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Czytaj książkę: «Annette Laïs», strona 15

Czcionka:

– Ah!.. fit une seconde fois M. Lais.

Il me donna sa main en murmurant:

«Je vous demande pardon, monsieur de Kervigné, je vous demande pardon. Je n'avais pas l'intention de vous offenser.»

Puis, pesant sur ma main jusqu'à ce que mon front fût à portée de ses lèvres, il y mit un baiser en ajoutant:

«Je n'avais que cette objection-là, monsieur René. Le reste est une chose qui ne vaut pas la peine d'être dite. C'est un pressentiment: j'ai la crainte d'un malheur.

– Mon amour est profond et sincère, répliquai-je en serrant ses pauvres mains froides sur ma poitrine; c'est beaucoup contre le malheur.

– Ce n'est pas assez, si le malheur est tel que je le crains. Pensez-vous donc que j'aie moins peur pour vous que pour elle?»

Je ne pus me retenir de sauter à son cou. Il me pressa sur son cœur en un long et paternel embrassement.

«Vous êtes un cher jeune homme, reprit-il, et le mari d'Annette sera le plus aimé de mes fils. Elle m'a rapporté ce que vous vous êtes dit hier. Vous vous aimez saintement, et que faudrait-il, mon Dieu, pour que cet amour fût la consolation de ma dernière heure?»

Nous nous aimions, en effet, nous nous aimions saintement, s'il est vrai que l'amour parfait soit une sainte chose; mais que pouvait lui avoir rapporté Annette? Peut-être ce que nous nous étions dit sans parler. Je ne l'ai jamais interrogée à ce sujet, parce qu'il est entre nous des choses qui n'ont pas encore été exprimées, mais il arriva plus d'une fois dans les semaines qui suivirent que Philippe et M. Laïs firent des allusions à nos entretiens. Je répète que nos entretiens furent très longtemps de silencieux tête-à-tête, coupés par des observations si frivoles qu'il semblait y avoir gageure ou parti-pris. Ce que je pensais tout bas quand j'étais seul, moi qui n'avais point de confident, Annette le pensait tout haut devant son père et son frère. Elle traduisait en langage vulgaire le bizarre idiome de notre bonheur.

Il y avait, du reste, quelque chose de semblable en moi. Jamais ces entrevues muettes et insignifiantes en apparence ne me laissèrent un vide dans l'esprit ni dans le cœur. Et quand la langue d'aimer nous fut donnée, il nous parut que nous répétions les mélodies déjà connues d'un répertoire charmant. Ce fut du plaisir de plus, mais cela n'ajouta rien au bonheur.

M. Laïs aborda enfin, cette fois, les questions principales et sur lesquelles, avec tout autre que lui, j'aurais été renvoyé avec boules noires. J'entends parler de ma situation de fils de famille mineur et de la dépendance complète où j'étais sous le rapport pécuniaire. J'arrangeais cela de mon mieux sans rien avancer cependant qui ne fût rigoureusement vrai. Je mis en avant la tante Renotte, ma protectrice, et l'excellent naturel de mes parents. M. Laïs, esprit naïf et large, mais fin, toutes les fois qu'il consentait à fixer sur un objet l'œil de son intelligence, me montra qu'il voyait les endroits faibles de mon explication. Mais pour répéter un mot qui est écrit déjà, il me montra aussi qu'il était complice. Annette avait dit: Je veux, et Annette était reine.

Il fut convenu entre nous que je solliciterais sur-le-champ le consentement de mon père. Comme je me faisais fort de l'obtenir, et cela de la meilleure foi du monde, M. Laïs secoua la tête et murmura:

«Nous sommes des étrangers, des étrangers pauvres. On dit que les Bretons sont fiers et qu'ils sont obstinés. Tout ceci est entre les mains de Dieu.

– Vous êtes ici chez vous, monsieur de Kervigné, ajouta-t-il en se redressant avec une solennelle dignité. Je mets ma fille sous la garde de votre amour et de votre bonheur.»

Nous dînâmes ensemble ce jour-là. Le repas fut triste. J'appris qu'Annette et Philippe étaient allés ensemble au tombeau de leur mère.

Après le repas, qui finit de bonne heure, à cause du spectacle, Annette me dit:

«Il ne faudra jamais venir me voir au théâtre. Hier, c'était le théâtre qui nous empêchait de parler.

– Quand faudra-t-il venir? demandai-je.

– Le matin. Vous ne m'avez jamais entendue au piano. Je sais des airs qui m'entretiennent de vous: ils vous parleront de moi.»

Elle me donna son front. M. Laïs était retiré déjà. Philippe me dit:

«Quand j'ai passé une heure avec ma mère il faut que je sois seul le soir.»

Il me serra la main et je fus seul.

Mais de ces mélancolies, une délicieuse impression se dégageait pour moi. Annette ne m'en avait jamais tant dit. J'avais un désir fougueux d'entendre causer le piano d'Annette.

J'eus beau prendre le chemin des écoliers, j'étais à huit heures à la porte de l'hôtel. Il y avait longtemps que je n'étais rentré de si bonne heure. Aurélie m'entendit monter et m'appela. Sauvagel, en grande tenue de séducteur, perchait au coin d'une jardinière et gardait sur les lèvres sa dernière fadeur comme les enfants gourmands se barbouillent avec des confitures. J'eus pitié de lui, tant son métier me parut lamentable. Il fut congédié ignominieusement.

«Qu'avez-vous fait, chevalier? me demanda Aurélie. Vous prenez décidément votre pension hors de chez nous.

– Une invitation… répondis-je.

– C'est convenu. Et il n'y a pas eu de débauche!

– Pas tous les jours.»

Son éventail frappa gaillardement le bout de mes doigts.

«Sais-tu pourquoi j'ai renvoyé M. Sauvagel?

– Parce qu'il vous ennuyait.

– Toujours. Ah! si vous aviez été un bon sujet. Mais c'est de l'histoire ancienne. J'ai renvoyé Sauvagel parce qu'il y a du nouveau et que je suis à la tête d'une magnifique idée.

– Voyons la nouvelle.

– Léa Mouton n'a pas vécu. M. le président a trouvé sur son œil un noir qu'il n'avait pas fait. Trop poli pour cela! Il s'est plaint; Léa Mouton, qui n'est pas polie, l'a décoiffé d'un coup de pied à hauteur de président. Devine le reste.

– Une autre Irma…

– Quelle autre? Je te la donne en cent.

– Je renonce.

–Annette Laïs! s'écria-t-elle en éclatant de rire. Laroche prétend qu'il a été battu déjà. Il va bien!»

Cela ne m'émut point.

«Et l'idée? demandai-je froidement.

– Puisque tu en es à faire des fredaines, petit, une de plus, une de moins, peu importe. Ne te fâche pas: on a beau être un amour comme toi, avec ces demoiselles, il faut le nerf de la guerre. Je t'ouvre un crédit de cinquante louis, si tu veux nous souffler Annette Laïs!»

XXII.
LE PIANO D'ANNETTE

C'était une bonne idée, une de ces excellentes idées qui servent à faire des comédies: une idée riche, féconde, inépuisable. Aurélie, je le suppose bien, ne connaissait pas elle-même tous les mérites de son idée. Elle mettait à ma disposition sa liste civile pour jouer un tour à son mari, et ne voyait rien au delà; mais il est certain que son idée ne s'arrêtait point à ces surfaces: en ce qui me concerne, elle gantait la situation avec un si rare bonheur qu'on aurait pu l'attribuer à un maître du vaudeville, mêlé de couplets. Petite maman était une femme d'esprit, en somme, et ne manquait point de cœur; elle avait de la vaillance; elle avait de l'influence à Paris et aussi en Bretagne, parmi les gens qui étaient les arbitres de mon sort. Supposez que je fusse entré ou seulement que j'eusse feint d'entrer dans son caprice, elle était intéressée à me soutenir. Etant donné son caractère, je puis affirmer qu'elle m'aurait soutenu.

En creusant l'idée, qu'y trouve-t-on? Une femme ayant charge d'âme, une sorte de tutrice envoyant son pupille à la bataille et disant au papillon: Tu vas t'approcher de la chandelle.

Il est vrai que le papillon avait, d'avance, les ailes brûlées jusqu'aux aisselles, mais elle n'en savait rien, et là gît précisément le vaudeville. Les ailes brûlées se voient tôt ou tard; quand on eût découvert l'horrible vérité, quand le papillon, puni de ses téméraires escarmouches, serait venu dire: Je suis vaincu, j'aime, il faut que j'épouse, représentez-vous la figure de ma cousine!

C'était une révoltée; elle avait à un très haut degré l'honneur et la loyauté du bandit d'opéra comique. Son affection pour moi était vraie, malgré l'étrange toilette sous laquelle ce sentiment disparaissait. J'aurais eu en elle une alliée solide, intrépide et fidèle.

Mais je ne suis pas poète, mais je ne suis pas même vaudevilliste! Je ne compris point cela. L'eussé-je compris, j'avoue que je n'aurais pas agi mieux ni plus adroitement. Il est des vocations. Ma nature ne contenait pas un atome de comédie.

Annette, je ne dis pas. Annette était franche comme l'or, mais son intelligence subtile se plaisait parfois à combiner des calculs pleins de finesse. Annette devait un jour venir en aide à son mari et à ses enfants, au moyen de la comédie la plus gracieuse, la plus charmante, la plus touchante qu'ait jamais représentée dévouement de femme et de mère.

Moi, je restai froid comme un marbre. Je n'eus pas même l'esprit de faire à la triomphante idée d'Aurélie l'aumône de quelques applaudissements. Petite maman se fâcha, car elle était possédée d'une soif permanente de flatterie. Elle me dit que j'étais un sot et m'envoya me coucher.

J'y allai paisiblement. Que m'importait une disgrâce dans cette maison, qui était pour moi l'exil?

La route de la rue du Regard à la Bastille me semblait longue, longue! Tout Paris me séparait de ce que j'aimais. Je n'avais pas fait encore dessein de quitter le toit de mon cousin le président, je n'avais fait aucun dessein, à vrai dire, mais le besoin naissait en moi de me rapprocher et d'être libre.

Que m'importait la colère d'Aurélie? C'est à peine si je pensais à Aurélie pendant qu'elle me parlait. J'avais le cœur plein d'une autre image. Annette était là, toujours là, devant mes yeux.

Ceci est la nature même; tout le monde me comprendra et m'excusera. Mais ce qui fut moins naturel, parce que cela tenait à la maladie exceptionnelle de mon caractère, c'est la sécurité fainéante et profonde où je m'endormis. Je m'étais engagé de bonne foi à obtenir le consentement de mon père et de ma mère; en rentrant chez lui, un autre eût pris la plume et plaidé ardemment sa cause; moi je me mis au lit, me disant: Je verrai demain. Je comptais écrire, oh! certes. J'espérais même réussir, mais la pensée du devoir à accomplir ne pesa jamais suffisamment sur moi. Dussé-je tuer l'intérêt de ma pauvre épopée d'amour, il me faut bien le confesser: devant tout effort qui n'a pas pour but immédiat mon amour même, je suis lent, c'est-à-dire lâche. Je n'étais capable de rien, sinon d'aimer. Je l'ai trop prouvé en ma vie. Je suis le fils paresseux de ma bonne mère. Sa placidité expectante est en moi. Je dors comme elle, et comme elle je m'éveille dans une angoisse ou dans une caresse.

Demain, c'est le mot funeste; demain, c'est l'aurore qui ne se lève jamais. J'ai dormi des années en disant: Demain.

Avant de me donner tout entier à la pensée d'Annette, je fis cependant l'effort d'accorder dix minutes à un travail indolent et stérile. J'évoquai en moi même la famille de Vannes et je me demandai quel devait être l'effet de cette lettre que je n'écrivais pas.

Ils vinrent tous à mon appel. Je les vis où j'avais coutume autrefois de les voir: à table. L'énorme soupière d'argent, blasonnée, mais bosselée, trônait au milieu de la nappe bien blanche et fumait comme une cheminée à vapeur; Charlot et Mimi pendaient à droite et à gauche aux jupons de ma mère. Mon beau frère le marquis, tiré à quatre épingles dans son costume de chasse, avait perdu des cheveux noirs et gagné des cheveux gris; ma sœur était de mauvaise humeur; Bel-Œil avait sous l'une et l'autre paupière des larmes traduites de l'allemand; Nougat, enflée comme une daube, gardait cette pâleur bleue des tantes apoplectiques qui s'obstinent à trop digérer; l'abbé Raffroy, qui venait de donner raison à deux opinions ennemies, attachait, d'un air content, sa serviette à l'aide d'une épingle; ma tante Renotte, éveillée comme une souris, arrivait de Landevan tout exprès pour avoir de mes nouvelles; l'oncle Bélébon ressassait impudemment pour la millième fois tout l'esprit de la famille, et l'ignoble Vincent, se trompant de carafe, trempait son vin rouge avec du vin blanc.

Quoique ça, Joson Michais avait sa serviette sur le bras et regardait ma lettre que mon père tenait à la main.

Car elle était là, ma lettre. Mon père disait:

«A la soupe! à la soupe! Bon appétit, bonne conscience! Je voudrais que le chevalier eût sa part de la trempée. Ah! ah! mangeons d'abord. Voilà un potage qui va tomber dans mes bottes.»

Ma mère réclamait tout doucement la lecture préalable de la lettre, et ma tante Renotte l'exigeait à grands cris, mais une imposante majorité soutenait le potage.

Le potage l'emporta. Pendant qu'on mangeait le potage, on parla de moi. Ma sœur dit que j'étais bien heureux de n'avoir que moi à penser. Les enfants, c'est la ruine. Nougat fit l'éloge de l'eau-de-vie stomachique, objet de mon dernier envoi, et Bel-Œil se plaignit de n'avoir pas encore reçu La famille d'Anspach ou l'Heureuse torture, par Mme la baronne de Pfafferlohenlohe, née Fréderica Bierbrawer.

«Bon cœur et ne manquant pas d'intelligence, plaça l'abbé Raffroy entre deux cuillerées trop chaudes.

– Ce n'est pas Gérard, approuva Nougat, mais enfin…

– Ah! Gérard, riposta aigrement Bel-Œil, s'il est beau, il coûte cher.

– On ne l'a pas envoyé là-bas, fit observer l'oncle Bélébon, pour faire l'ornement de la capitale. Aussi! c'est le cadet! Un tabouret pour chauffer les pieds de la présidente. Il passera trois ans là bas, et il reviendra à votre charge!»

Le croirait-on? Je m'endormis au moment où l'on allait ouvrir ma lettre! Je rêvai d'Annette, comme c'était mon droit et mon devoir. Avant dix heures, le lendemain, j'étais assis auprès d'Annette, dont les doigts blancs rêvaient sur les touches de son piano.

Elle avait dit vrai, rigoureusement vrai, son piano parlait; ce fut notre première conversation d'amour. Mon âme vibre encore à ces chants dont le souvenir l'imprégnera jusqu'au dernier jour de ma vie. J'écoutais en extase, je naissais à une existence nouvelle. Pour moi, la passion est quelque chose de suave et de profond qui pénètre et qui berce. Je ne me suis jamais senti si bien moi-même qu'en écoutant ce langage inarticulé des sons.

Tous les aveux étaient là dedans, tous les serments, et aussi toutes les délicatesses infinies de la gamme d'aimer que la parole ne sut jamais rendre. Je contemplais le profil si pur d'Annette et le rayon de sa prunelle qui allait au ciel. Quand ses doigts s'arrêtaient, elle se retournait vers moi souriante.

«Etes-vous pieux, René? me demanda-t-elle pendant que le dernier accord d'un cantique de Haydn errait encore autour de nous.

– J'adore Dieu en vous,» répondis-je.

Et, comme si ma langue se fût déliée par un charme:

«Je ne suis que vous, ajoutai-je. Il me semble que je n'existais pas avant d'avoir porté à mes lèvres cette coupe qui est notre tendresse. Je n'ai pas le cœur ivre, mais je languis comme si je me mourais étouffé par des parfums. Vous m'entourez, je vous respire, je suis pieux de vous.

– Païen,» me dit-elle en riant.

Mais sa belle bouche était toute pâle.

Et ses doigts, promenés sur les touches, exhalèrent je ne sais quels sons qui renvoyaient du ciel l'écho de mes paroles terrestres.

Elle me dit encore:

«Chantez-moi une chanson de notre Bretagne.»

Entendez-vous? Notre Bretagne! Oh! je l'avais vue dans nos champs et sous nos ombrages. Mais les anges eux-mêmes, ces âmes ailées qui sont des femmes, n'auraient pu trouver un mot pour remuer plus délicieusement les voluptés entassées dans mon cœur.

Notre Bretagne! sa bouche gardait la forme de ce mot, qui était répété dans l'enchantement de son sourire.

J'obéis… Je ne savais pas que j'avais une belle voix. Elle me le dit et je fus heureux, car j'étais heureux de tout ce qui tombait de ses lèvres.

Je chantai un de ces refrains que se renvoient les pâtures au travers de la lande. Des larmes roulèrent sur sa joue.

 
Ma lon la
Les enfants sont là,
La vache est rentrée à l'étable;
Ma lon la
Ave Maria,
L'Angelus les endormira.
 

«Je voudrais voir la mer,» murmura-t-elle.

Je lui racontai la mer, vaste et sereine comme le ciel.

C'est là, sur la côte, à l'abri des derniers arbres, que nous bâtîmes la maison de notre bonheur. Il y avait un champ de blé qu'une vieille haie d'aubépine aux troncs bossus protégeait contre le vent du large. Devant le champ de blé, c'était la lande qui allait s'affaissant jusqu'aux sables où commençait la prairie marine, avec ses herbes bleues qui sentent le sel. La dune faisait à cet horizon une bordure d'or, au delà de laquelle brillait l'Océan, glorieuse ceinture de la terre.

Les fenêtres de notre maison regardaient en face l'Océan. Son mur blanc servait de phare aux mariniers qui la voyaient au loin, qui la connaissaient, qui l'aimaient.

Par derrière, il y avait un jardin, le verger, puis la forêt, autre immensité.

J'ai ouï dire: C'est triste! Bonté de Dieu! L'amour entre la mer et les bois!

Mais oui, c'est triste comme toute grandeur, triste comme la suprême félicité.

Il n'y a là ni petites gaietés, ni grimaçants éclats de rire. Il n'y faut point exiler celles qui soupent à la Maison d'Or, ni celles qui rêvent le long des rives du lac, au bois de Boulogne, privées comme les canards de ces ondes domestiques. Elles y mourraient peut-être si elles y vivaient, leurs piaulements insulteraient au silence et leurs bons mots, extraits de Déjazet, offenseraient la solitude.

A chaque contrée sa flore. Paris s'amuse, il a raison, ne pouvant mieux faire. Pourquoi transporter ses jouets? Je sais des lieux où la poésie des Bouffes-Parisiens serait lugubre; je sais de pauvres gens qui ne comprendraient pas le sire de Framboisy.

Mais méditez bien ceci: tout besoin d'amusette suppose l'ennui, car les gens bien portants ne font pas queue à la porte des pharmaciens.

Eh bien! je vous jure qu'on ne s'ennuie jamais entre la forêt et la mer.

Le charme était rompu cependant, notre amour avait une voix, nous trouvions des paroles pour ajouter sans cesse aux joies de ce paradis lointain qui était notre avenir. Le mot aimer ne revient pas si souvent qu'on le dit dans l'échange des caressantes pensées. Entre nous deux, il était sous-entendu sans cesse, et il arrivait ceci que tous les autres mots du langage lui volaient son sens pour signifier: je t'aime.

Je m'en allai, le cœur gros de bonheur. M. Laïs m'avait appelé son fils et Philippe son frère. Dans la rue, sous la fenêtre d'Annette, j'entendis son piano qui chantait:

 
Ma lon la
Les enfants sont là…
 

Les enfants! nos enfants! La jeune mère auprès du berceau! Est-ce parce que ce furent là mes seules folies que jeunesse en moi ne s'est jamais passée?

Nous brûlons cependant, comme disent les bambins dans leurs jeux. Nous arrivons aux scènes importantes de notre drame, et il faut faire trêve aux détails. Quinze jours se passèrent ainsi, durant lesquels je ne fis rien absolument de ce qui était nécessaire pour sauvegarder au moins ma situation. Je n'écrivis point la fameuse lettre à ma famille, et pas une seule fois je ne mis le pied au ministère.

J'ai dit que je ressemblais à ma mère. Certes, ma bonne mère elle-même n'aurait point poussé jusque là l'imprévoyance et l'insouciance. Je me laissais aller à mon bonheur comme un bateau à la dérive; je ne pensais à rien, je ne craignais rien. Il ne m'arrivait jamais de me dire que, de toute nécessité, mon cousin de Kervigné apprendrait tôt ou tard mes absences au ministère; je ne faisais pas réflexion que mon sans-gêne à l'égard du bureau et de l'Ecole de droit avait été jusqu'à l'impudence. Et tout en n'ayant pas l'ombre de remords, je me disais toujours: Il faut que je travaille! Il faut que je me crée une indépendance! Je vais commencer, mais là, sérieusement…

Quand? demain.

Il y avait une chose pourtant qui me tenait au cœur: la lettre. Je n'avais garde d'oublier la lettre, à cause des transes qui me serraient la poitrine chaque fois que je passais le seuil de M. Laïs. A ce moment-là, je me promettais sous les serments les plus sacrés d'écrire ma lettre dès le soir même. Je la rédigeais tout entière dans ma tête, quoique j'eusse pu déjà la réciter par cœur.

Mais M. Laïs me donnait une poignée de main et me disait: «Annette est là,» en poursuivant sa ligne commencée. J'entrais dans la chambre d'Annette; le charme m'enveloppait, tout était dit.

Je pense bien que Philippe, toujours tendre et bon, mais absorbé dans sa manie, avait oublié parfaitement qu'il y avait une lettre à écrire. J'étais son frère, puisque les paroles étaient échangées. Cela lui suffisait.

Ce qui m'étonne, c'est que cette situation ait pu durer quinze jours. Je ne parle pas des Laïs, mais bien de mon cousin de Kervigné qui avait des rapports journaliers avec le ministère de la justice. D'un autre côté, c'est à peine si l'on me voyait de temps en temps à l'hôtel. Je n'avais observé aucun des articles du traité de paix signé avec ma cousine. Elle n'était pas du tout ma confidente; je ne lui racontais jamais ni orgies, ni fredaines. J'étais, en vérité, protégé par le hasard, ce dieu qui donne si souvent raison aux insouciants.

Le président, en effet, ne s'occupait pas de moi, et quant à Aurélie, elle avait élevé son Sauvagel à la hauteur d'un personnage.

J'étais libre comme l'air.

Et, pour casser les vitres, il fallut une circonstance fortuite. Si Laroche ne m'avait pas vu entrer chez les Laïs, je ne sais pas quand le dénoûment serait venu.

Laroche dut éprouver ici une joie sans mélange, car il était pour moi un ennemi venimeux et mortel. Il s'informa; il apprit aisément dans le voisinage que je ne quittais presque plus la maison.

J'ai su plus tard par Aurélie qu'il m'accusa formellement, auprès du président, d'avoir accepté les subsides offerts et rempli mon rôle dans cette comédie dont elle m'avait proposé le scénario.

Ce fut un matin, et le lendemain du jour où il avait été décidé chez les Laïs qu'Annette payerait le dédit pour quitter décidément le théâtre, qu'eut lieu la scène que je vais rapporter.

Laroche vint de grand matin dans ma chambre et me pria, de la part de mon cousin, de ne point manquer au second déjeuner. Je descendis chez Aurélie pour savoir de quoi il s'agissait. Aurélie n'était pas dans la confidence; néanmoins, elle prévoyait une catastrophe, à cause de Laroche, qui riait et se frottait les mains en parlant de moi.

«Vous comprenez, chevalier, me dit-elle, moi, je ne sais plus rien de vos affaires. Vous êtes cause que j'ai découvert en notre jeune ami, M. Sauvagel, des qualités que je ne soupçonnais vraiment pas, et j'aurais grand tort de me plaindre. M. de Kervigné s'intéresse beaucoup maintenant à M. Sauvagel. C'est trop juste. Je ne veux pas dire que vous ayez perdu toute mon amitié. Voyons, avez-vous fait quelque sottise un peu trop pommée? Cela peut-il se réparer avec de l'argent? Les jeunes gens qui, au lieu de fréquenter la bonne compagnie, se lancent parmi ces demoiselles des ministères… enfin, n'importe, ma petite bourse est toujours à votre disposition.»

Je remerciai comme je le devais et j'attendis le déjeuner.

Au déjeuner, mon cousin fut tout particulièrement bienveillant et poli, mais, vers le dessert, il me dit:

«René, vous êtes destitué de votre emploi au ministère. J'ai appris avec surprise que personne ne vous y connaissait.

– Comment! s'écria ma cousine rouge de colère. Il m'avait dit…

– Je vous ai menti, madame, l'interrompis-je.

– Ah!.. ah!.. voilà qui est répondre la bouche ouverte.»

M. de Kervigné reprit:

«Je n'ai adressé à votre sujet aucune plainte à votre famille, René. Je n'en adresserai aucune, si vous consentez à partir pour Vannes, ce soir même.

– Ce soir! répéta ma cousine. Et pourquoi?

– Il s'agit d'une affaire malheureuse et grave, madame, répondit M. de Kervigné. Je pense que notre jeune cousin appréciera ma façon d'agir et entrera dans mes vues…

– Vous vous trompez, monsieur, l'interrompis-je avec la fermeté tranquille qui me venait toujours en ces occasions. Votre façon d'agir m'étonne et vos vues ne peuvent pas être les miennes. J'ai l'intention de rester à Paris: j'y resterai.»

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Data wydania na Litres:
28 września 2017
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