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Czytaj książkę: «Les esclaves de Paris», strona 48

Czcionka:

A l'âge de douze ans, et lorsque tout le monde était ravi de son intelligence et de sa gentillesse, il s'était enfui de l'hospice, et les plus actives recherches pour retrouver ses traces étaient restées inutiles.

C'est avec un dépit fort mal déguisé, que maître Catenac écoutait ces détails si étrangement précis.

Décidément ses associés étaient informés de toutes les particularités de l'affaire, aussi bien, sinon mieux que lui, qui, cependant, avait eu les confidences du duc, son client.

Et lui qui comptait sur les précieuses indications qu'il fournirait, pour racheter, et au-delà, ses traîtrises passées!!!

Mais B. Mascarot ne voulut point voir sa contrariété; déjà il poursuivait son rapide récit:

– Ce nouveau malheur atterra le duc de Champdoce.

Il avait tant souffert depuis vingt années, il avait été si cruellement éprouvé de toutes les façons, il avait tant répandu de larmes secrètes, qu'il croyait ses crimes expiés et que la justice divine, à la fin, était satisfaite.

Après les misères et folies de sa jeunesse, les regrets cuisants de son âge mûr, il lui avait semblé entrevoir pour sa vieillesse le calme et le repos à défaut du bonheur, et pas du tout, il avait été écrasé du sentiment de l'irréparable.

Précipité de toute la hauteur de délicieuses espérances, du plus profond de son abîme, le choc fut si rude qu'il faillit être brisé sur le coup.

Il était vieilli de vingt ans, lorsqu'il revint annoncer à la duchesse, qui l'attendait, palpitante, agonisante d'anxiété, que tout était fini, que Dieu n'avait pas pardonné, qu'ils étaient bien condamnés sans appel.

Cependant, au bout de quelques jours, remis un peu de l'horrible secousse, il réfléchit et jugea que s'abandonner serait une coupable lâcheté.

De ses longues et douloureuses méditations jaillit une lueur petite, certes, et chétive, mais enfin une lueur qui rompait la désolante uniformité de ses ténèbres.

Qui l'empêchait de se mettre à la recherche de ce pauvre abandonné, et pourquoi ne le retrouverait-il pas?

Certes, le monde est immense, et un malheureux sans nom, sans fortune, échappé d'un hospice d'enfants trouvés, y est un imperceptible atome, mais avec du temps et de l'argent, on accomplit des miracles.

Or, il avait à donner, lui, sa vie et sa fortune.

Sa situation était telle, que par ses grandes relations il pouvait intéresser à ses investigations, toutes les diplomaties.

Il possédait assez de millions pour qu'il lui fût facile de prendre à sa solde et d'organiser en une armée dévouée à ses desseins, les plus habiles et les plus intelligents agents de police de l'Europe.

Qu'il réussît ou non, c'était un devoir qu'il allait remplir, cette tâche serait désormais l'aliment de son activité, et le but de sa vie.

Il se jura qu'il ne s'arrêterait, qu'il ne désespérerait que le jour où il aurait entre les mains les preuves indiscutables, matérielles, de la mort de son fils.

Cependant il ne confia pas son projet à la duchesse.

Il redoutait pour elle les alternatives qu'il prévoyait, de crainte et d'espérance. La santé de la malheureuse femme était si profondément ébranlée, qu'une déception, une fausse joie, pouvaient la tuer.

Ainsi déterminé, il devait commencer et commença, en effet, par s'adresser à cette providence au petit pied qui, du fond de la rue de Jérusalem, surveille le jeu de la machine sociale.

Mais la police n'apprit absolument rien à M. de Champdoce. On lui répondit: «C'est bien… nous prenons note… on verra… Repassez dans un mois, et… bonsoir.»

Il faut dire que sa position particulière, le passé qu'il lui était interdit de remuer, lui imposaient une réserve extrême. Il ne dit pas la vérité, présenta mal l'affaire; bref, n'intéressa nullement.

C'était jouer de malheur, car on l'avait adressé à un paroissien assez adroit, en grande réputation à la préfecture, qui est le voisin de notre ami Martin-Rigal, un certain Lecoq…

A la grande surprise de Paul, ce nom seul fit au digne M. Hortebize, juste l'effet d'un coup de fouet bien cinglé dans les jambes.

Il porta machinalement la main au médaillon pendu à sa chaîne de montre, et se dressa pâle et effaré.

– Halte!.. fit-il d'une voix étranglée, si ce Lecoq est de la partie, je retire ma mise. Rien ne va plus!.. Charlemagne!.. je file.

Sa panique était si singulière que Catenac daigna sourire.

– Eh! eh!!! fit-il, je comprends ton émotion, docteur. Mais rassieds-toi. Lecoq n'en est pas.

Cette assurance ne suffit pas pour rassurer l'excellent Hortebize, et il resta en suspens, un pied en l'air, interrogeant B. Mascarot du regard.

– Il n'en est pas!.. affirma le placeur en appuyant sur chaque mot. Ce drôle, qui est capricieux comme une jolie femme, a répondu que sa situation lui interdit de s'occuper de recherches particulières, ce qui est vrai, et que de plus l'affaire ne serait pas dans ses moyens. Le duc lui a offert une somme considérable s'il voulait quitter sa place; il a refusé, sous prétexte qu'il ne travaille pas pour de l'argent, mais pour l'art.

– C'est pourtant vrai, approuva Catenac.

– Ah!.. n'importe!.. murmura Hortebize en jetant à son médaillon des regards funèbres; n'importe, l'idée seule qu'on a consulté ce Lecoq me bouleverse.

– Parce que?.. Ne vas-tu pas aussi toi, croire qu'il est sorcier? Il n'est pas plus malin que les autres, il entend mieux la réclame, voilà tout… Bref, c'est sur le refus de Lecoq, que M. de Champdoce s'est adressé à Catenac, lequel l'a mis en rapport avec Perpignan… Est-ce bien tout?

L'avocat se leva.

– C'est tout, répondit-il. J'ajouterai seulement, mais vous devez le savoir, que le duc m'a chargé de surveiller les gens qui vont entreprendre ses recherches.

– Avez-vous un plan?

– Pas encore. La consigne du duc est celle-ci: Réussir, quand on devrait interroger tous les citoyens du globe l'un après l'autre. Il y a de la marge, comme vous voyez.

– A-t-on commencé les opérations?

– Pas encore. Le duc seul, jusqu'ici, est allé à Vendôme, qui sera le quartier général, sans aucun doute; nous devons nous y rendre au premier jour.

– Très bien.

– D'ailleurs, ajouta Catenac en haussant les épaules, je suis de l'avis de Perpignan: l'entreprise est parfaitement insensée…

– Lecoq dit le succès possible…

– Il le dit, en effet, mais s'il le pensait, il se chargerait de l'affaire.

Depuis un moment, B. Mascarot souriait doucement, tout en tracassant ses lunettes.

– Eh bien! moi, déclara-t-il, j'ai été du premier coup de l'avis de Lecoq.

– Ah!..

– C'est pourquoi je me suis mis en campagne.

– Toi? tu es allé à Vendôme, tu as…

– Que t'importe!.. J'ai cherché… et à cette heure je sais où prendre l'unique héritier de la maison de Champdoce.

Catenac ouvrait des yeux immenses.

– Tu plaisantes, sans doute? balbutia-t-il.

– De ma vie, je n'ai parlé si sérieusement. J'ai trouvé!.. Seulement, comme il est impossible que je paraisse, c'est à toi et à Perpignan que je réserve le bonheur de rendre cet enfant à son père. Et c'est vous seuls qui palperez la magnifique récompense que ne manquera pas d'offrir le duc. Ainsi, traitez à forfait, convenez bien des conditions.

L'avocat ne revenait pas de sa surprise.

Son regard ahuri allait alternativement de Mascarot à Hortebize et même à Paul Violaine.

Il semblait vouloir s'assurer qu'on ne se moquait pas de lui.

– Tu ne veux pas paraître, dit-il enfin à son associé, d'un ton soupçonneux, pourquoi? Tu flaires donc un danger? Ne me tendrais-tu pas un piège?

L'honorable placeur haussa les épaules.

– D'abord, fit-il, je ne suis pas un traître, moi, tu le sais. Ensuite, notre intérêt nous répond de la sûreté. Un de nous peut-il être compromis sans que les autres le soient? Non, évidemment. D'ailleurs, la simplicité de ton rôle tu rassurera. Tu n'auras rien à faire qu'à indiquer le commencement de la piste. Les autres la prendront et la suivront après, à leurs risques et périls, tu seras, toi, parfaitement dégagé.

– Cependant…

Mais B. Mascarot, à bout de patience, fronçait terriblement les sourcils.

– En voilà assez, fit-il d'un ton bref et dur. Il ne s'agit plus de discuter, mais d'agir. Je suis le maître n'est-ce pas?..

Quand ce diable d'homme parle ainsi, résister c'est perdre son temps. Comme il faut toujours finir par en passer par où il veut, le plus court est encore d'obéir.

Catenac garda le silence, fort humilié intérieurement, mais encore plus intrigué.

– Assieds-toi à mon bureau, maître, reprit Mascarot, et note scrupuleusement ce que je vais te dire. Le succès, je te l'ai dit, est certain, mais encore faut-il que je sois secondé. Tout dépend de ton exactitude et de la précision de tes mouvements. Une fausse manœuvre peut tout perdre. Te voilà prévenu.

XX

Sans mot dire, la tête basse, voilant sous un équivoque sourire ses rancunes envenimées, maître Catenac alla s'asseoir devant le bureau du placeur.

Il déposa sur la tablette son calepin ouvert, s'arma d'un crayon, et dit:

– J'attends.

B. Mascarot, lui, avait repris devant la cheminée sa place d'affection.

En un moment, sa physionomie avait changé de tout au tout. Ce n'était plus l'associé qui tient conseil, c'était le maître absolu qui commande et ne souffre point que ses volontés soient mises en délibération.

Il avait pris dans un carton une douzaine de ces fiches qu'il passait sa vie à étudier, et il les faisait passer rapidement sous son pouce avec la prestesse d'un joueur maniant ses cartes.

– Ouvre donc l'oreille, maître, prononça-t-il… et la bonne.

Puis, se tournant vers Paul:

– Et vous, ajouta-t-il durement, tachez de ne pas perdre une syllabe.

Hortebize était le seul à sourire, comme s'il eût eu quelque idée de ce qui allait se passer.

– Nous disons donc, reprit l'honorable placeur, que nous sommes aujourd'hui jeudi. Tu vas prendre tes mesures, maître Catenac, pour ouvrir les opérations après demain, c'est-à-dire samedi. Te fais-tu fort de décider ce jour-là le duc de Champdoce et le sieur Perpignan à partir pour Vendôme?

– Oh!.. très probablement…

B. Mascarot, toujours si calme et si patient, frappa violemment du pied.

– Assez de tergiversations, fit-il, je veux du positif. Es-tu certain d'entraîner nos gens, oui ou non?

– Eh bien!.. oui.

– A la bonne heure. Donc samedi vous vous mettez en route, et arrivés à Vendôme vous descendez à l'hôtel de la Poste.

– Hôtel de la Poste!.. grommela Catenac, et du ton d'un secrétaire répétant les derniers mots de la phrase qu'on lui dicte.

Le placeur ne releva pas cet enfantillage qui parut exaspérer l'excellent docteur.

– Il y a tout à parier, reprit-il, que le jour de votre arrivée vous n'entreprendrez rien. Vous aurez assez à faire de vous reposer, de tâter le terrain et de prendre langue. D'ailleurs, ce sera un dimanche.

Cependant, ce jour-là, vous vous rendrez à l'hospice pour renouveler votre provision de renseignements. La supérieure qui est une femme du monde, et la meilleure qu'il soit, se fera un plaisir de vous être utile.

Par elle vous aurez de nouveau le signalement de l'enfant que vous cherchez, et la date précise de son évasion.

Elle vous dira que c'est en 1856, le 9 septembre, au soir, qu'on s'était aperçu qu'il s'était enfui.

Elle vous dira que c'était alors un grand et vigoureux garçon, à la physionomie intelligente, à l'œil spirituel et vif, gros, gras, rose, pétillant de santé, âgé de douze ans et demi, mais en paraissant quinze pour le moins.

La supérieure vous apprendra encore que ce petit coquin, lors de sa fuite, était vêtu d'un pantalon de cotonnade rayée, bleu et blanc, et d'une blouse de toile grise; il était coiffé d'une petite casquette sans visière et avait une cravate de soie noire à pois blancs.

Enfin, toujours pour faciliter vos investigations, elle vous fera remarquer que sans nul doute, ce petit drôle, rempli de prévoyance, emportait dans un mouchoir à carreaux rouges une blouse blanche, un pantalon de laine grise et une paire de souliers neufs.

L'avocat examinait curieusement en dessous l'honorable placeur.

– Peste!.. murmura-t-il, tu es bien informé.

– Mais oui, passablement… répondit négligemment B. Mascarot.

Et de son ton bref et précis, il poursuivit:

– De retour à l'hôtel, et alors seulement, – cela te regarde, – il est évident que vous tiendrez conseil afin de discuter votre plan de campagne. J'adopte celui que proposera Perpignan.

– Tu le connais?

– Je crois le connaître. Il vous proposera de diviser les environs de Vendôme en un certain nombre de zones, et de visiter successivement toutes les maisons de ces diverses zones.

– Le projet me semble raisonnable.

– Il l'est. Tu lui en laisseras l'initiative. Tu n'useras, toi, de ton influence, que pour modifier l'exécution. Tu feras observer que la division est toute faite, et que le plus simple est d'explorer toutes les communes d'abord, puis tous les cantons de l'arrondissement. A l'appui de ton dire, tu demanderas un dictionnaire de géographie de Bescherelle, et tu enlèveras la résolution de marcher dans l'ordre qu'il indique. C'est-à-dire que vous visiterez d'abord la commune d'Areines, celle d'Azé ensuite, puis celle de Marcilly… mais en voilà plus qu'il n'en faut.

– Areines, répétait Catenac, comme un écho, Azé, Marcilly…

B. Mascarot s'était interrompu. Il se pencha vers l'avocat, et du bout du doigt, légèrement, lui toucha l'épaule.

– Note, maître, lui dit-il, note bien l'ordre que je précise. Tout est là.

– Sois sans crainte, c'est écrit, vois…

Le placeur inclina la tête en signe d'approbation.

– Votre marche arrêtée, continua-t-il, l'idée ne peut manquer de vous venir de vous enquérir de quelqu'un qui vous dirige dans le pays.

– Naturellement.

– Vous ferez donc monter le maître de l'hôtel de la Poste, et vous le prierez de vous indiquer un homme connaissant bien les environs de Vendôme à cinq ou six lieues à la ronde. Ici, ami Catenac, je laisse quelque chose au hasard, ne pouvant faire autrement. Il y a quatre-vingt-dix-neuf à parier contre un, que l'hôtelier vous désignera un nommé Frégot, employé chez lui aux commissions. Cependant il se peut que son choix tombe sur un autre. Ce aurait à toi, en ce cas, à réclamer notre homme… adroitement.

– Frégot.

– Oui, écris: f, r, é, g, o, t… Mais on vous le désignera.

– Et que lui dirai-je?

– Absolument rien. Il sait ce qu'il a à faire, son rôle est tracé plus minutieusement encore que le tien… et il l'a répété. Vous n'avez pas à vous reconnaître.

Tout cela était si clair, si net, si précis, que les auditeurs de B. Mascarot ne purent retenir un mouvement d'approbation.

Catenac lui-même se déridait; ces instructions données avec l'autorité du talent lui rappelaient le passé, sa jeunesse, ce bon temps où, dévoré de convoitise et sans le sou, il obéissait aveuglément au chef de la redoutable association.

– Ces préliminaires réglés, reprit le placeur, dès le lundi matin vous commencerez votre tournée par la commune d'Areines, sous la conduite de Frégot. Efface-toi autant que possible, laisse toujours la direction, et par contre la responsabilité à Perpignan… seulement, fais que le duc vous accompagne.

Comment procéderez-vous? Oh!.. mon Dieu! tout niaisement, comme la police en pareille occurrence.

Vous vous adresserez d'abord aux autorités… Elles ne sauront rien. Alors, vous irez de porte en porte, de maison en maison, débitant à tous les habitants un petit boniment préparé à l'avance, quelque chose de simple et de bien compréhensible. Ceci, par exemple:

«Mes amis, nous cherchons un enfant, il y a dix mille francs de récompense pour qui nous mettra sur sa trace. C'est en 1856, vers le mois de septembre, qu'il a dû traverser votre pays, fuyant l'hospice de Vendôme. Quelqu'un de vous l'aurait-il recueilli… quelqu'un en a-t-il entendu parler?.. Les dix mille francs seront payés comptant!.. L'enfant avait treize ans, il en paraissait quinze, etc., etc.»

L'avocat interrompit l'honorable placeur.

– Attends, fit-il, que j'écrive… je ne trouverais pas mieux.

Et en effet, il écrivit sous la dictée.

– Le lundi, poursuivit B. Mascarot, vous ne recevrez que des réponses désespérantes. Vous ne trouverez rien ni le mardi, ni les trois jours suivants. Mais le samedi, arme-toi contre la surprise. Ce jour-là, Frégot vous conduira dans une grande ferme fort isolée, au bord du lac, qu'on appelle dans le pays «le Pignon blanc,» et qui est cultivée par un nommé Lorgelin, sa femme et ses deux fils.

Ces braves gens seront certainement à table. Ils vous inviteront à vous rafraîchir, vous accepterez.

Mais aux premiers mots de votre boniment, vous verrez toutes les figures changer. La fermière deviendra toute pâle, et elle s'écriera en levant les bras au ciel:

– Vierge Marie! Lorgelin, ces messieurs veulent pour sûr parler de notre pauvre Sans-Père!..

Depuis qu'il avait commencé à développer ce plan si fortement conçu, B. Mascarot semblait grandi de six pieds, et le génie de la perversité illuminait sa physionomie d'ordinaire si effacée.

Sa façon d'exposer était saisissante, son geste avait une irrésistible autorité, sa voix faisait quand même pénétrer dans l'esprit d'autrui les convictions qui l'animaient.

Il parlait d'événements à venir, problématiques, soumis aux plus étranges caprices du hasard, mais il les déroulait avec une telle lucidité, avec une si implacable logique, qu'on était saisi du sentiment du réel, qu'on ne doutait pas.

– Quoi!.. la fermière dira cela? fit Catenac surpris.

– Cela, et pas autre chose. Et tout aussitôt le mari prenant la parole vous expliquera qu'ils avaient donné ce nom de Sans-Père à un malheureux gamin trouvé par eux un matin, grelottant à la rosée dans un des fossés de la route, et charitablement recueilli et gardé par eux.

Il vous contera que c'était bien en 1856, au commencement de septembre.

Vous voudrez lui lire votre signalement, il vous fermera la bouche en vous donnant le sien, qui se trouvera être le vôtre trait pour trait.

Si vous êtes prudents, vous surveillerez bien le duc de Champdoce, il est impossible que ce bonheur inespéré ne lui cause pas un bouleversement dangereux.

– Et alors?..

– Alors, Lorgelin vous chantera les louanges de cet enfant. Il vous dira combien il était doux et intelligent; et comment il remplissait si bien la ferme de sa gaieté et de ses gentillesses, que jamais il ne se sentit le courage de le reconduire à l'hôpital de Vendôme, quoiqu'il sentît bien que ce fût là son devoir le plus strict.

Et vous entendrez toute la famille, la mère et les deux fils – des gars de vingt-cinq à vingt-six ans, – renchérir sur les éloges du fermier. Il était si gentil, Sans-Père, si futé!.. A treize ans qu'il avait, il écrivait comme un notaire, et on vous montrera de son écriture sur le livre de la ferme.

Pourtant la mère Lorgelin, la larme à l'œil, vous apprendra que cet enfant si choyé n'était qu'un ingrat, et que l'année suivante, en 1857, vers ce même mois de septembre, il quitta cette famille qui l'avait adopté.

Oui, il l'abandonna pour aller avec des saltimbanques qui la veille, un dimanche, avaient donné une représentation dans le village, et dont le cornet à piston et les maillots pailletés avaient enflammé sa jeune imagination.

Vous serez touchés des regrets de ces braves gens. Lorgelin ne vous cachera pas qu'il fil bien des démarches pour rattraper Sans-Père, et que même il alla à la foire de Château-Renault, le deuxième mardi d'octobre, et une autre fois jusqu'à Blois. En vain…

Et pour finir, on étalera sous vos yeux les reliques du petit, ses vêtements, sa blouse des dimanches, une casquette neuve qu'on lui avait achetée peu avant.

Si Catenac attendait un dénouement, ce n'était certes pas celui-là, et son désappointement prit une si comique expression que l'excellent Hortebize ne put s'empêcher de lui décrocher un quolibet.

– Tu tombes d'un peu haut, maître!.. dit-il avec un éclat de rire.

– Je le confesse, mais j'avoue aussi que je ne vois pas en quoi nous serons plus avancés quand nous aurons écouté l'histoire de ce Lorgelin.

B. Mascarot lui adressa de la main ce geste qui signifie si éloquemment: patience!.. et aussitôt poursuivit:

– Laisse-moi finir…

En pareille circonstance, tu serais sans doute bien embarrassé, toi, avocat au barreau de Paris. En fait de dédale, tu ne connais que celui des lois.

Perpignan, lui, qui a l'habitude des investigations policières, n'aura pas, je te le garantis, une minute d'hésitation.

Tu le verras, tout joyeux, vous déclarer que du moment où il tient le bout du fil, il se fait fort de dévider le peloton sans le rompre, et de vous conduire jusqu'à l'enfant s'il vit, jusqu'à sa tombe s'il est mort.

– Hum!.. Tu crois peut-être Perpignan plus adroit qu'il ne l'est réellement.

– Point!.. Chaque métier à ses règles, n'est-ce pas? Ce qu'il aura à faire est l'a, b, c, du métier «d'entrepreneur de surveillances privées,» pour lui donner le titre qu'il prend sur ses circulaires.

D'ailleurs, s'il venait à s'égarer, à perdre la voie, tu serais là pour le ramener sur la bonne piste… délicatement, bien entendu, sans avoir l'air d'y toucher…

Mais il ne s'égarera pas, j'en suis sur!..

Son premier mouvement sera de vous conduire à la mairie du village d'Azé d'où dépend la ferme du Pignon blanc.

Là vous demanderez le registre des «passages» et des «permis de séjour» de l'année 1857.

Ce registre vous sera confié, vous le feuilleterez et vous constaterez qu'au mois de septembre 1857 passait et séjournait à Azé, venant de Versailles et se rendant à Tours, une troupe d'artistes saltimbanques composée de neuf personnes, voyageant avec deux voitures et cinq chevaux, sous la direction d'un sieur Vigoureux, dit «La Sauterelle.»

Catenac s'était remis à écrire, son crayon volait sur le papier.

– Doucement!.. disait-il, doucement, je ne puis plus suivre.

Après une pause de quelques secondes, le placeur poursuivit:

Un examen attentif du registre vous prouvera qu'il n'est point passé d'autres saltimbanques à Azé depuis le mois de septembre. D'où vous concluerez que c'est forcément ce La Sauterelle que le petit Sans-Père a suivi, et à tout hasard vous relèverez son signalement copié en marge de sa mention de séjour, signalement dont voici les indications utiles:

VIGOUREUX, – né à La Bourgonce (Vosges). Age: 47 ans. Taille: 1 mètre 72 cent… Yeux: petits, gris et louches… Teint coloré. Signe particulier: l'annulaire de la main gauche coupé au-dessus de la première phalange.

Si avec cela vous preniez un autre saltimbanque pour celui-ci, c'est que véritablement vous ne seriez pas forts.

– S'il n'y avait que moi, grommela Catenac, pour le retrouver…

– Mais vous aurez Perpignan, dont c'est le métier. Tu le verras, une fois ses notes prises à la mairie, heureux, fier, plein de jactance, comme un sot qui se croit en train de mener à bien un chef-d'œuvre. D'un ton plein d'importance, il vous déclarera que les opérations dans le Vendômois sont terminées et qu'à Paris seulement, ou peut poursuivre les investigations. C'est indiqué.

Toi, tu approuveras. Tu laisseras ton noble client récompenser à sa guise Frégot et Lorgelin, mais tu t'arrangeras pour qu'il revienne avec vous. Il ne faut pas que M. le duc de Champdoce reste seul là-bas, on ne sait ce qui peut arriver…

– Oh! je suppose qu'il sera pressé de revenir.

– Je l'espère aussi. A Paris, l'adroit Perpignan vous conduira en droiture rue de Jérusalem, où, vous dira-t-il, le sieur Vigoureux ne peut manquer d'avoir son dossier, comme tous les artistes ambulants.

A la préfecture, on commencera par vous envoyer promener. La police, et c'est, ma foi! fort heureux, est avare des documents qu'elle possède, et ne donne pas, il s'en faut, à tout venant, des renseignements sur le premier venu.

Mais un mot du duc de Champdoce à M. le Préfet vous ouvrira les cartons.

Ou cherchera, et au bout d'une huitaine, on vous apprendra que l'artiste Vigoureux a été, on 1864, condamné à deux ans de prison pour coups et blessures, qu'il a subi honorablement sa peine, et que, pour l'heure, soumis encore à la surveillance, il a changé de profession, et tient un débit de vins dans les environs de l'ancienne barrière de l'Étoile, au coin de la rue Dupleix.

– Minute, hé!.. fit l'avocat, que je prenne cette adresse.

Ce n'est pas sans raison que Catenac disait ainsi: Minute!.. B. Mascarot attachant moins d'importance à ses instructions, les précipitait.

Déjà il continuait:

– D'un seul coup d'œil, quand vous irez rue Dupleix, vous reconnaîtrez votre Vigoureux, l'homme au doigt coupé. C'est un horrible brutal que le nom seul de Sans-Père mettra en fureur. Il vous avouera qu'on effet ce petit scélérat l'a suivi, et qu'il l'a eu dans sa troupe près de dix mois.

C'était, vous dira-t-il, un garnement plein de dispositions, mais fier comme un paon et plus paresseux qu'un lézard. En vérité, il n'avait de goût prononcé que pour la musique avec un vieil Alsacien nommé Fritz, qui était le chef d'orchestre de la troupe.

L'enfant et le vieux se montèrent si bien l'imagination, qu'un beau jour ils filèrent de compagnie, laissant Vigoureux dans un grand embarras.

Nécessairement, vous vous informerez ce qu'est devenu ce Fritz, et Vigoureux vous répondra des injures. Mais toi, qui es avocat, menace-le d'une plainte en détournement d'enfant, et devenu subitement souple comme un gant, il vous jurera qu'il va se mettre en quête.

Il s'y mettra, et huit jours ne se passeront pas sans que Vigoureux vienne vous apprendre qu'il a enfin découvert Fritz, et que vous le trouverez à l'hospice Saint-Magloire, où il a réussi à se faire admettre.

Certes, il y avait longtemps que Catenac, le souriant Hortebize, et même Paul Violaine, avaient perdu la fleur de leurs illusions sur toutes choses.

Ils avaient, le docteur et l'avocat surtout, laissé un à un leurs étonnements candides, à toutes les surprises d'une vie d'aventures.

Et cependant, c'est avec un réel émerveillement qu'ils écoutaient les péripéties diverses de ces investigations, toutes simples en apparence et allant de soi, mais qui, pour eux, décelaient une surprenante connaissance de tous les ressorts sociaux, une pénétration admirable, une incomparable entente de toutes les ressources de la civilisation.

– Fritz, reprit B. Mascarot, est un vieux finaud, comme tous les Alsaciens, d'ailleurs, lesquels enveloppent des apparences d'une simplicité enfantine, la ruse méridionale jointe à la cautèle normande.

Vous trouverez à Saint-Magloire un vieillard plus tremblotant que le lumignon près de s'éteindre, et que vous jugerez n'avoir plus guère sa tête et radotant.

Dis au duc de Champdoce de ne s'y fier qu'à demi.

Cet Alsacien retors vous contera avec un accent strasbourgeois trempé de larmes, tous ses sacrifices pour «sa bédide itôle.» Il vous dira comme quoi il se privait de «dâpac,» un Alsacien!.. et de «Schnaps,» pour payer les leçons de composition et de piano qu'il faisait donner à Sans-Père.

C'est qu'il se proposait, il vous le jurera, de le faire admettre au Conservatoire. Il avait reconnu ses surprenantes facultés, et il caressait l'espoir de le voir devenir un grand musicien comme Weber ou comme Mozart.

Je suis persuadé que ses larmes de crocodile, tâchant de toucher sa proie, attendriront ton noble client. Il verra son fils sortant enfin des bourbes de la misère, et en sortant sans aide, par la seule force de son génie. Il se reconnaîtra, il croira reconnaître le sang des Dompair de Champdoce. Pour ce seul fait, il accepterait le petit…

Surprendre au juste la pensée vraie de B. Mascarot est difficile, pour ne pas dire impossible.

Il y avait trois quarts d'heure que Catenac, cet artiste en fourberies, s'efforçait de déchiffrer ce sphinx en lunettes; il était juste aussi avancé qu'à la première minute.

Où voulait en venir le placeur? Quand était-il franc? quand il raillait ou quand il était sérieux? Que fallait-il accepter ou rejeter de tout ce qu'il avançait?

C'était à dérouter les perspectives les plus exercées.

– Passons, fit l'avocat, passons, l'heure marche, et tout ce que tu me dis là ressortira des faits eux-mêmes…

B. Mascarot, d'un seul regard, glaça les objections sur ses lèvres, regard ironique, empreint de compassion, qu'il arrêta sur l'avocat en haussant les épaules.

– Caractère d'enfant, grommela-t-il, ignorant et présomptueux, téméraire et poltron, obstiné et versatile…

Et tout haut il ajouta:

– Il ne ressortira des faits, maître, que ce que je veux qu'il en ressorte… et si ta pénétration devance le dénouement, laisse-moi tout bien expliquer pour notre jeune ami Paul Violaine, dont le rôle sera plus compliqué que le tien.

Impatient de ces délais, et comptant sur la surprise finale, le bon docteur lançait à Catenac des regards furibonds.

– Mais, où l'Alsacien vous remuera vraiment, continua le placeur, c'est quand il vous confiera les amertumes de sa déception le jour où le petit, se sentant assez fort pour voler de ses propres ailes, s'envola, le laissant seul, misérable, sans pain.

«Car il me laissa seul en mon misérable taudis, gémira-t-il, pour aller s'installer tout seul dans un magnifique hôtel de la rue d'Arras-Saint-Victor, dans une belle chambre où il avait fait venir un piano. Son talent commençait à donner des fruits; il avait deux élèves à trente francs par mois, et le soir il jouait de la contre-basse dans un bal.»

Vous serez excédés d'écouter le vieux Fritz, bien avant qu'il soit las de se plaindre, d'autant plus que sous ses doléances vous sentirez les rancunes de l'intérêt lésé et la colère de l'exploiteur déconcerté; d'autant qu'il vous confessera que son bien-être actuel lui vient du «bedit incrat.»

Le duc, naturellement, lui laissera des marques de son contentement, et vous volerez rue d'Arras, de toute la vitesse de vos chevaux.

Là, un maître d'hôtel grognon vous répondra qu'il y a bien quatre ans qu'il a donné congé à cet artiste, le seul qui jamais ait eu l'audace de s'aventurer dans sa maison. Mais avec un peu d'adresse et une pièce de vingt francs, vous saurez de lui le nom et l'adresse d'une élève qu'avait alors le musicien, Mme veuve Grodorge, rue Saint-Louis.

Cette femme, fort séduisante encore, vous répondra en rougissant beaucoup, qu'elle ignore le domicile actuel de son professeur, mais que dans le temps il demeurait, 57, rue de la Harpe.

De la rue de la Harpe on vous enverra rue Jacob, et enfin, de là, vous serez adressés rue Montmartre, au coin de la rue Joquelet…

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12+
Data wydania na Litres:
28 września 2017
Objętość:
1080 str. 1 ilustracja
Właściciel praw:
Public Domain