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Czytaj książkę: «L'île mystérieuse», strona 36

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CHAPITRE V

Ainsi donc, tout s’expliquait par l’explosion sous-marine de cette torpille. Cyrus Smith, qui pendant la guerre de l’union avait eu l’occasion d’expérimenter ces terribles engins de destruction, ne pouvait s’y tromper. C’est sous l’action de ce cylindre, chargé d’une substance explosive, nitroglycérine, picrate ou autre matière de même nature, que l’eau du canal s’était soulevée comme une trombe, que le brick, foudroyé dans ses fonds, avait coulé instantanément, et c’est pourquoi il avait été impossible de le renflouer, tant les dégâts subis par sa coque avaient été considérables. À une torpille qui eût détruit une frégate cuirassée aussi facilement qu’une simple barque de pêche, le speedy n’avait pu résister!

Oui! Tout s’expliquait, tout… excepté la présence de cette torpille dans les eaux du canal!

«Mes amis, reprit alors Cyrus Smith, nous ne pouvons plus mettre en doute la présence d’un être mystérieux, d’un naufragé comme nous peut-être, abandonné sur notre île, et je le dis, afin qu’Ayrton soit au courant de ce qui s’est passé d’étrange depuis deux ans. Quel est ce bienfaisant inconnu dont l’intervention, si heureuse pour nous, s’est manifestée en maintes circonstances? Je ne puis l’imaginer. Quel intérêt a-t-il à agir ainsi, à se cacher après tant de services rendus? Je ne puis le comprendre. Mais ses services n’en sont pas moins réels, et de ceux que, seul, un homme disposant d’une puissance prodigieuse pouvait nous rendre. Ayrton est son obligé comme nous, car si c’est l’inconnu qui m’a sauvé des flots après la chute du ballon, c’est évidemment lui qui a écrit le document, qui a mis cette bouteille sur la route du canal et qui nous a fait connaître la situation de notre compagnon. J’ajouterai que cette caisse, si convenablement pourvue de tout ce qui nous manquait, c’est lui qui l’a conduite et échouée à la pointe de l’épave; que ce feu placé sur les hauteurs de l’île et qui vous a permis d’y atterrir, c’est lui qui l’a allumé; que ce grain de plomb trouvé dans le corps du pécari, c’est lui qui l’a tiré; que cette torpille qui a détruit le brick, c’est lui qui l’a immergée dans le canal; en un mot, que tout ces faits inexplicables, dont nous ne pouvions nous rendre compte, c’est à cet être mystérieux qu’ils sont dus. Donc, quel qu’il soit, naufragé ou exilé sur cette île, nous serions ingrats, si nous nous croyions dégagés de toute reconnaissance envers lui. Nous avons contracté une dette, et j’ai l’espoir que nous la payerons un jour.

– Vous avez raison de parler ainsi, mon cher Cyrus, répondit Gédéon Spilett. Oui, il y a un être, presque tout-puissant, caché dans quelque partie de l’île, et dont l’influence a été singulièrement utile pour notre colonie. J’ajouterai que cet inconnu me paraît disposer de moyens d’action qui tiendraient du surnaturel, si dans les faits de la vie pratique le surnaturel était acceptable. Est-ce lui qui se met en communication secrète avec nous par le puits de Granite-House, et a-t-il ainsi connaissance de tous nos projets? Est-ce lui qui nous a tendu cette bouteille, quand la pirogue a fait sa première excursion en mer? Est-ce lui qui a rejeté Top des eaux du lac et donné la mort au dugong? Est-ce lui, comme tout porte à le croire, qui vous a sauvé des flots, Cyrus, et cela dans des circonstances où tout autre qui n’eût été qu’un homme n’aurait pu agir? Si c’est lui, il possède donc une puissance qui le rend maître des éléments.»

L’observation du reporter était juste, et chacun le sentait bien.

«Oui, répondit Cyrus Smith, si l’intervention d’un être humain n’est plus douteuse pour nous, je conviens qu’il a à sa disposition des moyens d’action en dehors de ceux dont l’humanité dispose. Là est encore un mystère, mais si nous découvrons l’homme, le mystère se découvrira aussi. La question est donc celle-ci: devons-nous respecter l’incognito de cet être généreux ou devons-nous tout faire pour arriver jusqu’à lui? Quelle est votre opinion à cet égard?

– Mon opinion, répondit Pencroff, c’est que, quel qu’il soit, c’est un brave homme, et il a mon estime!

– Soit, reprit Cyrus Smith, mais cela n’est pas répondre, Pencroff.

– Mon maître, dit alors Nab, j’ai l’idée que nous pouvons chercher tant que nous voudrons le monsieur dont il s’agit, mais que nous ne le découvrirons que quand il lui plaira.

– Ce n’est pas bête, ce que tu dis là, Nab, répondit Pencroff.

– Je suis de l’avis de Nab, répondit Gédéon Spilett, mais ce n’est pas une raison pour ne point tenter l’aventure. Que nous trouvions ou que nous ne trouvions pas cet être mystérieux, nous aurons, au moins, rempli notre devoir envers lui.

– Et toi, mon enfant, donne-nous ton avis, dit l’ingénieur en se retournant vers Harbert.

– Ah! s’écria Harbert, dont le regard s’animait, je voudrais le remercier, celui qui vous a sauvé d’abord et qui nous a sauvés ensuite!

– Pas dégoûté, mon garçon, riposta Pencroff, et moi aussi, et nous tous! Je ne suis pas curieux, mais je donnerais bien un de mes yeux pour voir face à face ce particulier-là! Il me semble qu’il doit être beau, grand, fort, avec une belle barbe, des cheveux comme des rayons, et qu’il doit être couché sur des nuages, une grosse boule à la main!

– Eh mais, Pencroff, répondit Gédéon Spilett, c’est le portrait de Dieu le père que vous nous faites là!

– Possible, Monsieur Spilett, répliqua le marin, mais c’est ainsi que je me le figure!

– Et vous, Ayrton? demanda l’ingénieur.

– Monsieur Smith, répondit Ayrton, je ne puis guère vous donner mon avis en cette circonstance. Ce que vous ferez sera bien fait. Quand vous voudrez m’associer à vos recherches, je serai prêt à vous suivre.

– Je vous remercie, Ayrton, reprit Cyrus Smith, mais je voudrais une réponse plus directe à la demande que je vous ai faite. Vous êtes notre compagnon; vous vous êtes déjà plusieurs fois dévoué pour nous, et, comme tous ici, vous devez être consulté quand il s’agit de prendre quelque décision importante. Parlez donc.

– Monsieur Smith, répondit Ayrton, je pense que nous devons tout faire pour retrouver ce bienfaiteur inconnu. Peut-être est-il seul? Peut-être souffre-t-il? Peut-être est-ce une existence à renouveler? Moi aussi, vous l’avez dit, j’ai une dette de reconnaissance à lui payer. C’est lui, ce ne peut être que lui qui soit venu à l’île Tabor, qui y ait trouvé le misérable que vous avez connu, qui vous ait fait savoir qu’il y avait là un malheureux à sauver!… c’est donc grâce à lui que je suis redevenu un homme. Non, je ne l’oublierai jamais!

– C’est décidé, dit alors Cyrus Smith. Nous commencerons nos recherches le plus tôt possible. Nous ne laisserons pas une partie de l’île inexplorée. Nous la fouillerons jusque dans ses plus secrètes retraites, et que cet ami inconnu nous le pardonne en faveur de notre intention!»

Pendant quelques jours, les colons s’employèrent activement aux travaux de la fenaison et de la moisson. Avant de mettre à exécution leur projet d’explorer les parties encore inconnues de l’île, ils voulaient que toute indispensable besogne fût achevée. C’était aussi l’époque à laquelle se récoltaient les divers légumes provenant des plants de l’île Tabor. Tout était donc à emmagasiner, et, heureusement, la place ne manquait pas à Granite-House, où l’on aurait pu engranger toutes les richesses de l’île. Les produits de la colonie étaient là, méthodiquement rangés, et en lieu sûr, on peut le croire, autant à l’abri des bêtes que des hommes. Nulle humidité n’était à craindre au milieu de cet épais massif de granit.

Plusieurs des excavations naturelles situées dans le couloir supérieur furent agrandies ou évidées, soit au pic, soit à la mine, et Granite-House devint aussi un entrepôt général renfermant les approvisionnements, les munitions, les outils et ustensiles de rechange, en un mot tout le matériel de la colonie.

Quant aux canons provenant du brick, c’étaient de jolies pièces en acier fondu qui, sur les instances de Pencroff, furent hissés au moyen de caliornes et de grues jusqu’au palier même de Granite-House; des embrasures furent ménagées entre les fenêtres, et on put bientôt les voir allonger leur gueule luisante à travers la paroi granitique. De cette hauteur, ces bouches à feu commandaient véritablement toute la baie de l’union. C’était comme un petit Gibraltar, et tout navire qui se fût embossé au large de l’îlot eût été inévitablement exposé au feu de cette batterie aérienne.

«Monsieur Cyrus, dit un jour Pencroff, – c’était le 8 novembre, – à présent que cet armement est terminé, il faut pourtant bien que nous essayions la portée de nos pièces.

– Croyez-vous que cela soit utile? répondit l’ingénieur.

– C’est plus qu’utile, c’est nécessaire! Sans cela, comment connaître la distance à laquelle nous pouvons envoyer un de ces jolis boulets dont nous sommes approvisionnés?

– Essayons donc, Pencroff, répondit l’ingénieur. Toutefois, je pense que nous devons faire l’expérience en employant non la poudre ordinaire, dont je tiens à laisser l’approvisionnement intact, mais le pyroxile, qui ne nous manquera jamais.

– Ces canons-là pourront-ils supporter la déflagration du pyroxile? demanda le reporter, qui n’était pas moins désireux que Pencroff d’essayer l’artillerie de Granite-House.

– Je le crois. D’ailleurs, ajouta l’ingénieur, nous agirons prudemment.»

L’ingénieur avait lieu de penser que ces canons étaient de fabrication excellente, et il s’y connaissait. Faits en acier forgé, et se chargeant par la culasse, ils devaient, par là même, pouvoir supporter une charge considérable, et par conséquent avoir une portée énorme. En effet, au point de vue de l’effet utile, la trajectoire décrite par le boulet doit être aussi tendue que possible, et cette tension ne peut s’obtenir qu’à la condition que le projectile soit animé d’une très grande vitesse initiale.

«Or, dit Cyrus Smith à ses compagnons, la vitesse initiale est en raison de la quantité de poudre utilisée. Toute la question se réduit, dans la fabrication des pièces, à l’emploi d’un métal aussi résistant que possible, et l’acier est incontestablement celui de tous les métaux qui résiste le mieux. J’ai donc lieu de penser que nos canons supporteront sans risque l’expansion des gaz du pyroxile et donneront des résultats excellents.

– Nous en serons bien plus certains quand nous aurons essayé!» répondit Pencroff.

Il va sans dire que les quatre canons étaient en parfait état. Depuis qu’ils avaient été retirés de l’eau, le marin s’était donné la tâche de les astiquer consciencieusement. Que d’heures il avait passées à les frotter, à les graisser, à les polir, à nettoyer le mécanisme de l’obturateur, le verrou, la vis de pression! Et maintenant ces pièces étaient aussi brillantes que si elles eussent été à bord d’une frégate de la marine des États-Unis.

Ce jour-là donc, en présence de tout le personnel de la colonie, maître Jup et Top compris, les quatre canons furent successivement essayés. On les chargea avec du pyroxile, en tenant compte de sa puissance explosive, qui, on l’a dit, est quadruple de celle de la poudre ordinaire; le projectile qu’ils devaient lancer était cylindro-conique.

Pencroff, tenant la corde de l’étoupille, était prêt à faire feu. Sur un signe de Cyrus Smith, le coup partit. Le boulet, dirigé sur la mer, passa au-dessus de l’îlot et alla se perdre au large, à une distance qu’on ne put d’ailleurs apprécier avec exactitude.

Le second canon fut braqué sur les extrêmes roches de la pointe de l’épave, et le projectile, frappant une pierre aiguë à près de trois milles de Granite-House, la fit voler en éclats.

C’était Harbert qui avait braqué le canon et qui l’avait tiré, et il fut tout fier de son coup d’essai.

Il n’y eut que Pencroff à en être plus fier que lui! Un coup pareil, dont l’honneur revenait à son cher enfant!

Le troisième projectile, lancé, cette fois, sur les dunes qui formaient la côte supérieure de la baie de l’union, frappa le sable à une distance d’au moins quatre milles; puis, après avoir ricoché, il se perdit en mer dans un nuage d’écume.

Pour la quatrième pièce, Cyrus Smith força un peu la charge, afin d’en essayer l’extrême portée. Puis, chacun s’étant mis à l’écart pour le cas où elle aurait éclaté, l’étoupille fut enflammée au moyen d’une longue corde. Une violente détonation se fit entendre, mais la pièce avait résisté, et les colons, s’étant précipités à la fenêtre, purent voir le projectile écorner les roches du cap mandibule, à près de cinq milles de Granite-House, et disparaître dans le golfe du requin.

«Eh bien, Monsieur Cyrus, s’écria Pencroff, dont les hurrahs auraient pu rivaliser avec les détonations produites, qu’est-ce que vous dites de notre batterie? Tous les pirates du Pacifique n’ont qu’à se présenter devant Granite-House! Pas un n’y débarquera maintenant sans notre permission!

– Si vous m’en croyez, Pencroff, répondit l’ingénieur, mieux vaut n’en pas faire l’expérience.

– À propos, reprit le marin, et les six coquins qui rôdent dans l’île, qu’est-ce que nous en ferons? Est-ce que nous les laisserons courir nos forêts, nos champs, nos prairies? Ce sont de vrais jaguars, ces pirates-là, et il me semble que nous ne devons pas hésiter à les traiter comme tels? Qu’en pensez-vous, Ayrton?» ajouta Pencroff en se retournant vers son compagnon.

Ayrton hésita d’abord à répondre, et Cyrus Smith regretta que Pencroff lui eût un peu étourdiment posé cette question. Aussi fut-il fort ému, quand Ayrton répondit d’une voix humble:

«J’ai été un de ces jaguars, Monsieur Pencroff, et je n’ai pas le droit de parler…»

Et d’un pas lent il s’éloigna.

Pencroff avait compris.

«Satanée bête que je suis! s’écria-t-il. Pauvre Ayrton! Il a pourtant droit de parler ici autant que qui que ce soit!…

– Oui, dit Gédéon Spilett, mais sa réserve lui fait honneur, et il convient de respecter ce sentiment qu’il a de son triste passé.

– Entendu, Monsieur Spilett, répondit le marin, et on ne m’y reprendra plus! J’aimerais mieux avaler ma langue que de causer un chagrin à Ayrton! Mais revenons à la question. Il me semble que ces bandits n’ont droit à aucune pitié et que nous devons au plus tôt en débarrasser l’île.

– C’est bien votre avis, Pencroff? demanda l’ingénieur.

– Tout à fait mon avis.

– Et avant de les poursuivre sans merci, vous n’attendriez pas qu’ils eussent de nouveau fait acte d’hostilité contre nous?

– Ce qu’ils ont fait ne suffit donc pas? demanda Pencroff, qui ne comprenait rien à ces hésitations.

– Ils peuvent revenir à d’autres sentiments! dit Cyrus Smith, et peut-être se repentir…

– Se repentir, eux! s’écria le marin en levant les épaules.

– Pencroff, pense à Ayrton! dit alors Harbert, en prenant la main du marin. Il est redevenu un honnête homme!»

Pencroff regarda ses compagnons les uns après les autres. Il n’aurait jamais cru que sa proposition dût soulever une hésitation quelconque. Sa rude nature ne pouvait pas admettre que l’on transigeât avec les coquins qui avaient débarqué sur l’île, avec des complices de Bob Harvey, les assassins de l’équipage du speedy, et il les regardait comme des bêtes fauves qu’il fallait détruire sans hésitation et sans remords.

«Tiens! fit-il. J’ai tout le monde contre moi! Vous voulez faire de la générosité avec ces gueux-là! Soit. Puissions-nous ne pas nous en repentir!

– Quel danger courons-nous, dit Harbert, si nous avons soin de nous tenir sur nos gardes?

– Hum! fit le reporter, qui ne se prononçait pas trop. Ils sont six et bien armés. Que chacun d’eux s’embusque dans un coin et tire sur l’un de nous, ils seront bientôt maîtres de la colonie!

– Pourquoi ne l’ont-ils pas fait? répondit Harbert. Sans doute parce que leur intérêt n’était pas de le faire. D’ailleurs, nous sommes six aussi.

– Bon! Bon! répondit Pencroff, qu’aucun raisonnement n’eût pu convaincre. Laissons ces braves gens vaquer à leurs petites occupations, et ne songeons plus à eux!

– Allons, Pencroff, dit Nab, ne te fais pas si méchant que cela! Un de ces malheureux serait ici, devant toi, à bonne portée de ton fusil, que tu ne tirerais pas dessus…

– Je tirerais sur lui comme sur un chien enragé, Nab, répondit froidement Pencroff.

– Pencroff, dit alors l’ingénieur, vous avez souvent témoigné beaucoup de déférence à mes avis. Voulez-vous, dans cette circonstance, vous en rapporter encore à moi?

– Je ferai comme il vous plaira, Monsieur Smith, répondit le marin, qui n’était nullement convaincu.

– Eh bien, attendons, et n’attaquons que si nous sommes attaqués.»

Ainsi fut décidée la conduite à tenir vis-à-vis des pirates, bien que Pencroff n’en augurât rien de bon.

On ne les attaquerait pas, mais on se tiendrait sur ses gardes. Après tout, l’île était grande et fertile. Si quelque sentiment d’honnêteté leur était resté au fond de l’âme, ces misérables pouvaient peut-être s’amender. Leur intérêt bien entendu n’était-il pas, dans les conditions où ils avaient à vivre, de se refaire une vie nouvelle. En tout cas, ne fût-ce que par humanité, on devait attendre. Les colons n’auraient peut-être plus, comme auparavant, la facilité d’aller et de venir sans défiance.

Jusqu’alors ils n’avaient eu à se garder que des fauves, et maintenant six convicts, peut-être de la pire espèce, rôdaient sur leur île. C’était grave, sans doute, et c’eût été, pour des gens moins braves, la sécurité perdue.

N’importe! Dans le présent, les colons avaient raison contre Pencroff. Auraient-ils raison dans l’avenir? On le verrait.

CHAPITRE VI

Cependant, la grande préoccupation des colons était d’opérer cette exploration complète de l’île, qui avait été décidée, exploration qui aurait maintenant deux buts: découvrir d’abord l’être mystérieux dont l’existence n’était plus discutable, et, en même temps, reconnaître ce qu’étaient devenus les pirates, quelle retraite ils avaient choisie, quelle vie ils menaient et ce qu’on pouvait avoir à craindre de leur part.

Cyrus Smith désirait partir sans retard; mais, l’expédition devant durer plusieurs jours, il avait paru convenable de charger le chariot de divers effets de campement et d’ustensiles qui faciliteraient l’organisation des haltes. Or, en ce moment, un des onaggas, blessé à la jambe, ne pouvait être attelé; quelques jours de repos lui étaient nécessaires, et l’on crut pouvoir sans inconvénient remettre le départ d’une semaine, c’est-à-dire au 20 novembre. Le mois de novembre, sous cette latitude, correspond au mois de mai des zones boréales. On était donc dans la belle saison. Le soleil arrivait sur le tropique du Capricorne et donnait les plus longs jours de l’année. L’époque serait donc tout à fait favorable à l’expédition projetée, expédition qui, si elle n’atteignait pas son principal but, pouvait être féconde en découvertes, surtout au point de vue des productions naturelles, puisque Cyrus Smith se proposait d’explorer ces épaisses forêts du Far-West, qui s’étendaient jusqu’à l’extrémité de la presqu’île serpentine.

Pendant les neuf jours qui allaient précéder le départ, il fut convenu que l’on mettrait la main aux derniers travaux du plateau de Grande-vue.

Cependant, il était nécessaire qu’Ayrton retournât au corral, où les animaux domestiques réclamaient ses soins. On décida donc qu’il y passerait deux jours, et qu’il ne reviendrait à Granite-House qu’après avoir largement approvisionné les étables. Au moment où il allait partir, Cyrus Smith lui demanda s’il voulait que l’un d’eux l’accompagnât, lui faisant observer que l’île était moins sûre qu’autrefois.

Ayrton répondit que c’était inutile, qu’il suffirait à la besogne, et que, d’ailleurs, il ne craignait rien. Si quelque incident se produisait au corral ou dans les environs, il en préviendrait immédiatement les colons par un télégramme à l’adresse de Granite-House.

Ayrton partit donc le 9 dès l’aube, emmenant le chariot, attelé d’un seul onagga, et, deux heures après, le timbre électrique annonçait qu’il avait trouvé tout en ordre au corral.

Pendant ces deux jours, Cyrus Smith s’occupa d’exécuter un projet qui devait mettre définitivement Granite-House à l’abri de toute surprise. Il s’agissait de dissimuler absolument l’orifice supérieur de l’ancien déversoir, qui était déjà maçonné et à demi caché sous des herbes et des plantes, à l’angle sud du lac Grant. Rien n’était plus aisé, puisqu’il suffisait de surélever de deux à trois pieds le niveau des eaux du lac, sous lesquelles l’orifice serait alors complètement noyé.

Or, pour rehausser ce niveau, il n’y avait qu’à établir un barrage aux deux saignées faites au lac et par lesquelles s’alimentaient le creek glycérine et le creek de la grande-chute. Les colons furent conviés à ce travail, et les deux barrages, qui, d’ailleurs, n’excédaient pas sept à huit pieds en largeur sur trois de hauteur, furent dressés rapidement au moyen de quartiers de roches bien cimentés.

Ce travail achevé, il était impossible de soupçonner qu’à la pointe du lac existait un conduit souterrain par lequel se déversait autrefois le trop-plein des eaux.

Il va sans dire que la petite dérivation qui servait à l’alimentation du réservoir de Granite-House et à la manœuvre de l’ascenseur avait été soigneusement ménagée, et que l’eau ne manquerait en aucun cas.

L’ascenseur une fois relevé, cette sûre et confortable retraite défiait toute surprise ou coup de main.

Cet ouvrage avait été rapidement expédié, et Pencroff, Gédéon Spilett et Harbert trouvèrent le temps de pousser une pointe jusqu’à port-ballon.

Le marin était très désireux de savoir si la petite anse au fond de laquelle était mouillé le Bonadventure avait été visitée par les convicts.

«Précisément, fit-il observer, ces gentlemen ont pris terre sur la côte méridionale, et, s’ils ont suivi le littoral, il est à craindre qu’ils n’aient découvert le petit port, auquel cas je ne donnerais pas un demi-dollar de notre Bonadventure

Les appréhensions de Pencroff n’étaient pas sans quelque fondement, et une visite à port-ballon parut être fort opportune.

Le marin et ses compagnons partirent donc dans l’après-dînée du 10 novembre, et ils étaient bien armés. Pencroff, en glissant ostensiblement deux balles dans chaque canon de son fusil, secouait la tête, ce qui ne présageait rien de bon pour quiconque l’approcherait de trop près, «bête ou homme», dit-il.

Gédéon Spilett et Harbert prirent aussi leur fusil, et, vers trois heures, tous trois quittèrent Granite-House.

Nab les accompagna jusqu’au coude de la Mercy, et, après leur passage, il releva le pont. Il était convenu qu’un coup de fusil annoncerait le retour des colons, et que Nab, à ce signal, reviendrait rétablir la communication entre les deux berges de la rivière.

La petite troupe s’avança directement par la route du port vers la côte méridionale de l’île. Ce n’était qu’une distance de trois milles et demi, mais Gédéon Spilett et ses compagnons mirent deux heures à la franchir. Aussi, avaient-ils fouillé toute la lisière de la route, tant du côté de l’épaisse forêt que du côté du marais des tadornes. Ils ne trouvèrent aucune trace des fugitifs, qui, sans doute, n’étant pas encore fixés sur le nombre des colons et sur les moyens de défense dont ils disposaient, avaient dû gagner les portions les moins accessibles de l’île.

Pencroff, arrivé à port-ballon, vit avec une extrême satisfaction le Bonadventure tranquillement mouillé dans l’étroite crique. Du reste, port-ballon était si bien caché au milieu de ces hautes roches, que ni de la mer, ni de la terre, on ne pouvait le découvrir, à moins d’être dessus ou dedans.

«Allons, dit Pencroff, ces gredins ne sont pas encore venus ici. Les grandes herbes conviennent mieux aux reptiles, et c’est évidemment dans le Far-West que nous les retrouverons.

– Et c’est fort heureux, car s’ils avaient trouvé le Bonadventure, ajouta Harbert, ils s’en seraient emparés pour fuir, ce qui nous eût empêchés de retourner prochainement à l’île Tabor.

– En effet, répondit le reporter, il sera important d’y porter un document qui fasse connaître la situation de l’île Lincoln et la nouvelle résidence d’Ayrton, pour le cas où le yacht écossais viendrait le reprendre.

– Eh bien, le Bonadventure est toujours là, Monsieur Spilett! répliqua le marin. Son équipage et lui sont prêts à partir au premier signal!

– Je pense, Pencroff, que ce sera chose à faire dès que notre expédition dans l’île sera terminée. Il est possible, après tout, que cet inconnu, si nous parvenons à le trouver, en sache long et sur l’île Lincoln et sur l’île Tabor. N’oublions pas qu’il est l’auteur incontestable du document, et il sait peut-être à quoi s’en tenir sur le retour du yacht!

– Mille diables! s’écria Pencroff, qui ça peut-il bien être? Il nous connaît, ce personnage, et nous ne le connaissons pas! Si c’est un simple naufragé, pourquoi se cache-t-il? Nous sommes de braves gens, je suppose, et la société de braves gens n’est désagréable à personne! Est-il venu volontairement ici? Peut-il quitter l’île si cela lui plaît? Y est-il encore? N’y est-il plus?…»

En causant ainsi, Pencroff, Harbert et Gédéon Spilett s’étaient embarqués et parcouraient le pont du Bonadventure. Tout à coup, le marin, ayant examiné la bitte sur laquelle était tourné le câble de l’ancre:

«Ah! Par exemple! s’écria-t-il. Voilà qui est fort!

– Qu’y a-t-il, Pencroff? demanda le reporter.

– Il y a que ce n’est pas moi qui ai fait ce nœud!»

Et Pencroff montrait une corde qui amarrait le câble sur la bitte même, pour l’empêcher de déraper.

«Comment, ce n’est pas vous? demanda Gédéon Spilett.

– Non! J’en jurerais. Ceci est un nœud plat, et j’ai l’habitude de faire deux demi-clefs.

– Vous vous serez trompé, Pencroff.

– Je ne me suis pas trompé! Affirma le marin. On a ça dans la main, naturellement, et la main ne se trompe pas!

– Alors, les convicts seraient donc venus à bord? demanda Harbert.

– Je n’en sais rien, répondit Pencroff, mais ce qui est certain, c’est qu’on a levé l’ancre du Bonadventure et qu’on l’a mouillée de nouveau! Et tenez! Voilà une autre preuve. On a filé du câble de l’ancre, et sa garniture n’est plus au portage de l’écubier. Je vous répète qu’on s’est servi de notre embarcation!

– Mais si les convicts s’en étaient servis, ou ils l’auraient pillée, ou bien ils auraient fui…

– Fui!… où cela?… À l’île Tabor?… répliqua Pencroff! Croyez-vous donc qu’ils se seraient hasardés sur un bateau d’un aussi faible tonnage?

– Il faudrait, d’ailleurs, admettre qu’ils avaient connaissance de l’îlot, répondit le reporter.

– Quoi qu’il en soit, dit le marin, aussi vrai que je suis Bonadventure Pencroff, du Vineyard, notre Bonadventure a navigué sans nous!»

Le marin était tellement affirmatif que ni Gédéon Spilett ni Harbert ne purent contester son dire.

Il était évident que l’embarcation avait été déplacée, plus ou moins, depuis que Pencroff l’avait ramenée à port-ballon. Pour le marin, il n’y avait aucun doute que l’ancre n’eût été levée, puis ensuite renvoyée par le fond. Or, pourquoi ces deux manœuvres, si le bateau n’avait pas été employé à quelque expédition?

«Mais comment n’aurions-nous pas vu le Bonadventure passer au large de l’île? fit observer le reporter, qui tenait à formuler toutes les objections possibles.

– Eh! Monsieur Spilett, répondit le marin, il suffit de partir la nuit avec une bonne brise, et, en deux heures, on est hors de vue de l’île!

– Eh bien, reprit Gédéon Spilett, je le demande encore, dans quel but les convicts se seraient-ils servis du Bonadventure, et pourquoi, après s’en être servis, l’auraient-ils ramené au port?

– Eh! Monsieur Spilett, répondit le marin, mettons cela au nombre des choses inexplicables, et n’y pensons plus! L’important était que le Bonadventure fût là, et il y est. Malheureusement, si les convicts le prenaient une seconde fois, il pourrait bien ne plus se retrouver à sa place!

– Alors, Pencroff, dit Harbert, peut-être serait-il prudent de ramener le Bonadventure devant Granite-House?

– Oui et non, répondit Pencroff, ou plutôt non. L’embouchure de la Mercy est un mauvais endroit pour un bateau, et la mer y est dure.

– Mais en le halant sur le sable, jusqu’au pied même des cheminées?…

– Peut-être… oui…, répondit Pencroff. En tout cas, puisque nous devons quitter Granite-House pour une assez longue expédition, je crois que le Bonadventure sera plus en sûreté ici pendant notre absence, et que nous ferons bien de l’y laisser jusqu’à ce que l’île soit purgée de ces coquins.

– C’est aussi mon avis, dit le reporter. Au moins, en cas de mauvais temps, il ne sera pas exposé comme il le serait à l’embouchure de la Mercy.

– Mais si les convicts allaient de nouveau lui rendre visite! dit Harbert.

– Eh bien, mon garçon, répondit Pencroff, ne le retrouvant plus ici, ils auraient vite fait de le chercher du côté de Granite-House, et, pendant notre absence, rien ne les empêcherait de s’en emparer! Je pense donc, comme M Spilett, qu’il faut le laisser à port-ballon. Mais lorsque nous serons revenus, si nous n’avons pas débarrassé l’île de ces gredins-là, il sera prudent de ramener notre bateau à Granite-House jusqu’au moment où il n’aura plus à craindre aucune méchante visite.

– C’est convenu. En route!» dit le reporter.

Pencroff, Harbert et Gédéon Spilett, quand ils furent de retour à Granite-House, firent connaître à l’ingénieur ce qui s’était passé, et celui-ci approuva leurs dispositions pour le présent et pour l’avenir. Il promit même au marin d’étudier la portion du canal située entre l’îlot et la côte, afin de voir s’il ne serait pas possible d’y créer un port artificiel au moyen de barrages. De cette façon, le Bonadventure serait toujours à portée, sous les yeux des colons, et au besoin sous clé.

Le soir même, on envoya un télégramme à Ayrton pour le prier de ramener du corral une couple de chèvres que Nab voulait acclimater sur les prairies du plateau. Chose singulière, Ayrton n’accusa pas réception de la dépêche, ainsi qu’il avait l’habitude de le faire. Cela ne laissa pas d’étonner l’ingénieur. Mais il pouvait se faire qu’Ayrton ne fût pas en ce moment au corral, ou même qu’il fût en route pour revenir à Granite-House. En effet, deux jours s’étaient écoulés depuis son départ, et il avait été décidé que le 10 au soir, ou le 11 au plus tard, dès le matin, il serait de retour.

Ograniczenie wiekowe:
12+
Data wydania na Litres:
30 sierpnia 2016
Objętość:
760 str. 1 ilustracja
Właściciel praw:
Public Domain

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