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Czytaj książkę: «Les Peintres Provençaux», strona 3

Czcionka:

Nous voyons alors des talents surgir dans tous les genres. C'est Gustave Ricard, le subtil portraitiste, l'intimiste vers qui toute une génération de jeunes peintres a, en ce moment, les yeux tournés; Monticelli, le plus extraordinaire coloriste; Aiguier qui a retrouvé la composition colorée de l'éther impondérable; Paul Guigou, l'élève direct de Loubon, qui continuera à peindre la Provence et à la comprendre, à la faire aimer, même dans ses violences; François Simon, un peintre intéressant et doux, qui eût pu faire de la figure où il eût excellé, si on se rapporte à ses beaux portraits au crayon conté, à la très belle peinture: Sollicitude, qui est au musée de Marseille. Mais Simon peignit des animaux parce qu'il les aimait. Il comprit la poésie des étables où somnolent les doux ruminants; il nota avec tendresse le regard enfantin et inquiet des jeunes veaux, le pittoresque manteau des chèvres, la toison épaisse des moutons. Tendre, il aima les animaux à la façon de Loutherbourg, il les peignit avec amour, avec une mélancolique philosophie; mais, à part quelques exceptions, ses animaux participèrent rarement du paysage où le peintre les plaçait. Simon ne fut pas paysagiste, alors qu'il eût pu devenir un grand portraitiste.

Engalière, par contre, était de pure race paysagiste; on en a la révélation devant son tableau du musée de Marseille, rapporté d'une excursion en Espagne et intitulé Vue de Grenade. Ce fut vraiment un peintre magnifiquement doué que cet Engalière, plus coloriste que Loubon et qui disparut emporté à trente et un ans par une congestion cérébrale, ne laissant qu'un bagage sommaire. On le vit à l'Exposition universelle de 1855 avec une toile importante, Vue d'Alicante prise de la route de Malaga, qui recélait des qualités de tout premier ordre et surtout un beau sentiment du pittoresque. Cet artiste était sans rival comme peinture à la gouache et avait un grand sens décoratif.

Dans les peintres de marine, Barry s'essayait aux lumières roses qui font trop jolies ses vues de Constantinople et du Bosphore. L'époque est tout entière à l'Orient. Delacroix vient de peindre son Entrée des croisés; Fromentin va découvrir l'Algérie. Et voilà Fabius Brest, qui déserte la Provence et les heureux motifs de ses premières et meilleures toiles: Vieilles bastides dans les pins et les oliviers; Fontaines sous les platanes des villages; Coteaux arides semés de mûriers nains, où il mettait un grand charme, pour s'enfuir à Constantinople, peindre des mosquées et des scènes turques qui manqueront d'émotion. Un autre élève de Loubon, Huguet, se jette lui aussi dans un orientalisme de convention, mais au moins y réussit-il par des qualités de peintre délicat. – Pourrait-on oublier Suchet, un bien brave homme, que Daudet eût dû connaître pour nous laisser encore un chef-d'œuvre? Suchet, qui incarne tout un côté de la physionomie provençale; Suchet, qui eut du talent, certainement, nonobstant sa vantardise, et qui, ancien maître portefaix, cuisinier et ténor à ses heures, trouva le temps de peindre quantité de toiles intéressantes, comme la Pêche au thon du musée de Marseille. Il comprit à sa manière, cette Méditerranée qu'il avait si souvent regardée dans les heures longues des fameuses parties de pêche. Presque toujours il nous la montre avec la lame large, houleuse, éclairée par un ciel clair, et sur le sommet de laquelle il sait, comme pas un, placer un bateau de pêche, le hausser sur sa crête ou le rouler dans sa courbe molle. Suchet connaissait à fond les bateaux: canots, voiliers, goélettes, bricks de toutes sortes, il s'entendait comme un marin à les gréer et à les conduire selon le vent.

Son Brick qui rentre le soir, au clair de lune, dans le vieux port de Marseille, prouve aussi en faveur de son entente de la composition générale, de sa recherche heureuse des effets lumineux.

Nous trouvons encore dans les expositions de 1836, jusqu'en 1861, un peintre amateur qui fut receveur de l'Enregistrement à Marseille et plus tard directeur des Domaines à Avignon, Prosper Grésy, de qui on peut voir les nombreuses toiles, – car il peignit beaucoup – dans les musées de Provence et dans les galeries. Celui-là aussi fut un amant passionné de la Provence, et de sa manière un peu rocailleuse, il sut en révéler le caractère singulier. Grésy, qui fut un excellent paysagiste, a peint en outre des arbres, avec un beau lyrisme. La nature vue par lui, est puissante, colorée, et comme sculptée dans ses masses. Les musées de Marseille, d'Aix et d'Avignon possèdent de Prosper Grésy des toiles de différents motifs, bien que la notation soit toujours à peu près la même. Mais la meilleure partie de l'œuvre de ce peintre se voit chez des collectionneurs, où on retrouve quelques paysages remarquables.

C'était en quelque sorte de l'atelier de la rue du Musée que sortirent ces différentes personnalités. Pourtant, Loubon n'y influençait personne; admirant un jour une délicieuse étude de Simon, le lendemain une ébauche de Ricard, autant qu'une toile de Monticelli. Il aimait à garder quelque temps dans son atelier les toiles qu'on lui apportait, surtout celles qui l'intéressaient plus vivement.

C'est ainsi qu'ayant accroché un jour contre son mur une peinture de Monticelli, à chaque instant, il se distrayait de son travail pour venir étudier la riche harmonie du grand coloriste qui l'attirait. «Mais, s'écria-t-il, à la fin, il sort du feu de cette toile!..»

Loubon, sincère, modeste et bienveillant, savait reconnaître les qualités de ses amis et de ses élèves. Aucune méchanceté, aucune haine ne put modifier sa belle nature aimante et généreuse. Ce fut un vrai chef d'école, car il sut créer le milieu, l'ensemble qui, ainsi que le démontre Taine dans sa Philosophie de l'art, est nécessaire pour faire éclore les œuvres durables.

II
AUGUSTE AIGUIER

A M. Frédéric Gas.

Parmi les peintres remarquables qu'a produits la Provence, Aiguier est assurément, aujourd'hui, le plus oublié. Ce fut peut-être, à cause de son admirable instinct, un de ses plus rares artistes.

Instinctif, Aiguier l'est comme Claude, comme Turner, et, rapprochement curieux, il est, ainsi que ces grands alchimistes de la lumière, de mentalité pauvre; et, comme Corot, indifférent à tout ce qui n'est pas son art.

Poète exquis, coloriste ému, il rendit le mieux en son temps – en ceci il égalera souvent Corot et même Claude Lorrain – l'extrême ténuité des vibrations lumineuses, leur délicatesse atomique, la subtile trépidation des ondes colorées; et, de même que ces chantres de la lumière, s'il eut aussi la divination synthétique de l'éther impalpable, il sut le mettre sur sa toile, simplement.

Aiguier, provençal inconnu, Aiguier, qu'on oublia de montrer à la Centennale, comparé comme peintre à Turner par certains côtés, à Corot et à Claude par d'autres! Que de sourires ironiques n'allons-nous pas mettre aux lèvres pincées des pontifes? que de haussements d'épaules, que de réflexions malveillantes n'allons-nous pas provoquer?

N'importe!.. Il faut oser dire cela.

Et pour tout homme qui n'est ni aveugle ni prévenu – ce qui est pire – il reste encore de ce peintre, dans les musées de Toulon, de Marseille et de Cannes, quelques toiles qui sauront, mieux que des phrases, prouver la valeur de nos affirmations.

* * *

Aiguier (Louis-Auguste-Laurent) naquit à Toulon, le 23 février 1819, de parents cultivateurs originaires de La Garde. On aimerait à faire naître dans cette ville, qui vit les débuts de Bonaparte, quelque glorieux soldat ou quelque rude marin. Il paraît tout d'abord assez extraordinaire que le grand port de guerre méditerranéen, ceinturé de remparts, couvert sur toutes ses hauteurs d'imposantes forteresses, nous ait donné un peintre d'atmosphère si attendri; mais on s'explique plus tard que la qualité de la lumière particulièrement enveloppante qui baigne Toulon et la campagne environnante, que la brume fine et ouatée de violet qui se joue à certaines heures aux flancs de ses collines, entre l'escarpement de ses caps dentelés en rose, que les buées particulièrement vibrantes qui s'élèvent, comme dans les grands lacs, au-dessus de la mer bleue, aient contribué à faire éclore la vocation d'un Aiguier qui vécut là pendant vingt ans. Combien, depuis, s'y sont essayés, mièvrement?

Après avoir reçu une instruction très élémentaire, Aiguier fut mis en apprentissage chez un coiffeur. Et c'est ce métier qu'il exerça presque jusqu'à ses dernières années; plus rarement cependant à l'époque où il commença à exposer ses tableaux. Le barbier était devenu alors coiffeur pour dames et était très recherché par l'élite de la société marseillaise. Cette corporation de perruquiers devait enfanter deux autres artistes intéressants: Simon, l'animalier, et Barry, le peintre de marine, tous deux nés à Marseille.

Coiffeur! coiffeur pour dames! et peintre comme Claude, et poète comme Corot. L'art de peindre ne serait il donc plus l'apanage des seuls artistes ayant des qualités de distinction plus ou moins natives, une éducation, une culture conférant à cet art une sorte d'aristocratie?

Avec M. Arsène Alexandre, qui ne se trouve pas autrement choqué de la légende faisant de Claude «un esprit vacillant et, pour dire brutalement le mot, un peu idiot», et qui ajoute: «Oui, Claude Lorrain, idiot, faible d'esprit, enténébré pour tout autre chose que pour son art, nous semblerait encore très complet, et sa vie, ainsi que son œuvre, ne cesserait pas pour cela d'être d'une absolue logique,» nous admettons pareillement Aiguier, coiffeur pour gagner sa vie, bien que poète exquis, peintre admirablement doué; et nous admettons aussi son œuvre, faite d'un génial instinct, conséquence logique de sa nature.

Dès sa jeunesse, cet instinct s'éveille, ainsi qu'il le raconte lui-même, «avec la vive admiration que lui donnait la peinture; et il s'essaye à imiter tout ce qui frappait ses yeux, aimant surtout à crayonner les sites pittoresques de sa ville natale et les beaux navires qu'il voyait se balancer sur les eaux bleues de la Méditerranée15».

Il nous plaît de reconstituer l'enfance de l'apprenti coiffeur, enfermé dans une de ces curieuses échoppes qui touchent au port, s'enfuyant à chaque instant de la journée pour venir assister au spectacle changeant du soleil qui, sur les quais de Toulon, semblables à ceux de Venise, – que nul véhicule ne trouble, – vient éclairer ce palpitant décor. Nous aimons à suivre, au matin, le jeune homme faisant un détour pour se rendre au travail, longer les quais de la Marine grouillant à cette heure de vie intense.

Croyez-vous qu'Aiguier va s'intéresser au mouvement d'animation pittoresque qui excite la curiosité des autres hommes attirés là? Croyez-vous qu'il verra la foule des marins qui approvisionnent l'escadre en rade et se hâtent de remplir de victuailles hétérogènes les canots de service? Croyez-vous qu'il sera frappé de tous ces bruits d'appels qui se mêlent aux sifflets des petites chaloupes à vapeur, aux heurts cadencés des rames?

En ce moment, l'apprenti coiffeur ne voit pas, n'entend pas ce qui se passe près de lui. Il s'étonne, il s'émeut, il est retenu par la beauté de la symphonie du ciel et de la mer qui se joue devant lui dans le mystère de l'enveloppe aérienne baignant les fonds du tableau: le cap Sicié, la rade et le fort de l'Aiguillette plus proche. Il observe les insensibles valeurs qu'accusent les mâts et les tourelles des cuirassés immobiles. Il regarde avec plaisir les jolies notes de couleurs crues, véronèse et vermillon, bleu d'outremer et jaune de chrome, qui s'exaltent sur la coque des bateaux de plaisance et sont si harmonieuses à distance. Sur la Méditerranée qui tressaille dans le papillotement de la lumière irisée, il aime la course en zigzag que font les triangles inclinés des voiles latines.

Il vient encore, au soir, admirer les épousailles mélancoliques du ciel et de la mer, quand l'adieu du soleil à la terre comporte toutes les souffrances de la séparation; et quand, la nature, dans l'harmonie plus suave des valeurs, chante – féerie apaisée – l'hymne religieux de la lumière mourante.

Le ciel et la mer l'hypnotisent. Il les voit avec une admiration mêlée de tendresse; il les aime d'un amour mystique. Et pendant que ses yeux se mouillent d'attendrissement, il communie avec la magicienne insaisissable dans l'éther tiède et vibrant.

Et d'instinct, le coiffeur devenu peintre mettra plus tard dans ses toiles, entraîné par la force de ses sensations, l'immense poésie de la lumière; toujours d'instinct, comme Turner, comme Claude.

* * *

Antoine Vollon, visitant vers 1880 le musée de Marseille, tomba subitement en arrêt, dans l'étonnement admiratif le plus vif, devant la marine d'Aiguier. Surpris et charmé, revenant sans cesse vers cette toile qui l'obsédait, et oubliant tout ce qui était accroché aux murs voisins, Vollon dit, à plusieurs reprises, à ceux qui l'accompagnaient: «Voilà un merveilleux tableau et je n'aurais jamais pensé que vous ayez eu à Marseille un peintre aussi grand.»

Combien rares étaient les visiteurs du musée de Marseille qui avaient jusqu'alors fait semblables réflexions! Combien plus rares étaient les Provençaux qui s'étaient arrêtés un instant devant la toile d'Aiguier!

Le Soleil couchant sur la Méditerranée, au vallon des Auffes, est daté de 1858. Le tableau fut exposé en 1859 au Salon de Paris. M. Ernest Cheneau, correspondant de la Critique artistique et littéraire, écrivit dans son compte rendu: «Quelles belles eaux profondes! Comme l'œil les pénètre facilement et s'en va droit à l'horizon, guidé par ce rayon de soleil brisé en mille facettes par le doux mouvement des vagues! La belle marine! La plus belle du Salon… Je déclare le Coucher de soleil sur la Méditerranée la plus forte marine que nous ayons vue depuis dix ans…» Nous pouvons ajouter à notre tour qu'on n'en a pas fait de meilleure depuis.

Quand on entre au musée de Marseille, dans la salle de l'École provençale, on aperçoit, en face, sur la cimaise, à côté du portrait de Chenavard, la marine d'Aiguier. Cette toile n'arrête pas, ne lance pas l'œillade provocante de certaines peintures; et, n'étant pas de grandes proportions, on comprend qu'elle échappe aux visiteurs ordinaires en quête d'anecdotes ou de couleurs jolies. Un peu obscure, elle s'enveloppe, à certaines heures, du mystère particulier aux grandes œuvres. Mais quand on l'observe avec attention, il se fait, à la longue, un insensible crescendo lumineux qui grandit vite et arrive progressivement à l'intensité. Peu à peu le soleil apparaît dans la toile et l'illumine toute. On crierait facilement au miracle. En effet, il est bien là devant nous le vrai soleil qui, à peine tamisé par des brouillards insensibles, éblouit les yeux et réchauffe le cœur. Telle est l'impression physique ressentie devant la marine d'Aiguier.

Quant à l'impression psychologique, elle n'est ni moins parfaite, ni moins puissante. La peinture est oubliée; on s'occupe peu ici du métier et de la composition qui est nulle: un pan de rochers au demeurant assez banal, des fabriques peu intéressantes à droite, des barques gauchement dessinées au premier plan; mais il y a un ciel et une mer qui impressionnent fortement. Au milieu de la toile, le soleil descend sur l'horizon après la gloire d'un beau jour. Dans le lit recouvert en vieille soie jaune où des brumes la bordent, la Méditerranée l'attend frissonnante. Sur ses eaux court le frémissement imperceptible qui ourle la vague avec les tons du ciel lumineux à peine dégradé vers des bleuissements clairs et doux. Un voile diaphane semble jeté sur la nature dans la mélancolie du crépuscule pressenti. Les fonds et les seconds plans s'enveloppent vaporeusement d'une valeur à peine mauve; des voiles légères passent ou se dérobent à l'horizon; et, avant de disparaître, le soleil jette au monde tous les ors de sa cassette qui irradient le firmament et tintent joyeusement sur les crêtes des vagues cadencées.

Cette impression, toute de pure poésie, évoque en même temps des chants musicaux et des pensées mélancoliques, d'un religieux panthéisme, la tristesse des fins de journées triomphales, les dualités émotives des grands spectacles de la nature:

 
Soleil couchant derrière les ports,
Gloire incomparable des cités maritimes,
Calme du ciel, pourpre des eaux 16.
 
* * *

Aiguier était venu se fixer à Marseille vers sa vingtième année. Il se mit tout de suite en rapports avec deux confrères qui, dans cette ville, faisaient aussi de la peinture: Barry et Simon. Toutes ses heures disponibles furent employées par lui à dessiner et à peindre sur nature. Pendant plus de quinze ans, on vit le coiffeur, se dissimulant, presque honteux, s'en aller deux fois par jour avec sa boîte de peintre, parcourir les abords du port: le quai de Rive-Neuve, le bassin du Carénage, le chemin qui passe au bord de l'eau sous le fort Saint-Nicolas, l'ancien Pharo, et toute cette route de la Corniche qu'il fouille dans ses moindres criques depuis les Catalans jusqu'au vallon de la Fausse-Monnaie. Sur des panneaux de petite dimension, sur des cartons que sa femme, qui était modiste, n'utilisait plus, incessamment, Aiguier étudiait et cherchait à surprendre lui aussi «l'âme des valeurs», la grande unité de la lumière qui caresse et revêt tous les plans et toutes les surfaces d'un tableau, la composition mystérieuse de l'éther chaud en ses vibrations insaisissables. Avec une ténacité extrême, très difficile sur le résultat obtenu, il travaillait silencieux et cherchait, sans jamais croire avoir atteint le but.

Loubon, à qui il est allé montrer ses études, devine l'artiste, l'apprécie fort et l'encourage. Pendant quelque temps, on voit Aiguier suivre les cours de dessin, à l'École. Mais il étouffe dans ces salles où le modèle pose sans grâce; et il retourne vite à ses chères études en plein air, aux bords de la mer. Il rencontre dans ses courses solitaires Ziem, qui peint déjà des toiles consciencieuses et belles, lesquelles auront plus tard la priorité sur la production énorme de ce coloriste éminent; et il s'éprend de cette belle technique.

Enfin en 1853, après avoir préludé par l'envoi de «quelques petits tableaux dont le sentiment doux et poétique fut généralement apprécié», enhardi par son premier succès, Aiguier fait son premier voyage à Paris. Là, il montra ses études à Hébert qui sut en voir tout le charme et lui donna le conseil d'étudier Claude Lorrain. «Pour un paysagiste, lui dit l'ancien directeur de Rome, c'est le seul maître qui puisse le guider et lui apprendre à voir la nature17

Le conseil était judicieux. Aiguier vit, en effet, Claude au Louvre. Il l'admira, il l'étudia; mais il sut ne pas l'imiter. Le peintre toulonnais, revenu à ses patientes études, débute alors à l'Exposition universelle de 1855 avec deux belles œuvres: la Soirée d'automne aux Catalans (marine), et Un paysage d'automne aux environs de Marseille.

La Soirée d'automne aux Catalans du musée de Toulon, dont Maxime du Camp vanta «la couleur blonde et la finesse», est à notre avis un des meilleurs tableaux, pour ne pas dire le meilleur d'Aiguier. L'unité atmosphérique est, dans cette toile, incomparable. Pas un plan défini, mais de l'air partout; pas de chocs de couleurs, mais la sensation de la lumière elle-même.

La voilà cette harmonie que beaucoup de peintres ont vainement cherchée toute leur vie; elle est là apparente, et douce, et merveilleuse. Certes, dans cette toile, comme dans presque toutes celles de ce peintre, il ne faut pas chercher l'élévation du style, la science du dessin, la féerie de la couleur. C'est la nature naïvement interprétée par un ému, sans plus. Rien d'elle n'est supprimé pour l'embellir, rien d'elle n'est ajouté pour la parer. C'est, à gauche de la toile, la tour rectangulaire des anciens Catalans, aussi peu pittoresque que possible, dont un côté est éclairé en rose par le soleil couchant. Dans l'anse, sous la tour, des bateaux entre-croisent leurs voiles sans recherche de jolies arabesques. Sur un premier plan de terrains, des barques tirées à sec; et dans leurs ombres, des figures de pêcheurs, de femmes et d'enfants, établies maladroitement. Mais quel charme dans cette poussière violette qui auréole les rochers de droite, quelle incomparable finesse dans cette valeur imperceptible qui délimite les îles lointaines et l'aérienne silhouette du château d'If. Quelle lumière dans ce ciel!

L'autre marine, les Tamaris, environs de Toulon (Salon de 1865, Paris), est un effet de crépuscule particulier aux bords de la mer Méditerranée, à certaines époques de l'année. Dans un ciel très pur, le jour est demeuré après le départ du soleil; pendant que la mer est déjà influencée dans sa couleur par la nuit que l'on sent proche. Une masse violette, arrêtée aux contours d'un promontoire voisin, sépare la dualité de la lumière qui s'en va et de l'ombre qui vient. Et une sensation particulière de froid crépusculaire sort de cette toile que d'aucuns préfèrent même au Soleil couchant de ce peintre. Nous ne saurions être de cet avis.

Le musée de Cannes possède aussi deux toiles d'inégales beautés et de dimensions moindres. La première est un coin du Bassin du Carénage à Marseille. Le navire, que l'on bourre d'étoupes, est couché sur le flanc, livré aux longs marteaux de bois des calfats qui travaillent sur sa carène. Derrière cette masse sombre, cette sorte de baleine échouée et ligotée, apparaissent en lumière la saillie rocheuse du fort Saint-Nicolas et la vieille cité que domine le clocher octogonal de Saint-Laurent. Tout cela est fin comme tout ce que peignit Aiguier, fin de tons et de valeurs. Mais voilà une toute petite toile autrement intéressante, avec laquelle nous pénétrons dans sa compréhension du paysage.

Lorsqu'on veut analyser ce peintre dans plusieurs de ses tableaux, on est forcément obligé de se répéter. Il ne peignit en fait que deux ou trois effets au plus: des soleils couchants sur la mer, certaines notes d'automne dans les champs. Si on y joint quelques tentatives de crépuscule, on les a tous décrits, car Aiguier n'a pas fait trente toiles, à part de très nombreuses petites études18.

Ce tableautin du musée de Cannes: Une vue de la campagne de Provence (1859), est d'une délicatesse atmosphérique rare, assez comparable à l'art de Chintreuil; et vraiment on ne saurait mettre plus d'air, de poésie et d'espace dans une si petite surface.

Or, malgré la qualité d'air, enveloppante comme une caresse, qui vibre dans cette toile, par cette matinée si adorable, si prometteuse de vie, que le peintre nous décrit, une sensation presque triste s'en dégage qui fait monter aux yeux des larmes d'attendrissement. C'est que toujours le poète l'emporte, et que, la palette à la main, Aiguier pense musicalement. «Voyez assez profondément et vous verrez musicalement, dit Carlyle; le cœur de la nature étant partout musique, si vous pouvez l'atteindre.»

Après la Lisière de bois dans le Var (Exposition des amis des Arts de Lyon, 1858), Aiguier envoie à Paris, en 1859, les Collines de Montredon, un paysage de lumière d'une inspiration symphonique triste et douce. Derrière les pins du premier plan et sur leur droite, les lointains s'estompent, délicats, la belle architecture des collines grecques de Montredon s'efface dans une brume aristocratique; et la ligne à peine bleue de la Méditerranée note, presque insensible, la place de l'horizon infini sous le ciel vibrant.

Dans ce tableau, les pins ont une grande importance. C'est le seul arbre qu'Aiguier ait mis dans ses paysages. Il l'a d'ailleurs aimé avec une tendresse infinie, ce pin de Provence, ce pauvre souffreteux que le vent malmena pendant son enfance et qui se penche, s'incline ou se tord dans une attitude si pittoresque. Le peintre d'atmosphère a eu pour son arbre favori un vert tout particulier, matinal, apaisé, frais et nouveau qui lui sied, et qu'en effet cet arbre porte en lui. Il a rendu la trame fluide de ses masses, la finesse élégante de ses branches, les découpures japonaises de ses ramures. Aussi, mieux que personne, il a dit la mélodie que le vent chante dans les pins, avec de plaintifs et longs crescendo. Mieux qu'aucun peintre, il a su les baigner dans les matinées de lumière automnale, les opposer sur les fonds dorés des crépuscules, et faire pailleter le ciel autour de l'arbre, avec, à chaque pointe aiguë de sa dentelle verte, les feux des pierres précieuses rares.

* * *

Parmi les œuvres des artistes que la commission impériale de 1862 désigna pour représenter l'Art français à l'Exposition universelle de Londres, on comptait deux toiles d'Aiguier: Pêcheurs à Saint-Mandrier et Golfe de Val-Bonète, qui avaient été très remarquées au Salon de 1861. «M. Aiguier, écrit alors Henry Fouquier, idéaliste pur, élève direct de Claude Lorrain, poète trop épris peut-être de la simplicité et tombant facilement dans l'art dioramique qu'on a reproché justement à Claude.»

La renommée tardive venait au peintre. Cependant, à Marseille, Aiguier, modeste, malingre, souffreteux, ne connaissait la célébrité que par son talent de coiffeur; et la gloire ne s'attachait à son nom que par la création d'une forme spéciale de chapeau pour dame qui fit fureur en son temps, et qu'on surnomma l'Auguste. Le peintre désormais à l'abri du besoin, et pouvant enfin se livrer tout entier à l'art, vendait quelques toiles, dont, comme tous les vrais artistes, il n'était jamais complètement satisfait et desquelles il ne se séparait qu'à regret.

A partir de ce moment, Aiguier s'affine toujours, presque maladivement. Il orchestre avec des timbres encore plus doux sa symphonie aérienne. Il veut que ses instruments ne jouent que dans la demi-teinte; mais même avec l'extrême simplicité d'un unisson, la monotonie d'une pédale, il donne encore une forte sensation lumineuse.

Il voit alors, avec le poète, tomber le soir à l'entrée des ports, quand:

 
Sous le ciel rose et clair comme une aile d'ibis,
Sur Marseille où descend déjà la nuit future,
La Méditerranée a fermé sa ceinture
Aux anneaux d'or, de malachite et de rubis.
 

Il annonce l'aube aux bords de la mer, quand:

 
L'étendue infinie est d'un bleu très profond
Où traînent vaguement des mousselines claires.
Et les vagues s'en vont leur route sans colères:
De la lumière au loin barrant tout l'horizon.
 
 
Plus d'étoiles, la nuit, glissées du ciel moins sombre
 
 
Mais l'aube en grisaillant les rochers laisse encore,
Dans l'entre-deux des caps, dormir des golfes d'ombre.
 
* * *

Aiguier, malade, s'est retiré au Pradet, près de Toulon; et le long de cette côte enchanteresse qui va par le chemin douanier du Golfe de la Garonne jusqu'au Mourillon, en passant sous les forts de Sainte-Marguerite et du cap Brun, au-dessus des promontoires roses, dans les anses endormies, à travers les lentisques et les myrtes, les bourraches fleuries en bleu pastel et les pins résineux, il ne regarde presque jamais que le ciel et l'eau, que «la clarté du soleil sur la mer profonde», et trouve cette simplicité plus grande que toute chose.

A peine consent-il à mettre dans les marines de cette époque une bande de terre qui s'avance gauchement sur l'horizon. C'est devant l'anse de Val-Bonète, le fort de la Colle-Noire et les oliviers clairsemés et insignifiants de ce coteau monotone.

Aiguier, du reste, réussissait peu dans l'arrangement; et son Ile des Saints (Salon de Paris, 1863), souvenir d'un séjour à Cannes, n'est vraiment pas heureuse.

Le ciel et la mer!

Ce sont là ses meilleures toiles. Il a rendu l'air impondérable d'une rare qualité lumineuse. Il a peint l'eau avec une substance particulière plus exquise que ne serait la sensation du trompe-l'œil. La fluidité et la mobilité de la mer sont notées par lui d'une touche sûre; on sent avec la transparence toute la puissance, la profondeur de la masse liquide.

Une de ses dernières toiles exposée à Paris en 1863, la Pêche au bourgin, à Val-Bonète, ne contient plus que le ciel et l'eau; mais c'est dans une harmonie limpide, un ciel de rêve, une mer moelleuse, recueillie, que ride à peine la brise expirante, et, dans une impression infiniment douce, la préface à «ce deuil quotidien de la terre, la tristesse de voir le soleil – cette joie du monde et ce père de toute vie, sombrer, s'abîmer dans les flots19».

Aiguier depuis longtemps va aussi vers sa fin, au moment où il arrive à la maturité de son talent.

* * *

Alors ce pâle cygne, dans son lit de larmes, commença le triste chant funèbre de sa mort.

Shakespeare.

Le peintre provençal va quelquefois encore vers sa chère Calanque de Val-Bonète. Il refait péniblement, miné par la phtisie, cette route exquise bordée de chèvrefeuilles fleuris, de genêts odorants, de fleurs sauvages qui se détachent sur la mer bleue; et, dans cette grisante atmosphère il retrouve assez d'énergie pour peindre encore quelques toiles dans une harmonie qui s'affine toujours, mais s'essouffle vite.

Maintenant, au hameau d'Astouret qui touche au Pradet, sur la petite éminence où se pressent en désordre quelques maisonnettes provençales gardées par les noirs cyprès en sentinelle, Aiguier s'éteint à quarante ans sans souffrance, en regardant jusqu'au bout, de son œil pénétrant d'artiste, l'horizon lointain où la mer et le ciel s'épousent dans la brume dorée des soirs.

Le 7 juin 1865, Auguste Aiguier était mort.

* * *

Il faut à l'artiste l'assurance de son talent, sinon son œuvre n'a pas sa raison d'être. Malgré tout, Aiguier fut un modeste qui eut, vivant à l'écart, une certaine conscience de sa valeur, mais qui n'en parlait jamais. Bien qu'on ait oublié de le montrer à la Centennale, Aiguier est un très grand peintre que fera revivre à son heure l'œuvre réparatrice du temps. Comme Corot, sa sincérité nous est sympathique, car, vivant de l'air, nous aimons ces peintres qui nous ont montré dans leurs toiles, comme recherche première, la qualité de l'atmosphère harmonisée poétiquement.

Aiguier eut aussi «cette puissance assez peu commune d'imaginer d'abord une atmosphère et d'en faire non seulement l'élément fuyant, fluide et respirable, mais la loi et pour ainsi dire le principe de ses tableaux20».

Ses tableaux ont encore le caractère «d'infinitude», dont parle Carlyle, puisque, suivant la belle expression de l'écrivain anglais, toutes les choses profondes sont chant, elles contiennent une pensée musicale: «Une pensée parlée par un esprit qui a pénétré dans le cœur le plus intime de la chose; qui en a découvert le plus intime mystère, c'est-à-dire la mélodie qui gît cachée en elle21». Et puisque aussi la profondeur de vision fait le poète, Aiguier possédait, autant que le poète héros, le sens des plus tendres harmonies et le profond instinct des idéalisations atmosphériques.

15.La Tribune artistique et littéraire.
16.Pierre Louÿs.
17.La Tribune artistique et littéraire.
18.Le catalogue de la vente des tableaux et études faite à Marseille en 1866 comporte 40 tableaux et 193 études.
19.Michelet. La Mer.
20.Eug. Fromentin. Les Maîtres d'autrefois.
21.Carlyle. Le Héros comme poète.