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Les Français de Barcelone
— Ombres et lumières —
du XVe au XXe siècle
Crédits
Titre : Les Français de Barcelone
– Ombres et lumières – du XVe au XXe siècle
© Bienfaisance Barcelone
Coordination : M. Guillaume Horn
Photo de la page de couverture : Croisement de la Ronda San Pere et de la place Catalogne avec des voitures et des tramways, 1925, Archives Photographiques de Barcelone.
Photo de la page de titre : Fête en l’honneur de Jeanne d’Arc à la Chapelle Française de Barcelone, 1935, Archives Photographiques de Barcelone.
Design de couverture : Cristina Martínez Balmaceda – Pensódromo
ISBN print : 978-84-122116-2-7
ISBN ebook : 978-84-122116-5-8
Une production de Pensódromo, Barcelona
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TABLE DES MATIÈRES
1 Préface
2 Avant-propos
3 Partie 1. Une communauté restreinte ballottée entre deux pays (XVe-XIXe siècle)I. Des premiers Français de Barcelone au premier rattachement à la France (1450-1652)II. La progressive mise sous tutelle du Consulat par la France (1670-1789)III. Des bouleversements de la Révolution Française à la fin de la Guerre d’Indépendance (1789-1815)Résumé de la partie 1
4 Partie 2. Une communauté en expansion (1815-1918)I. La Barcelone française de la Première Révolution Industrielle et des sociétés de charité (1815-1850)II. Le paradoxe des années 1850-1870 : pauvreté ouvrière, développement économique et scissions internesIII. Les belles heures de la bourgeoisie industrielle française (1870-1900)IV. Des luttes d’influences culturelles et économiques à Barcelone à l’hécatombe de la Première Guerre Mondiale (1900-1918)Résumé de la partie 2
5 Partie 3. Une communauté entre deux guerres (1918-1944)I. La France remobilise les acteurs français de Barcelone déprimés par la Grande Guerre (1918-1936)II. La Guerre Civile et le difficile repositionnement politique de la France (1936-1939)III. Une Barcelone française moribonde divisée entre Vichy et Alger (1940-1944)Résumé de la partie 3
6 Conclusion – Des ruines tenaces (1944-1947)
7 Sources
8 Bibliographie (Liste non exhaustive)
9 Remerciements
PRÉFACE
Jamais jusque-là, un livre n’avait permis de donner un point de vue d’ensemble d’une colonie étrangère à Barcelone. C’est à la lecture de ces pages que je me suis rendu compte que j’ignorais tant sur cette communauté française. Grâce à ce livre, une part d’ombre est levée sur le passé de cette collectivité parmi les plus anciennes de Barcelone.
Sa lecture m’a permis de remémorer l’ensemble du legs matériel et du legs immatériel de ce qui s’appelait autrefois la Colonie française de Barcelone et de tous ces anonymes qui l’ont fait vivre.
Ce livre nous propose un voyage. Non tant parce que lire c’est voyager, comme le disait Victor Hugo, mais parce qu’à travers les succès et errements de cette communauté, nous ne pouvons nous empêcher de penser à son futur. Ce livre reste un formidable outil de réflexion sur le sens de l’Histoire. Sachons méditer sur ce passé sans en tirer de hâtifs jugements. Chacun devra faire la part des choses et se resituer dans le contexte des époques.
Chapelle Française, Consulat Général de France, Société Générale Française de Bienfaisance de Barcelone, Chambre de Commerce et d’Industrie Française de Barcelone, École Française Ferdinand de Lesseps, Cercle des Français, Anciens Combattants, Amis de l’Alsace, Lycée Français, Institut Français ont redonné vie à leurs archives pour vous offrir cet ouvrage qui espère préserver une grande partie de l’histoire de la présence française à Barcelone.
Au moment même où le Covid-19 frappe la population mondiale, triste rappel des antérieures pandémies, terrible mise en garde pour l’avenir, il faut savoir se pencher sur le passé pour s’en libérer, pour s’en démarquer et pour s’en inspirer. Ce livre nous offre l’occasion de comprendre certaines mentalités de l’époque, parfois condescendantes et ethnocentrées mais aussi empreintes de bonté et d’une croyance acharnée dans le progrès.
Il nous fait découvrir une Barcelone que nous ignorions.
En tant que Président de la Société Générale Française de Bienfaisance de Barcelone, la plus vieille association française de Barcelone, j’ai le plaisir d’être parvenu à réaliser un de mes rêves ; grâce à toutes celles et tous ceux qui ont participé à ce projet sur la mémoire des Français de Barcelone. Elle était en péril.
À présent, elle est préservée ; Qu’elle appartienne à tous, désormais !
Serge Bourgeois
Président de la Société Générale Française de Bienfaisance de Barcelone
AVANT-PROPOS
Que serait la communauté française de Barcelone sans la multitude d’acteurs institutionnels et associatifs qui l’ont forgée et qui continue encore de la faire vivre ? Presque 600 ans ont passé depuis les premières mentions explicites de Français faisant de Barcelone l’un de leurs plus anciens foyers de l’étranger. Beaucoup d’organisations françaises se sont depuis succédé, marquant à divers degrés, la vie de la communauté qu’elles incarnent. Mises bout à bout, elles esquissent une histoire cohérente et presque continue. Mieux, elles forment une mémoire : celle de tous les Français ayant vécu dans cette ville et, plus particulièrement, ceux qui, depuis plusieurs siècles, ont animé sa vie et ont laissé leur nom.
La communauté française de Barcelone ne prend la forme que nous lui connaissons actuellement que dans les années 1960-70. En partie, grâce à l’abnégation d’un noyau soudé de personnes déterminées à la préserver coûte que coûte. En presque 600 ans de présence, celle-ci n’a cessé d’évoluer. Pour preuve, alors qu’elle était la première au XIXe siècle, elle est aujourd’hui une parmi toutes les autres communautés étrangères qui s’y forment, notamment l’italienne. Par son rang de ville globale, Barcelone devient de plus en plus cosmopolite. Et pourtant, la communauté française continue à s’animer grâce à son réseau d’associations et d’institutions plus vivaces que par le passé.
Des publications ont déjà paru sur le thème des Français de Barcelone : dès 1949, Moreu-Rey s’y intéresse avec son article nommé « Barcelona y su colonia francesa a fines del siglo XVIII ». Plus récemment, Josep Montoya et Yves Coursonnier se sont penchés sur le thème (La Barcelona francesa et Histoire des Français à Barcelone). Cependant, si tous deux livrent des informations-clés pour comprendre ce que la ville doit aux Français, aucun d’eux ne connecte l’histoire de cette communauté à l’éventail, parfois très complexe, des associations et institutions françaises qui s’y sont succédé. C’est pourquoi est née l’idée de ce projet porté par l’ensemble des acteurs associatifs et institutionnels français de la ville. Pour certains, dans le souci de mieux comprendre leur passé et mémoire, pour d’autres, de mieux pouvoir se projeter. Il a pour ambition de montrer que beaucoup d’entre eux ont eu mille visages et plus d’une vie, telle la Société Générale de Bienfaisance qui n’est autre que la descendante directe de la Confrérie de Saint Louis ou encore le Consulat Général, héritier de l’ancien Consulat des marchands de la ville. Et que, parmi tous ces visages, bon nombre d’entre eux ont été modelés parfois avec violence, parfois par altruisme ou simplement par passion, au rythme des marteaux de la révolution industrielle, des navires de commerce du libre-échange et des drames de l’Histoire. Cet ouvrage se termine en 1947, année où s’éloigne progressivement l’idée de renverser la dernière dictature fasciste d’Europe. Pour les Français de Barcelone s’ouvre alors une longue période de recroquevillement.
Sans les actions passées et actuelles de la multitude d’acteurs qui la compose, la communauté française de Barcelone ne serait peut-être qu’un géant aux pieds d’argile que le moindre soubresaut politique ou économique ferait vaciller. Plus probablement, il n’y aurait aucun Français à Barcelone ou alors une minorité étroite de privilégiés dotés d’un sens aigu des affaires et de solides relations. Nous serions loin de l’image actuelle où, fonctionnaires, chefs d’entreprises, étudiants, employés et anonymes se côtoient. C’est grâce à leurs actions que, dès le XIXe siècle, la communauté française s’y développe et croît avec l’arrivée massive d’artisans, ouvriers, indigents et paysans, tous attirés par les lumières de la ville. C’est aussi grâce à leurs actions qu’elle se reforme à chaque fois que l’Histoire la frappe durement comme en 1814, en 1918 et en 1940. Parfois, elle se relève à l’initiative d’un seul homme comme le consul général de France Ferdinand de Lesseps, plus souvent de plusieurs comme MM. Cros, Achon, Forêt ou Bertrand. Mais, la communauté française surmonte la plupart des crises dès le XVIIe siècle grâce à l’appui décisif, et parfois oublié, de la France qui n’en demeurait pas moins intéressée à renforcer sa présence dans la péninsule. Plus qu’un voyage à travers le temps, c’est un voyage à travers toutes les associations et institutions que nous vous proposons. Des acteurs qui, souvent, ont fait l’Histoire et sans qui la Barcelone française n’existerait pas.
Les Français de Barcelone
– Ombres et lumières –
du XVe au XXe siècle
PARTIE 1 UNE COMMUNAUTÉ RESTREINTE BALLOTTÉE ENTRE DEUX PAYS (XVE-XIXE SIÈCLE)
I. Des premiers Français de Barcelone au premier rattachement à la France (1450-1652)
Des Français à Barcelone, il y en a en nombre depuis le XVe siècle. C’est ce que démontre le Livre des Épousailles des Archives de la Cathédrale de Barcelone dont le premier exemplaire nous apparaît en 1451. Mais ce n’est qu’à la fin du Moyen-Âge que l’élite de la petite communauté française de Barcelone, composée principalement de négociants et d’artisans, s’organise pour la première fois afin de resserrer les liens de solidarité entre Français de toutes conditions sociales comme c’était souvent le cas pour tout groupe d’intérêt dans la société féodale. Elle crée pour cela une confrérie dont le but avoué est d’aider les malades français et de couvrir les frais d’enterrement des plus démunis. C’est en référence à cette mission d’entraide que cette confrérie se place sous la protection du seul roi de France connu pour s’être mêlé aux plus nécessiteux : Saint Louis (XIIIe siècle). La confrérie prend ainsi le nom de « Confrérie de Saint Louis ». Mais son rôle ne se limite pas à cela et, peu à peu, elle organise les différentes fêtes religieuses pour les Français de la ville, sans oublier celle de Saint Louis, au mois d’août. Son rôle communautaire est en conséquence important. Seuls les Français, de lignée masculine, de troisième génération peuvent y entrer (Moreu-Rey, 1948).
C’est à la même période que le poste de consul apparaît. Mais, à la différence d’aujourd’hui, il est choisi parmi les marchands et doit défendre leurs intérêts auprès des autorités locales ; c’est-à-dire ceux des plus riches et des plus influents. L’office n’est en rien rattaché à l’État français. Il est même commun qu’il se transmette de père en fils ou s’acquiert par enchère.
Murailles médiévales de Barcelone, 2019.
La présence de Français à Barcelone, dès cette période, n’est pas étonnante car, contrairement aux idées reçues, les populations se mélangent et se déplacent au cours du Bas Moyen-Âge. Ces déplacements concernent des groupes spécialisés urbains comme les commerçants et artisans (Boucheron, Menjot, 2011). Le lien qu’entretient le sud de la France avec la Catalogne, surtout lors de son essor au XIIIe siècle, favorise l’implantation des Français. Leur nombre reste cependant très limité, loin derrière les puissants Génois. Une série d’évènements qui s’étirent sur deux siècles va pourtant contribuer à modifier la composition et l’image de la communauté française. Tout d’abord, au XIVe siècle, l’Europe est touchée par la peste. La crise de la dette qui frappe la cité comtale, à laquelle s’ajoute au cours du XVe siècle la guerre civile, n’arrange pas la situation. Démographiquement, la Catalogne n’a pas le temps de se relever. Les marchands se tournent donc vers Valence. C’est lorsque la région se pacifie enfin, à la fin du XVe siècle, suite à la Sentence de Guadalupe (1486), que la Catalogne connaît une très forte migration de Français. Ceux-ci cherchent autant à fuir la surpopulation des Pyrénées et la violence des rues provoquée par les guerres de religion du XVIe siècle qu’à profiter des avantages de la Sentence de Guadalupe ; celle-ci offre aux paysans le droit de vendre sans autorisation leur production sur le marché. Une première pour l’époque et une opportunité que des dizaines de milliers de Français ne veulent pas laisser passer (Poinard, 1988 ; Torres Sans, 2002).
Cette vague migratoire a d’importantes conséquences démographiques puisque, dans l’ensemble de la Catalogne sous Philippe II (entre 1540 et 1590), 1 homme sur 5 est Français (20 %). À Barcelone, il y en a tant qu’un cimetière leur est réservé, comme à Mataró, Sant Boi de Llobregat, Vilafranca del Penedès. Elle provoque aussi la paralysie de la Confrérie de Saint Louis qui n’arrive pas à prendre en charge tous les Français, souvent indigents, qui arrivent en ville. Ils doivent donc se tourner vers les hôpitaux de la ville qui se retrouvent submergés par le nombre de Français. En attestent les listes de patients de l’Hôpital de Santa Creu de Barcelone : alors qu’ils n’étaient qu’une infime minorité au XVe siècle (4,4 %), les Français représentent la moitié des patients entre 1540 et 1570 (Torres Sans, 2002).
Cette vague d’immigration nourrit un sentiment xénophobe à l’égard des Français. Des mesures sont prises dans l’ensemble de la Catalogne contre les Français. Les mariages mixtes sont interdits à Vic. À Igualada, devenus plus nombreux que les Catalans, il leur est interdit d’assister à l’assemblée municipale. À Barcelone, le nombre de Français tailleurs et couturiers est tellement important qu’on leur interdit l’accès aux hautes fonctions de leur corporation. Les troubadours français ont même remplacé les Catalans dans les petits et moyens centres urbains. Ce sentiment est attisé par le nombre de Français sans ressources, basculant dans le banditisme de grand chemin. L’Inquisition les poursuit durement et n’épargne même pas le consul français, Pierre Alguer, en 1584, qui est poursuivi pour avoir injurié un lieutenant. Dans Cataluña Ilustrada, Esteban de Corbera qualifie même les Français de
[…] servil de condición baja, que idolatran en el interés, y que por el fe aventura a qualquier trabajo, y ejercicio por vil, y abatido que sea [...] y se emplean en todo lo que imaginan les ha de ser de algún provecho. [...] son de ordinario los que cometen las violencias, y robos en los caminos, los incendios en las casas, los cautiverios y plagios en los hombres y niños, y otros muchos delitos.
Convocation pour le défilé de la Flagellation, 1802. Archives Diplomatiques de Nantes.
Une description loin d’être gratifiante et qui représente bien le mépris envers les Français perçus comme des profiteurs.
Ce mouvement de rejet des Français ne les empêche pas de s’intégrer peu à peu et cela rejaillit sur la Confrérie de Saint Louis. En 1615, la communauté française est invitée pour la première fois à participer au défilé de la Semaine Sainte, grâce aux efforts de son consul Pierre Ortiz qui aspire à mieux l’intégrer à la société catalane (Moreau, archives del Pi). Mais pour ce faire, elle doit reproduire la scène de la Flagellation du Christ nommée « Mystère de la Flagellation » (un Mystère est un ensemble de statues). C’est une représentation publique coûteuse mais très prestigieuse. La confrérie s’intègre alors à une autre confrérie, celle-ci catalane, qui regroupe l’ensemble des participants de la procession : la « Confrérie du Sang de Jésus Christ » en référence au sang versé par le Christ lors de son martyre et qui est connue pour s’occuper de l’enterrement des condamnés à mort. Elle y forme toutefois un groupe autonome qui obtient le droit de se réunir au Couvent des Cordeliers de Notre Dame de Jésus (actuel ferrocarril de la rue Aragón). En octobre 1616, les franciscains qui dirigent ce dernier mettent à la disposition de ce groupe un terrain sur le chemin de Gràcia où une chapelle dédiée à Saint Louis est édifiée. Le « Mystère de la Flagellation » y est déposé et entretenu. C’est autour d’une statue de Saint Louis que, tous les ans à la période de Pâques, les membres de la confrérie se retrouvent pour l’élection de leurs officiers. Ils s’y retrouvent également la veille de la Saint Louis. Ce lieu se transforme alors en premier centre catholique français (Moreau, archives del Pi).
Statuts de la Fraternité et Confrérie de la Nation Française de Barcelone, 1666. Archives Diplomatiques de Nantes
Un évènement de taille se produit quelques décennies plus tard : en 1635, les relations franco-espagnoles se dégradent considérablement avant d’être simplement rompues. La participation des Français à la procession n’étant pas encore une coutume établie, il est probable que les Français aient perdu le droit d’y faire acte de présence. La montée des tensions incite les autorités espagnoles à créer un organisme chargé de surveiller les Français du royaume afin de pouvoir éviter la fuite de matières premières ou manufacturées par la voie du commerce vers la France : la Junta de represalia de franceses. C’est dans cette optique qu’un recensement des Français de Barcelone est établi en 1637. En tout ce sont 1 297 pères de famille qui sont recensés, soit 5 190 personnes qui sont considérées comme françaises, fils de Français ou petit-fils de Français. À l’échelle de Barcelone cela représente environ 10 % de la population. Mais ce n’est pas la seule information qu’apporte le document. Pour s’assurer que certains Français présents ne soient pas des agents infiltrés il est également demandé la durée de résidence. Nous apprenons que près de 75 % des Français de la ville résident depuis au moins 20 ans et que 50 % d’entre eux ont moins de 15 ans. Les secteurs d’activité sont principalement ceux de l’artisanat. En tout premier lieu, le textile de la laine, le lin et la soie, viennent ensuite dans l’ordre d’importance ceux liés à la fabrication du pain (meunier, boulanger), de l’argile (potier, tuilier), des métaux (forgeron, serrurier), du bois (charpentier, menuisier) et de la viande et ses dérivés (boucher, cordonnier).
La deuxième catégorie importante est celle des journaliers, c’est-à-dire travaillant à la journée, souvent pour des artisans ou des laboureurs selon les besoins et la saison. Après eux viennent les transporteurs de marchandises maritimes et terrestres, ceux liés au monde agraire (horticulture, pâture) et enfin les taverniers ; en effet, pas moins de 62 pères de famille sont taverniers ! Une infime partie des Français de la ville se détache de cette masse : ceux ayant intégré ou ayant approché les hautes sphères. L’un d’entre eux est devenu portero real, un autre meunier des moulins royaux, un autre chargé du courrier du roi. Nous rencontrons également le premier étudiant français de la ville, un étudiant de philosophie. Une grande partie possède d’ailleurs plusieurs maisons (jusqu’à trois) et vit de leurs rentes. En somme, la communauté française de Barcelone en 1637 est très diversifiée socialement. Dans ce document il est également spécifié l’adresse de chaque propriétaire. Grâce aux travaux de Rizo Blasco Josep, nous avons pu retracer sur une carte la localisation approximative des propriétaires français. Il apparaît qu’une grande partie est implantée dans le quartier de San Pere et du Born. Mais en dehors de ces deux fortes concentrations la population française est plutôt éparpillée dans la ville.
Localisation des Français recensés par la Junta de Represalia en 1637.
Cependant, la situation se retourne brutalement lorsqu’en 1641 la Généralité proclame la République et rompt son allégeance à la monarchie arago-castillane. En prévision d’une très probable débâcle militaire face aux armées castillanes, les autorités catalanes prêtent allégeance au roi de France, Louis XIII. Ce dernier est donc couronné comte de Barcelone et souverain du Principat sous le nom de Louis Ier. La Catalogne devient pour la première fois française et plusieurs vice-rois français vont se succéder à sa tête. Parmi l’un des plus importants Philippe de la Mothe Houdancourt en poste de 1642 à 1645 puis de 1651 à 1652. Mais les complications s’accumulent peu à peu. Les Catalans pro-français veulent confisquer les biens des Catalans pro-espagnols qui ont fui pour mieux se les répartir. Par crainte de nourrir les jalousies entre ses partisans, Louis XIII décide de les distribuer aux seuls officiers français venus appuyer le mouvement. De plus, l’entrée de la Catalogne dans le royaume de France a entraîné l’arrivée de commerçants français et d’une importante concurrence. Le mécontentement augmente. C’est alors qu’en 1643, le fils de Louis XIII, Louis XIV, encore enfant, lui succède sous le nom de Louis II. Le jeune roi doit affronter la Fronde en France. La Catalogne n’est plus une priorité. En 1652, il rend la Catalogne et Barcelone à Philippe IV d’Espagne mettant fin au mandat de son dernier vice-roi. Ce retour dans le giron espagnol n’a semble-t-il pas de fortes répercussions sur les Français de la ville car la Confrérie de Saint Louis n’est pas remise en cause. Au contraire, alors qu’elle a probablement récupéré le droit de participer à la procession de la Semaine Sainte, lors de l’incorporation de la Catalogne à la France, elle est confortée dans sa position en 1658, lorsque la Confrérie du Sang de Jésus Christ décide de lui céder à perpétuité la partie du défilé de la Flagellation. Dès lors, le « Mystère de la Flagellation » prend le nom de Mystère des Français et, au fil du temps, un pouvoir surnaturel va lui être attribué, peut-être lié au don de guérison des rois de France (Moreau, Archives del Pi). Ceci incite les Français à revoir leur organisation. La Confrérie de Saint Louis, devenue à une date inconnue, Confrérie des Français, modifie ses statuts en 1666 et prend le nom de « Fraternité et Confrérie de la Nation Française » comme nous l’enseigne des documents conservés à Nantes. Elle est toujours placée sous la protection de Saint Louis dont la principale fonction est celle de garantir le repos des âmes des confrères. Cependant, ces changements vont au-delà de la modification du nom car c’est bel et bien la première communauté de solidarité qui est créée -d’où le nom de Fraternité-. Ses membres reçoivent des aides s’ils sont malades ; huit sous par jour. Les frais d’enterrement sont pris à charge en échange d’une cotisation annuelle de six pesetas. Seul bémol, ne pouvait en être membre que les personnes âgées de moins de 40 ans. Passé cet âge, il fallait démontrer une condition physique robuste. Ceci démontre que cette solidarité avait pour objectif d’éviter que des individus jeunes, avenir de la communauté, ne meurent brutalement laissant à l’abandon leur famille.
Extrait de la procession des Français de la ville, 1817. Archives de la Paroisse de Santa Maria del Pi. En tête, se trouve la Croix de guide. Elle est suivie d’individus portant de longues robes, celles-ci servent à masquer les prétendues chaînes qu’ils traînent. Eux-mêmes sont suivis d’un individu, noble, probablement le consul, accompagné d’un domestique qui porte la traînée de sa robe. Tous portent des torches. Jusqu’au XVIIe siècle, les flagellations étaient publiques. Au-delà, celles-ci passent dans la sphère privée et ne sont plus admises dans les processions.