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Czytaj książkę: «Les mystères du peuple, Tome I», strona 7

Czcionka:

– Soyez tranquille, Gildas, – reprit en riant M. Lebrenn, tout en cognant à tour de bras, – ces glaces-là sont solides.

– Elles sont étamées à fer et à plomb, mon ami Gildas, – ajouta Sacrovir en frappant à coups redoublés.

– De plus en plus étonnant! – murmura Gildas en s'agenouillant devant le ballot, afin de l'éventrer. Pour voir plus clair à sa besogne, il prit une lumière, et la plaça sur le plancher à côté de lui. Il commençait à découdre la grosse enveloppe de toile grise, lorsque M. Lebrenn, s'apercevant seulement alors de l'illumination que s'était ménagée le garçon de magasin, s'écria:

– Ah ça! Gildas, vous êtes donc fou? Remettez vite cette lumière sur la table… Diable! vous nous feriez sauter, mon garçon!

– Sauter, monsieur! – s'écria Gildas effrayé, en sautant lui-même, et de ce bond s'éloignant du ballot, pendant que Sacrovir replaçait la lumière sur la table. – Pourquoi sauterais-je?

– Parce que ces ballots contiennent des cartouches, mon garçon; ainsi faites attention.

– Des cartouches! – s'écria Gildas en reculant de plus en plus effrayé, tandis que le marchand prenait deux fusils de munition dans la caisse qu'il venait d'ouvrir, et que son fils y puisait une ou plusieurs paires de pistolets et des carabines.

À la vue de ces armes, se sachant entouré de cartouches, Gildas eut un éblouissement, devint d'une pâleur extrême, s'appuya sur une table et se dit:

– Étonnante maison! où les ballots de toile sont des cartouches! les glaces des fusils et des pistolets!..

– Mon bon Gildas, – lui dit affectueusement M. Lebrenn, – il n'y a aucun danger à déballer ces armes et ces munitions. Voilà tout ce que j'attends de vous… Cela fait, vous pourrez, si bon vous semble, descendre dans la cave ou monter au grenier, et y rester en sûreté jusqu'après la bataille; car je dois vous en avertir, Gildas, il y aura bataille au point du jour… Seulement, une fois dans la retraite de votre choix, ne mettez le nez ni à la lucarne ni au soupirail lorsque vous entendrez la fusillade… car souvent les balles s'égarent…

Ces mots de balles égarées, de bataille, de fusillade, achevèrent de plonger Gildas dans une sorte de vertige très-concevable; il ne s'attendait pas à trouver le quartier Saint-Denis si belliqueux. D'autres événements vinrent redoubler les terreurs de Gildas… De nouvelles rumeurs, d'abord lointaines, se rapprochèrent et éclatèrent enfin avec une telle furie, que Gildas, M. Lebrenn et son fils, presque alarmés, coururent à la porte de la boutique pour voir ce qui se passait dans la rue.

CHAPITRE IX

Comment une charretée de cadavres, ayant traversé la rue Saint-Denis, M. Lebrenn, son fils, Georges le menuisier, et leurs amis, élevèrent une formidable barricade. – De l'inconvénient d'aimer trop les montres d'or et la monnaie, démontré par les raisonnements et par les actes du père Bribri, du jeune Flamèche et d'un forgeron, aidés de plusieurs autres scrupuleux prolétaires.

Lorsque M. Lebrenn, son fils et Gildas, accoururent à la porte de la boutique, attirés par le bruit et le tumulte croissant, la rue était déjà encombrée par la foule.

Les fenêtres s'ouvraient et se garnissaient de curieux. Soudain des reflets rougeâtres vacillants éclairèrent la façade des maisons. Un immense flot de peuple, toujours grossissant, accompagnait et précédait ces sinistres clartés. Les clameurs devenaient de plus en plus terribles. On distinguait parfois, dominant le tumulte, les cris:

– Aux armes! vengeance!

À ces cris répondaient des exclamations d'horreur. Des femmes, attirées aux croisées par ces rumeurs, se rejetaient en arrière avec épouvante, comme pour échapper à quelque effrayante vision…

Le marchand et son fils, le cœur serré, la sueur au front, pressentant quelque horrible spectacle, se tenaient au seuil de leur porte.

Enfin le funèbre cortége parut à leurs yeux.

Une foule innombrable d'hommes en blouse, en habit bourgeois, en uniforme de garde nationale, brandissant des fusils, des sabres, des couteaux, des bâtons, précédaient un camion de diligence lentement traîné par un cheval et entouré d'hommes portant des torches.

Dans cette charrette était entassé un monceau de cadavres.

Un homme, d'une taille énorme, coiffé d'un berret écarlate, nu jusqu'à la ceinture, la poitrine déchirée par une blessure récente, se tenait debout sur le devant du camion, et secouait une torche enflammée.

On l'eût pris pour le génie de la vengeance et de l'insurrection.

À chaque mouvement de sa torche, il éclairait de lueurs rouges ici des têtes blanches de vieillards souillées de sang, là le buste d'une femme, aux bras pendants et ballottants comme sa tête livide et ensanglantée, que voilaient à demi ses longs cheveux dénoués.

De temps à autre l'homme au berret écarlate secouait sa torche et s'écriait d'une voix tonnante:

– On massacre nos frères! Vengeance!.. Aux barricades!.. aux armes!

Et des milliers de voix, frémissantes d'indignation et de colère, répétaient:

– Vengeance!.. aux barricades!.. aux armes!..

Et des milliers de bras, ceux-ci armés, ceux-là désarmés, se dressaient vers le ciel sombre et orageux, comme pour le prendre à témoin de ces serments vengeurs.

Et la foule exaspérée que recrutait ce funèbre cortége allait toujours grossissant. Il avait passé comme une sanglante vision devant le marchand et son fils. Leur première impression fut si douloureuse, qu'ils ne purent trouver une parole; leurs yeux se remplirent de larmes en apprenant que ce massacre de gens inoffensifs et désarmés avait eu lieu sur le boulevard des Capucines.

À peine la voiture de cadavres eut-elle disparu, que M. Lebrenn saisit une des barres de fer de la fermeture de son magasin, la brandit comme un levier au-dessus de sa tête, et s'écria en s'adressant à la foule indignée:

– Amis!.. la royauté engage la bataille en massacrant nos frères… Que leur sang retombe sur cette royauté maudite! que ce sang l'étouffe à jamais!.. Assez de rois!.. assez de tueurs de peuple!.. Aux barricades!.. aux armes!.. Vive la république!..

Et le marchand, ainsi que son fils, soulevèrent les premiers pavés. Ces paroles, cet exemple, furent électriques, et des cris mille fois répétés répondirent:

– Aux armes!.. Aux barricades!.. À bas les rois!.. À bas les tueurs de peuple!.. Vive la république!..

En un instant le peuple eut envahi les maisons voisines, demandant partout des armes, et des leviers pour dépaver la rue. La première tranchée ouverte, ceux qui ne possédaient ni barres de fer ou de bois, arrachaient les pavés avec leurs mains et leurs ongles.

M. Lebrenn et son fils travaillaient avec ardeur à élever une barricade à quelques pas de leur porte, lorsqu'ils furent rejoints par Georges Duchêne, l'ouvrier menuisier, accompagné d'une vingtaine d'hommes armés, composant une demi-section de la société secrète à laquelle ils étaient affiliés, ainsi que le marchand.

Parmi ces nouveaux combattants se trouvaient les deux voituriers d'armes et munitions apportées à la boutique dans la journée: l'un était un homme de lettres distingué, l'autre un savant éminent, et Dupont, le mécanicien.

Georges Duchêne s'approcha de M. Lebrenn au moment où celui-ci, cessant un instant de travailler à la barricade, distribuait, à la porte de son magasin, les armes et les munitions à des hommes du quartier sur lesquels il pouvait compter; tandis que Gildas, dont la poltronnerie s'était changée en héroïsme depuis l'apparition de la sinistre charretée de cadavres, revenait de la cave avec plusieurs paniers de vin, qu'il versait aux travailleurs de la barricade pour les réconforter.

Georges, vêtu de sa blouse, portait une carabine à la main et des cartouches dans un mouchoir serré autour de ses reins. Il dit au marchand:

– Je ne suis pas venu plus tôt, monsieur Lebrenn, parce que nous avons eu beaucoup de barricades à traverser; elles s'élèvent de tous côtés… Je quitte Caussidière et Sobrier; ils s'apprêtent à marcher sur la Préfecture: Leserré, Lagrange, Étienne Arago, doivent, au point du jour, marcher sur les Tuileries et barricader la rue Richelieu; nos autres amis se sont partagé divers quartiers.

– Et les troupes, Georges?

– Plusieurs régiments fraternisent avec la garde nationale et le peuple aux cris de: Vive la réforme! À bas Louis-Philippe!.. Mais la garde municipale et deux ou trois régiments de ligne et de cavalerie se montrent hostiles au mouvement.

– Pauvres soldats! – reprit tristement le marchand; – eux, comme nous, subissent cette fatalité terrible, qui arme les frères les uns contre les autres… Enfin, cette lutte sera peut-être la dernière… Et votre grand-père, Georges, l'avez-vous vu pour le rassurer?

– Oui, monsieur; je descends à l'instant de chez lui… Malgré son âge et sa faiblesse, il voulait m'accompagner… Je l'ai décidé à rester chez lui.

– Ma femme et ma fille sont là, – dit le marchand en montrant à Georges les jalousies du premier étage, à travers lesquelles on voyait de la lumière; – elles s'occupent à faire de la charpie pour les blessés… On établira une ambulance dans notre magasin.

Tout à coup, ces cris: Au voleur! au voleur! retentirent vers le milieu de la rue, et un homme fuyant à toutes jambes fut bientôt arrêté par cinq ou six ouvriers en blouse et armés de fusils. Parmi eux, l'on remarquait un chiffonnier à longue barbe grise, encore agile et vigoureux; il était vêtu de haillons, et quoiqu'il portât un mousqueton sous son bras, il gardait toujours sa hotte sur son dos. L'un des premiers il avait arrêté le fuyard, et le tenait au collet d'une main ferme, pendant qu'une femme essoufflée accourait, criant de toutes ses forces:

– Au voleur!.. au voleur!..

– Ce cadet-là vous a volé, la petite mère? – dit le chiffonnier à cette femme.

– Oui, mon brave homme, – répondit-elle. – J'étais sur le pas de ma porte; cet homme me dit: Le peuple se soulève, il nous faut des armes. – Monsieur, je n'en ai pas, lui ai-je répondu. – Alors il m'a repoussée, est entré malgré moi dans ma boutique en disant: – Eh bien! s'il n'y a pas d'armes, je veux de l'argent pour en acheter. – En disant cela, il a ouvert mon comptoir, a pris trente-deux francs qui s'y trouvaient avec une montre d'or. J'ai voulu l'arrêter, il a tiré un couteau-poignard… heureusement j'ai paré le coup avec ma main… Tenez, voyez comme elle saigne… J'ai redoublé mes cris, et il s'est enfui…

L'accusé était un homme bien vêtu, mais d'une figure ignoble; le vice endurci avait laissé sur ses traits flétrits son empreinte ineffaçable.

– Ce n'est pas vrai! je n'ai pas volé! – s'écria-t-il d'une voix enrouée, en se débattant pour éviter d'être fouillé – Laissez-moi… Et d'ailleurs, est-ce que ça vous regarde?

– Un peu que ça nous regarde, mon cadet! – reprit le chiffonnier en le retenant. – Tu as donné un coup de poignard à cette pauvre dame après l'avoir volée au nom du peuple… Minute… faut s'expliquer.

– Voilà déjà la montre, – dit un ouvrier après avoir fouillé le voleur.

– La reconnaîtriez-vous, madame?

– Je crois bien, monsieur; elle est ancienne et très-grosse.

– C'est bien ça, – dit l'ouvrier. – Tenez, la voici.

– Et dans son gilet, – dit un autre en continuant de fouiller le voleur, – six pièces cent sous et une pièce de quarante sous.

– Mes trente-deux francs! – s'écria la marchande. – Merci, mes bon messieurs, merci…

– Ah ça! maintenant, mon cadet! à nous autres, – reprit le chiffonnier. – Tu as volé et voulu assassiner au nom du peuple, toi, hein?

– Ah ça, voyons, les amis, sommes-nous, oui ou non, en révolution? – répondit le voleur d'une voix enrouée en riant d'un air cynique. – Alors, crèvons les comptoirs!!

– C'est ça que tu appelles la révolution, toi? – dit le chiffonnier – Crever les comptoirs?..

– Tiens…

– Tu crois donc que le peuple s'insurge pour voler… brigand que tu es?..

– Pourquoi donc alors que vous vous insurgez, tas de feignants? C'est peut-être pour l'honneur? – répondit le voleur avec audace.

Le groupe d'hommes armés (moins le chiffonnier) qui entouraient le voleur se consultèrent un moment à voix basse. L'un d'eux, avisant une boutique d'épicier à demi ouverte, s'y rendit; deux autres se détachèrent du groupe en disant:

– Il faut en parler à monsieur Lebrenn et lui demander son avis.

Un autre enfin dit quelques mots à l'oreille du chiffonnier, qui répondit:

– J'en suis… C'est juste… Faudrait ça pour l'exemple… Mais, en attendant, envoyez-moi Flamèche pour m'aider à garder ce mauvais Parisien-là.

– Eh! Flamèche! – dit une voix, – viens aider le père Bribri à garder le voleur!

Flamèche accourut. C'était le type du gamin de Paris: hâve, frêle, étiolé par la misère, cet enfant, d'une figure intelligente et hardie, avait seize ans; il n'en paraissait pas douze. Il portait un mauvais pantalon garance troué, des savates, un bourgeron bleu presque en lambeaux, et était armé d'un pistolet d'arçon. Il arriva en gambadant.

– Flamèche! – dit le chiffonnier, – ton pistolet est-il chargé?

– Oui, père Bribri; deux billes, trois clous et un osselet… J'ai fourré dedans tout mon saint frusquin.

– Ça suffit pour régaler mossieu, s'il bouge… Attention, Flamèche! le doigt sur la détente… et le canon dans le gilet de mossieu

– Ça y est, père Bribri.

Et Flamèche introduisit délicatement le canon de son pistolet entre la chemise et la peau du voleur. Le voleur, voulant regimber, Flamèche ajouta:

– Gigottez pas… gigottez pas… vous ferez partir Azor.

– Flamèche veut dire le chien de son pistolet, – ajouta le père Bribri, en manière de traduction.

– Mais, farceurs que vous êtes! – s'écria le voleur en ne bougeant plus, mais commençant de trembler, quoiqu'il tâchât de rire, – qu'est-ce que vous voulez donc me faire? Voyons, ça finira-t-il? Assez blagué comme ça…

– Minute, cadet! reprit le chiffonnier. – Causons un brin… Tu m'as demandé pourquoi nous nous insurgions… Je vas te le dire, moi… D'abord, ça n'est pas pour crever des comptoirs et piller les boutiques… Merci!.. La boutique est au marchand, comme mon mannequin est à moi… Chacun son négoce et ses objets… Nous nous insurgeons, mon cadet, parce que ça nous embête de voir les vieux comme moi crever de faim au coin des bornes, comme de vieux chiens perdus, quand les forces nous manquent… Nous nous insurgeons, mon cadet, parce que ça nous embête de nous dire que sur cent pauvres filles qui raccrochent le soir sur les trottoirs, il y en a quatre-vingt-quinze que la misère a réduites là… Nous nous insurgeons, mon cadet, parce que ça nous embête de voir des milliers de voyous comme Flamèche, enfants du pavé de Paris, sans feu ni lieu, sans père ni mère, abandonnés à la grâce du diable, et exposés à devenir un jour ou l'autre, faute d'un morceau de pain, des voleurs et des assassins comme toi, mon cadet!..

– Ayez pas peur, père Bribri, – reprit Flamèche. – Ayez pas peur… J'ai pas besoin de voler; je vous aide, vous et les autres négociants en vieilles loques, à décharger vos mannequins et à trayer vos épluchures; je me paye les meilleures, que ces aristos de chiens ont laissées… je fais mon trou dans vos tas de chiffons, et j'y dors comme un Philippe… Ayez donc pas peur, père Bribri! j'ai pas besoin de voler… Moi, si je m'insurge, non d'un nom! c'est que ça m'embête à la fin… de ne pouvoir pas pêcher de poissons rouges dans le grand bassin des Tuileries… Et j'en veux pêcher à mort, si nous sommes vainqueurs… Chacun son idée… Vive la réforme!.. À bas Louis-Philippe!..

Puis, s'adressant au voleur, qui, voyant revenir les cinq ou six ouvriers armés, faisait un mouvement pour s'échapper:

– Bougez pas, mossieu! ou je lâche Azor.

Et il appuya de nouveau son doigt sur la détente du pistolet.

– Mais qu'est-ce que vous voulez donc faire de moi? – s'écria le voleur en blêmissant à la vue des trois ouvriers qui apprêtaient leurs armes, tandis qu'un autre, sortant de chez l'épicier où il était entré, apportait un écriteau sur papier gris, fraîchement tracé, au moyen d'un pinceau trempé dans du cirage.

Un sinistre pressentiment agita le voleur, il s'écria en se débattant:

– Vous dites que j'ai volé?.. Alors, conduisez-moi chez le commissaire…

– Pas moyen… le commissaire marie sa fille, – dit le père Bribri. – Il est à la noce.

– Il a mal aux quenottes, – ajouta Flamèche; – il est chez le dentiste.

– Amenez le voleur près du bec de gaz, – dit une voix.

– Je vous dis que je veux aller chez le commissaire! – répéta ce misérable en se débattant, et il se mit à hurler:

– Au secours!.. au secours!

– Si tu sais lire, lis cela… – dit un ouvrier en mettant un écriteau sous les yeux du voleur. – Si tu ne sais pas lire, il y a là écrit:

FUSILLÉ COMME VOLEUR!

– Fusillé! – murmura l'homme en devenant livide. – Fusillé! Grâce!.. Au secours!.. À l'assassin!.. À la garde!.. À l'assassin!

– Il faut un exemple pour tes pareils, mon cadet, afin qu'ils ne déshonorent pas l'insurrection du peuple! – dit le père Bribri.

– Allons, à genoux, canaille! – dit au voleur un forgeron qui portait encore son tablier de cuir. – Et vous autres, les amis, apprêtez vos armes!.. À genoux donc! – répéta-t-il au voleur en le jetant sur le pavé.

Le misérable tomba à genoux, si défaillant, si anéanti par l'épouvante, qu'affaissé sur lui-même, il ne put qu'étendre les mains en avant, et murmurer d'une voix éteinte:

– Oh! grâce!.. Pas la mort!..

– Tu as peur! – dit le chiffonnier. – Attends, je vas te bander les yeux…

Et détachant son mannequin de dessus ses épaules, le père Bribri en couvrit presque entièrement le condamné agenouillé, ramassé sur lui-même, et se recula prestement.

Trois coups de fusil partirent…

La justice populaire était faite…

Quelques instants après, attaché par-dessous les épaules au support du bec de gaz, le corps du bandit se balançait au vent de la nuit, portant cet écriteau attaché à ses habits:

FUSILLÉ COMME VOLEUR!

CHAPITRE X

Comment M. Lebrenn, son fils, Georges le menuisier, et leurs amis, défendirent leur barricade. – Ce que venait faire Pradeline dans cette bagarre et ce qu'il lui advint. – Oraison funèbre de Flamèche par le père Bribri. – Comment le grand-père la Nourrice fut amené à jeter son bonnet de coton sur la troupe du haut de sa mansarde. – Entretien philosophique du père Bribri, qui avait une jambe cassée, et d'un garde municipal ayant les reins brisés. – Comment celui-ci trouva que le père Bribri avait de bien bon tabac dans sa tabatière. – Dernière improvisation de Pradeline sur l'air de la Rifla. – Comment, ensuite d'une charge de cavalerie, le colonel de Plouernel fit un cadeau à M. Lebrenn au moment où la République était proclamée à l'Hôtel de ville.

Peu de temps après l'exécution du voleur, le jour commença de poindre.

Soudain, des hommes placés en éclaireurs aux angles des rues avoisinant la barricade qui s'élevait presque à la hauteur des croisées de l'appartement de M. Lebrenn, se replièrent en criant: Aux armes! après avoir tiré leur coup de fusil.

Aussitôt on entendit des tambours, muets jusqu'alors, battre la charge, et deux compagnies de garde municipale, débouchant par la rue latérale, s'avancèrent résolument pour enlever la barricade. En un instant elle fut intérieurement garnie de combattants.

M. Lebrenn, son fils, Georges Duchêne et leurs amis se postèrent et armèrent leurs fusils.

Le père Bribri, grand amateur de tabac, prévoyant qu'il n'aurait guère le loisir de priser, puisa une dernière fois dans sa tabatière, saisit son mousqueton et s'agenouilla derrière une sorte de meurtrière ménagée entre plusieurs pavés, tandis que Flamèche, son pistolet à la main, grimpait comme un chat pour atteindre la crête de la barricade.

– Veux-tu descendre, galopin? et ne pas montrer ton nez! – lui dit le chiffonnier en le tirant par une jambe. – Tu vas te faire poivrer.

– Ayez donc pas peur, père Bribri, – répondit Flamèche en gigottant et parvenant à se débarrasser de l'étreinte du vieillard. – C'est gratis… Je veux me payer une première de face… et bien voir…

Et se dressant à mi-corps au-dessus de la barricade, Flamèche tira la langue à la garde municipale, qui s'avançait toujours.

M. Lebrenn, se retournant, dit aux combattants qui l'entouraient:

– Ces soldats sont des frères, après tout; tâchons une dernière fois d'éviter l'effusion du sang.

– Vous avez raison… Essayez toujours, monsieur Lebrenn, – dit le forgeron aux bras nus, en frappant avec l'ongle sur la pierre de son fusil; – mais ce sera peine perdue… Vous allez voir…

Le marchand monta jusqu'au faîte des pavés amoncelés; là, appuyé d'une main sur son fusil, et de l'autre main agitant son mouchoir, il fit signe aux soldats qu'il voulait parlementer.

Les tambours de la troupe cessèrent de battre la charge, et firent un roulement, que suivit un grand silence.

À l'une des fenêtres du premier étage de la maison du marchand, sa femme, sa fille, à demi cachées par la jalousie, qu'elles soulevaient un peu, se tenaient côte à côte, pâles, mais calmes et résolues. Elles ne quittaient pas des yeux M. Lebrenn, parlant alors aux soldats, et son fils, qui, son fusil à la main, avait bientôt gravi la barricade, afin de pouvoir, au besoin, couvrir son père de son corps. Georges Duchêne allait les rejoindre, lorsqu'il se sentit vivement tiré par sa blouse.

Il se retourna et vit Pradeline, les joues animées et toute haletante d'une course précipitée.

Les défenseurs de la barricade regardant la jeune fille avec surprise, lui avaient dit, tandis qu'elle tâchait de se frayer un passage parmi eux pour arriver jusqu'à Georges:

– Ne restez pas là, mon enfant, c'est trop dangereux.

– Vous, ici! – s'écria Georges, stupéfait à l'aspect de Pradeline.

– Georges! Écoutez-moi! – lui répondit-elle d'une voix suppliante – Hier, je suis allée chez vous deux fois dans la journée, sans pouvoir vous trouver… Je vous ai écrit que je reviendrais ce matin… J'ai traversé pour cela plusieurs barricades, et…

– Retirez-vous! – s'écria Georges alarmé pour elle. – Vous allez vous faire tuer… Votre place n'est pas ici…

– Georges! je viens vous rendre un service… Je…

Pradeline ne put achever. M. Lebrenn, qui avait en vain parlementé avec un capitaine de la garde municipale, se retourna et s'écria:

– Ils veulent la guerre!.. Eh bien! la guerre!.. Attendez leur feu… et alors ripostez…

La garde municipale tira; les insurgés ripostèrent, et bientôt un nuage de fumée plana sur la barricade. On tira des fenêtres voisines, on tira des soupiraux de caves; on put même voir à la croisée de sa mansarde le vieux grand-père de Georges Duchêne effectuer, faute d'armes et de munitions, une espèce de déménagement à grande volée sur les municipaux assaillant la barricade, où se battait le petit-fils du vieillard: ustensiles de ménage et de cuisine, tables, chaises, tout ce qui put enfin passer à travers la fenêtre, était jeté par le bonhomme avec une fureur presque comique; car, à bout de projectiles, il finit par jeter, de désespoir, son bonnet de coton sur les troupes; puis, regardant autour de lui, désolé de n'avoir plus de munitions, il poussa un cri de triomphe, et commença d'arracher toutes les ardoises de la toiture qui se trouvaient à sa portée, et de les lancer à tour de bras sur les soldats.

L'attaque était chaudement engagée: les municipaux, après avoir riposté par des feux de peloton, s'élancèrent intrépidement à la baïonnette.

À travers la vapeur blanchâtre condensée sur le faîte de la barricade, se dessinaient plusieurs groupes: dans l'un, M. Lebrenn, après avoir déchargé son fusil, s'en servait comme d'une massue pour repousser les assaillants; son fils et Georges, attachés à ses pas, le secondaient vigoureusement. De temps à autre, tout en combattant, le père et le fils jetaient un regard rapide sur la jalousie à demi baissée, et ces mots parvenaient parfois à leur oreille:

– Courage! Marik!.. – criait madame Lebrenn. – Courage! mon fils!..

– Courage! père!.. – criait Velléda. – Courage! frère!..

Une balle égarée fit voler en éclats une des lames fragiles de la jalousie derrière laquelle se trouvaient les deux femmes héroïques… Les deux vraies Gauloises, comme disait M. Lebrenn, ne sourcillèrent pas, elles restèrent à portée de voir le marchand et son fils.

Il y eut un moment où, après avoir vaillamment lutté corps à corps avec un capitaine, M. Lebrenn, venant de le renverser, se redressa, chancelant encore sur les pavés ébranlés; soudain un soldat, debout sur la crête de la barricade, et dominant le marchand de toute sa hauteur, leva son fusil la pointe de la baïonnette en bas; il allait transpercer le marchand, lorsque Georges, se jetant au devant du coup, le reçut à travers le bras, et tomba. Le soldat allait redoubler, lorsqu'il fut saisi aux jambes par deux petites mains, qui se cramponnèrent à lui avec la force convulsive du désespoir… il perdit l'équilibre et roula, la tête en avant, de l'autre côté de la barricade.

Georges devait la vie à Pradeline: brave comme un lion, les cheveux en désordre, la joue enflammée, elle était, durant le combat, parvenue à se rapprocher de Georges. Mais, au moment où elle venait de le sauver, une balle, en ricochant, frappa la jeune fille au côté. Elle tomba sur les genoux… en s'évanouissant son dernier regard chercha Georges, qui ne se doutait pas du dévouement de la pauvre créature17.

Le père Bribri, voyant la jeune fille blessée, déposa son mousqueton, courut à elle et la souleva. Il cherchait des yeux où la mettre à l'abri, lorsqu'il aperçut, à la porte du magasin de toile, madame Lebrenn et sa fille. Elles venaient de descendre du premier étage, et s'occupaient, avec Gildas et Jeanike, d'organiser une ambulance dans la boutique.

Gildas commençait à s'habituer au feu. Il aida le père Bribri à transporter Pradeline mourante dans l'arrière-magasin, où madame Lebrenn et sa fille lui donnèrent les premiers soins.

Le chiffonnier sortait de la boutique, lorsqu'il vit rouler à ses pieds un frêle petit corps vêtu d'un pantalon garance et d'un bourgeron bleu en lambeaux, trempé de sang.

– Ah! pauvre Flamèche! – s'écria le vieillard en courant auprès de l'enfant, qu'il essaya de relever en lui disant: – Tu es blessé?.. Ça ne sera rien… Courage…

– Je suis flambé, père Bribri!.. – répondit l'enfant d'une voix éteinte. – C'est dommage… je n'irai pas… pêcher de poissons rouges dans le… bassin… des…

Et il expira.

Une grosse larme roula sur la barbe hérissée du chiffonnier.

– Pauvre petit b…! il n'était pas méchant, – dit le père Bribri en soupirant. – Il meurt comme il a vécu, sur le pavé de Paris!

Telle fut la fin et l'oraison funèbre de Flamèche.

Au moment où le pauvre enfant trépassait, le grand-père de Georges, malgré sa faiblesse, descendait de chez lui, accourant à la barricade. Du haut de sa fenêtre, ses munitions mobilières et immobilières épuisées, il avait suivi les péripéties du combat, et vu tomber son petit-fils. Il le cherchait parmi les morts et les blessés, en l'appelant d'une voix déchirante.

La résistance des défenseurs de la barricade fut si opiniâtre, que les municipaux, après avoir perdu un grand nombre de soldats, durent se replier en bon ordre.

Le feu avait cessé depuis quelques instants, lorsqu'on entendit tirer un coup de fusil dans une rue voisine, et retentir sur le pavé le galop de plusieurs chevaux.

On vit bientôt paraître à revers de la barricade un colonel de dragons, suivi de plusieurs cavaliers, le sabre au poing, comme leur chef, et chargeant un groupe d'insurgés, qui tiraient en battant en retraite et en courant.

C'était le colonel de Plouernel; séparé d'un escadron de son régiment par un mouvement populaire, il cherchait à s'ouvrir un passage vers le boulevard, ne s'attendant pas à trouver la rue occupée à cet endroit par l'insurrection.

Le combat, un moment suspendu, recommença. Les défenseurs de la barricade crurent d'abord que ce petit nombre de cavaliers formait l'avant-garde d'un régiment qui allait les prendre à revers et les mettre entre deux feux si la garde municipale revenait à l'assaut.

Une décharge générale accueillit les quinze ou vingt dragons commandés par le colonel de Plouernel; quelques cavaliers tombèrent, lui-même fut atteint; mais, cédant à son intrépidité naturelle, il enfonça ses éperons dans les flancs de son cheval, brandit son sabre et s'écria:

– Dragons! sabrez cette canaille!..

Le bond que fit le cheval du colonel fut énorme; il atteignit la base de la barricade; mais là, il trébucha sur les pavés roulants et s'abattit.

M. de Plouernel, quoique blessé, et à demi engagé sous sa monture, se défendait encore avec un courage héroïque; chacun des coups de sabre qu'il assénait de son bras de fer faisait une blessure. Il allait cependant succomber sous le nombre, lorsque, au péril de sa vie, M. Lebrenn, aidé de son fils et de Georges (quoique celui-ci fût blessé), se jeta entre le colonel et les assaillants exaspérés par la lutte, parvint à le retirer de dessous son cheval, et à le pousser dans l'intérieur de la boutique.

– Amis! ces dragons sont isolés, hors d'état de nous résister… désarmons-les… mais pas de carnage inutile… ce sont des frères!..

– Grâce aux soldats… mais mort au colonel! – s'écrièrent les hommes qui étaient accourus chargés par les dragons. – Mort au colonel!..

– Oui! oui! – répétèrent plusieurs voix.

– Non! – s'écria le marchand en barrant sa porte avec son fusil, tandis que Georges se joignait à lui. – Non! non! pas de massacre après le combat… pas de lâcheté!..

– Le colonel a tué mon frère d'un coup de pistolet à bout portant… là-bas, au coin de la rue! – hurla un homme, les yeux sanglants, l'écume aux lèvres, en brandissant un sabre. – À mort, le colonel!..

– Oui! oui! à mort!.. – crièrent plusieurs voix menaçantes. – À mort!..

– Non! vous ne tuerez pas un homme blessé! – Vous ne voudrez pas massacrer un homme désarmé!..

– À mort! – répétèrent plusieurs voix. – À mort!..

Eh bien, entrez! – Voyons si vous aurez le cœur de déshonorer la cause du peuple par un crime!

Et le marchand, quoique prêt à s'opposer de nouveau à cette férocité, laissa libre la porte qu'il avait jusque-là défendue.

Les assaillants restèrent immobiles, frappés des paroles de M. Lebrenn.

Cependant, l'homme qui voulait venger son frère s'élança le sabre à la main en poussant un cri farouche. Déjà il touchait au seuil de la porte, lorsque Georges, lui saisissant les mains, et les serrant entre les siennes, l'arrêta, et lui dit d'une voix profondément émue:

17.Ces traits de courage, dignes de nos mères, sont justifiés par la mort héroïque de deux belles jeunes filles de dix-huit ans, qui, coiffées en cheveux, les bras nus, se tenaient debout sur une barricade, voisine de la rue Saint-Denis, au mois de juin 1848.
Ograniczenie wiekowe:
12+
Data wydania na Litres:
30 listopada 2017
Objętość:
381 str. 3 ilustracje
Właściciel praw:
Public Domain

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