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Czytaj książkę: «Correspondance, 1812-1876 — Tome 5», strona 9

Czcionka:

DCXIII
AU MÊME

Nohant, 28 septembre 1866.

C'est convenu, cher camarade et bon ami. Je ferai mon possible pour être à Paris à la représentation de la pièce de votre ami, et j'y ferai mon devoir fraternel comme toujours; après quoi, nous irons chez vous et j'y resterai huit jours, mais à la condition que vous ne vous dérangiez pas de votre chambre. Ça me désole, de déranger, et je n'ai pas besoin de tant de Chinois pour dormir. Je dors partout, dans les cendres ou sous un banc de cuisine, comme un chien de basse-cour. Tout est reluisant de propreté chez vous, donc on est bien partout. Je ferai le grabuge de votre mère et nous bavarderons, vous et moi, tant et plus. S'il fait beau, je vous forcerai à courir. S'il pleut toujours, nous nous cuirons les os des guiboles en nous racontant nos peines de coeur. Le grand fleuve coulera noir ou gris, sous la fenêtre, disant toujours: Vite! vite! et emportant nos pensées, et nos jours et nos nuits, sans s'arrêter à regarder si peu de chose.

J'ai emballé et mis à la grande vitesse une bonne épreuve du dessin de Couture. C'est la meilleure que j'aie eue; je ne l'ai retrouvée qu'ici. J'y ai joint une épreuve photographique d'un dessin de Marchal, qui a été ressemblant aussi; mais, d'année en année, on change. L'âge donne sans cesse un autre caractère à la figure des gens qui pensent, et c'est pourquoi leurs portraits ne se ressemblent pas longtemps. Je rêvasse tant, et je vis si peu, que je n'ai parfois que trois ans. Mais, le lendemain, j'en ai trois cents, si la rêverie a été noire. N'est-ce pas la même chose pour vous? Ne vous semble-t-il pas, par moments, que vous commencez la vie sans même savoir ce que c'est, et, d'autres fois, ne sentez-vous pas sur vous le poids de plusieurs milliers de siècles, dont vous avez le souvenir vague et l'impression douloureuse? D'où venons-nous et où allons-nous? Tout est possible, puisque tout est inconnu.

Embrassez pour moi la belle et bonne maman que vous avez. Je me fais une joie d'être avec vous deux. Tâchez donc de retrouver cette blague sur les pierres celtiques, ça m'intéresserait beaucoup. Avait-on, quand vous les avez vues, ouvert le galgal de Lockmariaker et déblayé le dolmen auprès de Plouharnel? Ces gens-là écrivaient, puisqu'il y a des pierres couvertes d'hiéroglyphes, et ils travaillaient l'or très bien, puisqu'on a trouvé des torques28 très bien façonnées.

Mes enfants, qui sont, comme moi, vos grands admirateurs, vous envoient leurs compliments, et je vous embrasse au front, puisque Sainte-Beuve a menti.

G. SAND.

DCXIV
A M. NOEL PARFAIT, A PARIS

Nohant, 28 septembre 1866.

Mon parrain, Votre filleule dévouée vous demande un service: c'est de lire le manuscrit (ci-joint) de madame Thérèse Blanc, qui est une personne de talent et de mérite, tout à fait digne de votre intérêt (la femme) et de votre attention (le livre).

Si vous en rendez bon compte à MM. Lévy, ils le publieront, et il y aura justice à donner un jeune et gracieux esprit, déjà solide, le moyen de se faire connaître et la confiance pour s'exercer. Vous n'aurez donc pas d'ennui à lire son ouvrage, et le service que je vous demande n'est pas un acte de pénible dévouement.

A vous de coeur.

G. SAND.

DCXV
A MADEMOISELLE MARGUERITE LHUILLIER, A LA BOULAINE (NIÈVRE)

Nohant, 8 octobre 1866.

Où es-tu, ma chère bonne petite Margot? J'espérais recevoir ici de tes nouvelles, en revenant de ton pays de Bretagne, où j'ai passé quelques jours avec mes enfants. Ton silence m'inquiète. Je n'ai pas ton adresse au juste. Dois-je attendre que tu me la donnes? Ne crains pas que je la répande. Je peux écrire sous le couvert d'Alexandrine. Enfin, dis-moi que tu n'es pas malade et pas triste. Tu sais qu'au moindre spleen sérieux, il faut venir à moi; qu'il y a Nohant, Gargilesse, Palaiseau et Paris, mes quatre domiciles à ton service, et moi, enchantée de te distraire et de te soigner.

Un mot de toi, chère enfant! ne me laisse pas dans l'inquiétude.

Dis-moi si cette campagne est assez installée pour toi I'hiver, et si Alexandrine s'y habitue. Je t'embrasse de tout mon coeur, et je t'envoie les amitiés de mes enfants.

Amitiés à Alexandrine aussi.

DCXVI
A GUSTAVE FLAUBERT, A CROISSET

Nohant, lundi soir, octobre 1866.

Cher ami, Votre lettre m'est revenue de Paris. Il ne m'en manque pas, j'y tiens trop pour en laisser perdre. Vous ne me parlez pas inondations, je pense donc que la Seine n'a pas fait de bêtises chez vous et que le tulipier n'y a pas trempé ses racines. Je craignais pour vous quelque ennui, et je me demandais si votre levée était assez haute pour vous protéger. Ici, nous n'avons rien à redouter en ce genre: nos ruisseaux sont très méchants, mais nous en sommes loin.

Vous êtes heureux d'avoir des souvenirs si nets des autres existences. Beaucoup d'imagination et d'érudition, voilà votre mémoire; mais, si on ne se rappelle rien de distinct, on a un sentiment très vif de son propre renouvellement dans l'éternité. J'avais un frère très drôle, qui souvent disait: «Du temps que j'étais chien...» Il croyait être homme très récemment. Moi je crois que j'étais végétal ou pierre. Je ne suis pas toujours bien sûre d'exister complètement, et, d'autres fois, je crois sentir une grande fatigue accumulée pour avoir trop existé. Enfin, je ne sais pas, et je ne pourrais pas, comme vous, dire: «Je possède le passé.

Mais alors vous croyez qu'on ne meurt pas, puisqu'on redevient? Si vous osez le dire aux chiqueurs, vous avez du courage, et c'est bien. Moi, j'ai ce courage-là, ce qui me fait passer pour imbécile; mais je n'y risque rien: je suis imbécile sous tant d'autres rapports.

Je serai enchantée d'avoir votre impression écrite sur la Bretagne; moi, je n'ai rien vu assez pour en parler. Mais je cherchais une impression générale, et ça m'a servi pour reconstruire un ou deux tableaux dont j'avais besoin. Je vous lirai ça aussi, mais c'est encore un gâchis informe.

Pourquoi votre voyage est-il resté inédit? Vous êtes coquet; vous ne trouvez pas tout ce que vous faites digne d'être montré. C'est un tort. Tout ce qui est d'un maître est enseignement, et il ne faut pas craindre de montrer ses croquis et ses ébauches. C'est encore très au-dessus du lecteur, et on lui donne tant de choses à son niveau, que le pauvre diable reste vulgaire, Il faut aimer les bêtes plus que soi; ne sont-elles pas les vraies infortunes de ce monde? Ne sont-ce pas les gens sans goût et sans idéal qui s'ennuient, ne jouissent de rien et ne servent à rien? Il faut se laisser abîmer, railler et méconnaître par eux, c'est inévitable; mais il ne faut pas les abandonner, et toujours il faut leur jeter du bon pain, qu'ils préfèrent ou non l'ordure; quand ils seront soûls d'ordures, ils mangeront le pain; mais, s'il n'y en a pas, ils mangeront l'ordure in secula seculorum.

Je vous ai entendu dire: «Je n'écris que pour dix ou douze personnes.>> On dit, en causant, bien des choses qui sont le résultat de l'impression du moment; mais vous n'étiez pas seul à le dire: c'était l'opinion du lundi ou la thèse de ce jour-là; j'ai protesté intérieurement. Les douze personnes pour lesquelles on écrit et qui vous apprécient, vous valent ou vous surpassent; vous n'avez jamais eu, vous, aucun besoin de lire les onze autres pour être vous. Donc, on écrit pour tout le monde, pour tout ce qui a besoin d'être initié; quand on n'est pas compris, on se résigne et on recommence. Quand on l'est, on se réjouit et on continue. Là est tout le secret de nos travaux persévérants et de notre amour de l'art. Qu'est-ce que c'est que l'art sans les coeurs et les esprits où on le verse? Un soleil qui ne projetterait pas de rayons, et ne donnerait la vie à rien.

En y réfléchissant, n'est-ce pas votre avis? Si vous êtes convaincu de cela, vous ne connaîtrez jamais le dégoût et la lassitude. Et, si le présent est stérile et ingrat, si on perd toute action, tout crédit sur le public, en le servant de son mieux, reste le recours à l'avenir, qui soutient le courage et efface toute blessure d'amour-propre. Cent fois dans la vie, le bien que l'on fait ne paraît servir à rien d'immédiat; mais cela entretient quand même la tradition du bien vouloir et du bien faire, sans laquelle tout périrait. Est-ce depuis 89 qu'on patauge? Ne fallait — il pas patauger pour arriver à 48, où l'on a pataugé plus encore, mais pour arriver à ce qui doit être? Vous me direz comment vous l'entendez, et je relirai Turgot pour vous plaire. Je ne promets pas d'aller jusqu'à d'Holbach, bien qu'il ait du bon!

Vous m'appellerez à l'époque de la pièce de Bouilhet. Je serai ici, piochant beaucoup, mais prête à courir et vous aimant de tout mon coeur. À présent que je ne suis plus une femme, si le bon Dieu était juste, je deviendrais un homme; j'aurais la force physique et je vous dirais: «Allons donc faire un tour à Carthage ou ailleurs. Mais voilà, on marche à l'enfance, qui n'a ni sexe ni énergie, et c'est ailleurs qu'on se renouvelle; ? Je saurai ça avant vous, et, si je peux, je reviendrai vous le dire en songe.

DCXVII
AU MÊME

Paris, 10 novembre 1866.

En arrivant à Paris, j'apprends une triste nouvelle. Hier soir, pendant que nous causions, — et je crois qu'avant-hier nous avions parlé de lui, — mourait mon ami Charles Duveyrier, le plus tendre coeur et l'esprit le plus naïf. On l'enterre demain! Il avait un an de plus que moi. Ma génération s'en va pièce à pièce. Lui survivrai-je? Je ne le désire pas ardemment, surtout les jours de deuil et d'adieux. C'est comme Dieu voudra, à condition qu'il me permette d'aimer toujours dans cette vie et dans l'autre.

Je garde aux morts une vive tendresse. Mais on aime les vivants autrement. Je vous donne la part de mon coeur qu'il avait; ce qui, joint à celle que vous avez, fait une grosse part. Il me semble que ça me console de vous faire ce cadeau-là. Littérairement, ce n'était pas un homme de premier ordre, on l'aimait pour sa bonté et sa spontanéité. Moins occupé d'affaires et de philosophie, il eût eu un talent charmant. Il laisse une jolie pièce: Michel Perrin.

J'ai fait la moitié de la route seule, pensant à vous et à la maman, à Croisset, et regardant la Seine, qui, grâce à vous, est devenue une divinité amie. Après cela, j'ai eu la société d'un particulier et de deux femmes d'une bêtise bruyante et fausse comme la musique de la pantomime de l'autre jour. Exemple: «J'ai regardé le soleil, ça m'a laissé comme deux points dans les yeux.» Le mari: «Ça s'appelle des points lumineux.»

Et ainsi pendant une heure sans débrider. Je vas dormir toute cassée; j'ai pleuré comme une bête, toute la soirée, et je vous embrasse d'autant plus, cher ami.

Aimez-moi plus qu'avant, puisque j'ai de la peine.

DCXVIII
A M. CHARLES PONCY, A TOULON

Paris, 16 novembre 1866.

Mes chers enfants, je suis à Paris pour quelques jours. Je viens de Normandie pour la seconde fois. Auparavant, j'avais été en Bretagne avec Maurice et sa femme, puis à Nohant. Demain, je vais à Palaiseau pour revenir à Paris, d'où j'irai encore à Nohant. Voyez quelle hirondelle je suis devenue! Je ne m'arrête nulle part et je travaille partout. Depuis que la cruelle destinée m'a rendue indépendante, je profite de la seule compensation qu'elle m'offre: la liberté de courir et d'aller devant moi, souvent pour le seul plaisir de remuer, dont j'étais depuis longtemps privée. Il faut secouer le chagrin, qui est l'inévitable ennemi du bonheur. Ceci a l'air d'un mot de la Palisse. Non! on est heureux par soi-même quand on sait s'y prendre: avoir des goûts simples, un certain courage, une certaine abnégation, l'amour du travail et avant tout une bonne conscience.

Donc, le bonheur n'est pas une chimère, j'en suis sûre à présent; moyennant l'expérience et la réflexion, on tire de soi beaucoup; on refait même sa santé par le vouloir et la patience. Mais l'implacable mort et le malheur des autres, souvent incurable malgré tous nos soins, voilà ce qui nous rappelle notre solidarité et le bonheur aux prises perpétuelles avec le chagrin, il ne faudrait pas que l'un détruisît l'autre. Le bonheur que nous savons et pouvons nous donner nous rendrait égoïstes et stériles. Le chagrin qui empêcherait notre sagesse intérieure de réagir, nous rendrait amers et lâches. Vivons donc la vie comme elle est, sans ingratitude et sans joie durable et assurée.

Nous ne changerons pas cela. Acceptons-le. Ainsi, vous voilà bien portants pour le moment et incertains de l'époque de votre voyage. Prévenez-m'en toujours une quinzaine à l'avance; car vous voyez que je ne me fixe pas. Tant que la santé ira, je continuerai à fuir. Fuir quoi? Peut-être pourrais-je dire qu'à mon âge on a besoin de ne pas trop contempler, sous le même rayon de lumière ambiante, la solennité du vrai.

Mais, au lieu de vous parler de choses de la vie courante, je vous fais un cours de philosophie très opposé peut-être à la disposition d'esprit où vous êtes. Vous voudriez et ne voudriez pas marier votre Solange. Elle ne veut pas; elle fait comme Maurice, qui se trouvait si heureux par moi, qu'il craignait de ne l'être pas autrement. J'ai dû le tourmenter parce qu'il se faisait tard pour lui. A présent, il est content d'avoir surmonté son appréhension.

Il ne faut pourtant pas qu'une femme attende trop et contrarie la nature, qui reprend sa tyrannie un jour ou l'autre.

Dites mes amitiés à tous ces bons amis qui se souviennent de moi, et embrassez pour moi vos chères filles.

A Nohant, on va bien. Aurore devient charmante. On m'écrit tous les jours.

Je compte bien sur l'envoi de vos oeuvres, et je suis très heureuse de cette publication.

A vous succès et bénédictions, mon cher enfant.

DCIX
A MAURICE SAND, A NOHANT

Paris, 19 novembre 1866.

Mes enfants, J'embarque demain matin Cascaret29 pour Évreux; je le mène ce soir au dîner Magny; il va ouvrir de grands yeux en entendant les paradoxes exubérants qui s'y débitent. Quant à interroger Berthelot, je ne suis pas de force à lui faire des questions bien posées et à te rendre compte de ses réponses. Je ne suis d'ailleurs jamais à côté de lui et il est si timide, qu'il est intimidant. Je crois que Francis nous en dirait davantage. Il est tout frais émoulu de ces choses et très capable de me dire où en est la science. Il dit une chose juste et terrible que je savais. La philosophie de l'esprit humain, telle que nous la connaissons, admet comme inéluctable le principe de la division de la matière à l'infini. La chimie ne repose que sur la constatation des molécules; et qui dit molécule (si infinitésimale qu'elle soit) dit corps défini, c'est-à-dire indivisible. Donc, l'esprit humain patauge dans l'enfance des problèmes élémentaires. Ce qu'il admet logiquement et rationnellement, il le nie scientifiquement. D'où il résulte qu'on peut tout supposer, tout inventer, et que le fantastique n'a pas de limites à l'heure qu'il est. Je t'avais donné un article, de quoi? Je ne sais plus, de la Revue Germanique, je crois, où l'état de la question qui t'intéresse était très bien précisé. Tu l'as trouvé ennuyeux; tu voulais y trouver justement le fantastique que tu dois trouver toi-même. Il faut pourtant le relire et l'avoir sous les yeux, il y était dit que l'on pouvait arriver à produire des tissus végétaux, peut-être des matières animales, mais non animées ni animables. Force l'hypothèse et que ton fantastique produise une demi-animation, effrayante et burlesque.

Ne te lance pourtant pas trop dans Mademoiselle Azote30: «Qui trop embrase, mal éteint.»

DCXX
A GUSTAVE FLAUBERT, A CROISSET

Palaiseau, 29 novembre 1866.

Il ne faut être ni spiritualiste ni matérialiste, dites-vous, il faut être naturaliste. C'est une grosse question.

Mon Cascaret— c'est comme ça que j'appelle le petit ingénieur — la résoudra comme il l'entendra. Ce n'est pas une bête, et il passera par bien des idées, des déductions et des émotions avant de réaliser la prédiction que vous faites. Je ne le catéchise qu'avec réserve; car il est plus fort que moi sur bien des points et ce n'est pas le spiritualisme catholique qui l'étouffe. Mais la question par elle-même est très sérieuse et plane sur notre art, à nous troubadours plus ou moins pendulifères, ou penduloïdes. Traitons-la d'une manière toute impersonnelle; car ce qui est bien pour l'un peut avoir son contraire très bien pour l'autre. Demandons-nous, en faisant abstraction de nos tendances ou de nos expériences, si l'être humain peut recevoir et chercher son entier développement physique sans que l'intellect en souffre. Oui, dans une société idéale et rationnelle, cela serait ainsi Mais, dans celle où nous vivons et dont il faut, bien nous contenter, la jouissance et l'abus ne vont-ils pas de compagnie, et peut-on les séparer, les limiter, à moins d'être un sage de première volée? Et, si l'on est un sage, adieu l'entraînement, qui est le père des joies réelles!

La question, pour nous artistes, est de savoir si l'abstinence nous fortifie, ou si elle nous exalte trop, ce qui dégénère en faiblesse. — Vous me direz: «Il y a temps pour tout et puissance suffisante pour toute dépense de forces.» Donc, vous faites une distinction et vous posez des limites, il n'y a pas moyen de faire autrement. La nature, croyez-vous, en pose d'elle-même et nous empêche d'abuser. Ah! mais non, elle n'est pas plus sage que nous, qui sommes aussi la nature.

Nos excès de travail, comme, nos excès de plaisir, nous tuent parfaitement, et plus nous sommes de grandes natures, plus nous dépassons les bornes et reculons la limite de nos puissances.

Non, je n'ai pas de théories. Je passe ma vie à poser des questions et à les entendre résoudre dans un sens ou dans l'autre, sans qu'une conclusion victorieuse et sans réplique m'ait jamais été donnée. J'attends la lumière d'un nouvel état de mon intellect et de mes organes dans une autre vie; car, dans celle-ci, quiconque réfléchit embrasse jusqu'à leurs dernières conséquences les limites du pour et du contre. C'est M. Platon, je crois, qui demandait et croyait tenir le lien. Il ne l'avait pas plus que nous. Pourtant ce lien existe, puisque l'univers subsiste sans que le pour et le contre qui le constituent se détruisent réciproquement. Comment s'appellera-t-il pour la nature matérielle? équilibre, il n'y a pas à dire; et pour la nature spirituelle? modération, chasteté relative, abstinence des abus, tout ce que vous voudrez, mais ça se traduira toujours par équilibre. Ai-je tort, mon maître?

Pensez-y, car, dans nos romans, ce que font ou ne font pas nos personnages ne repose pas sur une autre question que celle-là. Posséderont-ils, ne posséderont-ils pas l'objet de leurs ardentes convoitises? Que ce soit amour ou gloire, fortune ou plaisir, dès qu'ils existent, ils aspirent à un but. Si nous avons en nous une philosophie, ils marchent droit selon nous; si nous n'en avons pas, ils marchent au hasard et sont trop dominés par les événements que nous leur mettons dans les jambes. Imbus de nos propres idées, ils choquent souvent celles des autres. Dépourvus de nos idées et soumis à la fatalité, ils ne paraissent pas toujours logiques. Faut-il mettre un peu ou beaucoup de nous en eux? ne faut-il mettre que ce que la société met dans chacun de nous?

Moi, je suis ma vieille pente, je me mets dans la peau de mes bonshommes. On me le reproche, ça ne fait rien. Vous, je ne sais pas bien si, par procédé ou par instinct, vous suivez une autre route. Ce que vous faites vous réussit; voilà pourquoi je vous demande si nous différons sur la question des luttes intérieures, si l'homme-roman doit en avoir, ou s'il ne doit pas les connaître.

Vous m'étonnez toujours avec votre travail pénible; est-ce une coquetterie? Ça parait si peu! Ce que je trouve difficile, moi, c'est de choisir entre les mille combinaisons de l'action scénique, qui peuvent varier à l'infini, la situation nette et saisissante qui ne soit pas brutale ou forcée. Quant au style, j'en fais meilleur marché que vous.

Le vent joue de ma vieille harpe comme il lui plaît d'en jouer. Il a ses hauts et ses bas; ses grosses notes et ses défaillances; au fond, ça m'est égal, pourvu que l'émotion vienne, mais je ne peux rien trouver en moi. C'est l'autre qui chante à son gré, mal ou bien, et, quand j'essaye de penser à ça, je m'en effraye et me dis que je ne suis rien, rien du tout.

Mais une grande sagesse, nous sauve; nous savons nous dire: «Eh bien, quand nous ne serions absolument que des instruments, c'est encore un joli état et une sensation à nulle autre pareille que de se sentir vibrer.»

Laissez donc le vent courir un peu dans vos cordes. Moi, je crois que vous prenez plus de peine qu'il ne faut, et que vous devriez laisser faire l'autre plus souvent. Ça irait tout de même et sans fatigue. L'instrument pourrait résonner faible à de certains moments; mais le souffle, en se prolongeant, trouverait sa force. Vous feriez après, ce que je ne fais pas, ce que je devrais faire; vous remonteriez le ton du tableau tout entier et vous sacrifieriez ce qui est trop également dans la lumière.

Vale et me ama.

28
  Colliers gaulois.


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29
  Francis Laur, ingénieur civil.


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30
  Roman de Maurice Sand.


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