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Czytaj książkę: «Les esclaves de Paris», strona 41

Czcionka:

XI

Il n'avait fallu que trois jours, bien employés il est vrai, pour terminer les préliminaires du mariage de Norbert et de Mlle Marie.

En trois jours, toutes les difficultés avaient été levées ou écartées, un contrat provisoire avait été signé et il avait été possible de réunir, pour les remettre au curé, les actes indispensables à la publication des bans.

Et un samedi soir, les deux jeunes gens, M. de Puymandour disait: les deux futurs, furent présentés l'un à l'autre.

Ils se déplurent. Au premier regard échangé, il avaient éprouvé ce sentiment d'instinctive répulsion dont les années ne triomphent pas toujours.

Le malheur est qu'ils n'avaient près d'eux personne qui s'en aperçut, personne surtout doué d'assez de tact pour les rapprocher, pour détruire les préventions qu'ils nourrissaient l'un contre l'autre, pour leur inspirer, à défaut de passion, cette mutuelle estime qui est la base des amitiés durables.

Lorsqu'elle était encore sous le coup des obsessions de son père, inspirée par le désespoir, Mlle Marie avait songé à confier à Norbert le secret de son cœur. Elle avait eu l'idée de lui tout avouer, de lui dire qu'elle en aimait un autre, qu'elle ne l'épousait que par contrainte et force, et qu'elle le conjurait de rompre en prenant sur lui la responsabilité de la rupture.

Hélas! elle était faible. Au moment de parler, elle eut peur. Elle se tut, laissant échapper la seule chance qu'il y eût de conjurer les malheurs qui menaçaient deux existences.

Car Norbert, au premier mot, se fût retiré, heureux sans aucun doute de ce prétexte, et c'en était un excellent, de ne pas tenir l'engagement vis-à-vis de lui-même, d'obéir à son père, maintenant que son père ne pouvait plus commander.

En attendant, il avait été admis à faire sa cour.

Chaque jour, un peu après midi, il arrivait chez M. de Puymandour chargé d'un énorme bouquet.

On l'introduisait au salon, il remettait ses fleurs à Mlle Marie, en balbutiant un compliment, elle le remerciait en rougissant beaucoup, et ils s'asseyaient, ayant en tiers une vieille parente qu'on avait fait venir d'Oloron pour la circonstance.

Alors, pendant des heures, ils restaient en présence, elle penchée sur quelque broderie, lui ne sachant quelle contenance garder, cruellement embarrassés, n'ayant rien à se dire, ne disant rien le plus souvent, en dépit d'efforts inouïs pour maintenir vivante un semblant de conversation banale.

Jamais ils n'étaient si contents que lorsque M. de Puymandour leur proposait une excursion dans les environs. Avec lui, du moins, il n'y avait pas à redouter la pénible gêne du silence.

Mais ces promenades étaient rares, M. de Puymandour n'ayant pas une minute à lui, et se donnant, selon ses propres expressions, un mal de chien.

Jamais on ne l'avait vu brillant, bruyant, empressé, pressé, comme depuis que ce bienheureux mariage était la nouvelle du pays.

On ne rencontrait plus que lui sur les chemins, à cheval ou en voiture. Il portait lui-même ses invitations, et sa vanité s'épanouissait aux félicitations dont on le comblait.

Et ce n'était pas tout. Il avait encore à surveiller les préparatifs de la noce. Il la voulait magnifique.

Norbert lui avait bien fait remarquer que toutes les splendeurs qu'il rêvait seraient jugées inconvenantes, en présence de la situation affreuse du duc de Champdoce; il n'avait rien voulu entendre.

On remettait tout à neuf, on abattait des cloisons, on posait des tentures, on peignait sur les voitures les armes des Champdoce près des armes de Puymandour. Quelle gloire!..

On les retrouvait partout, ces armes: au-dessus de toutes les portes, sur les meubles et sur la vaisselle, sur les plus menus objets. M. de Puymandour les eût fait broder sur sa poitrine s'il l'eût osé.

A ces bruits de fête, au milieu de tout ce tumulte, la tristesse de Norbert et de Mlle Marie redoublait. On eût dit, à les voir pâles et mornes, qu'ils avaient comme le pressentiment de l'avenir qu'on leur préparait.

M. de Puymandour avait des yeux pour ne pas voir. Se trouvait-il seul avec eux? c'était pour les accabler de railleries dont le goût devenait de plus en plus douteux.

Un jour, cependant, il rapporta de ses courses une telle nouvelle, qu'il courut au salon, où il savait trouver ses «amoureux», ainsi qu'il disait.

– Eh bien! mes enfants, leur cria-t-il dès le seuil, votre exemple est bon, et on le suit. Le maire et le curé auront de la besogne cette année.

Mlle Marie interrogeait son père du regard.

– C'est comme cela, poursuivit-il. On vient de me parler d'un mariage qui suivrait de près le vôtre et qui ferait du bruit aussi.

– Lequel?..

– Quand M. de Puymandour tenait une histoire qu'il jugeait intéressante, il en abusait impitoyablement.

– Vous connaissez, demanda-t-il à Norbert, le fils du comte de Mussidan?

– Le vicomte Octave?

– Précisément.

– Je croyais qu'il habitait Paris.

– Il l'habite, en effet, et même y fait ses farces. Mais il est ici, chez son père, depuis huit jours, et voici que déjà il a le cœur pris. Devinez un peu à qui on le marie? je vous le donne en cent, je vous le donne en mille…

– Nous ne devinerons jamais, cher père, ainsi ne nous fais pas languir.

M. de Puymandour crut devoir prendre son air le plus mystérieux.

– Ce que je vous en dis, continua-t-il, est entre nous. Je le tiens de Gavinet, le notaire, à qui j'ai promis le secret; ainsi… Il paraît que le comte Octave de Mussidan va épouser Mlle Diane de Sauvebourg.

Mlle Marie eut un geste incrédule.

– Ce n'est guère probable, fit-elle. Il n'y a pas huit jours que Mlle Diane a perdu son frère.

– Raison de plus, parbleu! La voici une riche héritière, maintenant. Les Mussidan, qui sont plus fins que l'ambre, sont très capables d'avoir écrit à leur fils d'accourir, afin de devancer tous les partis qui vont se présenter. Octave est venu, c'est un charmant cavalier, et ma foi! je trouve cela tout naturel.

Norbert était devenu fort rouge d'abord, puis livide. Si grand avait été son saisissement, qu'il faillit laisser échapper un album qu'il tenait.

Mais la précaution qu'il prit de détourner la tête pour cacher son émotion était inutile, ni Mlle Marie ni son père n'avaient remarqué son trouble.

M. de Puymandour poursuivait:

– J'approuve, du reste, le vicomte de Mussidan. Mlle Diane, outre que sa beauté est surprenante, me paraît de tous points une personne accomplie. On n'a pas plus grand air. Quelle hauteur, quels dédains!.. Rien qu'à la voir, on devine la fille de grande maison, tenant en un profond mépris le commun de l'humanité. Quant à son esprit, j'en ai éprouvé le piquant.

Il se retourna vers sa fille et ajouta:

– Voilà, Marie, le modèle que vous devez vous proposer maintenant que vous allez être duchesse. Combien de fois n'ai-je pas eu à vous reprocher la modestie que vous outrez! Vous n'entrez pas dans un salon, vous vous y glissez.

Comment voulez-vous qu'on vous accorde les égards dus à votre rang, si vous ne paraissez pas en avoir conscience?

Lorsqu'il abordait ce chapitre, M. de Puymandour ne tarissait pas. Mlle Marie le savait, aussi profita-t-elle d'un moment où il reprenait haleine, pour s'esquiver sous prétexte d'un ordre à donner.

Le comte ne se fâcha pas trop de ce manque du révérence filiale, Norbert lui restait.

– Pour en revenir à Mlle Diane, reprit-il, je viens de la rencontrer à l'instant, sortant de chez la mère Rouleau. Le noir lui sied, parbleu!.. à ravir. Décidément un deuil est une bonne fortune pour une blonde… Mais, pardon, je suis là à vous chanter ses mérites, comme si vous ne les connaissiez pas mieux que personne…

– Moi? monsieur le comte.

– Vous, monsieur le marquis… Ah ça, voudriez-vous nier, par hasard?

– Quoi?

– Que vous lui avez fait la cour, et de très près même, mon gaillard! Allons, bon! voilà que vous rougissez… il n'y a pas de quoi. On est jeune, on est amoureux, on a une maîtresse…

– Mais, monsieur le comte, je vous jure…

M. de Puymandour éclata de rire.

– A d'autres, marquis, interrompit-il, à d'autres! On vous a trop souvent rencontrés ensemble sous la coudrette… Eh! eh!.. la discrétion est inutile.

Vainement Norbert essaya de se défendre, de protester avec toute l'énergie de la vérité, il s'adressait au plus têtu des hommes.

– Vous n'avez d'ailleurs rien à vous reprocher, poursuivait le comte. Certainement vous n'avez pas trompé Mlle Diane. Pouvait-elle espérer devenir votre femme? Non, puisqu'elle n'avait pas le sou. Ah! maintenant que son frère est mort et qu'elle est riche, ce serait une autre histoire…

Positivement, cette théorie ignoble était celle de M. de Puymandour. Elle révolta si bien l'honnêteté de Norbert qu'une réplique fort blessante lui vint aux lèvres. Il se contint, ayant un parti pris de résignation.

Mais il était si réellement indigné qu'il ne put prendre sur lui de rester à dîner, et que, résistant aux pressantes instances du comte, prétextant des soins à donner à son père, il se retira.

Les sentiments les plus confus et les plus contraires s'agitaient en lui, pendant qu'il regagnait Champdoce. Il souffrait.

Cependant, il doutait encore des assertions de M. de Puymandour, et il songeait au moyen de savoir la vérité, quand, en sortant de Bivron, sur la grande route, il s'entendit appeler par quelqu'un qui courait derrière lui.

– Monsieur le marquis! monsieur!..

Il se retourna et se trouva on face de Montlouis, ce fils du fermier de son père, dont, l'hiver précédent, à Poitiers, il avait fait son confident et son ami.

– Vous ne m'aviez pas aperçu en passant, monsieur le marquis? demanda-t-il.

Montlouis, autrefois, tutoyait Norbert; mais il avait depuis trois mois pénétré dans un monde où on lui avait appris la distante énorme qui le séparait, lui fils d'un paysan, n'ayant pas cent louis de rentes, d'un grand seigneur millionnaire.

– J'étais très préoccupé, répondit Norbert.

Et, craignant d'avoir froissé son ancien camarade, il lui tendit la main.

– Voici une semaine, reprit Montlouis, que je suis revenu au pays avec mon patron. Car j'ai un patron, maintenant. M. le vicomte de Mussidan m'a définitivement attaché à sa maison en qualité de secrétaire, ou plutôt d'intendant. M. Octave n'est peut-être pas très commode, il se met pour un rien dans des colères épouvantables; mais au fond, c'est le meilleur des hommes. Je suis enchanté de ma position.

– Allons tant mieux, mon ami, tant mieux.

Mais ce n'était pas uniquement pour lui communiquer ces détails que Montlouis avait couru après Norbert.

– Et vous, monsieur le marquis, continua-t-il, vous allez épouser Mlle de Puymandour? Quand ou me l'a appris, j'ai failli tomber de mon haut.

– Pourquoi? s'il te plaît.

– Dame!.. monsieur, j'en étais encore au temps où nous allions attendre, au bout d'un certain jardin, que certaine petite porte s'ouvrît mystérieusement.

– Tu aurais dû oublier cela, Montlouis.

– Oh!.. monsieur, je vous en parle, mais nul autre que vous, quand il s'agirait de ma tête, ne m'arracherait un mot à ce sujet. Je voulais vous dire que les hasards de la vie sont bien surprenants. Pensez que votre ancienne…

D'un geste menaçant Norbert l'interrompit.

– Malheureux!.. s'écria-t-il, qu'oses-tu dire!..

– Monsieur!..

– Sache bien que Mlle de Sauvebourg est aussi pure que le jour où je l'ai aperçue pour la première fois. Elle a été folle, elle a été imprudente, oui; coupable, non. Je le jure devant Dieu!

– Et je vous crois, monsieur, je vous crois!..

Le fait est qu'il ne croyait pas un mot de ce que disait Norbert, et il était aisé de le comprendre à sa physionomie et à son accent.

– Toujours est-il que Mlle de Sauvebourg va devenir ma patronne.

– Elle!.. tu en es sûr?

– J'ai du moins de fortes raisons de le croire; on ne parle que de cela à Mussidan.

Ainsi donc, M. de Puymandour était exactement informé, Norbert était bien forcé de se rendre.

– Cependant, interrogea Norbert, quand le vicomte a-t-il pu voir Mlle Diane? où? comment?

– Oh! bien simplement. A Paris, M. Octave était assez lié avec le fils du marquis de Sauvebourg, et il l'a visité souvent pendant sa maladie. Dès que les parents de ce pauvre jeune homme ont su monsieur le vicomte ici, ils l'ont fait demander, et il s'est rendu à leurs désirs. Naturellement il a vu Mlle Diane, et il est revenu enthousiasmé, si épris qu'il en rêve.

L'irritation de Norbert était devenue si visible, que Montlouis s'arrêta, convaincu qu'il était amoureux et jaloux.

– Après cela, ajouta-t-il, en manière de consolation, rien n'est encore décidé!..

Mais Norbert était trop bouleversé pour supporter davantage le bavardage de Montlouis. Il lui serra la main, lui dit brusquement: «au revoir,» et s'éloigna à grands pas, le laissant planté au beau milieu de la route, immobile et muet d'étonnement.

C'est que jamais, même au plus beau temps de ses amours, le seul nom de Diane ne l'avait tant remué, et il était furieux contre lui-même.

– Quoi!.. se disait-il, après tout ce qui s'est passé, je ne puis prendre sur moi de l'oublier!.. Je sais qu'elle se jouait de moi; je n'étais que l'instrument de son exécrable ambition; elle a froidement préparé l'assassinat de mon père, et je l'aimerais encore!.. Ne suis-je donc qu'un lâche! et, pour cesser de penser à elle, faudra-t-il m'arracher le cœur!..

Aux tortures déjà insupportables de Norbert, s'ajoutaient à cette heure, les plus horribles inquiétudes.

Interrogeant l'avenir, il ne découvrait que malheurs et pressentait les plus affreuses complications. Tout tournait contre lui.

Il lui semblait qu'il était comme enfermé dans un cercle d'airain qui, de moment en moment, allait se rétrécissant et finirait par le broyer.

Il voyait Mlle de Sauvebourg épousant le vicomte Octave de Mussidan et rencontrant Montlouis au service de son mari.

Quelles seraient ses impressions, quand elle se trouverait en face de ce confident de ses anciennes amours, de ce jeune homme qui, dix fois, quand Norbert était retenu à Champdoce, était venu lui porter une lettre, chercher une réponse?

Et Montlouis!.. quelle conduite tiendrait-il? Aurait-il le sang-froid et le tact nécessaires pour sauver une situation si délicate?

Que résulterait-il de ce rapprochement qui paraissait une cruelle ironie de la Providence?

Très probablement la femme ne se résignerait pas à subir l'odieuse présence du complice des fautes de la jeune fille. Elle s'empresserait d'imaginer quelque prétexte pour le faire éloigner. Lui ne serait pas dupe, et furieux de perdre une position qui lui plaisait et qui faisait toute sa fortune, il parlerait.

Montlouis parlant, M. de Mussidan justement indigné d'avoir été si misérablement trompé, chasserait sa femme sans ménagements.

Que ferait Diane, quand elle se verrait irrémissiblement perdue, mise au ban de ce monde où elle prétendait régner?

Ne chercherait-elle pas à se venger de Norbert?

Il en était à se demander si la mort ne serait pas un bienfait, lorsque, approchant de Champdoce, il vit surgir devant lui la fille de la mère Rouleau.

Cachée derrière une haie depuis plus de deux heures, elle guettait son passage.

– J'ai une commission pour vous, monsieur, lui dit-elle.

Il prit une lettre qu'elle lui tendait, l'ouvrit et lut:

«Vous dites que je ne vous aime pas; vous voulez des preuves, sans doute! Eh bien, partons ensemble ce soir… Je serai perdue, mais à vous.

– «Réfléchissez, Norbert, il en est temps encore. Demain il sera trop tard…»

C'était Mlle de Sauvebourg qui osait lui écrire!

Longtemps il tint les yeux attachés sur cette lettre, pour lui d'une si poignante éloquence, comme s'il eût espéré qu'elle trahirait quelque chose de la pensée qui l'avait dictée.

L'écriture d'ordinaire si ferme et si nette de Mlle Diane était tremblée et confuse. Les trois derniers mots étaient presque illisibles. En plusieurs endroits, le satiné du papier était enlevé. Étaient-ce des traces de larmes?

Mais l'écriture ment; on peut mouiller du papier avec quelques gouttes d'eau.

Cependant il comprenait que, pour tenter cette démarche suprême, pour risquer l'humiliation d'un refus de sa personne, qu'elle offrait, elle avait dû faire à son indomptable orgueil la plus horrible violence.

– Si elle m'aimait, pourtant!.. murmura-t-il.

Il hésitait, oui, il hésitait saisi de cette idée qu'elle sacrifiait pour lui honneur, famille, fortune, qu'elle était à lui s'il la voulait, qu'il ne tenait qu'à lui d'être avant deux heures près d'elle, au fond d'une voiture, fuyant vers quelque pays nouveau; son cœur battait à rompre sa poitrine, quand à cinquante pas sur la route, il aperçut un homme qui s'avançait: son père.

C'était la seconde fois que, par sa seule présence, M. de Champdoce triomphait des plus puissantes séductions de Mlle Diane.

– Jamais! s'écria Norbert – avec un tel emportement, que la fille de la mère Rouleau fit un bon en arrière, – jamais! jamais!

Et froissant la lettre avec une rage inconsciente, il la jeta sur le chemin où Françoise la ramassa précieusement l'instant d'après, et se précipita vers son père.

Le duc était alors remis de son attaque.

Remis… en ce sens, du moins, que la vie était sauve, qu'il se levait, marchait, mangeait et dormait comme avant.

Mais l'âme ne commandait plus au corps. L'intelligence, l'étincelle divine, paraissait pour toujours éteinte.

Guidé par l'instinct, par une sorte de mémoire de la chair qui survit à la raison, il accomplissait mécaniquement une partie des actes qui lui étaient habituels. Ainsi, il faisait aux environs sa tournée quotidienne, il allait regarder les ouvriers travailler aux champs, il visitait les écuries et les étables, mais de ce qu'il faisait, il n'avait nulle conscience.

Même cet état du duc avait soulevé des difficultés dont Norbert ne se fût pas tiré de sitôt sans l'aide de M. de Puymandour.

Mais cet excellent comte, naturellement actif, avait, en ces circonstances, réalisé des prodiges. Grâce à un conseil de famille et des jugements, il avait obtenu pour Norbert l'émancipation et le droit d'administrer provisoirement la fortune.

Tout cela retarda un peu le jour du mariage. Il arriva cependant.

Dès le matin, après une nuit épouvantable, Norbert avait été saisi par son beau-père. Livré ensuite aux compliments et aux empressements des invités qui arrivaient en foule, il n'eut pas une seconde de réflexion.

A onze heures, il monta en voiture. On le conduisit à la mairie d'abord, puis à l'église. A midi, tout était fini; il était lié pour la vie.

Que lui importait, après cela, la magnificence qu'avait déployée M. de Puymandour! Un seul des événements de cette journée d'étourdissement devait rester gravé dans sa mémoire.

Un peu avant le dîner, on lui présenta le vicomte Octave de Mussidan, et, après l'avoir complimenté, le vicomte profita de la circonstance pour annoncer officiellement son mariage avec Mlle de Sauvebourg.

Cinq jours plus tard, les nouveaux époux étaient installés à Champdoce.

Pris entre une femme qu'il ne pouvait aimer, dont la tristesse mortelle lui semblait un reproche, et son père frappé d'imbécilité, Norbert était assailli d'idées de suicide.

Consumé de regrets et de remords, ne concevant aucun but à donner à sa vie, n'apercevant pas de terme à son supplice, il s'affermissait de plus en plus dans son fatal dessein, quand un matin on vint le prévenir que son père refusait de se lever.

On envoya chercher le médecin qui jugea le duc en danger.

Une sorte de réaction, en effet, se produisait. Toute la journée, le malade s'agita terriblement. Sa langue, qui était restée fort embarrassée, parut se dégager, et à la tombée de la nuit il parlait librement. Et alors un délire effrayant s'empara de lui, et Jean et Norbert durent éloigner tout le monde. Il y avait à craindre que le duc ne révélât le secret de son mal, à chaque moment les mots de poison ou de parricide revenaient dans ses phrases incohérentes.

Vers les onze heures, cependant, il s'était calmé et paraissait assoupi, quand tout à coup il se dressa sur son séant en appelant d'une voix forte: «A moi!»

Norbert et Jean se précipitèrent vers le lit et furent terrifiés.

Le duc avait repris sa physionomie d'autrefois, son œil brillait, sa lèvre tremblait comme lorsqu'il était irrité.

– Grâce?.. cria Norbert en tombant à genoux, grâce, mon père.

M. de Champdoce étendit doucement la main vers lui.

– Mon orgueil était insensé, prononça-t-il, Dieu m'a puni. Mon fils, je vous pardonne.

Le malheureux jeune homme sanglotait.

– Je renonce à mes projets, mon fils, je ne veux pas que vous épousiez Mlle de Puymandour, puisque vous ne l'aimez pas.

Norbert s'était à demi soulevé:

– Je vous ai obéi, mon père, murmura-t-il, elle est ma femme.

Le visage de M. de Champdoce à ces mots exprima la plus affreuse angoisse; ses yeux roulèrent dans leur orbite, il raidit ses bras en avant comme s'il eût voulu écarter un fantôme, et d'une voix rauque il cria:

– Malheureux!.. Trop tard!..

Une convulsion suprême le rabattit sur ses oreillers; il était mort!

S'il est vrai que parfois, pour les mourants, le voile de l'avenir se déchire, le duc de Champdoce avait vu.

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Data wydania na Litres:
28 września 2017
Objętość:
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