Czytaj książkę: «Caravane»
CARAVANE
Un roman de
Stephen Goldin
Traduction publiée par Tektime
Caravane Copyright 1975 Stephen Goldin. Tous droits réservés
Titre original: Caravan
Traduit par: Caroline Robert
TABLE DES MATIERES
Chapitre 1
Chapitre 2
Chapitre 3
Chapitre 4
Chapitre 5
Chapitre 6
Chapitre 7
Chapitre 8
Chapitre 9
Chapitre 10
Chapitre 11
Chapitre 12
A propos de Stephen Goldin
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CHAPITRE 1
WASHINGTON – Des réunions internationales concernant l'économie ont débuté lundi. Les prix plus élevés du pétrole et la menace d'une dépression mondiale ont provoqué morosité et désespoir.
H. Johannes Witteveen, directeur du Fonds Monétaire International, a prédit une récession et une inflation continues dans le monde, couplées de tensions financières sans précédent.
Le président de la Banque Mondiale, Robert S. McNamara, a prédit une importante famine dans les pays les plus pauvres du monde. Un milliard de personnes seraient concernées, à moins que les nations industrielles et exportatrices de pétrole leur offrent leur aide – ce que à quoi peu de pays semblent enclins.
Los Angeles Times
Mardi, 1er octobre 1974
* * *
Nous sommes au bord du précipice, mettant la gravité au défi de nous entraîner dans ce gouffre. Nous avons grimpé si haut que nous avons perdu de vue l'insupportable fond. Ce n'est pas aussi banal qu'une récession; même une dépression comme celle des années 1930 ferait pâle figure à côté. Au fond de l'abîme se trouve tout simplement la destruction totale de notre civilisation actuelle. La plupart d'entre nous ont le vertige et ont tout simplement détourné le regard...
Si vous grimpez en-haut d'une colline et que vous glissez, vous ne vous ferez probablement pas très mal. Une chute plus importante peut toutefois être fatale. Nous avons gravi la colline du Progrès au point où une chute nous réduirait en mille morceaux, comme un verre jeté du haut du Mont Everest...
Peter Stone
La Chute du Monde
* * *
Le panneau au-dessus du bureau indiquait « Poste de Contrôle de Granada Hills », mais cela ne cachait pas le fait que ce bâtiment était en fait un supermarché abandonné, aux abords d'un centre commercial désert. Les allées d'étagères vides témoignaient des temps obscurs auxquels la communauté avait été confrontée. En fait, ce bâtiment vide paraissait symboliser la Chute tout entière de la civilisation aux yeux de Peter. Le garde derrière le bureau le regarda avec suspicion. Peter n'y connaissait pas grand chose en armes, mais celle que portait le garde à l'épaule paraissait assez grande pour arrêter un troupeau d'éléphants enragés.
Peter toussa nerveusement et s'éclaircit la gorge. « Je...Je voudrais rejoindre votre communauté, si possible », dit-il. « J'ai trente-deux ans et je suis bon travailleur. Je sais faire presque tout ce qui est nécessaire. »
Le garde le jaugea, sceptique. « C'est quoi votre nom, déjà ?
« Peter Smith », mentit-il. Son vrai nom, Stone, avait acquis une mauvaise réputation ces dernières années et il ne le donnait plus. Il avait déjà assez de mal à ne pas se faire reconnaître sans sortir davantage du lot.
« Smith, hein ? Quelqu'un de Granada Hills peut se porter garant pour vous ?
« Euh, non, je viens juste d'arriver. Ces derniers mois, j'ai parcouru les routes à vélo, depuis San Francisco, et cet endroit avait l'air bien pour se poser. »
« Comment vont les choses là-bas ? »
« Mal », répondit Peter. « Tout va mal le long de la côte. D'après ce que j'ai vu, votre région semble encore assez stable. »
Le garde grogna. « Désolé, M. Smith, mais nous ne pouvons pas vous accepter ici. Nous avons déjà assez de gens sans avoir besoin d'accueillir des étrangers. Il y a beaucoup de gens prêts à travailler, mais les ressources sont limitées et nous ne pouvons pas nourrir tout le monde. Si vous voyez ce que je veux dire. »
« Bien sûr », acquiesça Peter. Il ne connaissait que trop bien l'histoire. « Dans ce cas, je me demandais si je pouvais acheter un peu de nourriture. J'ai de l'argent- »
« Granada Hills fait du troc jusqu'à ce que la question de l'argent soit réglée. Si vous n'avez rien à échanger, pas de chance. Vous avez des munitions, bougies, outils ou fils de cuivre ? »
Peter secoua la tête. « Et votre vélo ? On a toujours besoin d'un vélo supplémentaire. »
« Désolé, j'en ai besoin. A pied, ce n'est pas sûr. Le vélo m'offre au moins un petit avantage. » L'autre hocha la tête.
« Les temps sont durs, je sais. Je ne pensais jamais être témoin de ce qui nous arrive un jour. » « Écoutez, y a-t-il un endroit dans la région qui accepte de l'argent ? » Le soleil se couchait et Peter voulait s'arrêter quelque part avant la tombée de la nuit. Récemment, il avait vécu tant d'expériences effrayantes une fois la nuit tombée.
« Vous pouvez tenter San Fernando. J'ai entendu dire qu'ils acceptaient encore l'argent. Vous devriez faire attention, toutefois – c'est une bande de voyous. »
« Comment je peux m'y rendre ? »
« Prenez la rue là-bas, Balboa. Ensuite, allez vers le nord sur environ un mille , vers le Boulevard San Fernando, puis vers l'est sur deux milles. Vous ne pourrez pas le louper. »
« Merci. » Peter commença à pousser son vélo hors du supermarché.
« Bonne chance », lança le garde. « Je ne voudrais pas être un nomade pour tout l'or de Fort Knox. »
Pédalant distraitement, Peter se demanda s'il y avait encore de l'or à Fort Knox. Sans doute que oui car l'or ne valait pas le coup d'être volé en ce moment. Les gens avaient d'autres besoins plus urgents comme la nourriture, l'eau, le carburant et l'électricité. Quelque part, pensa-t-il, le gouvernement américain est peut-être en train d'essayer de faire comme si de rien n'était, surveillant cet or et cette richesse comme un dinosaure vierge gardant son nid d’œufs infertiles. Et s'ils pensent à la Chute, ils me rejettent probablement la faute – comme si je n'étais que le messager apportant les nouvelles du désastre. Être un oiseau de mauvaise augure n'est pas une carrière qui rapporte.
Alors qu'il pédalait le long du boulevard Balboa, Peter regarda autour de lui et essaya d'imaginer à quoi ressemblait le quartier il y a dix ans, avant la Chute. A sa gauche se trouvait un autre centre commercial et un grand bâtiment qui fut jadis un hôpital. Actuellement, il abritait plusieurs appartements. A sa droite se trouvaient des appartements jadis de luxe, mais à présent délabrés et laids. Des ordures qu'on ne pouvait pas brûler avaient été jetées sur le trottoir, émettant une odeur très déplaisante.
Il dépassa un autre supermarché abandonné en traversant Chatsworth Street et continua vers le nord. Il y avait des maisons des deux côtés, le genre d'habitations très populaires dans les communautés de banlieue de l'époque. Les pelouses avaient laissé place à des jardins avec de la laitue, des radis, des tomates et des melons. Les jardins étaient entourés de clôtures et certaines provenaient des séparateurs de voies d'autoroute. Un panneau Stop avait été planté dans l'un des jardins, habillé de loques pour en faire un épouvantail de fortune. Quelques maisons semblaient avoir été rasées au profit de champs de maïs. Les tiges vertes se mouvaient au gré du vent.
Des chiens erraient dans les rues et devant les maisons. Ils aboyèrent en le voyant passer, mais ne prirent pas la peine de lui courir après car il ne représentait aucun danger pour les jardins de leurs maîtres. On voyait aussi quelques chèvres et pas mal de poules, mais Peter ne voyait aucun chat. Les chats et les lapins serviraient sans doute de nourriture. Les animaux domestiques n'étaient plus un luxe qu'on pouvait se permettre. Les oiseaux aussi étaient rares. Nul doute que les enfants du voisinage s'entraînaient sur eux avec leurs lance-pierres.
Peter se demanda pourquoi il restait toujours dans les centres urbains. Les villes étaient des pièges, il le savait. Elles finiraient par s'écrouler sous leur propre poids, entraînant quiconque s'y trouvait dans leur chute. Le petit nombre de gens vivant à la campagne auraient les meilleures chances de survie, même s'ils seraient marqués, eux aussi. N'importe quelle personne sensée s'en rendrait compte et s'approprierait un bout de terre avant que le chaos total ne s'empare de la nation. Mais Peter était et avait toujours été un citadin et était attiré par les villes, même s'il savait qu'elles signeraient son arrêt de mort un jour.
Mon problème, pensa-t-il, est que je donne de bons conseils, mais comme tout le monde, je refuse de les suivre.
Peut-être avait-il été trop tard pour faire quoique ce soit il y a sept ans, à la sortie de son livre, La Chute du Monde, qui avait provoqué la controverse. Il avait déjà prédit la destruction de la civilisation à l'époque. La pénurie de matériaux était devenue notable dès le début des années 1970 et pourtant, les petites crises continuèrent à escalader sans qu'on ne prenne la moindre mesure pour les empêcher. La société se divisait, les groupes se battaient les uns contre les autres. L'humanité n'avait plus la cohésion nécessaire pour affronter les problèmes. L'inflation avait mis à mal l'économie et les gens avaient perdu confiance.
On avait écrit beaucoup de livres prédisant que les choses deviendraient critiques avant la fin du vingtième siècle et ils avaient tous été rejetés pour leur caractère trop pessimiste par la plupart des gens. Ces derniers avaient gardé foi en l'humanité – humanité qui pourrait renaître de ses cendres tel un phénix. Puis, La Chute du Monde était sorti, apportant les arguments les plus effrayants à ce jour. Peter Stone, vingt-cinq ans à l'époque, prouva que la civilisation était destinée à s'effondrer deux ans plus tard, à moins que l'on ne prenne des mesures radicales sans plus attendre. Il avait même décrit ces mesures: euthanasie obligatoire, contraception obligatoire, redistribution immédiate de la richesse, décentralisation immédiate de la société, fin des logements unifamiliaux, fin de l'élevage d'animaux domestiques, déplacement forcé des gens pour une répartition plus juste de la population, rationnement strict des aliments et de l'eau, reprise gouvernementale totale de l'industrie, contrôle gouvernemental total des transports, programme pour la culture et la colonisation des fonds marins.
A ses yeux, ce fut étonnant qu'il pût virtuellement antagoniser quatre-vingt-quinze pourcent du pays en un jour. Quelques intellectuels le qualifièrent comme « l'un des plus grands esprits de l'époque », mais la plupart des gens le considéraient comme « le maudit socialiste ». Certains étaient convaincus qu'il était le diable incarné alors qu'il ne disait que la vérité. Mais le livre s'était vendu à des millions d'exemplaires. C'était ironique, pensa Peter. Son livre serait l'un des derniers best-sellers. Peu après la vingtième réimpression de l'ouvrage, la plupart des imprimeurs firent grève.
Peut-être faisaient-ils toujours grève.
Il était devenu célèbre et riche et était apparu dans bon nombre de talk-shows afin d'expliquer son point de vue – que la civilisation, pas uniquement aux USA, mais dans le monde entier, était en train de s'effondrer. Il n'arrêtait pas de répéter aux gens que, lui non plus, n'aimait pas ses solutions, mais qu'il fallait des mesures drastiques pour éviter un sort encore plus funeste. Personne ne l'avait écouté. Ses ennemis le qualifiaient d'opportuniste qui se faisait de l'argent sur le dos du malheur du monde et qui profitait du désastre. Il était considéré comme un vilain, un radical, un traître.
Entre-temps, tout ce qu'il avait prédit avait fini par arriver. Des grèves des travailleurs municipaux provoquèrent l'effondrement des services de la ville. Les pénuries de carburant qu'il avait prédites devinrent d'autant plus importantes lors de la Guerre d'Israël qui dévasta quatre-vingt-treize pourcent des gisements de pétrole. Du jour au lendemain, le monde fit face à sa crise énergétique la plus importante. Sans électricité, les stations radio et les chaînes télé devinrent silencieuses les unes après les autres. Sans carburant, les camionneurs ne pouvaient plus livrer les marchandises et les matériaux de façon efficace. Les « Trois Piliers » énoncés par Peter dans son livre se détérioraient de jour en jour.
Peter tourna à droite, vers San Fernando Mission Boulevard et continua à pédaler. Des poteaux téléphoniques bordaient la route, mais la plupart avaient été abattus pour en faire du feu. En passant près des maisons, il aperçut de nombreuses personnes travailler dans leurs jardins. Elles continueraient sans doute leur petite routine jusqu'à ce qu'il n'y ait plus d'eau. Peter frissonna en pensant à la panique qui se créait lentement, prête à surgir tel un génie maléfique qui attendait le jour fatidique de sa libération.
Il traversa des passages souterrains et une grande route avant d'arriver à ce qui fut jadis un parc. Il faisait environ trois blocs de long et un bloc de large. On avait tenté d'y faire pousser du maïs, mais les gens qui s'y étaient installés avaient tout détruit. Le parc était rempli de vieilles voitures dans lesquelles les gens avaient installé des logements de fortune. Au début, Peter s'était demandé pourquoi ils s'étaient donnés cette peine car les logements étaient ce dont on manquait le moins. Et puis, il vit ce qu'il y avait de l'autre côté du parc.
C'était la mission de San Fernando, l'un des sanctuaires établis au dix-huitième siècle par le Père Junipero. Plus tard, on l'appela El Camino Real. En tant qu'église catholique, elle représentait l'une des rares organisations toujours en service aujourd'hui. La mission servait de point de distribution de nourriture pour les plus pauvres. Cette charité avait incité tous ces gens à s'installer dans le parc de l'autre côté de la rue.
Peter était mitigé par rapport aux églises. Il n'était pas croyant et avait tendance à ne pas leur faire confiance. Bien sûr, elles faisaient du beau boulot en distribuant de la nourriture et elles aidaient les gens à garder le moral. Alors que la situation empirait, les gens se tournaient de plus en plus vers la religion en guise de consolation. C'était bien, mais Peter ne pouvait s'empêcher de penser à comment l'église médiévale était devenue un monolithe abrutissant, encourageant la superstition et écrasant l'individualisme. Si l'humanité devait se relever, la liberté de penser serait une nécessité absolue. Peter craignait que les églises apportent un soutien à court terme et une oppression à long terme.
Peter s'arrêta devant la mission et descendit de son vélo. C'était sa meilleure option pour passer la nuit. Il pourrait avoir à manger et dormir, adossé à un mur. Les nuits pouvaient être fraîches à Los Angeles, mais elles n'étaient jamais insupportablement froides. A part de l'argent, l'une de ses seules possessions était la couverture dans son sac à dos. Elle suffirait à le garder au chaud cette nuit.
Il commença à pousser son vélo jusqu'à la mission lorsqu'il remarqua quelque chose dans une rue parallèle, à l'ouest du bâtiment. Un homme Noir, avec une moto, se faisait harceler par un groupe de jeunes Blancs.
« Je crois qu'il vient de Pacoima », dit l'un des voyous. « Il vient pour nous espionner, pour trouver nos points faibles. Ses potes et lui veulent sans doute nous piquer du carburant, cette nuit. Allez, mon beau, où t'as eu cette bécane ? »
Le Noir était jeune, grand et mince. Jadis, il avait peut-être été joueur de basket à la fac. Il portait un débardeur rouge, un pantalon bleu et un bandana rouge autour du front. Il avait un bouc noir et une moustache et il avait des cheveux courts, ondulés. Il arborait un air digne. « Touche à cette moto », lança-t-il, « et je graverai le Discours de Gettysburg sur tes jolies fesses blanches. » Sa voix était tellement calme qu'elle était à peine audible. Pourtant, on pouvait en ressentir une certaine autorité.
Le groupe fut surpris l'espace d'un instant, puis ils se mirent tous à rire nerveusement. Ils était en surnombre. Neuf contre un. « Tu te prends pour qui, le nègre, à venir ici et à nous donner des ordres ? » demanda le leader en se rapprochant. Le reste du groupe l'imita.
D'un geste rapide, l'étranger plongea sa main dans sa poche et en sortit un couteau à cran d'arrêt. Sa main décrivit de petits cercles devant lui, donnant l'illusion que le couteau flottait tout seul. « Ce sont pas des ordres », déclara-t-il. « Juste de bons conseils. »
Les voyous s'arrêtèrent. Les enjeux devenaient plus importants et ils ignoraient quoi faire. Le leader était dans la pire des positions – il ne voulait pas perdre la face devant ses potes. Alors, après avoir observé le couteau un instant, il mit la main à sa ceinture pour en sortir sa propre arme : une baïonnette fixée à un manche en bois. « Si tu veux jouer, alors jouons. Pas vrai, les gars ? » Encouragés par leur chef, les autres sortirent leurs couteaux.
Peter regarda autour de lui. Il n'y avait personne d'autre pour voir ce qui se passait ou alors, ils faisaient tous comme s'ils ne voyaient rien. Il se sentit soudain nauséeux et sa salive avait un goût acide. Il vérifia que son propre couteau fût accessible s'il en avait besoin.
La meute tournait autour de sa proie, mais avec moins de confiance que ce qu'on pourrait croire. La victime n'était pas un étranger sans défense, craignant leur harcèlement, mais un homme aux allures puissantes avec un couteau aiguisé, semblant savoir comment s'en servir. Le groupe se rapprocha prudemment.
Le Noir ne bougea pas, tournant lentement pour garder un œil sur les gens derrière lui. Il continuait à pointer son couteau vers la gorge du leader.
Ce dernier chargea en poussant un rugissement. Le Noir l'esquiva aisément et lui tordit le poignet sans effort apparent. Néanmoins, le leader se redressa et Peter aperçut une importante coupure au niveau de son oreille gauche. Il saignait abondamment. « Suivant, » rit le Noir.
Trois autres le chargèrent de toutes les directions. L'un reçut un coup de pied au niveau de l'entrejambe. Le deuxième fendit l'air lorsque sa victime l'esquiva et asséna un coup à la main du troisième. « Allez ! » cria le leader. « On est pas des poules mouillées ! Faisons-lui sa fête ! »
Ils s'élancèrent tous en même temps, preuve qu'ils respectaient grandement les aptitudes de leur victime. Le Noir avait une meilleur portée que la plupart d'entre eux et pouvait les tenir éloignés un moment grâce à ses coups de couteau. Mais il ne tiendrait pas éternellement.
Peter n'était pas un bon combattant, même s'il avait pu s'entraîner tout au long de l'année. D'habitude, il évitait les confrontations dès qu'il le pouvait, mais il ne pouvait pas ignorer ce qui se passait ici s'il ne voulait pas avoir mauvaise conscience. Dégainant son couteau, il s'élança.
Le groupe fut surpris par cette attaque et se figea un instant, donnant l'avantage nécessaire à Peter. Il mit l'un d'eux hors d'état de nuire en le poignardant juste sous les côtes. Il se tourna vers le prochain, le coupant juste au-dessus du sourcil. Du sang jaillit de la plaie jusque dans son œil, aveuglant l'homme qui croyait que son œil n'était plus. Il se laissa tomber au sol en criant.
Le Noir n'avait pas hésité. Son couteau les attaquait sans relâche, les forçant à adopter une position défensive. Mais maintenant qu'ils s'étaient remis de l'attaque surprise de Peter, ils lancèrent leur propre offensive.
Peter se retrouva face à deux grands types menaçants au regard meurtrier. Sans l'élément de surprise, les autres seraient sans doute de meilleurs combattants. Peter recula lentement jusqu'à se retrouver dos contre le mur de la mission. Les deux autres se rapprochèrent, des sourires machiavéliques aux lèvres.
Celui de gauche se jeta sur lui. Peter tenta de l'esquiver, mais ne fut pas assez rapide. Le couteau de l'agresseur lui entailla le haut du bras gauche, envoyant une vague de douleur à travers le corps de Peter. Le sang jaillit, tachant sa chemise, mais il n'avait pas le temps de s'en inquiéter. Il luttait pour sa vie.
Il se retrouvait en très mauvaise posture car son côté droit, et sa main tenant son couteau, se trouvait contre le mur. Il dut se baisser rapidement lorsque le second agresseur tenta de l'attaquer au niveau de la tête. La lame passa à moins d'un centimètre des cheveux de Peter.
Mais l'autre était à présent sans la moindre défense. Peter fonça sur lui et planta son couteau dans l'estomac de l'attaquant. L'homme émit un cri de douleur et glissa lentement au sol. Peter retira rapidement sa lame, tomba au sol et roula loin du premier attaquant qui revint vers lui.
Lorsqu'il se releva, il vit l'homme en face de lui légèrement accroupi. Ils se tournèrent autour un moment, puis l'autre chargea. Peter tenta de jouer les matadors en esquivant la charge et en parant son coup, mais il n'y parvint qu'à moitié. Le couteau de l'autre traversa sa chemise et égratigna ses côtes. Peter se retourna et recula à nouveau.
L'autre, le pensant à sa merci, chargea une nouvelle fois. Mais il n'eut pas le temps d'atteindre Peter car il laissa échapper un cri soudain et tomba en avant, un couteau planté dans la gorge.
Peter regarda autour de lui, évaluant le champ de bataille. Sept corps gisaient au sol, la plupart étaient en vie, mais grièvement blessés. Les deux membres du gang restants étaient en train de s'enfuir. Parmi ce carnage, l'homme noir admira calmement son travail.
Souriant à Peter, il s'approcha et retira son couteau de la gorge de sa dernière victime, l'essuya sur la chemise de l'homme et le remit dans sa poche. Puis, il se dirigea vers sa moto, prêt à partir.
« Hé ! », lança Peter. « Vous n'allez pas me remercier ? »
L'autre se retourna. « Merci ? Pourquoi ? D'avoir fait ce que n'importe qui avec un peu de jugeote aurait fait ? »
« Mais ce n'était pas n'importe qui. C'était moi. Et je saigne. »
Le Noir se pencha, attrapa le bras gauche de Peter et l'examina.
« C'est rien, mec. Juste une petite blessure qui va guérir, sauf si elle s'infecte. » Il marqua un temps d'arrêt alors qu'il eut une idée. « Tu vis par ici ? »
Peter secoua la tête.
« Oh, un nomade, hein ? » Peter détestait cette expression. Depuis la Chute, beaucoup de gens avaient quitté leur maison et erraient en cherchant un endroit meilleur que celui qu'ils avaient quitté. Le terme « nomade » avait surgi car ces personnes étaient décrites comme « en perpétuel mouvement ».
« Écoute », continua l'homme, « Est-ce que ça te plairait de t'installer quelque part de paisible, où on ne manque de rien et où tout le monde travaille main dans la main ? »
Peter l'observa avec circonspection. « Bien sûr, qui ne le voudrait pas ? Mais où trouverez-vous un endroit comme ça ? Dans votre jardin ? »
« Rigole pas, mec. C'était une question légitime. »
« Et j'ai dit oui. »
« C'est quoi, ton nom ? »
« Peter Smith. » Le mensonge était devenu un réflexe.
Le Noir tendit la main. « Kudjo Wilson. » Ils se frappèrent la paume de la main au lieu de la secouer. « Écoute, si tu veux vraiment quelque chose de mieux que tout ça », il désigna le parc rempli de vieilles voitures, « Je pense que tu devrais parler à mon homme. »
Peter haussa les épaules. « Je suppose que ça ne peut pas faire de mal. Où est-il ? »
« Il est à quelques milles d'ici. Si tu veux, tu peux monter derrière moi et je t'y emmènerai direct. »
Peter secoua la tête. « Désolé, mais j'ai un vélo et j'aimerais le garder. Et on ne peut pas l'emmener en moto. »
« T'as raison. » L'autre réfléchit un instant. « Voilà ce qu'on va faire. Je pars devant et je lui parle de toi. Il va passer par ici, de toute façon. Ou pas loin, en tout cas. Pourquoi ne pas l'attendre près de la route là-bas ? » Il désigna l'est. « C'est à quelques blocs d'ici. Attends simplement devant le pont, au sud. T'as une montre ? »
Peter secoua à nouveau la tête. « On me l'a volée il y a un mois et demi. »
« Quoiqu'il en soit, il sera là dans deux heures, mais il fera déjà nuit. Si ça te dérange pas. »
« Eh bien... », commença Peter.
« Sois là. » déclara l'autre. Il démarra sa moto. « On n'attendra pas. » Et il partit.
Tenant son bras gauche, Peter retourna à son vélo. Après ce combat, la mission n'était peut-être pas le meilleur endroit pour passer la nuit, au final. Les voyous pourraient revenir avec des potes pour se venger. Son estomac faisait des siennes car il n'avait rien avalé depuis le petit-déjeuner. Mais rester en vie était plus important qu'essayer d'obtenir une ration gratuite et se faire tuer dans son sommeil.
Il pédala vers l'est, le long du boulevard San Fernando jusqu'à arriver au pont mentionné par Kudjo Wilson. Le soleil venait de se coucher et le ciel devenait noir. Il s'arrêta au pont et leva les yeux. Devait-il croire aux paroles du Noir ? Il ne croyait plus aux contes de fées depuis longtemps et cette histoire ressemblait étrangement à un El Dorado moderne. Un endroit où régnait la paix et où on ne manquait de rien était rare et il n'aurait probablement pas d'autres invitations du genre. De plus, un homme noir pouvait-il avoir la clé d'Utopia ? Ça n'avait pas de sens. Si un tel endroit existait, que faisait Kudjo Wilson là-bas ?
Mais qu'avait-il à perdre ? Si c'était une embuscade, que pourraient-ils lui voler à part son vélo, une couverture et de l'argent inutile ? Il avait trop peu de possessions pour un plan aussi élaboré. De plus, Wilson aurait pu le voler tout à l'heure s'il l'avait voulu. Toute cette histoire était très déconcertante.
Peter posa son vélo contre la rampe, près du pont.
Il s'assit dans le noir et attendit. Il n'y avait plus de trafic sur l'autoroute à cause de la pénurie de carburant – on comptait peut-être deux voitures par heure et elles le dépassèrent sans même ralentir. Il se demanda si les gens qu'il attendait étaient déjà passés sans le voir ou s'ils allaient vraiment venir. Toute cette histoire était peut-être une farce gigantesque.
T'es qu'un crétin, se dit-il à lui-même. Écouter des histoires du Pays Imaginaire à ton âge. Tu achèterais probablement le Pont du Golden Gate si quelqu'un te l'offrait à cet instant. Mais il resta car il n'avait nulle part où aller.
Environ une heure plus tard, il vit des phares approcher. Ils se déplaçaient plus lentement que les voitures de tout à l'heure. Au fur et à mesure qu'ils approchaient, Peter distingua toute une file de voitures. Le véhicule de tête s'arrêta juste devant le pont et se gara sur le côté de la route. Les autres voitures firent pareil.
Une lumière l'éclaira depuis le toit de la voiture, aveuglante. « M. Smith ? » appela une voix inconnue.
« Oui, » répondit-il.
« Montez. On espérait vous trouver là. Vous avez faim ? »