Czytaj książkę: «Œuvres complètes de lord Byron, Tome 3»
LE PÉLERINAGE DE CHILDE HAROLD, POÈME CHEVALERESQUE
L'univers est une espèce de livre dont on n'a lu que la première page, quand on n'a vu que son pays; j'en ai feuilleté un assez grand nombre, que j'ai trouvées également mauvaises. Cet examen ne m'a pas été infructueux. Je haïssais ma patrie. Toutes les impertinences des peuples divers parmi lesquels j'ai vécu m'ont réconcilié avec elle. Quand je n'aurais tiré d'autre bénéfice de mes voyages que celui-là, je n'en regretterais ni les frais ni les fatigues.
(Le Cosmopolite.)
PRÉFACE
Le poème suivant a été écrit, en grande partie, au milieu des scènes qu'il est destiné à retracer. Il fut commencé en Albanie, et les parties relatives à l'Espagne et au Portugal ont été composées d'après les observations de l'auteur sur ces contrées. Voilà ce qu'il pouvait être nécessaire d'établir pour l'exactitude des descriptions. Les lieux que l'on a essayé d'esquisser sont des scènes de l'Espagne, du Portugal, de l'Épire, de l'Acarnanie et de la Grèce1. Là, pour le moment, s'arrête le poème. L'accueil qu'il recevra du public décidera si l'auteur peut se hasarder à mener ses lecteurs dans la capitale de l'Orient, en passant par l'Ionie et la Phrygie. Ces deux chants ne sont purement qu'un essai.
Un personnage fictif a été introduit dans le poème, afin de lui donner quelque apparence de liaison, sans toutefois prétendre à la régularité. Des amis, dont les opinions sont pour moi d'un grand poids, m'ont fait observer que le caractère fictif de Childe Harold pourrait faire supposer que j'ai eu l'intention de peindre un personnage réel. Je demande la permission de repousser une fois pour toutes cette supposition. Harold est l'enfant de l'imagination, créé pour le but que j'ai déjà indiqué. Dans quelques particularités vraiment triviales, et dans d'autres purement locales, cette supposition pourrait avoir quelque fondement; mais dans le plus grand nombre des cas, je puis espérer qu'elle serait tout-à-fait gratuite2.
Il est superflu de dire que le nom de Childe, comme Childe-Waters, Childe-Childers, etc., est employé comme plus convenable à la vieille structure de vers que j'ai adoptée. Le Bon Soir (ou l'Adieu) qui se trouve au commencement du premier chant, m'a été suggéré par le Bon Soir de lord Maxwell, dans le Border Minstrelsy (Recueil d'anciennes ballades des frontières de l'Écosse), publié par M. Scott.
On pourra trouver quelque légère ressemblance dans le premier chant avec différens poèmes qui ont été publiés sur des sujets espagnols; mais cette coïncidence ne peut être que le résultat du hasard; car, à l'exception de quelques stances qui terminent ce chant, il a été écrit tout entier dans le Levant.
La stance de Spenser, selon le sentiment de l'un de nos plus célèbres poètes, est susceptible d'une grande variété de tons. Le docteur Beattie fait l'observation suivante: «Il n'y a pas long-tems que j'ai commencé un poème dans le style et avec la stance de Spenser. Je me propose, dans ce poème, de me donner pleine liberté, et d'être tour à tour plaisant ou pathétique, descriptif ou sentimental, tendre ou satirique, comme l'humeur m'en prendra; car, si je ne me trompe, la mesure que j'ai adoptée admet également tous les genres de composition3.» Rassuré dans mon opinion par une telle autorité, et par l'exemple de quelques poètes italiens du premier ordre, je n'ai pas besoin de me justifier d'avoir essayé d'atteindre à une semblable variété de tons dans la composition suivante, persuadé que, si elle ne réussit pas, la faute en sera dans l'exécution, plutôt que dans une forme sanctionnée par l'exemple de l'Arioste, de Thompson et de Beattie.
ADDITION À LA PRÉFACE
J'ai attendu, pour ajouter ces lignes, que tous nos journaux périodiques eussent distribué leur portion habituelle de critique. Je n'ai rien à objecter contre la justice de leurs observations en général. Il me conviendrait mal de me récrier contre leurs censures vraiment légères; car, peut-être, s'ils avaient été moins bienveillans, ils auraient été plus francs. C'est pourquoi, en leur offrant à tous, en général, et à chacun en particulier, mes sincères remercîmens pour leur courtoisie, il y a un point sur lequel seulement je hasarderai une observation. Parmi les nombreuses objections justement portées contre le caractère très-indifférent du pélerin Childe (que, malgré toutes les insinuations opposées, je soutiendrai être un personnage fictif), on a soutenu que, outre l'anachronisme évident, Childe n'était rien moins que chevaleresque, car les tems de la chevalerie furent des tems d'amour, d'honneur, et ainsi de suite. Or, on sait maintenant que ces tems où «l'amour du bon vieux tems, l'amour antique4,» florissait, furent les siècles les plus corrompus. Ceux qui conserveraient quelques doutes sur ce sujet peuvent consulter Sainte-Palaye, au premier endroit venu, et particulièrement la page 69 du deuxième volume. Les vœux de la chevalerie n'étaient pas mieux gardés qu'aucun autre vœu, et les chants des troubadours n'étaient pas plus décens que ceux d'Ovide, et ils étaient certainement moins élégans. —Les cours d'amour, les parlemens d'amour ou de courtoisie et de gentillesse, se distinguèrent plus par l'amour que par la courtoisie et la gentillesse. (Voyez Roland, sur le même sujet que Sainte-Palaye.) Quelque autre objection que l'on fasse contre le personnage très-peu aimable de Childe Harold, il fut aussi parfait chevalier dans ses attributs que ceux de qui l'on disait: «Il ne fut pas un garçon de cabaret, mais un chevalier du Temple5». Je crains que sir Tristram et sir Lancelot n'aient pas été meilleurs qu'ils ne devaient être, quoiqu'ils fussent de très-poétiques personnages et de vrais chevaliers sans peur, mais non sans reproche. Si l'histoire de l'institution de la Jarretière n'est point une fable, les chevaliers de cet ordre ont, pendant plusieurs siècles, porté la couleur d'une comtesse de Salisbury, d'indifférente mémoire. Assez sur la chevalerie. Il n'était pas nécessaire à Burke de regretter que ses jours fussent passés, quoique Marie-Antoinette ait été tout-à-fait aussi chaste que la plupart des dames en l'honneur desquelles des lances furent rompues et des chevaliers démontés.
Avant la naissance de Bayard, et jusqu'à celle de sir Joseph Bankes (les plus chastes et les plus illustres chevaliers des tems anciens et des tems modernes), on trouvera peu d'exceptions pour contredire cette proposition; et je craindrais bien qu'une légère étude ne nous apprît à ne plus regretter ces extravagantes momeries du moyen âge.
Je laisse maintenant Childe Harold vivre tous ses jours. Il eût été plus agréable, et certainement plus facile, de peindre un aimable caractère. On aurait pu facilement déguiser ses défauts, le faire agir davantage, et faire moins de réflexions. On n'a pas eu l'intention de le proposer comme un modèle; mais plutôt de montrer que la précoce perversion de l'esprit et des sentimens moraux conduit à la satiété des plaisirs passés, et empêche de jouir de plaisirs nouveaux; et que même les beautés de la nature, le stimulant des voyages, et tous les mobiles du cœur (excepté l'ambition, le plus puissant de tous), sont perdus pour une ame ainsi constituée, ou mal dirigée. Si j'avais continué ce poème, j'aurais approfondi ce caractère d'Harold, comme on a pu déjà le remarquer, sur la fin du second chant; car l'esquisse que je me proposais de remplir avec lui était, sauf quelques différences, l'essai d'un moderne Timon, ou peut-être d'un Zéluco poétique.
À YANTHÉ
Dans ces climats que je viens de parcourir, et dont la beauté a long-tems paru sans rivale; dans ces visions qui découvrent au cœur des formes qu'il regrette, en soupirant, d'avoir seulement rêvées, rien ne m'a semblé, en réalité et en imagination, comparable à toi. Non; après t'avoir vue, j'essaierais vainement de peindre ces charmes qui sont aussi variés que brillans. Pour celui qui ne te voit pas, mes expressions seraient impuissantes; pour celui qui a le bonheur de te contempler, quel langage pourrait dignement les célébrer?
Ah! puisses-tu toujours être ce que tu es maintenant; ne pas rendre trompeuses les promesses de ton printems; être aussi belle dans tes formes suaves, avoir un cœur aussi tendre et aussi pur; être sur la terre l'image de l'amour sans ailes, et innocente au-delà des pensées de l'espérance! sans doute, celle qui maintenant élève si tendrement ta jeunesse, voit, dans toi, brillante de tant d'attraits; l'arc-en-ciel de ses jours à venir, devant les couleurs célestes duquel disparaissent toutes ses tristesses.
Jeune Péri de l'Occident! – c'est un bien pour moi que le nombre de mes années soit déjà le double des tiennes; mon regard sans amour peut s'arrêter sur toi, et voir briller, sans danger, tes beautés ravissantes. Heureux, si je ne les vois jamais dans leur déclin! et plus heureux encore, lorsque tant de jeunes cœurs seront déchirés, de sauver le mien du destin cruel que tes yeux préparent à ceux dont l'admiration pour toi naîtra dans l'avenir, mais qui éprouveront les tourmens qui se trouvent mêlés aux heures même les plus enivrantes, de l'amour!
Oh! que cet œil qui, vif comme celui de la gazelle, tantôt brillamment hardi, tantôt délicieusement modeste, séduit lorsqu'il s'égare, éblouit quand il se fixe; que cet œil s'arrête sur ces pages, et ne refuse pas à mes vers ce sourire pour lequel mon cœur soupirerait peut-être vainement, si je pouvais être pour toi quelque chose de plus qu'un ami. Cher enfant, accorde-moi cette grâce! Ne me demande pas pourquoi je dédie mes chants à une beauté si jeune; mais permets-moi de joindre à ma couronne passagère un lis impérissable et sans tache.
C'est ainsi que ton nom sera attaché à mes vers; et aussi long-tems que des yeux indulgens jetteront un regard sur les pages d'Harold, le nom d'Yanthé, consacré dans ces vers, sera vu le premier, et le dernier oublié. Mes jours une fois comptés, puisse cet ancien hommage attirer tes jolis doigts sur la lyre de celui qui t'a célébrée dans tout l'éclat de tes charmes! C'est tout ce que je puis désirer pour ma mémoire; l'espérance n'oserait réclamer autant, l'amitié pourrait-elle demander moins?
Chant Premier
1. O toi, à qui l'Hellénie donnait une origine céleste! Muse! créée ou inventée au gré du ménestrel; depuis que des lyres modernes t'ont fait rougir, la mienne n'ose pas t'appeler de ta colline sacrée. Cependant j'ai erré sur les bords de ton ruisseau célèbre; oui, j'ai soupiré sur les autels de Delphes, depuis long-tems déserts6; où, excepté le faible murmure de ta source antique, tout est muet; mon humble voix n'éveillera point les neuf sœurs fatiguées, pour favoriser une histoire aussi simple, et des chants aussi obscurs que les miens.
2. Naguère dans l'île d'Albion habitait un jeune homme qui ne trouvait aucun charme dans les sentiers de la vertu; mais il consumait ses jours dans les excès les plus grossiers, et fatiguait de ses joies l'oreille assoupie de la nuit. Hélas! c'était enfin un être déhonté, livré tout entier à la bonne chère et aux plaisirs impies. Peu de choses terrestres lui étaient agréables, excepté des courtisanes, des convives sensuels et des flatteurs de hauts et de bas degrés.
3. Childe Harold était ce personnage. Mais il ne me convient pas de dire d'où il tirait son nom et sa noblesse; il suffit de savoir que peut-être, dans d'autres tems, ils furent renommés et pleins de gloire: mais un misérable vaurien souille à jamais un nom, quelque illustre qu'il ait été dans les vieux tems. Non, tout ce que la science du blason tire d'un cercueil étroit; la prose la plus fleurie, les mensonges flatteurs de la poésie ne peuvent ennoblir de mauvaises actions ou justifier un crime.
4. Childe Harold, comme un autre insecte, se jouait au soleil de son midi, sans prévoir qu'avant la fin de son jour éphémère, un orage glacé pouvait ruiner toutes ses espérances. Mais long-tems avant qu'il eût atteint le tiers de sa carrière, Childe Harold avait éprouvé quelque chose de pire que le malheur: c'était le dégoût de la satiété. Il se fatigua d'habiter sa terre natale, qui lui sembla plus triste que la cellule d'un ermite.
5. Il avait parcouru le vaste labyrinthe du vice, sans s'étonner de ses désordres. Il avait soupiré pour un grand nombre de beautés, mais il n'en aima qu'une; et cette femme seule qu'il aimait, hélas! ne put jamais être à lui. Ah! combien elle fut heureuse d'échapper à celui dont les baisers eussent souillé un être si chaste; à celui qui eût bientôt abandonné ses charmes pour des jouissances vulgaires, dépouillé ses féconds domaines pour couvrir ses profusions, et dédaigné de goûter les félicités de la paix intérieure!
6. Childe Harold avait le cœur entièrement desséché, et il voulait fuir ses compagnons de débauches. On dit que de tems en tems une larme soudaine était prête à s'échapper de ses yeux, mais l'orgueil l'y venait glacer aussitôt. Il promenait souvent ses tristes rêveries dans la solitude, et il résolut de quitter sa terre natale pour visiter, au-delà des mers, des climats brûlans. Rassasié du plaisir, il aspirait après le malheur, et pour changer de spectacle il serait même descendu dans le séjour des ombres.
7. Childe Harold abandonna le château de son père. C'était un vaste et vénérable édifice, si vieux qu'il semblait assez solide seulement pour ne pas tomber, malgré l'énorme appui de ses ailes massives. Monastique demeure, condamnée à de vils usages! Là où la superstition fit jadis son antre, les joyeuses nymphes de Paphos y venaient chanter et sourire: et les moines ont pu croire que leur tems était revenu; si les anciennes histoires disent vrai, et n'ont point fait tort à ces saints hommes.
8. Cependant souvent, dans ses ivresses les plus insensées, des angoisses étranges passaient sur le front d'Harold, comme si le souvenir de quelque lutte sanglante, ou d'une passion trompée, l'eût poursuivi sans cesse. Mais personne ne connaissait ce secret, et ne cherchait peut-être à le connaître; car il n'avait point cette ame ouverte et simple qui trouve du soulagement à confier ses peines, et il ne recherchait point les conseils ou les consolations d'un ami, quels que fussent les chagrins qu'il ne pouvait effacer de sa mémoire.
9. Et personne ne l'aimait, quoiqu'il rassemblât dans son château et ses domaines des débauchés venus de loin et de près. Il savait qu'ils étaient seulement les flatteurs de l'heure splendide de ses fêtes, et des parasites ingrats de ses festins. – Oui! personne ne l'aimait, pas même ses maîtresses chéries. – La pompe et le pouvoir seulement charment le cœur des femmes; et partout où brillent ces avantages, l'amour trouve un compagnon de plaisir. Les jeunes femmes, comme les papillons, se laissent prendre aux brillantes apparences, et Mammon réussit où des séraphins pourraient se désespérer.
10. Childe Harold avait une mère; il ne l'oublia point, quoiqu'au moment du départ il évita de la voir. Il avait une sœur qu'il aimait; mais il ne la vit pas non plus avant de commencer son long pélerinage. S'il avait des amis, il ne dit adieu à aucun; cependant ne concluez pas de là que son cœur était un cœur d'airain. Oui, ceux qui ont connu ce que c'est que d'aimer avec affection des objets chéris sentiront dans leur douleur que de semblables adieux brisent le cœur dont ils espéraient adoucir les regrets.
11. Son château, ses domaines variés et nombreux, les dames au doux sourire dans le sein desquelles il avait trouvé la volupté, et dont les grands yeux bleus, les cheveux noués avec grâce et les mains blanches comme la neige, auraient pu ébranler la sainteté d'un anachorète; ses coupes remplies d'un vin précieux, et tout ce qui pouvait inviter à la volupté; il abandonne tout sans regret pour traverser les mers, franchir les rivages musulmans et passer la ligne centrale de la terre.
12. Les voiles étaient enflées, et la brise légère soufflait agréablement, comme si elle eût été joyeuse de l'emporter loin de sa demeure paternelle. Les blancs rochers du rivage disparurent rapidement à ses regards, et furent bientôt perdus dans l'écume des flots qui les environnent. Alors, peut-être, il se repentit de son désir de pélerinage; mais la pensée silencieuse resta endormie dans son sein; il ne s'échappa de ses lèvres aucun murmure, tandis que les autres passagers étaient tristes, et pleuraient en adressant de lâches gémissemens aux brises insensibles à leurs plaintes.
13. Mais lorsque le soleil se fut plongé dans la mer, il saisit sa harpe dont il jouait de tems en tems, et dont il tirait une mélodie sans art, lorsqu'il croyait n'être pas entendu par une oreille étrangère. Maintenant il laisse errer ses doigts sur l'instrument docile, et il chante son adieu dans les ombres du crépuscule. Cependant le vaisseau fuit avec ses ailes blanches, et les bords flottans disparaissent à la vue. Harold adressa ainsi aux élémens son dernier Bon Soir.
I
Adieu, adieu! ma terre natale disparaît sur les ondes bleues; les vents de nuit soupirent, les vagues s'élèvent, et la sauvage mouette crie. Ce soleil qui se pose là-bas sur la mer, nous le suivons dans sa fuite; adieu, pour quelque tems, à lui, et à toi, ma terre natale, – Bon Soir.
II
Dans quelques heures, il se lèvera pour donner l'existence au matin, et je saluerai la mer et les cieux, mais non ma terre paternelle. Mon propre château est désert, son enceinte est désolée, des herbes sauvages croissent sur les murs, mon chien hurle au seuil de la porte.
III
Viens, viens ici, mon petit page. Pourquoi ces pleurs et ces gémissemens? Craindrais-tu la fureur des vagues? ou le vent te ferait-il trembler? Efface ces larmes qui tombent de tes yeux. Notre vaisseau est léger et fort: notre plus agile faucon à peine pourrait voler plus agilement que lui.
IV
– Que les vents soufflent, que les vagues se soulèvent, je ne crains ni la vague ni le vent: cependant ne vous étonnez pas, sir Harold, si j'ai l'ame pleine de tristesse: car j'ai abandonné mon père, une mère que j'aime beaucoup, et je n'ai pas d'amis, excepté eux et vous, et celui qui est là-haut.
V
Mon père m'a béni avec ferveur, quoique sans me plaindre beaucoup; mais ma mère soupirera amèrement jusqu'à mon retour près d'elle. – Assez, assez, mon petit ami, des pleurs semblables conviennent à tes yeux; si j'avais ton cœur innocent, les miens ne seraient pas desséchés.
VI
Approche, mon fidèle serviteur: pourquoi me parais-tu si pâle? Craindrais-tu quelque ennemi français? ou la brise seulement te fait-elle trembler? – Pensez-vous que je tremble pour ma vie, sir Harold? Je ne suis pas si lâche; mais la pensée d'une épouse absente fait blanchir une joue fidèle.
VII
Ma femme et mes enfans habitent près de votre château, sur les bords du lac voisin. Lorsqu'ils demanderont leur père, que répondra leur mère? – Assez, assez, mon brave serviteur, que personne ne blâme ta tristesse. Mais moi, qui suis d'un naturel plus léger, je me réjouis de m'éloigner.
VIII
Car qui voudrait se fier aux soupirs simulés d'une femme ou d'une maîtresse? De nouveaux feux sécheront bientôt les yeux bleus et brillans que nous avons quittés baignés de pleurs. Je ne m'afflige point pour des plaisirs passés, ni pour les périls qui nous menacent. Mon plus grand chagrin est de ne rien laisser qui réclame de moi une larme.
IX
Et maintenant je suis seul dans le monde, sur la sauvage, la sauvage mer. Mais pourquoi soupirerais-je pour les autres, quand personne ne soupire pour moi? Peut-être mon dogue gémira-t-il en vain jusqu'à ce qu'il soit nourri par des mains étrangères; mais, dans peu, si je revenais à ma maison, il me déchirerait en l'approchant.
X
Avec toi, mon esquif, je veux voguer gaîment à travers les ondes écumeuses, sans m'inquiéter sur quel rivage tu vas me conduire, si tu ne me ramènes sur celui de ma patrie. Salut, salut, flots bleus et sombres! Et quand vous disparaîtrez à ma vue, salut, déserts et grottes sauvages! Ma terre natale, – Bon Soir!
14. Le vaisseau fuit, la terre a disparu, et les vents sont violens dans la baie orageuse de la Biscaye. Quatre jours sont passés; mais au cinquième, de nouveaux rivages découverts rendent tous les cœurs joyeux. La montagne de Cintra les salue sur leur passage, et le Tage se précipitant dans l'Océan, lui porte le tribut de ses flots d'or imaginaire. Des pilotes lusitaniens sautent à notre bord, et gouvernent à travers de fertiles rivages, où l'on voit seulement quelques laboureurs moissonner.
15. O Christ! c'est un spectacle charmant de voir ce que le ciel a fait pour cette délicieuse contrée! Que de fruits odoriférans mûrissent sur chaque arbre! que de fécondité se déploie sur les collines! Mais l'homme voudrait les ravager de ses mains impies! Quand le Tout-Puissant lévera son fouet redoutable contre ceux qui transgressent ses lois suprêmes, ses aiguillons brûlans imprégnés d'une triple vengeance poursuivront les hôtes gaulois, semblables aux sauterelles, et purgeront la terre de ses plus cruels ennemis.
16. Quelles sont les beautés qu'au premier aspect, nous offre Lisbonne? Son image flottant sur ce noble fleuve, auquel les poètes ont en vain donné un lit de sable d'or; mais sur lequel maintenant se balancent mille vaisseaux d'une force majestueuse, depuis qu'Albion s'est alliée à la Lusitanie, et lui a apporté les secours de sa puissance. Cette nation lusitaine est enflée d'ignorance et d'orgueil. Elle baise et déteste la main qui a tiré le glaive pour la sauver de la colère du chef impitoyable de la Gaule.
17. Mais lorsqu'il est entré dans cette ville qui, de loin, semble être une cité céleste, le voyageur éprouve de la désolation au milieu de choses les plus désagréables aux regards d'un étranger, et cela dans tous les degrés de l'échelle de la civilisation, car la hutte et le palais sont également repoussans d'aspect. Ses épais citoyens sont entassés dans la fange. De quelque rang que soit un individu, il s'inquiète peu de la propreté de ses vêtemens, quoique, dans la négligence des soins de sa personne, il soit affecté de la plaie de l'Égypte.
18. Pauvres et chétifs esclaves! vous êtes nés cependant sur la terre la plus noble. – Nature, pourquoi as-tu prodigué tes merveilles à de tels hommes? Regardez! L'Éden glorieux de Cintra apparaît dans son labyrinthe varié de monts et de vallées. Oh! quelle main pourrait guider le pinceau ou la plume pour suivre la moitié seulement de ce que l'œil découvre à travers ces perspectives plus éblouissantes pour le regard mortel, que les lieux décrits par le poète qui ouvrit les portes de l'Élysée au monde frappé d'admiration?
19. Les rochers affreux couronnés par un couvent qui semble penché; les blancs arbres de liége qui couvrent des précipices sombres; la mousse7 des monts rembrunie par des cieux dévorans; la vallée profonde dont les arbrisseaux gémissent de l'absence du soleil; le tendre azur du tranquille Océan; les teintes de l'orange qui dorent le vert rameau; les torrens qui tombent des rochers dans la vallée; la vigne sur le coteau, la branche du saule dans le fond du vallon; tous ces objets mêlés dans un tableau ravissant, offrent les beautés les plus variées.
20. Alors, gravissez lentement le sentier tortueux, et à mesure que vous montez, tournez-vous fréquemment, et arrêtez-vous à chaque sommité plus élevée pour admirer des scènes de plus en plus ravissantes. Reposez-vous un instant à la chapelle de Notre-Dame des Douleurs8), situé sur le sommet du rocher. Au bas, à quelque distance, est le Couvent du Liège, où saint Honorius creusa sa grotte, au-dessus de laquelle on voit son épitaphe. Du haut de ces collines, la mer ajoute à la beauté de la perspective.
9.
22. Sur la pente des collines ou dans le sein des vallons, s'élèvent des châteaux où des rois autrefois fixèrent leur demeure; mais aujourd'hui les fleurs sauvages peuplent leurs alentours. Cependant une splendeur de ruines règne encore sur ces débris. Ces tours là-bas sont le beau palais du Prince. Et toi aussi, Wathek! le plus opulent des fils de l'Angleterre; là, tu te créas autrefois ton paradis, comme si tu avais oublié que, lorsque la richesse lascive a épuisé ses plus puissans efforts, la douce paix fuit toujours les appas trompeurs de la volupté.
23. C'est là que tu habitais, là que tu rêvais sans cesse à de nouveaux plaisirs sous l'abri toujours enchanteur de cette montagne; mais maintenant, comme si c'était un lieu maudit de l'homme, ta demeure enchantée est aussi abandonnée que toi! Là, des herbes gigantesques accordent à peine un passage jusqu'à tes appartemens déserts et aux larges portiques délaissés. Nouvelle leçon pour l'être pensant! Que les palais de la terre sont vains, quand le flot impitoyable du tems les a changés en ruines!
24. Regardez le palais où se sont rassemblés naguère les chefs militaires10. Oh! palais odieux aux regards d'un Anglais! Voyez ce démon qui porte le diadême de la folie, ce petit démon qui se moque sans cesse, qui est accoutré d'une robe de parchemin. À son côté est suspendu un sceau et un écusson à fond de sable où sont blasonnés des noms glorieux connus dans la chevalerie, et de nombreuses signatures ornent un traité que le drôle montre du doigt en riant de toute son ame.
25. La Convention est le nom de ce démon qui s'est joué des chevaliers réunis dans le palais Marialva. Il les priva de leurs cervelles (s'ils avaient des cervelles), et changea en tristesse la joie légère d'une nation. Là, la folie impérieuse foula par terre le panache du vainqueur, et la politique reconquit ce qu'avaient perdu les armes. Pour des chefs tels que les nôtres, que les lauriers fleurissent en vain! Malheur au vainqueur, et non à l'ennemi vaincu, depuis que la palme du triomphe dédaignée se flétrit sur les côtes de la Lusitanie!
26. Depuis la réunion de ce synode martial, ô Cintra! l'Angleterre pâlit à ton nom; ceux qui occupent le rang de ministres frémissent, et ils seraient contraints de rougir, s'ils pouvaient encore rougir de honte. Comment la postérité nommera-t-elle cet acte avilissant? Notre nation même et les nations nos alliées, ne verront-elles pas avec mépris ces champions dépouillés de leur renommée par des ennemis vaincus au combat, et vainqueurs, là où les railleries des nations s'exerceront pendant nombre d'années encore!
27. Ainsi pensait Harold, tandis qu'il promenait sur les montagnes sa solitaire pensée. Le spectacle de cette nature l'enchante; cependant il songe déjà à s'éloigner, entraîné par une inquiétude plus mobile que l'hirondelle dans les airs. Toutefois il a appris à réfléchir moralement, car la méditation fixait de tems en tems son esprit, et la raison lui a inspiré de mépriser sa première jeunesse, consumée dans des fantaisies insensées; mais comme il contemplait l'entière vérité, ses yeux troublés par elle s'obscurcirent aussitôt.
28. À cheval! à cheval! il quitte pour toujours, il quitte des scènes de paix, qui eussent calmé son ame. Il repousse de nouveau ses accès de rêverie, mais il ne recherche plus maintenant les plaisirs de la débauche et de la table. Il fuit, sans savoir encore où il se reposera de son pélerinage. Mille scènes changeantes se dérouleront à ses regards, avant que sa soif de voyage puisse s'apaiser, que son ame se calme, ou que, par l'expérience, il apprenne à devenir sage.
29. Cependant Mafra l'arrêtera un instant11 dans ce lieu qu'habita jadis la malheureuse reine des Lusitaniens, où se confondaient l'Église et la Cour, où la messe et les parties de débauche se succédaient alternativement; refuge des courtisans et des moines; mélange hétérogène, j'en conviens! Mais ici la prostituée de Babylone a bâti un palais, où elle a déployé tant de pompe, que les hommes oublient le sang qu'elle a versé, et fléchissent le genou pour admirer une magnificence qui sert à déguiser le crime.
30. Childe Harold s'égare à travers des vallées abondantes, des collines romantiques, où ses regards aimaient à s'arrêter avec délices. Oh! que de semblables collines ne nourrissent-elles une race d'hommes libres! Que ceux qui sont abandonnés à la mollesse appellent les voyages une errante folie, et s'étonnent que des hommes puissent quitter les douceurs d'un moëlleux fauteuil pour s'exposer à toutes les fatigues d'une course longue et pénible; oh! il y a dans l'air des montagnes une fraîcheur, une vie que la mollesse bouffie ne peut jamais espérer de connaître.
31. Les collines plus noires à la vue se retirent dans le lointain; et des vallées moins abondantes, plus unies, se déploient; des plaines immenses, qui ne sont bornées que par un vaste horizon, leur succèdent. Aussi loin que l'œil peut s'étendre dans un espace sans fin, apparaissent les royaumes d'Espagne, où les bergers dirigent ces troupeaux dont la riche toison est si bien connue des négocians européens. – Maintenant le bras du pasteur doit défendre ses agneaux, car l'Espagne est envahie par des ennemis inflexibles. Tous les Espagnols doivent se mettre en défense, ou subir les malheurs de la conquête.
32. Aux lieux où la Lusitanie et sa sœur se rencontrent, quelles limites pensez-vous qui séparent les deux peuples rivaux? Le Tage vient-il interposer ses flots majestueux entre les deux nations jalouses? La Sierra-Morena y élève-t-elle ses crêtes orgueilleuses? Est-ce une œuvre de l'art comme la vaste muraille de la Chine? – Non, ce n'est point une barrière construite par des hommes, ni un fleuve profond et large, ni des rochers horribles, ni des montagnes sombres et élevées comme celles qui séparent l'Ibérie de la Gaule;
(N. du Tr.)
(Note du Tr.)
(N. du Tr.)
(N. du. Tr.)
(The Rovers. Anti-jacobin.)
Un peu au-dessus de Castri, il y a un antre que l'on suppose être celui de la Pythie; il est d'une immense profondeur. Sa partie supérieure est pavée, et sert maintenant d'écurie.
Sur l'autre côté de Castri, est bâti un monastère grec; quelques pas au-dessus duquel on voit une ouverture dans le rocher, avec un rang de cavernes d'un accès difficile, qui paraissent conduire dans l'intérieur de la montagne, probablement jusqu'à la caverne Corycienne mentionnée par Pausanias. C'est de cet endroit que descend la fontaine ou les «sources de Castalie.»
Depuis la publication de ce poème, j'ai été instruit de la mauvaise interprétation que j'avais donnée au mot pena. Cette erreur était due au tilde, ou marque de l'n, que je n'avais point remarquée sur le mot pena. Avec cette marque, pena signifie un rocher, et sans elle, il a le sens que je lui ai donné. Je n'ai pas cru nécessaire de corriger le passage, car, quoique la commune acception qu'on lui donne soit Notre-Dame du Rocher, j'ai pu adopter l'autre sens, à cause des austérités pratiquées dans ce couvent.