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Czytaj książkę: «L'enfer et le paradis de l'autre monde», strona 6

Czcionka:

VII. La recherche – Le mauvais chemin

Dès que Borrowdale eut quitté le théâtre de la rixe et disparu avec ses amis, Mark et Guillaume, les deux principaux auteurs de l’attroupement, s’entretinrent pendant quelques instants à voix basse.

Puis ils passèrent chacun un bras sous les bras du jeune homme à qui Borrowdale avait parlé et l’invitèrent à les suivre hors de la foule.

Il ne leur opposa aucune résistance. Comme ils paraissaient tous les trois paisibles, on les laissa continuer leur route sans les inquiéter.

Bientôt ils se trouvèrent seuls.

Ils se dirigèrent vers le faubourg méridional de la ville, et, après avoir marché en silence pendant un quart d’heure à travers les rues transversales et les routes à demi établies de cette localité, ils débouchèrent sur le marécage où s’élevait la misérable bicoque que leurs amis avaient récemment quittée.

– Par ici, dit Mark; nous ne voulons pas encore vous tuer.

En même temps ils entraînaient leur prisonnier, qui commençait à donner des signes d’alarme et manifestait l’intention de leur échapper.

– Non, continua Mark, nous ne voulons pas vous tuer. Vous allez entrer ici avec nous, et nous nous expliquerons.

Il le poussa dans la hutte et referma la porte sur eux.

Le lieu était sombre et désolé, bien propre à intimider un homme faible de caractère et bourrelé de remords comme l’était le prétendu séducteur de Madeleine, Grantham (on l’a reconnu), ainsi qu’il disait s’appeler.

Nulle lumière, sauf la clarté pâlotte d’un rayon de lune, ne pouvait lui indiquer l’étendue du danger qu’il courait.

Cependant un de ses gardiens lui paraissait plus disposé à l’emportement qu’à la pitié, et tous deux le tenaient en leur pouvoir, loin de toute assistance.

Il fallait qu’il leur obéît, qu’il en passât par où ils voudraient. C’était assez pour effrayer un homme même plus résolu que lui.

Il demeura tremblant au milieu de la pièce, en essayant de démêler dans les mouvements de Mark et de Guillaume les sentiments qui les animaient.

Le premier boucha la fenêtre et intercepta ainsi la seule lueur qui éclairait le bouge.

Grantham sentit une sueur glacée baigner ses tempes.

– Que voulez-vous de moi? s’écria-t-il avec un indicible accent de terreur.

On ne voyait goutte dans la pièce.

– Donne-moi une allumette, Guillaume, demanda Mark, qui avait fini sa besogne.

– Je n’en ai point, répondit celui-ci.

– Moi, j’en ai. En voici! exclama Grantham terrifié par les ténèbres.

– C’est bien, dit Mark, passe. Ça me servira à voir ton visage. J’y tiens particulièrement à voir ton visage. En tout cas, n’aie pas peur. Tu m’as l’air d’être sensible comme une femme. Eh! malédiction, ne pouvais-tu exercer cette sensibilité en faveur d’une pauvre fille innocente? Ah! je m’en doutais. Je t’épiais depuis quelque temps, misérable fat! Seulement, je ne croyais pas…

– Ne parle pas de ça, Mark, dit Guillaume d’un ton sombre. Ce qu’il nous faut avant tout, c’est la trouver.

– Bon, bon! reprit Mark, qui venait d’allumer un bout de chandelle et de déposer son pistolet sur la table en jetant au jeune homme un regard farouche. Nous voulons savoir de toi où est la jeune fille, entends-tu? Pas de mensonges! tu ne pourrais nous tromper. Allons, dépêche; que je sache tout, ou, par le ciel, je te jure que tu ne sortiras pas vivant de cette chambre!

Grantham était si épouvanté que ses dents cliquetaient, ses genoux s’entrechoquaient bruyamment.

Il était incapable d’articuler une parole.

– Allons, monsieur, dit Guillaume avec plus de chagrin que de ressentiment, vous nous avez fait plus de mal peut-être que vous n’en pourriez supporter; et si nous ne souffrions pas tant de la perte de cette jeune fille, vous seriez peut-être dans une position pire que maintenant. Mais vous êtes un jeune homme riche, imprudent comme le sont vos pareils, et quoi que j’endure, je suis prêt à entrer en arrangement. Vous avez commis un coup bien méchant et bien lâche, monsieur! mais je ne veux pas vous faire de mal; ça ne réparerait rien. Dites-nous seulement où elle est et aidez-nous à la ramener. Pour peu que vous soyez honnête, vous voyez maintenant ce que vous avez fait. Vous êtes content de réparer vos torts, n’est-ce pas?

Grantham fut évidemment plus touché par la franche et mâle générosité du malheureux amant de Madeleine que par les féroces menaces de son frère.

Aussi répliqua-t-il d’un ton agité:

– Oui, oui, je vous dirai tout. Vous pourrez me croire. Seigneur, il fallait que je fusse fou! Sans cela, je n’aurais pas fait ce que j’ai fait. Je ne sais ce qui m’a rendu aussi mauvais! Ah! je le regrette, je le regrette bien, je vous le jure, messieurs!

En disant ces mots, il fondit en larmes.

– Ce n’est pas ça qu’il nous faut, dit brutalement Mark.

– Me croirez-vous si je vous dis tout ce que je sais? reprit-il d’une voix entrecoupée par les sanglots, et avec des gestes qui ne pouvaient laisser soupçonner sa sincérité.

– Va, dit Mark.

– Je ne sais où elle est maintenant, mais je vous aiderai à la retrouver. Je ne l’ai pas vue depuis la nuit dernière et l’ai anxieusement cherchée tout le jour. Je vous expliquerai toute l’affaire, du commencement à la fin, si vous voulez me croire.

– Allons, nous croirons la vérité, dit Mark.

– Je suis venu d’Angleterre ici il y a environ six mois, dit Grantham reprenant confiance en voyant qu’ils le traitaient avec plus de douceur. Depuis, j’ai toujours cherché de l’emploi, et, dans ce but, j’ai parcouru toute la province, mais en vain, je n’ai rien trouvé. Je me suis offert pour toute espèce de choses, même pour le travail manuel, et sans rien découvrir. Le désespoir m’a aigri le cœur. Je me suis laissé abattre. À la fin, j’ai imploré la compassion d’un marchand de cette ville, que ma famille avait connu dans des circonstances toutes particulières. Ces circonstances lui défendaient de me refuser ce que je demandais. Il m’admit dans sa maison. Tandis que j’étais chez lui, je vis votre sœur qui travaillait dans un magasin en face du nôtre.

– Bien, continuez, dit Mark.

– Elle me frappa de suite, et si coupable qu’ait été ma conduite plus tard, je vous assure que j’éprouvai pour elle un sentiment profond, vrai. Quand elle eut quitté son emploi, je la revis en diverses occasions, mais jamais par convention ou de son consentement, jusqu’à la dernière fois, époque où je pense que, comme moi, elle était fort égarée par ses malheurs et ceux de ses amis, car elle en parlait sans cesse. Poussé par l’influence qu’elle avait exercée sur mon esprit et par les indignités dont on m’accablait dans la maison où je restais, dont le maître, quoique plus redevable cent fois à ma famille que je ne l’étais à sa charité me faisait subir toute sorte d’avanies, je pris l’odieux parti de lui voler une grosse somme, de quitter le pays et d’engager la jeune fille à m’accompagner.

– Quoi! doublement coquin? s’écria Mark frappant violemment son poing sur la table. Ce n’était pas assez de perdre la réputation de ma sœur, vous vouliez l’entraîner en prison avec vous! Vous en vouliez faire une voleuse, jour de Dieu!

Il serra son pistolet entre ses doigts crispés et grinça des dents.

– Mark, dit Guillaume posant la main sur l’épaule de son ami, nous la retrouverons. Sois calme, c’est ton devoir. Pense où le manque d’ouvrage t’a poussé toi-même.

Le fils de Mordaunt lâcha le pistolet et, secouant amèrement la tête, se laissa choir sur un des sièges mutilés. Puis il plaça son menton dans la paume de ses mains et regarda les deux autres dans un sombre silence.

– Allez, allez, dit Guillaume au jeune homme qui baissait les yeux avec une navrante confusion.

– Il me reste si peu de chose à vous dire, reprit-il, que vous aurez de la peine à croire que je vous ai tout dit. Mais qu’y faire? Je ne puis dire que ce que je sais. J’en suis bien fâché, mais il est trop tard. Je l’ai vue hier soir, et, en lui promettant d’aider ses parents, j’ai réussi à la persuader de m’accompagner. Je la quittai un instant, pour faire mes préparatifs, et lui envoyai un traîneau; mais quand je la revis ensuite, elle avait apparemment changé d’idée. Elle me pria d’arrêter le traîneau et de lui permettre de revenir chez ses parents; peut-être l’eusse-je fait; mais j’avais découvert que l’alarme avait déjà été donnée et que j’étais poursuivi. Effrayé, je ne songeai plus qu’à mon évasion et lançai mon traîneau en avant, sans savoir où j’allais. D’abord elle aussi fut épouvantée et se cramponna au traîneau; mais après que nous eûmes fait dix ou douze milles et fûmes à quelque distance de ceux qui nous poursuivaient, elle se calma et me pria de la mettre à terre. Ma frayeur était telle que, bien que je l’entendisse me parler, je ne comprenais pas ce qu’elle disait. Tout à coup elle sauta sur le bord de la route. Je me retournai, et mes craintes redoublèrent en apercevant le traîneau qui me donnait la chasse. Ma seule pensée fut de fuir, d’échapper à la prison. Fouettant donc les chevaux de toute ma force, je repartis plus vite que jamais. Ce fut une lâcheté, une infamie, de la laisser dans cet état, oh! je ne le sais que trop! Ma conscience me le reproche cruellement, mais la peur… Tenez, je ne sais pas ce que je faisais.

– C’est bon; après? dit Mark.

– Après? Je ne l’ai pas revue depuis. Pour moi, je réussis à dépister les officiers de police et résolus de revenir avec ce que j’avais dérobé et de me mettre entre les mains du propriétaire. Mais, en arrivant à Toronto, je me souvins tout à coup que j’avais placé au doigt de la jeune fille un anneau d’une valeur considérable et que, dans ma frayeur, j’avais oublié de le lui reprendre. Il m’était impossible de rentrer chez mon patron sans cet anneau. Et aujourd’hui, j’ai couru de tous côtés pour la découvrir, mais sans succès. Ma punition est méritée, je suis perdu pour la vie. Mon acte a été celui d’un homme bas, vil, indigne de la lumière, il est retombé justement sur son auteur. Mais, quoique vous ne soyez guère disposés à me croire, je vous déclare que cette réflexion me contente plus maintenant, que ne l’aurait fait la plus complète réussite de mes détestables projets. Elle, c’est une bonne et noble fille, ajouta-t-il avec des larmes dans la voix; vous la pourrez aimer aussi tendrement qu’auparavant quand vous la retrouverez, car elle est aussi pure que la dernière fois que vous l’avez vue. Elle a en tout agi contre sa volonté; moi seul suis à blâmer.

– Et c’est là tout ce que vous savez? demanda Guillaume, un peu remis par cette nouvelle, à laquelle il se sentait tout prêt à donner sa confiance.

– C’est tout, répondit Grantham. Je me suis mis entièrement entre vos mains; vous pouvez précipiter ma ruine ou vous montrer encore plus généreux que vous n’avez été jusqu’ici et m’aider à défaire ce que j’ai fait. Si vous connaissiez le chagrin auquel je suis maintenant en proie! Mais c’en est fait. Il n’est pas en mon pouvoir de réparer le mal que j’ai causé. Pourtant je suis disposé à tout tenter. Voulez-vous me laisser partir?

– Vous laisser partir! s’écria Mark bondissant sur ses pieds. Est-ce que vous ne pensez pas que vous méritez d’être tué comme un chien enragé?

– Paix, paix. Mark! dit Guillaume. Les emportements ne remédieront à rien.

Puis, se tournant vers Grantham, il lui dit en se promenant en long et en large dans la pièce:

– Vous voyez, monsieur, ce qu’ont produit vos folles passions. Je fais la part de votre imprudence de jeune homme, de la mauvaise éducation que vous avez reçue et qui vous fait regarder comme un jouet une pauvre fille qui n’a que sa vertu pour être respectable et respectée. Je sais cela. Peut-être n’est-ce pas votre faute; mais votre conduite n’en est pas moins criminelle pour cela, et j’espère que cette leçon vous apprendra que, quoique pauvres, nous avons du cœur et des sentiments. Nous nous respectons aussi bien que vous, monsieur; et nos amis nous sont aussi chers que vous le sont les vôtres. Il se peut que nous soyons misérables, sans éducation, mais nous ne sommes pas des barbares. Ce n’est pas votre faute si la pauvre enfant n’est pas complètement perdue. Et même à ce moment nous ne savons ce qu’elle est devenue. Pensez-vous que personne ne l’aime? Pensez-vous qu’elle n’a pas un père, une mère, des frères, des sœurs qui la chérissent tendrement? Et n’était-ce pas la plus innocente et la meilleure fille qui fût au monde? Où en sont vos sentiments maintenant? Qu’en pensez-vous, vous qui si légèrement compromettez une fille parce qu’elle n’est protégée ni par la fortune ni par la richesse? Voyez-vous l’étendue de votre crime? Je ne pense pas que ce soit parce que vous manquez tout à fait de droiture; peut-être n’est-ce pas cela? Mais vous auriez dû songer à ce que vous faisiez, et vous devriez savoir que la vertu doit être respectée et tenue pour sacrée aussi bien à l’égard d’une fille pauvre que d’une fille riche. La seconde n’est pas plus recommandable que la première, quelquefois elle l’est moins. Si c’eût été votre sœur, peut-être auriez-vous tué l’homme qui aurait fait ce que vous avez fait. Mais peut-être aussi devons-nous en cela vous enseigner une leçon que vous ne connaissez pas. Quoique dans la misère, nous ne nous conduisons pas en sauvages. À présent, monsieur, voulez-vous nous aider à la retrouver? Si nous la retrouvons et si tout ce que vous avez dit est vrai, nous vous apprendrons quelque chose que vous vous rappellerez sans doute.

– Oui! s’écria Grantham, vaincu par la noblesse des remarques de cet homme qui était si fort son inférieur au point de vue de l’instruction et des avantages naturels; oui, monsieur, j’irai partout avec vous. Je ferai tout ce que vous voudrez. Que dois-je faire? Il est possible qu’elle se trouve dans quelqu’une des fermes aux environs du lieu ou elle a quitté le traîneau? Je ne crois pas qu’elle soit revenue à Toronto.

Non, elle n’est pas en ville, dit Mark, sans ça elle viendrait ici.

– Allons alors, je vais vous conduire, dit Grantham.

– Oui, dit Guillaume, allons vite.

– Ça va, fit Marc; ça va! mais je crois qu’elle doit être quelque part sur la route. Elle n’est pas en ville. Il faut battre le pays. C’est bien, jeune homme, dit-il à Grantham en replaçant le pistolet dans la poche de côté de son maigre capot; c’est bien, j’en ai le cœur net, maintenant. J’ai la tête chaude, mais ne suis pas déraisonnable. Nous sommes tous des misérables, chacun dans son genre, ça c’est vrai. Peut-être aussi n’est-ce pas notre faute. Mais il y a deux objets que j’aime par-dessus tout au monde: ma mère et ma sœur! C est un ange que ma sœur, voyez-vous, et s’il le fallait, je mourrais pour elle. Rappelez-vous ça. Je ne dis pas ce que je ne pense pas, moi! Je l’aime et je mourrais pour elle. Ah! celui qui lui ferait du mal!… Mais partons; il est temps.

En disant cela il éteignit la chandelle, et ils sortirent tous trois de la hutte.

Afin de ne pas être découverts, ce que craignait vivement Grantham, ils traversèrent les champs et se tinrent aussi loin que possible des voies ordinaires de communication, jusqu’à ce qu’ils fussent à une bonne distance de la ville.

Quand les accidents du terrain les forçaient à prendre la grand-route, le jeune fugitif se plaçait entre ses compagnons, de manière à éviter le regard des gens qui passaient de temps en temps près d’eux.

Obligés de prendre des informations à une foule de fermes, ils avancèrent peu dans leur excursion.

Aussi était-il près de minuit quand ils arrivèrent au lieu où, suivant le rapport de Grantham, Madeleine avait quitté le traîneau.

La place était isolée, sauvage.

Cependant, sur la plaine de neige qui se déployait à perte de vue, on pouvait, au clair de lune, distinguer une maison solitaire.

Une faible lueur s’en échappait; et comme il semblait fort probable que la jeune fille se fût réfugiée là, puisque c’était la seule habitation voisine, ils s’approchèrent et frappèrent doucement à la porte.

– Qui est là? cria de l’intérieur une voix de femme aigre et rauque.

– Des amis… amis! répondit Guillaume.

Ce ne fut qu’après de longues explications que la femme, qui paraissait seule, se décida à ouvrir la porte. Mais, à la fin, elle l’ouvrit toute grande, dit aux visiteurs de la fermer, puis elle se retira devant l’âtre, s’assit par terre, plaça ses coudes sur ses genoux, ses joues dans les paumes de ses mains et regarda les trois hommes d’un air insoucieux en apparence.

C’était une petite vieille, osseuse, ridée comme un champ nouvellement labouré; mais elle avait l’œil vif, le nez pointu, les lèvres minces, l’air rien moins qu’avenant, et la singulière position qu’elle avait prise n’ajoutait pas à ses attraits.

– Eh bien! que voulez-vous? dit-elle rudement quand ils eurent fermé la porte derrière eux.

– Nous venons vous demander, dit Guillaume, si vous ne savez rien d’une jeune fille qui s’est égarée, par ici, croyons-nous, la nuit dernière.

– Oui, je le pense, répondit la femme.

– Oh! vraiment! pouvez-vous nous dire où elle est?

– Eh! où sont tous les autres, dit brusquement la vieille; – dans les États, quoi donc! Elle avait un noir, un nègre avec elle. C’est elle, je suppose, hein?

Les deux amis jetèrent aussitôt les yeux sur Grantham, qui leur expliqua sur-le-champ que tel pouvait bien être le cas et leur raconta les circonstances qui avaient pu le déterminer.

– Mais dites-nous, la bonne femme, pourquoi supposez-vous qu’ils soient allés aux États-Unis? dit-il en l’examinant.

– Eh! parce que vous la cherchez, quoi donc! dit la femme en levant les épaules. Je ne sais rien de plus là-dessus. Ils sont venus ici et ont demandé à coucher pour la nuit. La jeune fille semblait très mal. J’ai compris que le nègre voulait la conduire à ses amis, aux États, et qu’ils étaient en route pour s’y rendre. Il parla des États durant la plus grande partie de la nuit. C’est là tout ce que je sais. Je n’étais pas levée quand ils partirent le matin. C’est tout ce que je sais. Il la connaissait sans doute ainsi que ses parents et l’a suivie aux États. C’est tout comme ça.

– Sa conduite avec elle me fait vraiment croire qu’il la connaissait, dit Grantham.

– Bon, c’est là une excellente nouvelle, si elle est vraie, dit Guillaume. Elle est peut-être rendue près d’eux maintenant. Dites-vous qu’elle était malade, bonne femme?

– Elle avait l’air de l’être, pas beaucoup peut-être; je ne suis pas curieuse, vous savez. Le nègre était très obligeant pour elle.

– Et vous ne savez rien de plus sur son compte, pas de quel côté ils se proposaient d’aller?

– Non.

– Vous paraissez bien seule ici, ma bonne femme?

– Seule! hélas oui, seule; trop seule, dit-elle en tressaillant. C’est pas étonnant d’ailleurs, rien à faire ici. Où est mon mari? où sont mes fils? Tous aux États, chercher de l’ouvrage. Ici je périrai de faim à moins d’un changement en mieux. Mais c’est pas leur faute. Ils travaillaient dur, et nous fûmes bien tant qu’ils purent travailler. Mais le pays semble ruiné. Pas moyen d’y trouver de l’emploi. Allez à la ville, vous y verrez la manufacture où ils travaillaient et une foule d’autres tombant en ruines, et des masses de familles qui avaient là leur pain, réduites à mendier. Et c’est de même partout. Nos gens ont parcouru la moitié du pays, sans rien gratter. C’est partout la même chose.

– J’en suis peiné pour vous, dit Guillaume. Mais ce que vous dites est vrai. Nous souffrons du même mal. Ah! c’est sûr, trop sûr!

Se tournant vers Mark:

– Que ferons-nous? Mon avis est qu’il faut les suivre.

– C’est le mien aussi.

S’adressant alors à Grantham, Guillaume lui dit:

– Vous ne pouvez partir, monsieur, avant que nous ne les ayons rejoints. Vous allez nous suivre. Je sais quelque chose de la route que nos amis ont prise et je pense qu’il est assez probable que la pauvre fille aura été de ce côté. La Providence l’aura conduite à eux!

– J’irai, dit chaleureusement Grantham.

Ne pouvant obtenir d’autres renseignements de la pauvre femme, et supposant, d’après ce qu’ils avaient appris, que Madeleine était tombée entre les mains d’un protecteur qui connaissait les mouvements de ses amis, ils se mirent tout de suite en marche avec un redoublement d’espoir et de vigueur.

Ils croyaient que chaque pas les rapprochait de l’objet de leur vive sollicitude.

Mais, hélas! pour la pauvre Madeleine, chaque pas était un nouvel anneau qu’ils ajoutaient à la chaîne de ses infortunes.