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Czytaj książkę: «Les etranges noces de Rouletabille», strona 12

Czcionka:

XVI
CHEVAUCHÉE DANS LA NUIT

Il sauta lui-même sur sa bête et partit à fond de train, suivi de Vladimir et de Tondor.

Quand il s'aperçut qu'il n'était point suivi de La Candeur ils avaient déjà fait deux kilomètres! poursuivant Gaulow avec une rapidité folle, si bien que Vladimir n'avait pu s'empêcher de crier:

–Mais est-ce que nous voulons vraiment l'atteindre?

–Si je veux l'atteindre? s'exclama Rouletabille! Je crois bien que je veux l'atteindre!… Seulement, nous allons attendre La Candeur cinq minutes! qu'est-ce qu'il peut bien faire cet animal-là!

On stoppa, mais Rouletabille semblait cuire à petit feu sur sa selle, tant il se remuait et montrait d'impatience.

Enfin, on entendit un galop, et au-dessus de la plaine magnifiquement éclairée par une de ces prodigieuses nuits d'Orient que chantent les poètes, se dessina l'importante silhouette d'un cavalier qui, sur son passage, faisait trembler la terre.

C'était La Candeur qui manifesta une joie bruyante en retrouvant ses amis et qui voulut expliquer la cause de son retard, mais Rouletabille ne lui en laissa pas le temps.

–En route! En route!

Et il repartit comme le vent.

–Ah ça! mais qu'est-ce que nous avons à courir comme ça? demanda La Candeur à Vladimir.

–Il paraît qu'il veut rattraper Gaulow.

–Hein? tu es maboule?

–C'est lui qui l'est!… Il a tout fait pour le faire sauver et maintenant qu'il est parti, il veut le reprendre!…

–Mais pourquoi faire?

–Est-ce que je sais, moi, va le lui demander!…

Justement Rouletabille venait de s'arrêter brusquement à l'angle de deux routes.

Laquelle fallait-il prendre? Certes! Gaulow avait dû laisser des traces de son passage, traces que Rouletabille, même à cette heure de nuit, aurait très bien été capable de démêler, mais il fallait descendre de cheval, s'astreindre à une étude sérieuse du terrain, bref, perdre un temps précieux, et, pendant ce temps, l'autre filait, augmentait son avance. Rouletabille appela La Candeur:

–Tu nous as déjà fait perdre du temps; tâche en ce qui te concerne, de le rattraper. Tu vas prendre la route de gauche avec Tondor, moi celle de droite avec Vladimir.

–Où nous retrouverons-nous?

–Devant Tchorlou, par où nous sommes obligés de passer. Rendez-vous près de la ligne du chemin de fer… Tâche d'éviter le gros des forces turques qui est au Nord du côté de Saraï, m'a dit l'un des officiers… Du reste, toute cette partie sud m'a l'air bien débarrassée.

–Alors, c'est vrai que nous courons après Gaulow? fit La Candeur.

–Tu penses!… Il faut le rattraper coûte que coûte!…

–Et si je le rattrape; qu'est-ce que je fais?

–Eh bien, tu le tues! Ah! sans pitié, hein?… Je te jure que si, de mon côté, je le rencontre, je ne le rate pas!… Il est sans armes… il ne pourra même pas se défendre… Et surtout pas de sotte pudeur!… pas de générosité!… Tue-le comme un assassin qu'il est… Écrase-le comme une bête venimeuse qui, vivante, sera toujours à craindre…

–Mais enfin, je rêve, s'écria La Candeur, ou tu déménages! Hier tu renaissais à la vie en apprenant que Gaulow n'était pas mort. Tu me déclarais que tu ne pouvais épouser Ivana que son mari vivant. Tout à l'heure tu me faisais jurer de ne point toucher à un cheveu de sa tête, et maintenant tu veux que je le tue!…

–Oui, si tu m'aimes, fais cela pour moi…

Complètement ahuri, La Candeur continuait:

–Tu cours après lui et tu lui prêtes un cheval pour se sauver!…

Mais Rouletabille ne l'écoutait plus. Il avait fait signe à Vladimir et déjà ils filaient à toute allure sur l'une des routes qui vont d'Haïjarboli à Tchorlou…

Devant Tchorlou, ils durent s'arrêter; ils n'avaient pas vu Gaulow; ils étaient arrivés près de la ligne du chemin de fer abandonnée sur un point qui était l'aboutissement de trois routes et ils allaient se heurter aux avant-postes turcs dont ils entendaient le «Qui vive!» dans la nuit qui commençait à se peupler de mille ombres… Du côté de Saraï, un projecteur fouillait les ténèbres… C'était là, entre Bunarhissar, Lüle-Bourgas, Saraï et Tchorlou, dans ce vaste quadrilatère silencieux, que se préparait le choc formidable où, dans une bataille de quatre jours, allait se décider le sort de la Turquie d'Europe…

Rouletabille et Vladimir étaient descendus de cheval et s'étaient dissimulés derrière une haie d'où ils pouvaient surveiller la route.

–Si La Candeur ne l'a pas rencontré, disait Rouletabille, Gaulow s'est sauvé une fois de plus!… Tout de même il peut se vanter d'avoir de la chance!

–Sur! exprima Vladimir, il doit être aussi «épaté» que moi de se voir délivrer par nous.

–Écoutez, Vladimir, il y a des choses que je ne puis vous expliquer, mais au moins il faut que vous compreniez une chose, c'est qu'il est absolument nécessaire que vous gardiez le silence sur la façon dont Gaulow s'est enfui. Je puis compter sur vous, n'est-ce pas?

–Oh! absolument, d'abord ça n'est pas un événement dont je prendrais plaisir à me vanter ni dont je puisse garder un très agréable souvenir, ajouta Vladimir, qui pensait toujours à ses mille francs.

Rouletabille fit celui qui n'avait pas entendu ou compris, et dit:

–Je voudrais bien que La Candeur arrive; on profiterait du reste de la nuit pour gagner vers le Sud et éviter toute la soldatesque. On arriverait demain à Constantinople, en remontant par Tchataldja.

–Qu'allons-nous faire à Constantinople?

–Chercher mon courrier, répondit vaguement Rouletabille, et nous reviendrons ensuite assister à la bataille.

–Écoutez, fit Vladimir, j'entends un galop!

–Deux galops! rectifia Rouletabille. Ce sont eux! Deux minutes plus tard, en effet, La Candeur et Tondor arrivaient. Rouletabille et Vladimir étaient de nouveau en selle.

–Rien? demanda de loin Rouletabille.

–Si! nous l'avons vu!… répondit La Candeur qui paraissait fort essoufflé.

–Eh bien?

–Eh bien, je te raconterai cela plus tard. Ce qui s'est passé est épouvantable!…

–Tu ne l'as pas tué?

–Non!… Mais j'en ai tué un autre!…

–Qui?…

–Athanase Khetew!…

–Tu as tué Athanase! s'écria Rouletabille en sursautant sur sa selle.

–Eh bien, oui, j'ai tué Athanase! C'est affreux n'est-ce pas?…

–Mais comment as-tu fait une chose pareille?…

–Écoute, je te dirai ça plus tard, fit La Candeur haletant. Tant que nous ne serons pas avec les Turcs, je ne serai pas tranquille!… Tu comprends, j'ai tué un officier bulgare, moi!… Filons!…

–Oui, filons!… répéta Rouletabille. Oh! ça, par exemple, c'est épouvantable!…

–C'est surtout extraordinaire! fit La Candeur.

Et ils repartirent, crevant leurs chevaux. Ils ne soufflèrent un peu que bien plus tard, quand ils aperçurent au loin les hauteurs de Tchataldja. Alors Rouletabille se retourna vers La Candeur.

–Maintenant, raconte-moi ce qui s'est passé!… Tu as rencontré Athanase et tu l'as pris pour Gaulow!…

–Oh! non! non!… C'est bien plus extraordinaire que ça!… et je t'avouerai que pour peu que ça continue, je vais devenir fou, moi aussi!…

–Mais va donc!…

–Nous filions sur la route, Tondor et moi… et nous étions en train de nous dire que Gaulow ne manquerait point d'être rencontré soit par toi, soit par nous, parce que Tondor avait eu soin de lui donner le plus mauvais cheval; quant tout à coup nous avons aperçu sur la route, au débouché d'un ravin, Gaulow lui-même!…

–Ah!…

–Nous gagnions sur lui!… Il se retournait à chaque instant et ce n'était plus qu'une affaire de quelques minutes… quand, derrière nous, nous entendons un galop… Nous nous retournons à notre tour et la nuit est si claire que nous reconnaissons Athanase… Athanase qui arrivait comme la foudre… Il venait certainement d'Haïjarboli où on lui avait appris la fuite de son prisonnier et, comme nous, il courait après…

Je lui criai alors pour le rassurer:

–Nous le tenons! Nous le tenons!

«Et je pique encore des deux… Mais Gaulow, par un suprême effort, avait regagné un peu. Je me souvins alors que tu m'avais dit de le tuer comme un chien ou comme une vipère plutôt que le laisser échapper. Je sortis mon revolver en criant à Athanase:

–Ayez pas peur!… Il ne nous échappera plus!

Et je me mis à tirer sur Gaulow.

Mais dans le même instant Athanase arrivait et au lieu de se jeter sur Gaulow, comme je m'y attendais, tombait sur moi à grands coups de sabre! Heureusement que mon cheval fit un un écart, car j'étais, ma foi, bel et bien coupé en deux!… N'est-ce-pas, Tondor?

–Oh! j'ai cru que ça y était, fit Tondor.

–Et alors?

–Eh bien alors, ça a été très vite, tu sais… Je ne voulais pas être coupé en deux, moi… d'autant plus que je trouvais ça tout à fait injuste… Voilà un homme à qui je rends le service de courir après son prisonnier et qui me fiche un coup de sabre… Moi, je lui ai répondu avec mon revolver, et il a été évident tout de suite que si j'avais raté Gaulow, je n'avais pas raté Athanase. Ah! il a basculé tout de suite et s'est étalé sur la route; ça a fait floc!…

–Floc! répéta Tondor.

–Sur quoi nous sommes descendus, Tondor et moi, car il ne pouvait plus être question de rattraper Gaulow, qui avait disparu à travers champs… Et nous nous sommes penchés sur Athanase pour savoir ce qu'il en était. Eh bien, il était mort!…

–Mort! répéta Tondor.

–Mon vieux, j'en suis encore tout bleu!

–Es-tu sûr qu'il est mort?… demanda, pensif, Rouletabille.

–Si j'en suis sûr! J'ai écouté son coeur, il ne battait plus. Pour sûr qu'il est bien mort; mais c'est lui qui l'a voulu… Tu ne m'en veux pas trop, dis?…

–Écoute, répondit Rouletabille, tout ceci est épouvantable… Et j'aurais préféré que tu eusses tué Gaulow…

–Mon vieux, j'ai fait ce que j'ai pu…

–Sans doute, reprit Rouletabille qui paraissait au fond beaucoup plus soucieux que peiné; mais il ne faudra pas t'en vanter…

–Mon Dieu, je me tairai si ça peut te faire plaisir; mais en ce qui me concerne, je n'aurais nulle honte à raconter que j'ai tué d'un coup de revolver un monsieur qui voulait m'occire d'un coup de sabre… En voilà encore un drôle d'Ostrogoth!…

Vladimir, qui n'avait encore rien dit, exprima son opinion:

–Cet homme n'a eu que ce qu'il méritait.

Après cette dernière parole, il ne fut plus question d'Athanase.

XVII
QUESTIONS FINANCIÈRES

Pendant que Rouletabille restait silencieux, Vladimir entreprit un grand éloge de Constantinople, qu'il connaissait à fond et dont il vanta l'aspect enchanteur.

–Y a-t-il une bonne brasserie? demanda La Candeur.

–Oh! excellente!… A Constantinople, on trouve tout ce que l'on veut!…

–Je n'en demande pas tant, répliqua La Candeur; si je pouvais avoir seulement un bon bifteck aux pommes et un bon demi!…

–Encore faut-il avoir de quoi le payer! dit Rouletabille, qui se rappelait soudain, au moment d'entrer dans la ville, qu'ils n'avaient plus le sou.

–Ah! ça n'est pas l'argent qui manque! exprima La Candeur d'un air assez dégagé.

–Tout de même, fit Rouletabille, en attendant que le journal nous en envoie, je ne sais pas comment nous allons faire, car il nous en faut tout de suite, pour les dépêches!…

–T'occupe pas de ça! reprit La Candeur. J'ai deux mille francs.

–Tu as deux mille francs?…

–Je comprends… s'écria joyeusement Vladimir. Tu les auras trouvés dans les poches d'Athanase.

–Oh! fit Rouletabille en arrêtant son cheval, ça n'est pas possible!…

–Ce jeune Slave me dégoûte! fit La Candeur en se détournant de Vladimir.

–Mais enfin qu'est-ce que c'est que ces deux mille francs-là? demanda Rouletabille.

–Eh bien, ce sont les deux mille francs de M. Priski.

–Les deux mille francs de M. Priski! Qu'est-ce que tu me racontes encore là?

–L'exacte vérité… Tu sais bien que M. Priski a, à Kirk-Kilissé, donné mille francs à Vladimir, auxquels je n'avais pas voulu toucher?…

–Oui, mais ces mille francs, Vladimir les a perdus à Haïjarboli!

–Attends. Tu te rappelles aussi qu'à Stara-Zagora, M. Priski a voulu me donner les autres mille francs qu'il nous devait encore?…

–Parfaitement, mais tu les lui as honnêtement refusés.

–Certes!… Et M. Priski n'a du reste pas insisté, mais quand je le revis le lendemain, je lui dis:

«—Monsieur Priski, je vous ai refusé les mille francs parce qu'il a toujours été entendu que je ne les toucherais pas, moi!… Mais Vladimir y compte bien, lui! Glissez-les donc dans une enveloppe et je remettrai ces mille francs, moi-même, à Vladimir.»

M. Priski, qui est un honnête homme et qui ne voulait pas manquer à sa parole à la veille d'entrer au couvent, m'a répondu:

«—Chose promise, chose due: les voilà!»

Je mis l'enveloppe dans ma poche, me disant qu'à la première occasion, je donnerais cet argent à Vladimir; mais de cela je ne me pressai point, sachant que Vladimir avait déjà mille francs et le connaissant fort dépensier! Or, ce soir, comme Vladimir avait perdu mille francs au jeu avec tous ces Bulgares et qu'il paraissait tout désolé, je sortis l'enveloppe de ma poche pour la lui tendre. Seulement, dans ce moment, Tondor arriva et survint le tumulte que tu sais!… Vladimir le suivit hors de la cour… Les trois quarts des joueurs se dispersèrent alors que l'officier venait de me crier: «Prenez donc la banque, vous!»… Ce défi arrivait dans une minute où je me faisais de tristes réflexions sur la nécessité de laisser aux Bulgares un argent qui aurait été si bien dans notre poche. Je ne résistai point au désir de regagner le tout: et c'est ce qui arriva… L'officier revint, après votre départ, et la partie reprit. Et, avec les mille francs de Vladimir, j'ai regagné les mille francs que nous avions perdus!

–Hourra! s'écria Vladimir.

–C'est alors ce qui explique ton retard, La Candeur, dit Rouletabille, qui était lui-même enchanté.

–Justement!…

–Tu n'as pas été long à regagner cet argent!…

–Les Bulgares s'étaient emballés sur les carrés du 22!… Or, avec cette montre, je sais très bien comment il faut faire pour ne point faire sortir les carrés du 22…

–Les deux cocottes! dit Vladimir.

–C'est la première fois que ces dames me portent bonheur, répondit La Candeur.

XVIII
A CONSTANTINOPLE

Ce soir-là, à l'heure du thé, on ne parlait que de la terrible défaite des Turcs à Lüle-Bourgas, dans les salons de l'ambassade de France, où, avec leur bonne grâce coutumière, l'ambassadrice et l'ambassadeur accueillaient quelques représentants de la presse française. Réunion intime où l'on se communiquait les dernières nouvelles de la journée.

Dans un coin, on prêtait une extrême attention à Rouletabille, qui était arrivé à Constantinople sans que personne l'y attendît, quelques jours auparavant, et qui avait trouvé le moyen d'en ressortir pour assister au gigantesque duel. Il en était revenu au milieu d'une débâcle sans nom. Il racontait comment, pendant les quatre journées de bataille, Abdullah pacha, qui commandait en chef l'armée turque, était resté enfermé dans une petite maison de Sakiskeuï, où il avait établi son quartier général. C'est là qu'au hasard d'une randonnée, Rouletabille l'avait trouvé. Le général mourait littéralement de faim et ses officiers d'ordonnance étaient en train de gratter de leurs ongles la terre d'un maigre jardin, afin d'en extraire des racines de maïs qu'on faisait délayer et bouillir dans un peu de farine. C'est tout ce qu'avait à manger le commandant en chef d'une armée de 175.000 hommes!

Rouletabille avait donné à Abdullah pacha quelques boîtes de conserves qu'il avait emportées avec lui, et pendant trois jours, c'est lui, le reporter, qui avait nourri le général en chef.

–Oui, mais vous étiez au premier poste pour apprendre les nouvelles! lui fit remarquer le premier secrétaire.

–Ne croyez pas cela, répondit Rouletabille. Ce pauvre général était toujours le dernier à apprendre quelque chose… Il n'avait ni télégraphe, ni téléphone de campagne, ni aéroplane, ni rien… Les routes étaient si mauvaises qu'il ne pouvait même pas avoir d'estafettes. C'est moi qui, au prix de mille difficultés, lui ai appris la déroute de ses troupes autour de Turkbey!

–Enfin nous assistons à la ruine de la Turquie, dit un confrère.

–Oh! la ruine? C'est bientôt dit!… Si on voulait défendre Tchataldja… fit Rouletabille.

–Dans tous les cas, nous allons assister à une révolution, repartit le journaliste.

–Le bruit court qu'Abdul-Hamid a des chances de remonter sur le trône, avança un autre.

L'ambassadeur s'approcha de Rouletabille et lui dit:

–Mes compliments. Je viens de recevoir un télégramme où il est question de vos intéressantes correspondances.

Rouletabille rougit de plaisir.

–Mais comment les expédiez-vous? s'il n'est pas indiscret de vous poser une pareille question, demanda un correspondant.

–Nullement. J'ai à mon service un Transylvain, un nommé Tondor, garçon fort débrouillard, qui me les porte en Roumanie… J'évite ainsi bien des retards et bien des ennuis.

A ce moment, La Candeur entra, se prit le pied dans un tapis et faillit tomber en voulant baiser galamment la main de l'ambassadrice, ainsi qu'il avait vu faire à Rouletabille; il se raccrocha heureusement à celle de l'ambassadeur, puis s'approcha, tout rouge de sa maladresse, de son reporter en chef et lui tendit un pli.

–Tondor est revenu?

–Oui!…

–Vous permettez, messieurs? Des nouvelles de Paris.

C'était une lettre de son directeur.

Rouletabille lut avec une joie qu'il dissimula les compliments dont elle était pleine. L'Époque avait triomphé avec cette histoire de Marko Le Valaque… et tous les lecteurs de la Nouvelle Presse qui s'étaient intéressés aux premiers articles de cet étrange correspondant étaient allés chercher la suite dans la feuille rivale, sous la signature de Rouletabille. Enfin on avait connu la vérité sur la prise de Kirk-Kilissé, et le directeur de l'Époque écrivait au reporter: «Continuez, mon ami, et ne bluffez jamais! Il faut laisser cela aux journalistes d'occasion et à Marko Le Valaque!»

–Eh bien, qu'est-ce qu'on dit à Paris? demanda le drogman.

–On dit que les Bulgares seront ici avant huit jours et qu'ils célébreront dimanche prochain la messe à Sainte-Sophie.

–Voilà l'ouvrage des Jeunes-Turcs! fit quelqu'un.

–Et des Allemands! ajouta un autre.

–Messieurs, vous savez que l'on attend incessamment Abdul-Hamid!… dit un lieutenant de vaisseau en se rapprochant. Nous avons reçu à bord du Léon-Gambetta un télégramme sans fil nous apprenant que l'ex-sultan et son harem avaient été embarqués à Salonique sur le stationnaire allemand Loreleï… et le Loreleï a mis le cap aussitôt sur les Dardanelles.

Rouletabille prit à part La Candeur:

–Vladimir est à son poste?

–Je viens de le voir… Rien de nouveau…

Un journaliste dit:

–Le gouvernement s'y est pris juste à temps.

Vous savez que pour rien au monde il ne voulait revoir Abdul-Hamid dans le Bosphore… mais on lui a dénoncé une conspiration qui était près d'éclater à Salonique… C'est alors seulement qu'il a donné des ordres…

–On a arrêté les conjurés? demanda un secrétaire.

–Encore une petite séance de pendaison pour nous distraire… fit un jeune attaché encore imberbe.

–L'horreur! exprima l'ambassadrice.

La Candeur, très pâle, regardait Rouletabille qui, rose et enjoué, ne semblait nullement gêné par le remords…

Mais l'officier de marine dit:

–Rassurez-vous, madame, les gibets chômeront pour cette fois… Le gouvernement a trouvé, en effet, les preuves de la conspiration chez les conspirateurs, mais les conspirateurs eux-mêmes étaient partis!…

–Vous en êtes sûr?

–Absolument, je sais qu'ils ont pu gagner par mer Trébizonde, d'où ils ont repris un bateau pour Odessa. Par un hasard miraculeux, en même temps qu'on les dénonçait, ils étaient avertis, eux, qu'ils étaient dénoncés!

La Candeur respira bruyamment. Rouletabille souriait.

–Je suis sûr, fit le drogman, qu'Abdul-Hamid ne doit guère tenir à remonter en ce moment sur le trône, s'il sait ce qui se passe.

–Oui, mais il ne le sait pas!

–Eh bien, il en ferait une tête, si, redevenu sultan, on lui apprenait qu'il va peut-être perdre Constantinople et Yildiz-Kiosk…

–Et la chambre du trésor, ajouta en riant le drogman.

–Ah! oui, la fameuse chambre du trésor, reprirent en choeur tous ceux qui étaient là.

–Enfin a-t-elle véritablement existé? demanda l'ambassadrice.

–Elle existe! répondit le drogman… Pour cela, il n'y a pas de doute…

Et il n'y a pas que moi qui y croie!

–Qui donc encore?

–Eh bien, le gouvernement actuel, qui a fait tout son possible pour la découvrir et qui n'y a point réussi encore!…

–Pas possible!

–Enfin, vous savez si les Jeunes-Turcs, dès le lendemain de la révolution, ont fait tout bouleverser à Yildiz-Kiosk…

–Oui, et on n'a rien trouvé!…

–On n'a rien trouvé… on n'a rien trouvé… Ce n'est pas fini… On a tout de même appris quelque chose, je le sais par Zekki bey, le secrétaire de l'intérieur qui n'y croyait sûrement pas, lui, à la chambre du trésor!

–Et qu'est-ce qu'on a appris? demanda Rouletabille, que cette conversation semblait intéresser au plus haut point.

–On a appris, grâce à l'espionnage auquel on s'est livré autour d'une ancienne cadine d'Yildiz-Kiosk…

–Je parie qu'il s'agit de Canendé hanoum, fit le jeune attaché… Ah! on lui en fait raconter à celle-là!… On lui fait dire tant de bêtises sur l'ancienne cour du sultan déchu qu'elle ne veut plus sortir de chez elle et qu'elle a décidé, paraît-il, de fermer sa porte à toutes ses amies…

–Il s'agit en effet de Canendé hanoum… On lui fait dire beaucoup de choses parce que l'on n'ignore pas qu'elle est très renseignée. Elle a eu l'esprit de savoir vieillir et de rester jusqu'au bout dans les bonnes grâces d'Abdul-Hamid, qui se confiait volontiers à elle. Enfin je vous raconte ce que l'on m'a dit. Canendé hanoum est sûre qu'il y a une chambre du trésor!

–Est-ce qu'elle l'a vue?

–Non, elle ne l'a pas vue!

–Ah! bien, c'est toujours la même chose…

–Mais elle aurait vu souvent le sultan qui s'y rendait… et pour s'y rendre, il devait toujours passer par le couloir de Durdané et c'était encore par là qu'il repassait quand il en revenait…

–Et alors? demanda, curieuse, l'ambassadrice.

–Et alors on a cherché tout autour de ce couloir et l'on n'a rien trouvé… voilà pourquoi Zekki bey est resté si sceptique.

–Où aboutissait-il, ce couloir? demanda le premier secrétaire.

–A un kiosque fermé, aménagé en jardin d'hiver et que l'on a mis sens dessus dessous… on n'a rien trouvé, mais on cherche encore…

–Moi, dit l'officier de marine, on m'a raconté autre chose… un jour que je glissais en caïque sur les eaux du Bosphore, non loin des ruines de Tchéragan, mon attention fut attirée par une sorte de ponton amené à côté de la station des bateaux à vapeur… Sur ce ponton il y avait une cabane d'où sortaient des scaphandriers… je demandai à quel travail ces hommes se livraient et l'un des caïdgis me dit que c'était le gouvernement qui faisait procéder à une étude du terrain sous-marin pour l'édification d'une «échelle» destinée à servir de station modèle pour le service des bateaux à vapeur. Comme la chose se passait juste en face du jardin du sultan et que l'on parlait beaucoup à ce moment de la fameuse «chambre du trésor», je dis en riant:

«—Ils cherchent peut-être la chambre du trésor au fond du Bosphore!… J'avais lancé cela comme une boutade et je n'y attachais pas d'importance quand Mohammed Mahmoud effendi avec qui je faisais, ce jour-là, ma promenade fit: «Eh! eh!» et se mit à regarder attentivement ce qui se passait sur le ponton. Il avait même prié les caïdgis de s'arrêter, mais aussitôt un caïque vint vers nous, dans lequel se trouvait un commissaire qui nous pria de nous éloigner. Alors Mohammed Mahmoud effendi me dit:

«—Tiens! tiens! voilà qui est bizarre!… est-ce que Canendé hanoum aurait dit vrai?

«—Qu'est-ce qu'elle a encore dit, Canendé hanoum? lui demandai-je.

«—Elle aurait dit que si l'on voulait trouver la chambre du trésor, il fallait la chercher par le Bosphore, parce que le sultan ne lui avait point caché qu'il ne craignait rien pour cette chambre, attendu qu'il pourrait la noyer d'un seul coup; d'où Canendé hanoum tirait cette conclusion, qu'elle communiquait avec le Bosphore.»

–En voilà une histoire pour quatre scaphandriers! dit Rouletabille.

–Vous les avez comptés? demanda en souriant l'officier.

Rouletabille rougit.

–Mon Dieu, oui!… Je les ai vus comme tout le monde… ça m'amuse toujours de regarder des scaphandriers descendre dans l'eau… je vous avouerai même que j'aurais bien donné quelques piastres pour être à la place de l'un d'eux…

–Ah! ah! vous aussi, vous voudriez découvrir la chambre du trésor?

–Moi! nullement!… mais je pense que ce doit être une chose bien curieuse que de fouler le sol sous-marin du Bosphore… Que de souvenirs on doit y heurter à chaque pas!… Songez donc aux peuples innombrables qui, depuis le commencement de l'histoire ont passé et repassé ce détroit et ce qu'ils ont dû y laisser tomber au passage!

–Oui, déclara d'un air entendu La Candeur, quelle boîte aux ordures!

–Quelle tombe plutôt… rectifia le drogman. Ça doit être plein de cadavres là-dedans!… mais ces scaphandriers ne doivent pas voir grand'chose…

–C'est ce qui vous trompe… fit le lieutenant de vaisseau. Je les ai assez vus pour vous dire qu'ils sont parfaitement équipés et qu'ils jouissent du dernier confort moderne, si j'ose m'exprimer ainsi. Avec cela ils peuvent se mouvoir comme ils veulent sans être retenus, comme jadis, par ces fils et ces tuyaux de caoutchouc qui en faisaient des prisonniers…

–Mais alors! capitaine, comment font-ils pour respirer? demanda le premier secrétaire.

–Ils respirent grâce à un réservoir en tôle épaisse dans lequel on a emmagasiné l'air sous une pression très forte. Ce réservoir est fixé sur le dos par le moyen de bretelles. Dans ce réservoir, l'air maintenu par un mécanisme à soufflet ne peut s'échapper qu'à sa tension normale. Deux tuyaux, l'un inspirateur, l'autre expirateur, partent du réservoir et aboutissent à une sphère de cuivre garnie de grosses lentilles de verre qui est vissée sur le col du scaphandrier… Celui-ci porte en outre à sa ceinture un petit appareil d'éclairage électrique qui est des plus simples et des plus commodes et qui donne, dans l'eau, une lumière blanchâtre très suffisante pour y voir à une quinzaine de mètres.

–Ah! ce doit être merveilleux! exprima Rouletabille d'un air à la fois enthousiaste et candide.

–Ce doit être épouvantable! fit le jeune attaché. Qu'est-ce qu'on doit voir là-dessous, quand on songe à tous les malheureux et à toutes les malheureuses que les sultans ont fait jeter au Bosphore, une pierre au pied, au fond d'un sac de cuir!

–Voulez-vous bien vous taire!

–Bah! c'est de l'histoire… Maintenant, les sacs doivent être pourris et il ne reste plus que les corps, les squelettes qui doivent flotter entre deux eaux, retenus par les pieds… quelle armée de spectres sous-marins…Ma foi! non, je ne tenterais pas le voyage… ça ne doit pas être assez gai!…

A ce moment, un nouveau personnage fit son entrée. Tous s'exclamèrent:

–Kermorec! Mais on vous croyait à Salonique!…

–J'en arrive, et comment!… Avec Abdul-Hamid!…

–Hein?…

–Ma foi je n'ai pas trouvé d'autre moyen pour venir vous rejoindre que de prendre passage sur le Loreleï, le stationnaire allemand qui vous ramène Abdul-Hamid!…

–Abdul-Hamid est à Constantinople! s'écria Rouletabille. Madame, monsieur l'ambassadeur, excusez-moi: la nécessité du reportage… une dépêche à envoyer…

Ograniczenie wiekowe:
12+
Data wydania na Litres:
21 lipca 2018
Objętość:
280 str. 1 ilustracja
Właściciel praw:
Public Domain