Czytaj książkę: «Le Piège Zéro», strona 3

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CHAPITRE TROIS

Reid ouvrit la porte de leur maison qui se trouvait dans la banlieue d’Alexandria, en Virginie, tenant une boîte à pizza par-dessus la paume de sa main. Il saisit le code à six chiffres de l’alarme sur le panneau près de la porte d’entrée. Il avait fait améliorer le système de sécurité quelques semaines auparavant. Ce nouveau dispositif enverrait une alerte d’urgence à la fois au 911 et à la CIA si le code n’était pas correctement saisi dans les trente secondes après l’ouverture de n’importe quel point d’entrée dans la maison.

C’était l’une des nombreuses précautions prises par Reid depuis l’incident. Il y avait des caméras à présent, trois au total : une fixée par-dessus le garage et dirigée vers l’allée et la porte d’entrée, une cachée dans le projecteur de la porte arrière et une troisième à l’extérieur de la salle de crise du sous-sol, toutes disposant d’une bande d’enregistrement de vingt-quatre heures. Il avait également fait changer toutes les serrures de la maison, étant donné que leur ancien voisin à présent décédé, M. Thompson, avait la clé des portes avant et arrière et que ses clés avaient été emportées quand l’assassin Rais avait volé son véhicule.

Pour finir, et c’était peut-être le plus important, il y avait le dispositif de pistage qui avait été implanté dans chacune de ses filles. Aucune d’entre elles n’était au courant de ça, mais on leur avait fait une injection en leur disant qu’il s’agissait d’un vaccin contre la grippe. En réalité, on leur avait implanté un traceur GPS sous la peau du bras, plus petit qu’un grain de riz. Peu importe où elles se trouveraient dans le monde, un satellite le saurait. Cette idée était venue de l’Agent Strickland et Reid l’avait approuvée sans discuter. Le plus bizarre, c’était que malgré le coût exorbitant d’équiper deux civils avec la technologie de la CIA, le Directeur Adjoint Cartwright avait accepté sans même y réfléchir à deux fois.

Reid entra dans la cuisine et trouva Maya posée dans le salon adjacent, en train de regarder un film à la télé. Elle était allongée sur le côté, dans le canapé, toujours en pyjama, prenant toute la place en étendant ses jambes.

“Salut.” Reid posa la boîte à pizza sur le comptoir et enleva sa veste en tweed. “Je t’ai envoyé un SMS. Tu n’as pas répondu.”

“Mon téléphone est en train de charger à l’étage,” répondit paresseusement Maya.

“Il ne peut pas charger en bas ?” demanda-t-il sur un ton désapprobateur.

Elle se contenta d’hausser les épaules pour toute réponse.

“Où est ta sœur ?”

“En haut,” bâilla-t-elle. “Je suppose.”

Reid soupira. “Maya…”

“Elle est en haut, Papa. Je plaisante.”

Même s’il avait vraiment envie de la réprimander pour son attitude cynique de ces derniers temps, Reid retint sa langue. Il ne connaissait pas avec exactitude l’étendue de ce que chacune d’elles avait subi durant l’incident. Voilà comment il désignait la chose dans son esprit : “l’incident.” C’était la psychologue de Sara qui avait suggéré qu’il fallait un nom ou un moyen de faire référence aux événements quand ils parlaient, même s’il n’avait en fait jamais prononcé ce mot à haute voix.

En réalité, ils en parlaient à peine.

Aux dires des rapports des hôpitaux effectués à la fois en Pologne et lors d’un second examen, une fois rentrés au pays, ses filles avaient subi des blessures mineures, mais aucune d’elles n’avait été violée. Pourtant, il avait vu de ses propres yeux ce qui était arrivé à d’autres victimes du trafic. Il n’était pas sûr d’être prêt à entendre les détails de l’expérience qu’elles avaient vécu à cause de lui.

Reid monta les marches et s’arrêta un moment devant la porte de la chambre de Sara. Elle était à peine entrouverte, ce qui lui permit de jeter un œil dans la pièce. Il la vit allongée au-dessus de son couvre-lit, face au mur. Son bras droit reposait sur sa cuisse, encore enveloppé du plâtre beige à cause de son coude cassé. Elle avait rendez-vous le lendemain avec le médecin pour voir si on pourrait le lui enlever.

Reid poussa la porte tout doucement, mais elle grinça tout de même. Cependant, Sara ne bougea pas.

“Tu dors ?” demanda-t-il doucement.

“Non,” murmura-t-elle.

“Je, euh… J’ai pris une pizza à emporter.”

“Je n’ai pas faim,” répondit-elle froidement.

Elle n’avait pas mangé beaucoup depuis son retour. En fait, Reid devait constamment lui rappelait de boire, sans quoi elle ne consommerait rien du tout. Il comprenait mieux que quiconque à quel point il était difficile de survivre à un traumatisme, mais ça lui semblait différent. Plus grave.

La psychologue que Sara avait vue, Dr. Branson, était une femme patiente et compatissante qui lui avait été chaudement recommandée et qui était assermentée par la CIA. Pourtant, à en croire ses rapports, Sara parlait peu durant leurs séances de thérapie et répondait aux questions avec un minimum de mots possibles.

Il s’assit sur le bord de son lit et repoussa les cheveux de son front. Elle tressaillit légèrement à son contact.

“Est-ce que je peux faire quoi que ce soit ?” demanda-t-il à voix basse.

“Je veux juste être seule,” murmura-t-elle.

Il soupira en se relevant. “Je comprends,” dit-il sur un ton empathique. “Quand bien même, j’aimerais vraiment que tu descendes et que tu viennes t’asseoir avec nous, comme une famille. Tu pourrais peut-être essayer de manger un petit peu.”

Elle ne daigna même pas répondre.

Reid soupira à nouveau en redescendant les marches. Sara était clairement traumatisée. C’était encore plus dur de l’atteindre qu’avant, en février, quand les filles avaient dû fuir deux membres de l’organisation terroriste d’Amon sur un quai du New Jersey. Il avait pensé que ça allait mal à l’époque mais, à présent, toute joie avait quitté sa fille qui passait son temps à dormir ou à regarder dans le vide. Même si elle était présente physiquement, on aurait vraiment dit qu’elle était ailleurs.

En Croatie, en Slovaquie et en Pologne, il n’avait espéré qu’une chose : retrouver ses filles. Et maintenant qu’elles étaient rentrées chez eux saines et sauves, il voulait toujours les retrouver… mais dans un autre sens du terme. Il aurait voulu que les choses redeviennent comme elles étaient avant tout ça.

Dans la salle à manger, Maya était en train de disposer trois assiettes et gobelets en carton autour de la table. Il l’observa se verser un verre de soda, prendre une part de la pizza au pepperoni dans la boîte et mordre dedans.

Pendant qu’elle mâchait, il demanda, “Alors, est-ce que tu as réfléchi à la question de retourner en classe ?”

Sa mâchoire dessinait des ronds, pendant qu’elle le regardait. “Je crois que je ne suis pas encore prête,” dit-elle au bout d’un moment.

Reid acquiesça comme s’il était d’accord, alors qu’il pensait clairement que quatre semaines d’absence, c’était beaucoup et que reprendre de bonnes habitudes leur serait bénéfique. Aucune des deux n’avait repris le chemin de l’école depuis l’incident. Sara n’était clairement pas prête, mais Maya semblait apte à reprendre ses études. Elle était intelligente, presque trop d’ailleurs. Et même si elle allait encore au lycée, elle prenait déjà quelques cours chaque semaine à Georgetown. Ça aurait fière allure dans son cursus quand elle postulerait pour l’université et ça lui donnerait un beau coup de pouce pour obtenir son diplôme… mais seulement si elle allait jusque-là.

Elle se rendait quelques fois par semaine à la bibliothèque pour des sessions d’étude, ce qui était un bon début. Elle avait l’intention d’essayer de passer son examen final, afin de ne pas être larguée. Mais, aussi intelligente qu’elle soit, Reid doutait que ce soit suffisant.

Il essaya de choisir soigneusement ses mots avant de parler, “Il reste moins de deux mois de cours, mais je pense que tu es assez intelligente pour rattraper ton retard si tu y retournes maintenant.”

“Tu as raison,” dit-elle en prenant un nouveau morceau de pizza. “Je suis assez intelligente comme ça.”

Elle lui jeta un regard en coin. “Ce n’est pas ce que je voulais dire, Maya…”

“Oh, coucou Pouêt-Pouêt,” dit-elle soudain.

Reid leva les yeux de surprise, tandis que Sara entrait dans la pièce. Elle regardait au sol en s’avançant vers une chaise, comme un écureuil timide. Il aurait voulu dire quelque chose, offrir quelques mots d’encouragement ou simplement lui dire qu’il était content qu’elle se joigne à eux, mais il n’y parvint pas. C’était la première fois en au moins deux semaines, peut-être plus, qu’elle descendait dîner.

Maya mit une part de pizza dans une assiette, puis la tendit à sa sœur. Sara croqua un minuscule morceau de la part, presque imperceptible, ne levant les yeux vers aucun d’eux deux.

Reid se torturait l’esprit, cherchant quelque chose à dire, quelque chose qui pourrait faire de ce moment un dîner normal en famille au lieu de la situation tendue, silencieuse, douloureuse et inconfortable dans laquelle ils se trouvaient.

“Il s’est passé quoi de beau aujourd’hui ?” finit-il par dire, se reprochant immédiatement cette tentative maladroite.

Sara secoua la tête, fixant la table des yeux.

“J’ai regardé un documentaire sur les pingouins,” lança Maya.

“Tu as appris quelque chose de sympa ?” demanda-t-il.

“Pas vraiment.”

Et ce fut tout : le silence et la tension reprirent le dessus.

Dis quelque chose qui a du sens, lui criait son esprit. Apporte-leur ton soutien. Fais-leur savoir qu’elles peuvent s’ouvrir à toi à propos de ce qui s’est passé. Vous êtes tous les survivants d’un traumatisme. Survivez-y ensemble.

“Écoutez,” dit-il. “Je sais que ça n’a pas été facile ces derniers temps. Mais je veux que vous sachiez toutes les deux que vous pouvez me parler de ce qui s’est passé. Vous pouvez me poser des questions. Je serai honnête avec vous.”

“Papa…” Maya allait commencer à parler, mais il leva la main pour l’interrompre.

“S’il te plaît, c’est important pour moi,” dit-il. “Je suis là pour vous et je serai toujours là. Nous avons survécu à ça ensemble, tous les trois, et ça prouve que rien ne peut nous séparer…”

Il s’interrompit, le cœur brisé en voyant les larmes couler le long des joues de Sara. Elle regardait toujours la table en pleurant, sans un mot, avec un regard lointain qui semblait vouloir dire qu’elle n’était pas présente mentalement, ici, avec sa sœur et son père.

“Ma chérie, je suis désolé.” Reid se leva pour la prendre dans ses bras, mais Maya fut plus rapide que lui. Elle entoura sa petite sœur de ses bras, tandis que Sara sanglotait contre son épaule. Reid ne pouvait pas faire grand-chose d’autre que de rester debout, maladroitement, à regarder la scène. Aucun mot de réconfort ne sortit, la moindre expression d’empathie qu’il aurait pu offrir n’aurait été rien de plus qu’un placebo sur une blessure trop profonde.

Maya attrapa une serviette sur la table et tapota doucement les joues de sa sœur, écartant ses cheveux blonds de son front. “Hé,” dit-elle en chuchotant. “Pourquoi est-ce que tu ne monterais pas t’allonger un peu, hein ? Je viendrai te rejoindre très vite.”

Sara acquiesça en reniflant. Elle se leva de table sans un mot et disparut de la salle à manger pour se diriger vers l’escalier.

“Je ne voulais pas la perturber…”

Maya se tourna vers lui, mains sur les hanches. “Alors pourquoi est-ce que tu as parlé de ça ?”

“Parce qu’elle m’a à peine dit deux mots à ce sujet !” dit Reid pour se justifier. “Je veux qu’elle sache qu’elle peut me parler.”

“Elle n’a aucune envie de te parler de ça,” répliqua Maya. “Elle ne veut en parler à personne d’ailleurs !”

“Le Dr. Branson a dit que s’ouvrir sur un traumatisme passé est thérapeutique…”

Maya prit un ton ironique. “Et crois-tu que le Dr. Branson ait jamais vécu quoi que ce soit de similaire à ce que Sara a enduré ?”

Reid inspira profondément pour s’efforcer de rester calme et de ne pas créer de dispute. “Probablement pas. Mais elle s’occupe des agents de terrain de la CIA, du personnel militaire, de tous types de traumatismes et de syndromes dépressifs post-traumatiques…”

“Sara n’est pas un agent de la CIA,” répondit durement Maya. “Elle n’est pas un Béret Vert ou un Marine. C’est une fille de quatorze ans.” Elle passa sa main dans les cheveux en soupirant. “Tu sais quoi ? Tu veux parler de ce qui s’est passé ? Voilà ce qui s’est passé : nous avons vu le corps de M. Thompson, juste avant d’être kidnappées. Il gisait juste ici, dans l’entrée. Nous avons vu ce dingue trancher la gorge de cette femme à l’aire de repos. Il y avait son sang sur mes chaussures. Nous étions là quand les trafiquants ont tué une autre fille et ont abandonné son corps sur le gravier. Elle essayait de m’aider à libérer Sara. J’ai été droguée. Nous avons failli être violées toutes les deux. Et Sara, dieu sait comment, a trouvé la force de se battre contre deux hommes, dont l’un était armé. Puis, elle s’est jetée par la fenêtre d’un train en marche.” La poitrine de Maya se souleva quand elle eut fini, mais aucune larme ne coula de ses yeux.

Elle n’était pas bouleversée de revivre les événements d’il y a un mois. Elle était en colère.

Reid se laissa lentement tomber sur une chaise. Il était déjà au courant de la plupart des choses qu’elle venait de raconter, étant donné qu’il avait suivi leur piste pour les retrouver. Mais il ne savait absolument pas que l’une des filles avait été abattue devant elles. Maya avait raison. Sara n’avait pas été entraînée pour vivre ce genre de choses. Elle n’était même pas encore une adulte. C’était une adolescente qui avait vécu des choses que quiconque, entraîné ou non, trouverait traumatisantes.

“Quand tu es arrivé,” poursuivit Maya, parlant plus bas à présent, “quand tu as fini par nous retrouver, c’était comme si tu étais un super-héros ou un truc dans le genre. Au départ. Mais ensuite… quand nous avons pris le temps d’y réfléchir… nous avons réalisé que nous ne savons pas ce que tu nous cache d’autre. Nous ne savons pas vraiment qui tu es. Sais-tu à quel point c’est effrayant ?”

“Maya,” dit-il gentiment, “tu n’as aucune raison d’avoir peur de moi…”

“Tu as tué des gens.” Elle haussa les épaules. “Beaucoup de gens, pas vrai ?”

“Je…” Reid dut se rappeler qu’il ne fallait pas lui mentir. Il avait promis qu’il ne le ferait plus, s’il pouvait l’éviter. Aussi, il se contenta d’acquiescer.

“Alors tu n’es pas la personne que nous pensions que tu étais avant. Il va falloir du temps pour s’y habituer et il faut que tu l’acceptes.”

“Tu n’arrêtes pas de dire ‘nous,’” murmura Reid. “Elle te parle ?”

“Ouais. Parfois. Elle a dormi avec moi quasiment toute la semaine à cause de ses cauchemars.”

Reid soupira tristement. C’en était fini de la dynamique tranquille et agréable que leur petite famille avait appréciée autrefois. Il réalisait à présent que les choses avaient changé pour chacun d’eux, mais aussi entre eux… peut-être pour toujours.

“Je ne sais pas quoi faire,” admit-il à voix basse. “Je veux être là pour elle, pour vous deux. Je veux être votre soutien quand vous en avez besoin. Mais je ne peux pas le faire si elle ne me dit pas ce qui se passe dans sa tête.” Il leva les yeux vers Maya et ajouta, “Elle t’a toujours admirée. Peut-être que tu peux être un modèle pour elle maintenant. Je pense que reprendre une routine et avoir un semblant de vie normale serait bon pour vous deux. Finis au moins tes cours à Georgetown. D’ailleurs, ils ne t’accepteront sûrement pas ensuite si tu as raté un semestre entier.”

Maya garda le silence un long moment. Puis, elle finit par dire, “Je crois que je n’ai plus envie d’aller à Georgetown finalement.”

Reid fronça les sourcils. Georgetown était son premier choix d’université depuis qu’ils avaient emménagé en Virginie. “Où alors ? L’Université de New York ?”

Elle secoua la tête. “Non. Je veux aller à West Point.”

“West Point,” répéta-t-il bêtement, totalement abasourdi par sa phrase. “Tu veux aller dans une école militaire ?”

“Oui,” dit-elle. “Je veux devenir agent de la CIA.”

CHAPITRE QUATRE

Reid hésitait quant à la façon de réagir. Il était sûr d’avoir bien entendu, mais la combinaison des mots dans sa bouche n’avait aucun sens pour lui.

Elle me teste, pensa-t-il. Elle s’attendait à une dispute, mais j’ai résisté. C’était juste une folie de jeunesse. Il ne pouvait en être autrement.

“Tu… veux être agent de la CIA,” prononça-il lentement.

“Oui,” dit Maya. “Plus précisément, je veux aller à l’Université du Renseignement National à Bethesda. Mais, pour cela, je dois d’abord être membre des forces armées. Si je vais à West Point au lieu de m’enrôler, je serai diplômée en tant que sous-lieutenant et éligible pour l’URN. Une fois là-bas, je pourrai passer un master en intelligence stratégique et, à ce moment-là, j’aurai plus de vingt-et-un ans, donc je pourrai postuler pour le programme d’entraînement d’agent de terrain.”

Reid sentit ses jambes se dérober. Non seulement elle était apparemment très sérieuse mais, en plus, elle avait déjà fait des recherches poussées pour établir son meilleur plan d’action et d’études.

Mais il était absolument hors de question qu’il laisse sa fille choisir une telle voie.

“Non,” dit-il simplement. Tous les autres mots semblaient lui manquer. “Non. Hors de question. Ça n’arrivera pas.”

Maya fronça les sourcils. “Je te demande pardon ?” dit-elle vivement.

Reid prit une profonde inspiration. Elle était têtue, alors il allait devoir la jouer plus fine que ça. Mais sa réponse était un “non” sans équivoque et catégorique. Pas après tout ce qu’il avait vu et tout ce qu’il avait fait.

“Il ne s’est pas écoulé beaucoup de temps depuis… l’incident,” dit-il. “C’est encore frais dans ta tête. Avant de prendre une décision comme celle-ci, tu dois prendre en compte tous les aspects. Finir tes cours. Obtenir ton diplôme de fin de lycée. Postuler à des universités. Et nous pourrons parler de tout ça à nouveau ensuite.” Il essaya de faire un sourire le plus agréable possible.

Mais pas Maya. “Tu ne vas pas me dicter ma vie comme ça,” dit-elle rageusement.

“En fait, si,” répliqua Reid. Il commençait passablement à être irrité. “Tu es encore mineure.”

“Pas pour longtemps,” rétorqua-t-elle. “Laisse-moi te dire ce qui va se passer. Je ne vais pas retourner suivre ces cours à Georgetown. En fait, je ne retournerai pas en cours avant septembre. Je vais rater mon semestre de printemps et je devrai recommencer ces cours. J’aurai dix-sept ans le mois prochain, ce qui veut dire que, le temps que je sois diplômée, j’aurai dix-huit ans. Et ensuite, tu n’auras plus à me dire où je peux aller, ni ce que je peux faire ou pas.” Elle croisa les bras pour appuyer ses dires.

Reid se gratta le bout du nez. “Tu ne peux pas manquer trois mois d’école ainsi. Et qu’en est-il de toutes ces sessions d’études que tu fais ? Tout ce temps serait gâché.”

Je ne vais pas aux sessions d’étude,” admit-elle.

Il leva vivement les yeux vers elle. “Donc, tu m’as menti ? Après tout ce que tu m’as dit à propos du mensonge ?” Il soupira de déception. “Alors où allais-tu ?”

“Une fois que tu m’as déposée, je vais au centre de loisirs,” lui expliqua-t-elle sans émotion. “Il y a des cours d’auto-défense plusieurs fois par semaine. Ils sont assurés par un ancien Marine. J’ai également lu pas mal de trucs sur les tactiques d’espionnage et de contre-espionnage.”

Il secoua la tête. “Je n’en crois pas mes oreilles. Je croyais qu’il ne devait plus y avoir de secrets entre nous.” Au moment même où il disait ça, un souvenir douloureux pénétra dans son esprit : le meurtre de Kate, la vérité à propos de leur mère. Il ne la leur avait toujours pas dite, malgré le fait qu’il s’était promis de cesser de mentir et de dissimuler des choses. Ça le rongeait de ne pas le leur dire, mais il lui avait semblait, juste après l’incident, qu’il était encore trop tôt pour leur révéler quelque chose d’aussi horrible. À présent que quatre semaines s’étaient écoulées, il avait peur que ce soit trop tard et qu’elles soient en colère contre lui de leur avoir caché ça si longtemps.

“Je savais que tu réagirais ainsi,” dit Maya. “C’est pour ça que je ne t’ai pas dit la vérité. Mais je te la dis maintenant. C’est ce que je veux faire et c’est ce que je vais faire.”

“Quand tu avais sept ans, tu voulais être danseuse de ballet,” lui dit Reid. “Tu t’en souviens ? Quand tu avais dix ans, tu voulais devenir vétérinaire. À treize ans, tu voulais être avocate, car nous avions regardé un film sur le procès d’un meurtre…”

“Ne sois pas condescendant avec moi !” Maya se leva d’un bond, se mettant debout face à lui en pointant un doigt d’avertissement devant son visage, les yeux étincelants de colère.

Reid s’enfonça dans son siège, choqué par son accès de violence. Il n’était même pas en colère contre elle, tellement il était surpris par la force de sa réaction.

“Ce n’est pas un rêve de conte de fées pour petite fille,” dit-elle rapidement à voix basse. “C’est ce que je veux. Je le sais maintenant. Tout comme je sais ce qui empêche Sara de dormir la nuit. Elle fait des cauchemars à cause de cette expérience et de ce qu’elle a vécu. Ce à quoi elle a survécu. Mais ce n’est pas ce qui me traumatise. Ce qui me tient éveillée est de savoir que ça continue de se produire, quelque part, en ce moment même. Ce que j’ai vu et ce que j’ai subi est la vie de quelqu’un. Pendant que je suis dans mon lit chaud, que je mange une pizza ou que je vais en cours, il y a des femmes et des enfants qui vivent comme ça chaque jour de leur vie… jusqu’à leur mort.”

Maya posa un pied sur la chaise et remonta le bas de son pantalon de pyjama jusqu’au genou. Là, sur son mollet, se trouvaient les fines cicatrices rougeâtres qui épelaient trois mots : ROUGE. 23. POLO. C’était le message qu’elle avait gravé sur sa propre jambe quelques instants avant que la drogue des trafiquants ne fasse effet sur elle, le message qui avait fourni un indice sur l’endroit où Sara avait été emmenée.

“Tu peux penser que c’est une passade, si tu veux,” lâcha Maya. “Mais ces cicatrices ne partiront pas. Je les aurai pour le restant de mes jours et, chaque fois que je les verrai, je me souviendrai que ce j’ai vécu arrive encore à d’autres. Tout ce que j’ai fait, c’est de comprendre que si je veux que ça s’arrête, la meilleure chose à faire est de faire partie des gens qui essaient d’empêcher ça.” Elle baissa son pantalon de pyjama.

Reid eut la gorge sèche. Il ne pouvait pas contredire l’argument de sa fille, mais il ne pouvait pas l’approuver non plus. Une chose que Maria lui avait dit une fois lui revint en tête : Tu ne peux pas sauver tout le monde. Mais il pouvait empêcher sa fille de vivre le type de vie dans lequel il avait été replongé. “Je suis désolé,” finit-il par dire. “Mais peu importe à quel point tes intentions sont nobles, je ne peux pas te soutenir dans cette démarche. Et je ne le ferai pas.”

“Je n’ai pas besoin de ton soutien,” déclara Maya. “Je me suis juste dit qu’il fallait que tu sache la vérité.” Elle quitta en trombes la salle à manger, ses pieds nus martelant les marches de l’escalier. Un instant plus tard, il entendit une porte claquer.

Reid s’avachit sur sa chaise et soupira. La pizza était froide. L’une de ses filles se terrait dans son silence et l’autre était déterminée à en découdre avec les malfrats de ce monde. La psychologue, Dr. Branson, lui avait demandé d’être patient avec Sara. Elle avait dit que le temps guérit toutes choses mais, au lieu de ça, il avait remis le sujet sur le tapis et l’avait perturbée à nouveau. Et pour couronner le tout, l’intention de Maya de rejoindre les rangs de la CIA était bien la dernière chose qu’il aurait cru entendre.

Bizarrement, il admirait sa capacité à canaliser le traumatisme qu’elle avait subi pour le transformer en une cause. Mais il ne pouvait tout bonnement pas accepter les moyens qu’elle avait choisi pour le faire. Il repensa à tout ce qu’il avait vécu et aux blessures qu’il avait subies. Aux choses qu’il avait dû faire et aux menaces qu’il avait dû stopper. Aux gens qui l’avaient aidé et à tous ceux qu’il avait laissé, blessés ou morts, le long du chemin.

Reid réalisa soudain qu’il n’avait aucune idée de ce qu’il l’avait amené à devenir membre de la CIA au départ. Ses propres motivations étaient depuis longtemps perdues, enterrées dans un recoin sombre de son esprit à cause du suppresseur de mémoire. Il était d’ailleurs possible qu’il ne se souvienne jamais pourquoi il était devenu l’agent de la CIA Kent Steele.

Tu sais que c’est faux, se dit-il. Il y aurait bien un moyen de le savoir.

*

Le bureau de Reid se trouvait au deuxième étage de la maison, dans la plus petite des chambres qu’il avait équipée d’un bureau, d’étagères et d’une impressionnante collection de livres. Il aurait dû préparer ses cours pour lundi sur la réforme Protestante et la Guerre de Trente Ans. En tant que professeur auxiliaire d’histoire de l’Europe à l’Université de Georgetown, Reid exerçait à peine à mi-temps, mais il avait besoin d’aller enseigner en classe. Cela représentait un retour à la normalité, celui-là même qu’il souhaitait pour ses filles. Mais cette tâche attendrait.

Au lieu de s’y mettre, Reid posa avec respect un disque noir sur le socle d’un vieux phonographe dans l’angle, puis abaissa l’aiguille Il ferma les yeux pendant que le Concerto pour Piano N°21 de Mozart commençait, lent et mélodieux, comme le dégel du printemps après le long froid d’hiver. Il sourit. La machine avait plus de soixante-quinze ans, mais elle marchait toujours parfaitement bien. C’était un cadeau que Kate lui avait fait pour leur cinquième anniversaire de mariage, ayant trouvé ce phonographe délabré dans un vide grenier pour la modique somme de six dollars. Ensuite, elle avait dépensé plus de deux-cents dollars pour le faire restaurer et qu’il retrouve son ancienne gloire.

Kate. Son sourire se transforma en grimace.

Tu es dans le site secret du Maroc surnommé Enfer Six. Tu interroges un terroriste notoire.

Il y a un appel pour toi. C’est le Directeur Adjoint Cartwright. Ton patron.

Il ne prend pas de pincettes. Votre femme, Kate, a été tuée.

C’était arrivé alors qu’elle sortait du boulot et se dirigeait vers sa voiture. On avait administré à Kate une puissante dose de tétrodotoxine, également connue en tant que TTX, un puissant poison causant une paralysie soudaine du diaphragme. Elle avait suffoqué dans la rue et était morte en moins d’une minute.

Au cours des semaines ayant suivi leur retour d’Europe de l’Est, Reid avait plusieurs fois revisité sa mémoire… ou plutôt sa mémoire lui avait rendu visite, se frayant un chemin à coup de mal de crâne quand il s’y attendait le moins. Tout lui rappelait Kate, des meubles de leur salon à l’odeur qui, étrangement, restait sur son oreiller. De la couleur des yeux de Sara au menton anguleux de Maya, elle était partout… ainsi que la vérité qu’il cachait à ses filles.

Il avait tenté plusieurs fois de se souvenir d’autres d’éléments, mais il n’état pas sûr d’en savoir plus en définitive. Après le meurtre de sa femme, Kent Steele s’était livré à un sanglant carnage en Europe et au Moyen Orient, tuant des dizaines de personnes associées à l’organisation terroriste Amon. Puis, était venu le suppresseur de mémoire et les deux années consécutives d’ignorance totale étonnement salvatrices.

Reid se dirigea vers son placard, dans le coin opposé de la pièce. Dedans, se trouvait un petit sac noir que les agents de la C IA appelaient le sac anti-insectes. Il y avait à l’intérieur tout ce dont un agent de terrain pouvait avoir besoin pour se mettre à l’ombre durant un laps de temps indéterminé, si la situation l’exigeait. Ce sac-là avait appartenu à son meilleur ami à présent décédé, l’Agent Alan Reidigger. Reid avait peu de souvenirs de cet homme, mais assez pour savoir que Reidigger l’avait aidé quand il en avait eu besoin et l’avait payé de sa propre vie.

Le plus important était la lettre qui se trouvait dans le sac. Il la sortit et la déplia soigneusement, usée qu’elle était par le temps, pour la relire.

Salut Zéro, commençait prophétiquement la lettre. Si tu lis ceci, c’est que je suis probablement mort.

Il sauta quelques paragraphes, afin de poursuivre sa lecture plus loin.

La CIA voulait te récupérer, mais tu n’as rien voulu savoir. Ce n’était pas seulement à cause de ta croisade. Il y avait autre chose, quelque chose que tu étais près de découvrir… trop près. Je ne peux pas te dire ce dont il s’agit, car je ne le sais pas moi-même. Tu ne me l’aurais jamais dit, ce qui signifie que c’est vraiment du lourd.

Reid pensait savoir à quoi Reidigger faisait référence : la conspiration. Un bref flash de mémoire, qui lui était revenu tandis qu’il traquait l’Imam Khalil et le virus de la variole, lui avait indiqué qu’il était au courant de quelque chose avant que le suppresseur ne soit implanté dans sa tête.

Il ferma les yeux et rappela à lui ce souvenir :

Le site secret de la CIA au Maroc. Désignation E-6, alias Enfer Six. Un interrogatoire. Tu arraches les ongles d’un arabe pour obtenir des renseignements sur l’emplacement d’un fabricant de bombes.

Entre les cris, les gémissements et sa persistance à dire qu’il ne sait pas, quelque chose d’autre émerge… Une guerre imminente. Quelque chose d’énorme se prépare. Une conspiration, fomentée par le gouvernement des États-Unis.

Tu ne le crois pas. Pas au début. Mais tu ne peux pas juste laisser tomber.

Il savait quelque chose à l’époque. Comme un puzzle qu’il avait commencé à assembler. C’est alors qu’Amon avait débarqué, que le meurtre de Kate était arrivé. Il avait été distrait et, alors qu’il avait juré de s’y remettre, il n’en avait jamais eu l’occasion.

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