Czytaj książkę: «Comment on construit une maison»
LE VIEUX CHÂTEAU
CHAPITRE I
M. PAUL A UNE IDÉE
C’est un bon temps que le temps des vacances. Le ciel est doux; la campagne revêt sa plus aimable parure; les fruits sont mûrs. Tout sourit au lycéen qui, dans son bagage, apporte les preuves de l’utile emploi de son temps.
Chacun le félicite de ses succès et lui fait entrevoir, au delà de ses six semaines de repos, des labeurs attrayants couronnés par une brillante carrière.
Oui, c’est un bon temps; il semble alors que l’air est plus léger, le soleil plus brillant, les prairies plus vertes. La pluie maussade paraît chargée de senteurs délicieuses.
Sitôt le jour paru, on s’empresse d’aller revoir les coins aimés du parc, et la fontaine, et le petit lac, et la ferme; de s’enquérir des chevaux, du bateau, des plantations.
On cause avec la fermière, qui vous présente, en souriant, une belle galette toute chaude. On suit le garde-chasse, qui vous raconte les histoires du voisinage tout en faisant sa tournée. Les clochettes des troupeaux vous charment, aussi bien que la chanson monotone du petit pâtre qui a grandi et aspire au grade de pasteur attitré.
Oui, c’est un bon temps… Mais, les premiers jours passés, l’ombrage des beaux arbres, une campagne aimée, les longues promenades, les histoires du garde-chasse et le bateau même se voilent d’un secret ennui, si une occupation favorite ne vient point vous saisir. Il appartient à la vieillesse seule de se complaire dans les souvenirs et de trouver des joies toujours nouvelles dans la contemplation des champs et des bois.
La provision des souvenirs est vite épuisée par la jeunesse, et la méditation inactive n’est pas son fait.
M. Paul, à seize ans, ne faisait point ces réflexions à part lui; mais après huit jours passés à la campagne chez son père, châtelain cultivateur, possesseur d’une belle terre dans le Berri, il avait à peu près épuisé la somme des impressions qu’avait fait naître en lui le retour dans le domaine paternel. Pendant toute l’année scolaire, combien n’avait-il pas fait de projets ajournés aux prochaines vacances? Il lui semblait qu’il n’aurait pas assez de six semaines pour les réaliser. Que de choses il avait à revoir, à dire, à faire. Et cependant en huit jours tout était vu, dit et fait.
D’ailleurs, mariée depuis peu, sa sœur aînée était partie avec son mari pour un long voyage, et quant à Lucie, sa sœur cadette, elle paraissait plus préoccupée de sa poupée et du trousseau d’icelle, que des pensées de monsieur son frère.
Il avait plu tout le jour; la ferme, visitée pour la cinquième fois par M. Paul, lui avait paru fort triste et sombre. Les poules, abritées le long des murs, semblaient pensives, et même, les canards barbottant dans une boue saumâtre étaient silencieux. Le garde, sorti pour tuer un lièvre, avait bien emmené avec lui M. Paul, mais tous deux étaient rentrés bredouilles, passablement mouillés. M. Paul avait, non sans un certain désappointement, trouvé les histoires du garde longues et diffuses, d’autant qu’il les entendait pour la troisième fois sans beaucoup de variantes. Ajoutez à cela que le vétérinaire avait déclaré, le matin, que le poney de M. Paul devait garder l’écurie pendant une semaine, à la suite d’un refroidissement.
On avait bien lu le journal après dîner, mais M. Paul ne trouvait qu’un intérêt médiocre aux nuances de la politique, et, quant aux faits divers, ils étaient déplorablement insignifiants.
M. de Gandelau (c’est le nom du père de Paul) était trop préoccupé des détails de son exploitation et peut-être aussi des soins qu’il était obligé de prendre de sa goutte pour chercher à soulever le voile d’ennui qui flottait devant les regards de monsieur son fils, et Mme de Gandelau, restée sous la triste impression du départ récent de sa fille aînée, travaillait avec une sorte d’acharnement à un ouvrage de tapisserie dont la destination était inconnue à tous et peut-être aussi à la personne qui posait si attentivement points contre points.
«Vous avez reçu une lettre de Marie? fit M. de Gandelau en laissant là le journal.
–Oui, mon ami, ce soir… Ils sont ravis, le temps les favorise et ils ont, me dit-elle, fait les plus jolies excursions dans l’Oberland. Ils doivent maintenant passer le Simplon pour se rendre en Italie. Marie m’écrira de Baveno, hôtel de…
–Très bien, et la santé?
–Excellente.
–Et leur projet est toujours de se rendre à Constantinople pour cette affaire importante?
–Oui; N… a reçu, paraît-il, une lettre pressante; leur séjour en Italie ne sera qu’un passage. Ils comptent s’embarquer à Naples dans un mois au plus tard. Cependant, leur retour ne pourrait s’effectuer, me dit Marie, que dans un an. Elle m’annonce cela sans paraître autrement affectée de la longueur de cette absence; j’en éprouve, mon ami, un serrement de cœur que tous les meilleurs raisonnements ne peuvent atténuer.
–Bon! croyez-vous, chère amie, que nous marions nos enfants pour nous? Et cela n’était-il pas convenu? On dit que peu d’affections sont assez fortes pour résister à la vie commune, en voyage. N… est un digne et brave garçon, travailleur et un peu ambitieux, ce qui n’est pas un mal; Marie l’aime, elle est intelligente et se porte bien. Ils subiront l’épreuve avec succès, je n’en doute pas, et nous reviendrons comme deux bons camarades, ayant appris à se bien connaître, à s’entr’aider et à se suffire; avec ce grain d’indépendance qui est nécessaire pour vivre en bon accord avec ses proches.
–Vous avez probablement raison, mon ami; mais cette longue absence n’en est pas moins douloureuse, et cette année me semblera un peu longue… Je serai, malgré tout, bien heureuse quand je pourrai m’occuper de préparer leur appartement ici et que je n’aurai plus que peu de jours à compter pour les revoir.
–Sans doute, sans doute; et moi aussi je les embrasserai de bon cœur, ces chers amis… et Paul donc!… Mais, puisqu’il est décidé que nous ne les reverrons que dans un an, ce serait une belle occasion pour reprendre mon projet.
–Lequel, mon ami? Serait-ce la construction de cette maison que vous vouliez faire bâtir, là-bas, sur ce morceau de terre qui fait partie de la dot de Marie?… Ne faites pas cela, je vous en supplie. Nous avons ici bien assez de place pour les loger, eux et leurs enfants, s’il leur en vient. Et, après cette longue absence, ce serait une nouvelle douleur pour moi de savoir Marie établie loin de nous, de ne l’avoir pas près de moi. D’ailleurs, son mari ne peut rester les trois quarts de l’année à la campagne. Ses occupations ne le lui permettent pas. Marie serait donc seule souvent. Que voulez-vous qu’elle fasse dans une maison, son mari absent?
–Elle fera, ma bonne amie, ce que vous avez fait vous-même quand mes affaires m’appelaient trop souvent hors de ce domaine; et cependant alors nous étions jeunes. Elle s’occupera de sa maison, elle prendra l’habitude de gérer son bien, elle sera occupée, responsable; partant contente d’elle-même et heureuse de ce qu’elle aura su créer autour d’elle… Croyez-moi; j’ai vu les plus tendres affections de famille s’user et s’éteindre dans cette vie commune des enfants mariés, auprès de leurs ascendants. L’épouse tient à être maîtresse incontestée chez elle, et c’est là un sentiment sain et vrai; il faut se garder d’aller à l’encontre. La femme sagement élevée ayant charge de maison, la responsabilité et l’indépendance qui est la conséquence de toute responsabilité, sait mieux se garder que celle que l’on tient toute sa vie en tutelle. Marie serait très bien ici, très heureuse d’y être, et son mari non moins tranquille de la savoir près de nous, mais elle ne serait pas chez elle. Une jeune fille n’est bien à sa place qu’auprès de sa mère, une épouse n’est à sa place que dans sa maison. Et même chez sa mère alors, elle passe dans la catégorie des invités. Et, en admettant (chose difficile) que de cette existence mixte il ne résulte pas de froissements, il est du moins certain qu’il en découle le désintéressement des choses pratiques, la nonchalance, l’ennui même et tous les dangers qui en sont la conséquence.
«Vous avez trop bien élevé votre fille, pour qu’elle ne désire pas ardemment remplir tous ses devoirs; vous lui avez toujours montré une activité trop attentive pour qu’elle ne veuille pas, à son tour, déployer la sienne. Donnons-lui-en donc les moyens. Ne serez-vous pas plus heureuse de la voir bien tenir et diriger sa maison, nous y recevoir gaiement, que de la trouver sans cesse ici, sur vos pas, désœuvrée; juge tacite et respectueux si vous voulez, mais juge de vos façons d’être et de faire? Croyez-vous que son mari aura autant de plaisir à venir la retrouver ici dans les moments qu’il pourra dérober aux affaires, qu’il en éprouvera en la voyant chez elle, toute heureuse de lui montrer ce qu’elle aura pu faire pendant ses absences; toute occupée de rendre chaque jour plus agréable, plus commode, le logis commun? Ne voyez-vous pas, en y pensant un peu, que les jeunes femmes de ce temps, qui ont donné, quoique bien nées, les plus tristes exemples, sont celles, le plus souvent, dont les premières années de mariage se sont passées ainsi, sans foyer propre, menant cette existence qui n’est ni celle de la jeune fille ni celle de la maîtresse de maison, responsable,… ménagère, pour appeler les choses par leur vrai nom?»
Quelques larmes avaient mouillé la broderie de Mme de Gandelau. «Vous avez encore raison, mon ami, dit-elle en tendant la main à son mari; ce que vous ferez sera bien fait.»
M. Paul, tout en feuilletant un journal illustré, n’avait pas perdu un mot de cette conversation. L’idée de voir élever une maison, pour sa sœur aînée, lui souriait fort. Et déjà, dans sa jeune imagination, en face du vieux manoir paternel, cette maison future lui apparaissait comme un palais des fées, toute coquette et parée, pleine de lumière et de gaieté.
Il faut dire que l’habitation de M. de Gandelau n’avait rien qui pût charmer les yeux. Agrandie successivement, deux longues ailes assez maussades d’aspect se soudaient gauchement à un corps de logis principal, autrefois château, dont deux tours démantelées et couronnées par des toits bas flanquaient les angles. Entre les deux ailes et ce logis principal s’ouvrait une cour basse, toujours humide, fermée par une vieille grille et un reste de fossé consacré à alimenter la cuisine de plantes potagères. Une troisième aile, en prolongement du vieux bâtiment aux tours, bâtie par M. Gandelau peu après son mariage, contenait les appartements privés des propriétaires; c’était la partie la plus gaie du château. Le salon, la salle à manger, le billard et le cabinet de monsieur étaient installés dans le vieux corps principal. Quant aux deux ailes parallèles, elles contenaient des chambres s’ouvrant sur des couloirs irréguliers et qui, n’étant pas de plain-pied dans leur longueur, exigeaient une certaine attention si l’on prétendait circuler sans accidents.
Le lendemain matin, M. Paul, en allant s’enquérir de l’état de santé de son poney, voit entrer dans la cour le père Branchu menant une petite charrette pleine de morceaux de bois, de sacs de plâtre et d’outils.
«Qu’allez-vous donc faire de tout cela, père Branchu?
–Je m’en viens réparer la fuie, monsieur Paul.
–Ah! si je vous aidais?
–Non pas, monsieur Paul, vous saliriez vos habits; vous pourriez vous blesser… C’est pas votre affaire… Mais pas défendu de nous regarder travailler, si c’est votre plaisir!
–Ça doit être amusant de bâtir!
–Pour un amusage, c’est pas un amusage; mais pour une ennuyance, c’est pas non plus une ennuyance; quand on travaille pour une bonne maïon comme la maïon de votre papa, qu’on a sa payette, qu’on a une bouteille de vin quand il fait chaud, que le bourgeois ne ramone pas le monde… ça va. On fait sa jornée et on ramasse ses outils sans rancœur. Mais quand faut avoir des raisons avec des pétouillons, on s’ennuie tout de même… car faut payer le marcandier. Vous créyez bien, monsieur Paul, que ce plâtre qui est dans la charrote, faut que je le paye au plâtrier, que cette brique, faut que je la paye au chaufournier, et ainsi du tout. Si le bourgeois fait attendre ses écus, faut brêter partout pour avoir de l’argent et on est dans l’embarras. Mais il est bon que je m’embauche, excusez; mon garçon est là qui m’attend.
–Est-ce que vous pourriez bâtir une grande maison, père Branchu?
–Voire! tout de même, monsieur Paul; j’ai bien bâti celle au maire, qui est grande assez!»
Cependant M. Paul ne trouve plus, comme la veille, les heures un peu longues; il a une idée. La maison projetée pour sa sœur ne lui sort pas de l’esprit; il la voit, tantôt sous forme d’un palais, tantôt d’un manoir à tourelles, tantôt d’un chalet tout entouré de lierres et de clématites avec force balcons découpés. M. Paul a un grand cousin qui est architecte; il l’a vu travailler souvent sur une planchette; sous sa main, les bâtiments s’élevaient comme par enchantement. Cela ne lui a pas paru trop difficile. Le grand cousin a, dans la chambre qu’il occupe quand il vient au château, les outils qui lui sont nécessaires. M. Paul va essayer de mettre sur le papier un de ces projets qu’il entrevoit. Mais une première difficulté se présente. Il faudrait savoir ce qui conviendrait à la sœur; est-ce un manoir seigneurial avec tours et créneaux, un chalet ou une villa italienne? Si l’on prétend lui ménager une surprise, encore faut-il qu’elle lui soit agréable. Après une bonne heure de méditations, M. Paul pense, non sans quelque raison, qu’il convient d’aller trouver son père. «Là, là, tu es bien pressé, dit le père, après les premiers mots de Paul. Eh! la chose n’est point si avancée. Tu veux faire un projet de maison pour Marie; soit, essaye donc. Mais avant tout, il serait bon alors de savoir ce que désire ta sœur, comment elle entend que sa maison soit distribuée. Il ne me déplaît point d’ailleurs de brusquer un peu les choses. Nous allons lui envoyer une dépêche.
TÉLÉGRAMME
Baveno Italie, de X…, Mad. N…, hôtel de…, Paul veut bâtir maison ici pour Marie, envoyer programme. de Gandelau.
Vingt heures après, on recevait au château le télégramme suivant:
X… de Baveno. M. de Gandelau à… Arrivés ce matin, bonne santé. Paul a excellente idée. Rez-de-chaussée: vestibule, salon, salle à manger, office, cuisine pas dans sous-sol, billard, cabinet de travail. Premier: deux grandes chambres, deux cabinets toilette, bains; petite chambre, cabinet de toilette; lingerie, garde-robes; combles, chambres, armoires trop. Escalier pas casse-cou. Marie N…
Sans douter un instant que sa sœur n’eût pris au sérieux la demande qui lui avait été adressée et sa propre réponse, M. Paul se met résolûment à l’œuvre et, installé dans la chambre du grand cousin, il essaye, en rassemblant toutes ses connaissances en dessin linéaire, de réaliser sur le papier le programme envoyé. La chose présente des difficultés assez sérieuses pour qu’il soit nécessaire de faire prévenir à deux reprises M. Paul que le déjeuner est servi. L’après-midi s’écoule avec rapidité, et, au moment du dîner, M. Paul descend au salon avec une belle feuille de papier passablement couverte de plans et de façades.
«Voilà qui me paraît très beau, dit M. de Gandelau en déroulant le vélin; mais ton cousin arrive demain et, mieux que moi, il pourra critiquer ton projet.»
Toute la nuit, M. Paul fut fort agité. Il rêva palais, s’élevant sous sa direction. Mais, à sa bâtisse, il manquait toujours quelque chose. Là, les fenêtres faisaient absolument défaut; ailleurs, l’escalier n’était qu’une échelle branlante, et sa sœur Marie ne voulait pas y monter. Plus loin, les plafonds étaient si bas qu’on ne pouvait se tenir debout, tandis que d’autres étaient si hauts que cela lui faisait peur. Le père Branchu riait et remuait les murs avec sa main pour montrer qu’ils n’étaient point solides. Les cheminées fumaient horriblement, et la petite sœur demandait impérieusement une chambre pour sa poupée.
M. Paul avait revu son projet aussitôt levé et il lui paraissait beaucoup moins bon que la veille; il rougissait à l’idée de le montrer au grand cousin qui arrivait pour l’heure du déjeuner; il hésitait et songeait à détruire ce travail assidu de toute une journée.
«Père, je crois que mon cousin se moquera de moi si je lui montre mon dessin.
–Mon ami, répliqua M. de Gandelau, quand on a fait ce qu’on peut, du mieux que l’on peut, il ne faut pas reculer devant la critique, c’est le seul moyen de constater l’insuffisance de ce que l’on sait, et, par conséquent, d’acquérir les connaissances qui nous manquent. Si tu croyais en une matinée être devenu architecte, tu serais un sot; mais si, après avoir fait un effort pour exprimer par le dessin ou autrement une idée que tu crois bonne, tu hésitais à soumettre cette expression à plus habile que toi, dans la crainte de provoquer plus de critiques que d’éloges, ce ne serait pas là de la modestie, mais un sentiment d’orgueil très mal placé, car il te priverai de conseils qui ne peuvent être que précieux, à ton âge surtout.»
Le grand cousin arrivé, il n’en fallut pas moins que M. de Gandelau dît à son fils d’apporter son essai, pour que l’architecte en herbe se décidât à dérouler de nouveau la feuille de papier couverte, la veille, de dessins si péniblement tracés.
«Eh! mais, petit cousin, dit le nouveau venu, est-ce que vous voudriez vous faire architecte? Prenez garde! tout n’est pas couleur de rose dans le métier comme sur votre papier.»
En peu de mots, le grand cousin fut mis au fait.
«Mais cela est très bien! Voilà le salon, le vestibule. Je ne comprends pas bien l’escalier; mais c’est un détail. Et les façades? Mais c’est un palais, cela; des colonnes, des balustrades. Il n’y a plus qu’à mettre la main à l’œuvre!
–Vrai! cousin; si nous prévenions le père Branchu? Il travaille ici près.
–Doucement, ce n’est là qu’une esquisse… Et les projets définitifs; et les devis; et les détails d’exécution? Il faut procéder avec ordre. Sachez, petit cousin, que plus on tient à ce qu’une construction s’élève rapidement, plus il est utile que toute chose soit parfaitement arrêtée à l’avance. Rappelez-vous les ennuis de votre voisin le comte de…, qui, depuis six ans, recommence son château chaque printemps sans pouvoir arriver à le terminer, parce qu’il n’a pas su d’abord indiquer tout ce qu’il voulait, que son architecte n’a pas eu le courage de faire adopter une bonne fois un projet étudié, et qu’il s’est prêté à tous les caprices ou plutôt à tous les avis officieux que les amis de la maison ne manquaient pas d’ouvrir, celui-ci sur la dimension des pièces, celui-là sur l’emplacement des escaliers, cet autre sur le style, sur la décoration… Nous n’avons qu’un an devant nous, il faut donc ne commencer qu’avec la certitude de ne pas faire de fausses manœuvres, puis il faut que votre sœur approuve le projet. Voyons un peu, convenons d’abord du système de construction que vous voudrez adopter. Puisque nous sommes pressés, nous n’avons guère le choix; nous ne pouvons songer à élever la maison en pierres de taille du bas en haut: cela serait trop long et trop cher. Il faut nous en tenir à une construction simple et d’une exécution rapide. Cela entre-t-il dans vos idées? Vous placez sur votre façade des colonnes; pour quoi faire? Si elles forment portique, celui-ci rendra les appartements tristes et sombres; si elles sont engagées, elles ne servent à rien ici. Et cette balustrade posée sur les corniches supérieures, que fait-elle là? Est-ce que vous comptez que madame votre sœur se promènera dans les chéneaux? Cela est bon pour les chats… Et, dites-moi? sur ce plan, je vois que, du vestibule, il faut passer par la salle à manger pour aller au salon. Mais si, pendant qu’on est à table, il arrive des visites, il faudra donc les prier d’attendre à la porte ou les inviter à regarder manger les hôtes… Bon! la cuisine s’ouvre sur le billard. Allons, il nous faut étudier cela plus à fond; voulez-vous que nous nous y mettions? À nous deux, la besogne ira peut-être plus vite, et vous me donnerez de bonnes idées; car, mieux que moi, vous connaissez les goûts et les habitudes de votre sœur aînée. Vous pourrez ainsi suppléer au laconisme du programme qui nous est donné. Pensez-y, et demain matin, de bonne heure, nous procéderons à la rédaction du projet.»