cesse, comme j'avais fait d'abord.

On gratta, on grignota de plus belle, et j'écoutai de nouveau. Plus que jamais j'étais certain que le bruit avait lieu dans mes bottines; mais, au moindre mouvement que j'essayais de faire, le bruit s'arrêtait, et je ne rencontrais que le vide.

«Ah! m'y voilà, me dis-je à moi-même; ce n'est pas un crabe; celui-ci a des allures trop lentes pour m'échapper aussi vite; cela ne peut être qu'une souris. Il est bizarre que je ne l'aie pas deviné plus tôt; c'est mon rêve qui m'a fourré le crabe dans la tête; sans cela j'aurais su tout de suite à quoi m'en tenir, et me serais épargné bien de l'inquiétude.»

Là-dessus je me recouchai, avec l'intention de me rendormir, et de ne plus me préoccuper de mon petit rongeur.

Mais à peine avais-je posé la tête sur le rouleau d'étoffe qui me servait de traversin, que les grignotements redoublèrent; la souris dévorait mon brodequin, et à l'ardeur qu'elle y mettait, le dommage ne tarderait pas à être sérieux. Bien que mes chaussures me fussent inutiles pour le moment, je ne pouvais pas permettre qu'on les rongeât de la sorte, et me levant tout à coup, je me précipitai sur la bête.

Je n'en touchai pas même la queue, mais je crus entendre que la fine créature s'esquivait en passant derrière la pipe d'eau-de-vie, qui laissait un vide entre sa paroi extérieure et les flancs du vaisseau.

Je tenais mes bottines, et je découvris avec chagrin que presque toute la tige en avait été rongée. Il fallait que la souris eût été bien active pour avoir fait tant de dégât en aussi peu de temps; car au moment où j'avais cherché mon biscuit, les bottines étaient encore intactes; et cela ne remontait pas à plus de quatre ou cinq heures. Peut-être plusieurs souris s'en étaient-elles mêlées; la chose était probable.

Autant pour n'être plus troublé dans mon sommeil que pour préserver mes chaussures d'une entière destruction, j'ôtai ces dernières de l'endroit où elles étaient, et, les plaçant auprès de ma tête, je les couvris d'un pan de l'étoffe sur laquelle j'étais couché; puis, cette opération faite, je me retournai pour dormir à mon aise.

Cette fois, j'étais plongé dans un profond sommeil, lorsque je fus réveillé par une singulière sensation: il me semblait que de petites pattes me couraient sur les jambes avec rapidité.

Réveillé complétement par cette impression désagréable, je n'en restai pas moins immobile, pour savoir si la chose se renouvellerait.

Je pensais bien que c'était ma souris qui cherchait mes bottines; et, sans en être plus content, je résolus de la laisser venir jusqu'à portée de mes doigts, sachant bien qu'il était inutile de courir après elle. Mon intention n'était pas même de la tuer; je voulais seulement lui pincer l'oreille ou la serrer un peu fort, de manière à lui ôter l'envie de venir m'importuner.

Il se passa longtemps sans que rien se fît sentir; mais à la fin j'espérai que ma patience allait être récompensée: un léger mouvement de la couverture annonçait que l'animal avait repris sa course, et je crus même entendre le frôlement de ses griffettes. La couverture s'ébranla davantage, quelque chose se trouva sur mes chevilles et bientôt sur ma cuisse. Il me sembla que c'était plus lourd qu'une souris; mais je ne pris pas le temps d'y penser, car c'était le moment, ou jamais, de s'emparer de l'animal. Mes mains s'abattirent, et mes doigts se refermèrent… quelle méprise, et quelle horreur!

Au lieu d'une petite souris, je rencontrai une bête de la grosseur d'un chaton; il n'y avait pas à s'y tromper, c'était un énorme rat.

CHAPITRE XXXVII

Réflexions

Oui, c'était bien un rat; le monstre ne me permit pas d'en douter; je l'avais reconnu à son poil fin et soyeux, dès que mes doigts l'avaient saisi, et l'affreuse créature s'empressa de confirmer ce témoignage; je n'avais pas eu le temps de rouvrir la main, que ses dents aiguës m'avaient traversé le pouce de part en part, et que son cri perçant m'avait rempli d'effroi.

Je lançai l'horrible bête à l'autre bout de ma cellule, je me blottis dans le coin opposé, afin de m'éloigner le plus possible de cet odieux visiteur, et j'écoutai, tout palpitant, s'il avait pris la fuite. Je l'entendis rien, d'où je conclus qu'il s'était caché dans son trou; il était sans doute aussi effrayé que moi, bien que ce fut difficile, et je crois même que de nous deux, c'était lui qui avait éprouvé le moins de terreur; la preuve, c'est qu'il avait pensé à me mordre, tandis que j'avais perdu toute ma présence d'esprit.

Dans ce combat rapide, c'était mon adversaire qui avait eu la victoire. À l'effroi qu'il m'avait causé, se joignait une blessure qui devenait de plus en plus douloureuse, et par où coulait mon sang.

J'aurais encore supporté ma défaite avec calme, en dépit de la douleur; mais ce qui me préoccupait, c'était de savoir si l'affreuse bête avait fui pour toujours, ou si, restant dans le voisinage, elle reviendrait à l'assaut.

L'idée qu'elle allait reparaître, furieuse qu'on l'eût arrêtée dans sa course, et enhardie par le succès, me causait un malaise indicible.

Cela vous étonne mais rien n'était plus vrai. Les rats m'ont toujours inspiré une profonde antipathie, je pourrais dire une peur instinctive. Ce sentiment était alors dans toute sa force; et bien que, depuis cette époque, je me sois trouvé en face d'animaux beaucoup plus redoutables, je ne me souviens pas d'avoir éprouvé une terreur pareille à celle que j'ai ressentie au contact du rat. Dans cette occasion, la crainte est mêlée de dégoût; cette crainte elle-même n'est pas dépourvue de sens: je connais bon nombre de cas authentiques où les rats ont attaqué des enfants, voire des hommes; et il est avéré que des blessés, des infirmes ou des vieillards ont été dévorés par ces hideux omnivores.

J'avais entendu raconter beaucoup de ces histoires dans mon enfance, et il était naturel qu'elles me revinssent à l'esprit au moment dont nous nous occupons. Je me souvenais de tous leurs détails, et ce n'était pas de la crainte, mais de la terreur que j'éprouvais. Il faut dire que celui dont je parle était l'un des rats les plus énormes qu'on pût trouver; je suis certain qu'il était aussi gros qu'un chat parvenu à moitié de sa croissance.

Dès que je fus un peu revenu de ma première émotion, je déchirai une petite bande de ma chemise pour en envelopper mon pouce. Il avait suffi de quelques minutes pour que la blessure me fît énormément souffrir; car la dent du rat n'est guère moins venimeuse que la queue du scorpion.

Je n'ai pas besoin d'ajouter qu'après cet épisode, il ne fut plus question de sommeil. Vers le matin je m'assoupis un instant, mais pour retomber dans le plus affreux cauchemar, où j'étais saisi à la gorge tantôt par un rat, tantôt par un crabe, dont les dents ou les pinces me réveillaient en sursaut.

Pendant tout le temps que je ne dormais pas, j'écoutais si l'ignoble bête faisait mine de revenir; mais elle ne donna aucun signe de sa présence pendant tout le reste de la nuit. Peut-être l'avais-je serrée plus fort que je ne croyais, et il était possible que cet empoignement héroïque suffît à l'éloigner de ma personne. J'en acceptai l'augure; et ce fut bien heureux pour moi que cet espoir me soutint, car, sans lui, j'aurais été longtemps sans dormir.

Il n'était plus besoin de chercher ce qu'était devenu mon biscuit; la présence du rongeur l'expliquait à merveille, ainsi que les ravages causés à ma bottine, et dont j'avais accusé la souris avec tant d'injustice. Le rat, pendant quelque temps, s'était donc repu autour de moi sans que j'en eusse connaissance.

Je n'avais plus qu'une seule et unique pensée: comment faire pour empêcher l'ennemi de revenir? Comment s'emparer de lui, ou tout au moins l'éloigner? J'aurais donné deux ans de mon existence pour avoir une ratière, un piége quelconque; mais puisque personne ne pouvait me fournir ce précieux engin, c'était à moi d'inventer quelque chose qui pût me délivrer de mon odieux voisinage. J'emploie ce mot à dessein, car j'étais persuadé que le rat n'était pas loin de ma cabine; peut-être avait-il son repaire à un mètre de ma couche; il logeait probablement sous la caisse de biscuit.

Toutefois, j'avais beau me mettre l'esprit à la torture, je ne trouvais pas le moyen de m'emparer de l'animal. Certes il était possible de le saisir de nouveau, en supposant qu'il revînt grimper sur moi; mais je n'étais pas d'humeur à le retrouver sous ma main. Je savais qu'en s'enfuyant il avait passé entre les deux tonneaux; je supposai que s'il devait revenir, ce serait par la même route; et il me sembla qu'en bouchant tous les autres passages, ce qui m'était facile avec mon étoffe de laine, il repasserait nécessairement par l'unique ouverture que je lui aurais ménagée. Une fois qu'il serait entré, je fermerais cette dernière issue, et mon rat se trouverait pris comme dans une souricière. Mais quelle sotte position pour moi! Je serais dans le même piége que le rat, et ne pourrais en finir avec lui que par un combat corps à corps. Le résultat de la lutte ne faisait pas l'ombre d'un doute; j'étais bien assez vigoureux pour étouffer la bête; mais au prix de combien de morsures? et celle que j'avais déjà me dégoûtait de l'entreprise.

Comment alors se passer de piége? telle était la question que je m'adressais au lieu de dormir; car la peur du rat m'empêchait de fermer l'œil.

J'y avais pensé toute la nuit, lorsque, n'en pouvant plus, je retombai dans cet assoupissement qui tient le milieu entre la veille et le sommeil; et je refis les plus mauvais rêves, sans que rien me suggérât une idée quelconque pour me débarrasser de l'ignoble bête qui me causait tant d'effroi.

CHAPITRE XXXVIII

Tout pour une ratière

Je ne tardai pas à me réveiller en pensant au rat, et sans pouvoir me rendormir. Il est vrai que la souffrance qui provenait de ma blessure était suffisante pour cela; non-seulement le pouce, mais toute la main était enflée, et me causait une douleur aiguë. Je n'avais pas autre chose à faire que de la supporter patiemment; et sachant que l'inflammation disparaîtrait peu à peu je fis un effort pour la subir avec courage. Parfois de grands maux s'endurent plus facilement qu'un ennui; c'était là mon histoire: la peur que le rat ne me fît une nouvelle visite me tourmentait d'une bien autre manière que ma blessure; et comme en absorbant mon attention, elle la détournait de celle-ci, j'avais presque oublié que mon pouce me faisait mal.

Dès mon réveil, je me remis à chercher le moyen de frapper mon persécuteur; j'étais sûr qu'il reviendrait me tourmenter, car j'avais de nouveaux indices de sa présence. La mer était toujours calme, et j'entendais de temps en temps des sons caractéristiques: un bruit de pattes légères trottinant sur le couvercle d'une caisse, et parfois un cri bref, strident, pareil à ceux que les rats ont l'habitude de pousser. Je ne connais pas de voix plus désagréable que celle du rat; dans la position où je me trouvais alors, cette voix me paraissait doublement déplaisante. Vous souriez de mes terreurs; mais je ne pouvais pas m'en délivrer; je pressentais que d'une manière ou d'une autre la présence de ce maudit rat mettait ma vie en danger; et vous verrez que cette crainte n'était pas chimérique.

Ce que je redoutais alors, c'était que le monstre ne m'attaquât pendant que je dormirais; tant que j'étais éveillé, je n'en avais pas grand'peur; il pouvait me mordre, voilà tout; je me défendrais, et il était impossible que dans la lutte je ne finisse pas par le tuer; mais penser que dans mon sommeil l'horrible bête pouvait me sauter à la gorge, c'était pour moi une torture incessante. Je ne pouvais pas toujours être sur le qui-vive; plus j'aurais veillé longtemps plus mon sommeil serait profond, et plus le danger serait grave. Pour m'endormir avec sécurité, il fallait avoir détruit mon rat; et c'est à en trouver le moyen que j'occupais toutes mes pensées.

Mais j'avais beau réfléchir, je ne voyais d'autre expédient que de tomber sur l'ennemi, et de l'étouffer entre mes mains. Si j'avais été sûr de le saisir à la gorge, de façon qu'il ne pût pas me mordre, je me serais décidé à l'étrangler. Mais c'était là le difficile; je ne pouvais, dans les ténèbres, que l'attaquer à l'aventure; et il en profiterait pour me déchirer à belles dents. Et puis j'avais le pouce dans un tel état que j'étais loin d'avoir la certitude de prendre ma bête, encore moins de l'écraser.

Je pensai au moyen de me protéger les doigts avec une paire de gants solides; je n'en avais pas: c'était inutile d'y songer.

Mais non; j'en eus bientôt la preuve: l'idée de la paire de gants m'en suggéra une autre; elle me rappela mes chaussures que j'avais oubliées. En me fourrant les mains dans mes bottines je serais à l'abri des dents tranchantes de mon rat, et quand je tiendrais ma bête sous la semelle, j'étais bien sûr de ne pas la lâcher qu'elle ne fût morte. Une fameuse idée que j'avais là, et je me disposai à la mettre à exécution.

Plaçant mes bottines à côté de moi, je me blottis auprès de l'issue par laquelle devait arriver l'animal; vous vous rappelez que j'avais eu soin de boucher tous les autres passages; au moment où le rat se présenterait dans ma cellule, je fermerais avec ma jaquette l'ouverture qu'il laisserait derrière lui; et me hâtant d'enfiler mes bottines, je frapperais comme un sourd jusqu'à ce que la besogne fût terminée.

On aurait dit que le rat, voulant me braver, s'empressait d'accepter le défi. Était-ce hardiesse de sa part, ou la fatalité qui l'entraînait à sa perte?

Toujours est-il que j'étais à peine en mesure de le recevoir, qu'un léger piétinement sur mon tapis, accompagné d'un petit éclat de voix bien reconnaissable, m'annonça que le rongeur avait quitté sa retraite, et qu'il était dans ma cellule. Je l'entendais courir; deux fois il me passa sur les jambes. Mais avant de faire attention à lui, je commençai par calfeutrer la seule issue qui lui restât pour fuir; et plantant mes bras dans les bottines, je me mis avec activité à la recherche de l'ennemi.

Comme je connaissais parfaitement la forme de ma cellule, et que les moindres anfractuosités m'en étaient familières, je ne tardai pas à rencontrer mon antagoniste. Je m'étais dit qu'une fois que je serais tombé sur une partie de son corps, j'aurais bientôt fait d'appliquer sur lui ma seconde semelle, et qu'il ne me resterait plus qu'à peser de toutes mes forces pour l'écraser. Tel était mon plan; mais si bon qu'il pût être, il ne me donna pas le résultat que j'espérais.

Je réussis bien à poser l'une de mes bottines sur le rat; mais l'étoffe moelleuse dont les plis nombreux tapissaient mon plancher céda sous la pression, et le monstre s'esquiva en poussant un cri que j'entends encore.

La première fois que je le sentis de nouveau il grimpait le long de ma jambe; et, ce que vous ne croirez pas, en dedans de mon pantalon!

Un frisson d'horreur me courut dans les veines; cependant, exaspéré de tant d'audace, je me débarrassai de mes bottines, qui ne pouvaient plus me servir, et je saisis le monstre à deux mains, juste au moment où il arrivait au genou. Je l'empêchai de monter plus haut, bien qu'il mît à se débattre une force qui m'étonna, et que ses cris perçants me causassent une impression des plus désagréables.

L'épaisseur de mon pantalon protégeait mes doigts contre de nouvelles morsures; mais le rat tourna ses dents contre ma jambe et m'en laboura les chairs tant qu'il lui resta la faculté de se mouvoir. Ce n'est que lorsque je fus parvenu à lui saisir la gorge, et à l'étrangler tout à fait, que je sentis la mâchoire de l'animai se détacher peu à peu, et que je compris que mon adversaire était mort.

Je lâchai bien vite le cadavre, et secouai la jambe pour le faire sortir de ma culotte; j'enlevai ma vareuse de l'ouverture où je l'avais mise, et je poussai le rat dans la direction qu'il avait prise pour venir.

Soulagé d'un poids énorme, depuis que j'avais la certitude de n'être plus troublé dans mon sommeil, je me disposai à dormir avec l'intention bien formelle de réparer la nuit précédente.

CHAPITRE XXXIX

Légion d'intrus

C'était une fausse sécurité que la mienne; je ne dormais pas depuis un quart d'heure, lorsque je fus réveillé brusquement par quelque chose qui me courait sur la poitrine. Était-ce un nouveau rat? Si ce n'en était pas un, l'animal en question avait les mêmes allures.

Je restai immobile et prêtai une oreille attentive; pas le moindre bruit ne se fit entendre. Avais-je rêvé? Non pas; car au moment où je me faisais cette question, je crus sentir de petites pattes sur la couverture, et bientôt sur ma cuisse.

Je me levai tout à coup, portai la main à la place où remuait la bête. – Nouvelle horreur! Je touchai un énorme rat, qui fit un bond, et que j'entendis s'enfuir entre les deux tonneaux.

Serait-ce le même par hasard? On m'avait raconté des histoires où certains rats avaient reparu après qu'on les avait enterrés. Mais il aurait fallu que le mien eût la vie terriblement dure; j'avais serré de manière à en étrangler dix comme lui; il était bien mort quand je l'avais rejeté dans son trou, et ce ne pouvait pas être le même.

Pourtant, si absurde que cela paraisse, je ne pouvais pas m'empêcher de croire, dans l'état d'assoupissement où je retombais malgré moi, que c'était bien mon rat qui était revenu. Une fois complétement réveillé, je compris que cela devait être impossible; il était plus probable que j'avais affaire au mâle ou à la femelle du précédent, car ils étaient fort bien assortis pour la grosseur.

Il cherche son compagnon, supposai-je; mais puisqu'il a suivi le même passage, il a trouvé le corps du défunt, et doit savoir à quoi s'en tenir. Venait-il pour venger celui qui n'est plus?

Cette pensée chassa complétement le sommeil de mes paupières. Pouvais-je dormir avec ce hideux animal rôdant autour de moi?

Quels que fussent ma fatigue et le besoin de dormir que m'eût donnés la veillée précédente, je ne pouvais avoir de repos qu'après m'être délivré de ce nouvel ennemi.

J'étais persuadé qu'il ne tarderait pas à reparaître, mes doigts n'avaient fait que lui toucher le poil, et comme il n'en avait ressenti aucun mal, il était presque certain qu'il reviendrait sans crainte.

Dans cette conviction je repris mon poste à l'entrée du passage, ma jaquette à la main, et l'oreille attentive, pour entendre le bruit des pas de l'animal, et pour lui couper la retraite dès qu'il serait arrivé.

Quelques minutes après, je distinguai la voix d'un rat qui murmurait au dehors, et des craquements particuliers, que j'avais déjà entendus. J'imaginai qu'ils étaient produits par le frottement d'une planche sur une caisse vide, ne supposant pas qu'une aussi petite bête pût faire un pareil vacarme. En outre il me semblait que l'animal parcourait ma cellule, et comme les bruits en question continuaient au dehors, il était impossible que mon rat en fût l'auteur, puisqu'il ne pouvait pas être à deux places à la fois.

Tout à coup il passa sur ma jambe, tandis que sa voix m'arrivait de l'extérieur; j'étais bien sûr de l'avoir senti; et cependant je ne bouchai pas l'ouverture, dans la crainte de lui fermer le passage.

À la fin j'entendis nettement pousser un cri à ma droite; il n'y avait pas à s'y tromper, l'animal était dans ma cabine, et sans plus attendre je calfeutrai l'issue près de laquelle j'étais à genoux.

Cette besogne accomplie, je me retournai pour frapper mon nouvel adversaire, après avoir ganté mes bottines, ainsi que j'avais fait la première fois. De plus j'avais pris soin de lier chacune des jambières de mon pantalon, afin d'empêcher le rat de s'y introduire, comme son prédécesseur.

Je ne trouvais aucun plaisir à ce genre de chasse; mais j'étais bien résolu à me délivrer de cette engeance, afin de me reposer sans inquiétude et de goûter le sommeil qui m'était si nécessaire.

À l'œuvre donc! et j'y fus bientôt avec courage. Mais horreur des horreurs! Figurez-vous mon effroi quand, au lieu d'un rat, je m'aperçus qu'il y en avait une légion dans ma cabine; mes mains ne retombaient pas sans en toucher plusieurs. Ils foisonnaient littéralement; je les sentais me courir sur les jambes, sur les bras, sur le dos, partout, en poussant des cris affreux qui semblaient me menacer.

Ma frayeur devint si vive que je faillis en perdre la tête. Je ne pensai plus à combattre, je ne savais plus ce que je faisais; toutefois j'eus l'instinct de déboucher l'ouverture qu'obstruait ma jaquette, et de frapper avec celle-ci dans toutes les directions, tandis que je criais de toute la puissance de ma voix.

La violence de mes coups et de mes clameurs produisit l'effet que j'en attendais: tous les rats prirent la fuite. Au bout de quelques instants, le bruit de leurs pas ayant cessé, je me hasardai à faire l'exploration des lieux, et je reconnus avec joie qu'il ne restait plus aucun de ces affreux animaux.