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Czytaj książkę: «Lettres à Mademoiselle de Volland», strona 39

Czcionka:

J'aime la malice que M. et Mme Duclos et M. Évrard vous ont faite. Elle est jolie, et je vous pardonne votre gaieté. Il faut bien faire les honneurs de chez soi. Je dirai cette raison à mon désolé partner, mais je crains bien qu'il ne la goûte pas; il rêve, il soupire, il s'ennuie, il pleure. Je voudrais bien en faire autant, car cela est fort beau; mais lorsque je viens à le regarder, je ne saurais m'empêcher de rire. Cependant je suis sûr que j'aime mieux que lui: car moi je n'ai pas fait vingt-huit lieues pour aller voir une jolie femme, et je n'ai point de remords; mais chut sur ce voyage! Elle a fait, dans sa dernière lettre au prince, un éloge charmant de maman; du soin qu'elle a de ses vassaux, de l'attachement qu'ils ont pour elle, des secours qu'ils viennent chercher au château, de la manière dont ils sont accordés. Sa lettre est fort belle; mais cet endroit est ce qu'il y a de mieux. Je suis sûr qu'elle s'est plu à l'écrire. Elle était bien faite pour être touchée de toutes vos attentions. Plus elle est ombrageuse sur les procédés, plus elle y est sensible. Elle les sent d'autant mieux qu'il est plus facile d'y manquer. Il faut continuellement se souvenir et oublier son premier état. J'ai pourtant osé lui dire plus d'une fois que la meilleure façon d'en user avec elle était la plus ordinaire et la plus commune. Elle n'en est pas encore tout à fait à saisir cela.

Je ne sais pas ce que le prince se propose; mais il est à la campagne; j'y suis de mon côté, et il a son Fontainebleau, comme je vous ai dit: ses fonctions politiques sont finies. Il n'en paraît point fâché; mais j'ai peur qu'il ne fasse de nécessité vertu. Il attend les ordres de sa cour. Il ne sait ce qu'il deviendra: ce qui donne le change à son vrai souci, c'est celui de savoir quel parti prendra la belle dame, au cas qu'il s'éloigne. Entre nous, elle a l'estime la plus vraie pour lui; elle le ménage autant et plus peut-être que si elle avait de la passion, mais elle n'en a point. Et puis Paris, et puis la santé, et puis cent autres considérations réelles, chimériques, bonnes, mauvaises. Qui de vous, mesdames, aimerait assez pour suivre son amant à Pétersbourg? J'ai vu des femmes, et des femmes bien aimantes, bien éprises, qu'on dépitait à faire passer d'un fauteuil sur un autre. Ces circonstances, qui nous mettent dans le cas d'apprécier nos sentiments, sont toujours très-fâcheuses. C'est un grand malheur que d'apprendre qu'on aime moins qu'on ne croyait.

Le prince est la simplicité même. Personne n'a jamais eu moins que lui la morgue de son état et de sa naissance. Il croit d'instinct à l'égalité des conditions, ce qui vaut mieux que d'y croire de réflexion. Il n'a jamais connu que son premier titre, celui d'homme. Au sortir de chez le prince des Deux-Ponts, où nous avions dîné, il me dit: «C'est un bon homme; mais il passe le premier.» Il ne connaît que par la façade la distribution d'un château et d'une chaumière. Ses mœurs sont aussi unies que son vêtement. Je ne lui ai jamais entendu dire ni une chose mal pensée ni une chose mal sentie; il est plein de sens et de raison. Il n'y aura occupation qui tienne, je ferai ce qui vous conviendra. Cependant, mon amie, considérez que je suis surchargé de travail. Grimm n'a qu'un cri après moi; il prétend que mon délai d'il y a deux ans l'a si bien dérangé qu'il n'en est pas encore remis. Je serais d'autant plus fâché de lui manquer en ce moment, que nous venons d'avoir un petit démêlé. Cependant je verrai le prince.

Vous avez, dans ma précédente lettre, la suite des amours de l'instituteur. L'un a parlé, mais l'autre a fait la sourde oreille. Il faut qu'il se soit passé quelque chose de grave dans la partie de Sceaux; car j'ai trouvé de la réserve. Cela viendra dans un autre temps; on sera bien aussi pressé de dire que moi d'entendre. Ce qui me fait enrager, c'est que cette femme croit sentir et ne sent rien; qu'elle prend de l'intérêt pour de l'amour, et qu'elle sera certainement la dupe cette fois-ci de sa coquetterie.

Si je vais à Isle, certainement il faudra que vous m'appreniez ma leçon; car je suis ou ne saurait plus étranger à faire valoir une terre; mais il ne s'agit pas de savoir si je puis être utile ou non; il suffit que vous le croyiez.

Vraiment non je ne voudrais pas que votre peine fût perdue! Je ferais du chemin pour le seul plaisir d'embellir une fois votre cellule. Tenez-moi donc pour arrivé, si les affaires du prince ne s'opposent à rien. Mais mon Salon? N'importe. Maman, vous me désirez, et vos désirs sont des ordres et des ordres bien doux.

Mme de Blacy, qui n'est pas des plus fines, à ce que je crois, ou qui l'est beaucoup, y avait vu tout aussi clair que vous. Ce n'est donc pas assez de vous aimer; il faut vous le dire; eh bien! je vous le dis. Entendez-vous? je vous aime, je vous aime, je vous aime de tout mon cœur, et je n'aimerai jamais que vous. Bonsoir, mon amie.

CVII

Au Grandval, le 28 septembre 1767.

Je suis toujours au Grandval Damilaville s'était engagé à venir me reprendre aujourd'hui lundi; mais n'ayant pu former une carrossée, c'est partie remise à mercredi Mercredi donc je serai à Paris, où vous pourriez bien être arrivée avant moi. Je ne vous dirai pas un mot de la vie que nous menons ici Un peu de travail le matin, une partie de billard, ou un peu de causerie au coin du feu en attendant le dîner; un dîner qui ne finit point, et des promenades qui m'auraient conduit à Isle et par-delà, si, depuis huit à neuf jours que je suis ici, elles avaient été mises l'une au bout de l'autre. Nous avons aujourd'hui visité la maison et les jardins de M. d'Ormesson d'Amboile. Il a dépensé des sommes immenses pour se faire la plus triste et la plus maussade demeure qu'il y ait à vingt lieues à la ronde. Imaginez un château gothique enfoncé dans des fossés, et masqué de tous côtés par des hauteurs; des terrasses sans vues; des allées sans ombre; partout l'image du chaos. Si jamais je rencontre cet homme ou son intendant, je ne pourrai jamais m'empêcher de le ruiner par un projet qui embellirait certainement cette demeure, mais qui ne coûterait pas moins de sept à huit cent mille francs. Il y a en face du château une petite montagne, au-dessous de cette montagne, une plaine et des eaux tant qu'on en veut. Mon conseil ruineux serait donc de ramasser ces eaux, de les amener au haut de la montagne et d'en former une cascade comme vous en avez vu une à Brunoy. Ces eaux seraient reçues au pied de la montagne dans un beau canal qu'il semble qu'on ait creusé tout exprès pour elles.

Le Baron, qui met de la morale a tout, jure qu'il ne me pardonnerait de sa vie, si cette cascade se taisait; à moins que je ne prisse les enfants de M. d'Ormesson, et que je ne les noyasse tous deux dans le canal. Après ces énormes promenades dont nous tronçons la longueur par une variété de conversations politiques, littéraires et métaphysiques, nous nous mettons à notre aise; nous commençons un piquet à écrire que nous finissons après souper; et puis, le bougeoir à la main, chacun reprend le chemin de son dortoir. Je ne saurais vous dire combien cette vie innocente, tranquille et saine m'accommode! Aujourd'hui, comme nous rentrions à la maison, nous avons trouvé Kohaut; il était parti de Paris dans un fiacre qui l'avait conduit à Charenton. De Charenton, il avait achevé son voyage à pied. Il était arrivé à six heures et demie. Il montera le luth de la Baronne; il lui donnera leçon et à ses enfants; il soupera avec nous, et demain il partira pour l'Isle-Adam.

Il a pris à la porte du Baron une lettre de Mme Le Gendre, toute pleine de coquetterie, mais de coquetterie perdue. Si j'avais eu à donner dans ces filets-là, il y a longtemps que ce serait une affaire faite. Je vous proteste, tendre amie, qu'elle aurait mille fois plus d'attraits, plus d'esprit, plus de grâces et plus d'art, qu'il n'en serait pas davantage. Vous ne sauriez croire combien on a l'âme honnête quand on a cinquante ans, et avec quel courage on se refuse au plaisir qu'on n'est plus en état de goûter! Quand une jeune femme serait disposée à m'entendre, puis-je ignorer combien j'aurais peu de chose à lui dire? Si vous ne comptez pas trop sur la fidélité des hommes, comptez beaucoup sur leur faiblesse. Je vous rapporterai mes deux pattes entières et sans le moindre bout de lacet qui traîne après elles. Je ne sais ce qu'on pense, rue Saint-Thomas-du-Louvre, de mes visites nocturnes; mais il est certain que j'aime Mme de Blacy à la folie; et que si elle se l'est bien mis dans la tête eh bien?.. Eh bien! elle ne serait pas plus dangereuse pour moi qu'une autre. C'est toujours la même honte de porter ses grenouilles ailleurs qu'où l'on a bien voulu s'en contenter. Ce motif n'est pas bien relevé, mais j'ai peur qu'il ne soit vrai Nous ne valons pas mieux que cela. Voilà pourquoi, le matin, après un sommeil tranquille, une digestion bien douce, je me sens un peu moins de scrupule qu'en tout autre moment de la journée: il y a comme cela des moments critiques pour la vertu; heureusement ils sont courts. Ah! nous sommes tous bien sages quand nous n'avons plus le moyen d'être fous. Nous sommes pleins de respect pour les femmes, quand il n'y en a plus qu'une au monde à qui nous puissions nous montrer décemment. Il ne tiendrait qu'à moi de penser autrement; car j'ai, sans vanité, quelques aventures par-devers moi dont un autre se ferait un honneur infini. Mais, avant que de m'élever un trophée, il faudrait que j'épluchasse bien tout cela. J'aurais cent questions à me faire comme celle-ci, par exemple: Mais vous plaisait-elle beaucoup? Étiez-vous bien sûr de sa santé? N'y avait-il dans votre refus aucun principe d'économie? Ne craigniez-vous point qu'on n'exigeât de vous plus que vous n'aviez en caisse? N'avez-vous pas mieux aimé laisser une haute opinion de vous que d'être bien aise un moment? Le proverbe belle montre et peu de rapport ne vous aurait-il pas vaguement passé dans l'esprit? N'auriez-vous point rougi que l'effet répondît si peu à la promesse, et préféré l'honneur au plaisir? Ah! ma bonne amie! quand on s'avise de mettre au creuset les actions les plus héroïques des hommes, on ne sait jamais comment elles en sortiront; tel s'estime beaucoup de ce qu'il a fait, qui en rabattrait beaucoup s'il s'occupait sérieusement à en démêler la raison. Ôtez à l'une de vos sœurs sa sagesse; donnez à l'autre un peu de bonne foi, et puis nous verrons après ce qu'il en arrivera. Je ne refuse pas de me louer moi-même; mais ce ne sera qu'après avoir passé cinq ou six fois par l'épreuve de Robert d'Arbrissel 215. Comme il ne faut perdre aucune occasion de se connaître, si celle-ci se présente je ne la manquerai pas. Combien je serai fier le lendemain, à condition toutefois que je ne regretterai pas le lendemain de m'en être si bien ou si mal tiré; car le remords d'une bonne action en affaiblit beaucoup le mérite. Et vous croyez que je dormirais profondément entre deux jeunes Sunamites? et vous croyez que si cela m'était arrivé, je n'en serais pas un peu fâché? J'ai bien de la peine à avoir si bonne opinion de moi. Je vaux peut-être beaucoup plus que je ne crois. C'est peut-être affaire de modestie de ma part. Tout cela se découvrira quelque jour; mais il ne faut pas que ce jour-là soit bien loin. En attendant, je vous aime de tout mon cœur. Je n'aime que vous, et je serais au désespoir d'imaginer que je pusse en aimer une autre. Ceci n'est point une plaisanterie. En vérité, bonne amie, vous êtes jalouse, et je n'aurais qu'à continuer sur ce ton pour vous tourmenter. Est-il possible qu'après douze ans d'attachement vous ne me connaissiez pas encore? J'embrasserai rue Sainte-Anne, tout à côté de la bouche; c'est mon usage; et rue Saint-Thomas-du-Louvre où l'on me présentera.

Si j'ai pris du goût pour le restaurateur! vraiment oui: un goût infini. On y sert bien, un peu chèrement, mais à l'heure que l'on veut. La belle hôtesse ne vient jamais causer avec ses pratiques; elle est trop honnête et trop décente pour cela; mais ses pratiques vont causer avec elle tant qu'il leur plaît; et elle répond fort bien. On mange seul Chacun a son petit cabinet où son attention se promène: elle vient voir par elle-même s'il ne vous manque rien; cela est à merveille, et il me semble que tout le monde s'en loue.

Van Loo ne va pas mieux. Mme Van Loo et Mme Berger sont certainement très-sensibles à votre souvenir. N'auriez-vous rien à faire dire à Mlle Vernet? j'aime beaucoup les commissions pour elle. J'indiquerai votre Esculape, qui ne sera pas fort habile s'il ne s'y entend pas mieux que Lamotte.

Oh! pour le prince Galitzin, point de miséricorde: chacun a sa bête, et les jaloux sont la mienne. Je suis bien fâché que la belle dame ne vous ait point écrit: vous en auriez reçu une jolie lettre. Mais je vois ce que c'est; vous lui avez fait peur.

Si je retournerai à Sainte-Périne! je le crois bien. Vous en voulez trop savoir, et vous ne répondez point aux questions qu'on vous fait. Il faut aller à sa fille ou rester à son amant. Voilà le point. Lequel des deux feriez-vous?

Le prince ira-t-il, n'ira-t-il point au-devant d'elle? c'est ce que j'ignore; c'est ce qu'il ignore lui-même. Il attend d'un jour à l'autre des dépêches qui doivent disposer de lui Je suis sûr que mon absence le soucie beaucoup. Il m'a encore envoyé une lettre de sa cour à répondre. J'ai peur que ces Russes ne soient un peu vilains. J'en excepte l'impératrice, comme vous pensez bien; il n'y a qu'une voix sur son compte. Aurait-elle à elle toute seule ce qu'il y a de lumières et de grandeur d'âme dans tout son empire? Si cela est, que je la plains! Elle méritait certainement de commander une meilleure nation. Il est minuit. Je tombe aussi de sommeil; mais il faut que Kohaut emporte demain cette lettre, et je ne la clorai pas sans vous avoir embrassées toutes deux, maman d'abord, et vous après; sans vous avoir assurées qu'un des sentiments que j'ai le plus de plaisir à trouver au fond de mon âme, c'est le tendre, le sincère, l'éternel attachement que j'y lis. Vous serez mon amie, mon unique amie tant que je vivrai; elle ne cessera jamais d'être ma respectable maman tant qu'elle vivra; et j'espère toujours qu'elle nous survivra. Dites-lui bien qu'elle se conserve et qu'elle a eu assez de soucis pour n'en pas prendre davantage. C'est nous qui serons bien méchants, si nous ne nous occupons pas sans cesse à faire son bonheur. Bonsoir, bonsoir, toutes deux.

CVIII

Paris, le 4 octobre 1767.

Je quitte ma petite bonne, qui est en train de jouer de son instrument comme un ange, pour causer avec vous. Me voilà donc revenu du Grandval, bien malgré le Baron, la Baronne, les petits garçons, les petites filles, Mme d'Aine et les domestiques. Je les abandonne tous. Je cours, j'écris de droite, de gauche, pour leur envoyer quelqu'un qui les secoure. Mais l'abbé aime la ville où il est perpétuellement en spectacle: le docteur Gatti est l'ombre de Mme de Choiseul; d'Alinville marque des loges à Fontainebleau; Grimm s'ennuie par bienséance à la Briche; quand l'abbé Morellet n'est pas à Voré, il est sur le chemin: la belle dame Helvétius le fait trotter comme un Basque; notre Orphée216 est à l'Isle-Adam; Suard est à tant de femmes qu'il ne songe plus guère à Mlle de… J'ai prêché inutilement M. Le Romain217, qu'on aurait grand plaisir à avoir, mais que sa mélancolie retient dans l'obscurité de sa cahute, où il aime mieux broyer du noir dont il puisse barbouiller toute la nature que d'aller jouir de ses charmes à la campagne. On débaucherait aisément le gros Bergier, mais on ne s'en soucie pas, parce qu'il est triste, muet, dormeur, et d'un commerce suspect. Damilaville a toujours le prétexte de ses affaires qu'il ne fait point. Naigeon mourrait d'ennui, s'il n'allait pas assidûment chez les Van Loo, où il est sûr de trouver Mme Blondel qu'il n'aime point, et dont il parle toujours, et s'il n'avait pas fait sa tournée au Palais-Royal à l'heure précise où elle s'y promène. L'abbé Raynal est fort mal à son aise partout où fine pérore pas colonies, politique et commerce. M. de Saint-Lambert est arrivé à Montmorency. Mon fils d'Aine218 court à toutes jambes après l'intendance d'Auch, qu'il dédaigne comme le renard les raisins verts. Le baron de Gleichen aimerait mieux être au fond des fouilles d'Herculanum que dans les plus beaux jardins du monde. L'ami Le Roy vit pour lui et ne va jamais dans aucun endroit qu'il n'espère s'y amuser plus qu'ailleurs, et puis voici le temps de la chasse qu'il aime de passion. M. de Croismare a trop besoin de variété pour s'asseoir plus d'un jour; celui-ci n'a jamais mis son bonnet de nuit dans sa poche, et perdu de vue le quai de la Ferraille, les bouquinistes et les brocanteurs, sans le motif le plus important et le plus honnête. Nous aurions bien des femmes, mais nous n'en voulons point, parce qu'il est trop rare que ce soient des hommes. Le docteur Roux cherche des malades. Le docteur Gem court toujours après son cheval Le docteur d'Arcet est peut-être enfermé sous clef par le comte de Lauraguais, jusqu'à ce qu'il lui ait fait une découverte. Le comte de Creutz est en extase devant ses tableaux, ou devant la femme du peintre, qui est jolie, et plus galante encore. Helvétius, la tête enfoncée dans son bonnet, décompose des phrases, et s'occupe, à sa terre, à prouver que son valet de chiens aurait tout aussi bien fait le livre De l'Esprit que lui. Wilkes n'est plus en faveur, parce qu'incessamment il sera ruiné, et que sans nous en apercevoir nous prenons les devants avec le malheur, et que nous rompons avant qu'il soit arrivé, parce qu'il serait malhonnête de rompre après. Le chevalier de Chastellux est cloué quelque part; et quand on est jeune, ce clou-là tient bien fort. La Baronne dit que l'abbé Coyer est du miel de Narbonne tourné, qu'il ne faut pas le lui envoyer. Il y a près de soixante ans que le chevalier de Valory fait le rôle du chien de Jean de Nivelle. Voilà presque toute la société. Vous la connaissez presque aussi bien que moi Je viens, au milieu de notre disette, de leur dépêcher le juif Berlize; c'est le secrétaire de mon fils d'Aine et l'intendant de sa mère. Il joue, il déraisonne; on s'en moque, il se fâche, et l'on s'en moque bien davantage.

Mon retour à Paris a été différé de trois ou quatre jours par une petite malice de la Baronne, qui a corrompu secrètement ceux qui s'étaient engagés de me venir reprendre. Je suis arrivé tout à temps pour arrêter les suites d'une multitude de petits orages domestiques qui s'étaient élevés pendant mon absence entre la sœur et la sœur, entre la mère et la fille, entre la nièce et la tante. Chacune est venue m'apporter ses griefs; toutes avaient tort. Je leur ai donné raison à toutes. La petite bamboche a promis d'être plus réservée dans ses propos, et tout est calmé. Mon premier soin, en mettant pied à terre, a été d'aller voir Mme de Blacy, car quoique j'aime bien à rire, j'aime encore mieux consoler ceux qui pleurent.

J'ai fait ensuite ma visite à la petite sœur, que j'ai trouvée lisant vos lettres et hochant du nez à toutes vos protestations d'amitié. M. Digeon y était. On m'invita à dîner pour aujourd'hui samedi; mais on se ressouvint que ce jour était promis aux campagnards de Monceaux, et cette réflexion nous embarqua dans une causerie sur la solennité desdites promesses. Notre chère sœur était en train d'étaler là-dessus les plus belles maximes du monde, lorsque je pris la liberté de lui observer qu'il y avait cent façons diverses de promettre qui n'obligeaient pas moins que les protestations les plus expresses, que les billets signés de sang. «Par exemple, ajoutai-je, il y a des services sur lesquels mon ami ne s'est jamais expliqué, mais j'y compte parce qu'ils entrent dans le pacte de l'amitié; et quand l'occasion de les demander se présente, je les demande comme une promesse faite à l'instant où le nom d'ami fut prononcé entre nous.» Et puis nous voilà embarqués dans les devoirs de l'amitié. Là-dessus, je m'en tins à la fable de La Fontaine; je voulais qu'on sortît de son lit sur l'inquiétude seule que je ne reposais pas dans le mien, et que l'on y plaçât son esclave, si j'y étais mal couché seul M. Digeon secoua la tête, à l'esclave, et je lui dis que c'est que j'étais du Monomotapa, et qu'il n'en était pas.

Nous quittâmes ce propos, pour le long séjour que j'avais fait à la campagne et la manière dont on vivait au Grandval. On me demanda si la Baronne était fort heureuse. Je répondis, ce qui est vrai, qu'elle était heureuse partout où le Baron se trouvait bien, et où elle avait ses enfants et son luth. Pour entendre ce qui suit, il faut que vous sachiez que Mme Le Gendre a eu occasion de voir M. Suard deux ou trois fois chez Mme de Grandpré, et que M. Suard est ami de quinze ans de M. Digeon et de Mme de Grandpré. À propos de la différence de la vie que la Baronne menait au Grandval et de celle qu'elle mène à Paris, je remarquai, à son honneur, que les amusements de la ville qui lui convenaient le plus étaient sacrifiés sur-le-champ, lorsqu'elle ne remarquait pas sur le visage de son mari l'approbation la plus complète. Comme je prononçais ces mots, j'aperçus que M. Digeon et Mme Le Gendre se souriaient l'un à l'autre. Cela me déplut. M. Digeon s'en alla donner leçon au petit bonhomme. Nous restâmes seuls avec Mme de Blacy et moi Alors, prenant un ton beaucoup plus ferme et plus sérieux que je n'ai coutume, je dis à Mme Le Gendre que ceux qui ne connaissaient Mme d'Holbach que sur la parole de M. Suard ne la connaissaient point, parce que M. Suard n'était pas payé pour en dire du bien. Je vis, et je crois que je vis bien, que Suard avait eu la malhonnêteté de décrier la baronne dans l'esprit de son ami; que cet ami avait fait passer très-légèrement l'opinion fausse qu'il avait eue dans l'esprit de Mme Le Gendre. Après quelques minutes de silence, Mme Le Gendre alluma son bougeoir et disparut: ce qui acheva de confirmer mon soupçon. Voilà donc ce qu'on appelle des honnêtes gens! Ils sont admis dans une maison; le maître de la maison les comble d'honnêtetés, de bons offices, les prend en estime, en amitié, et leur en donne toutes les marques imaginables; et pour l'en récompenser, on met tout en œuvre pour corrompre sa femme; et quand on n'y a pas réussi, on dit pis que pendre de cette femme. Si M. Digeon continue, j'en rabattrai beaucoup. Cet homme voit le genre humain en noir. Il ne croit point aux actions vertueuses; il les déprime; il les dispute: s'il raconte un fait, c'est toujours un fait abominable, scandaleux. Voilà deux femmes de ma connaissance dont il a eu occasion de parler à Mme Le Gendre; il a mal parlé de toutes deux. Elles ont sans doute leurs défauts; mais elles ont aussi leurs bonnes qualités. Pourquoi faire les bonnes qualités et ne relever que les défauts? Il y a là dedans au moins une sorte d'envie qui me blesse, moi qui lis les hommes comme les auteurs, et qui ne charge ma mémoire que des choses bonnes à savoir et à imiter. La conversation entre Suard et Mme Le Gendre, par une méprise de celui-ci, avait été fort vive. Ils avaient recherché les raisons pour lesquelles les âmes sensibles s'émouvaient si promptement, si fortement, si délicieusement, au récit d'une bonne action. Suard avait prétendu que c'était l'effet d'un sixième sens que la nature nous avait donné pour juger du bon et du beau. On me demanda ce que j'en pensais. Je répondis que ce sixième sens, que quelques métaphysiciens avaient accrédité en Angleterre, était une chimère; que tout était expérimental en nous; que nous apprenions dès la plus tendre enfonce ce qu'il était de notre instinct de cacher ou de montrer. Lorsque les motifs de nos actions, de nos jugements, de nos démonstrations nous sont présents, nous avons ce qu'on appelle la science; quand ils ne sont pas présents à notre mémoire, nous n'avons que ce qu'on appelle goût, instinct et tact. Les raisons de nous montrer sensibles au récit des belles actions sont sans nombre: nous révélons une qualité infiniment estimable; nous promettons aux autres notre estime s'ils la méritaient jamais par quelque procédé rare et honnête; nous les encourageons ainsi à l'avoir. Les belles actions nous font concevoir l'espérance de trouver parmi ceux qui nous environnent quelqu'un capable de les faire; et par l'extrême admiration que nous leur accordons, nous faisons concevoir aux autres l'idée que nous en serions capables nous-mêmes si l'occasion s'en présentait. Indépendamment de toutes ces vues d'intérêt, nous avons une notion, un goût de l'ordre auquel nous ne pouvons résister, qui nous entraîne malgré nous. Toute belle action n'est jamais sans quelque sacrifice, et il nous est impossible de ne pas rendre hommage à celui qui se sacrifie; quoiqu'en nous sacrifiant, nous ne faisons pourtant que ce qui nous plaît davantage, nous sommes portés avec raison à honorer ceux qui se départent des avantages les plus précieux pour celui de faire le bien et de s'en estimer davantage eux-mêmes, ou d'en être estimés davantage des autres; celui qui ambitionne la considération publique fait aux autres un compliment fort doux; il leur dit, comme je ne sais plus quel ancien: «Romains, combien j'ai passé de jours et de nuits pour mériter, pour obtenir un mot flatteur de vous! On ne se donne pas tant de peine pour ceux qu'on méprise.»

Mme Le Gendre ne trouve pas que Suard parle facilement. Je crois qu'elle a tort. C'est le principal mérite que je lui connaisse. Cette discussion me conduisit à parler de ce qui venait d'arriver à Deuil Le curé de cette paroisse passe à celle de Groslay. Il était si cher à ses paroissiens, que, malgré leur misère, ils se seraient cotisés pour que son sort à Deuil ne fut pas moindre qu'à Groslay, si le pasteur y avait consenti. Il alla prendre possession, il y a quelques jours, de sa nouvelle cure. Au milieu du Te Deum laudamus, il aperçut dans la foule une vingtaine de ses paroissiens qui pleuraient, et voilà la voix qui lui manque et les larmes qui lui viennent aux yeux. Tout le monde loua le curé et les paroissiens. Cette petite aventure porta merveilleusement à l'application des principes que j'avais établis. La conversation, qui ne déplaisait pas à Mlle de Blacy, la retint jusqu'à dix heures et demie du soir. Je lui donnai le bras, et j'allai achever la soirée chez elle; nous y causâmes de maman, de vous. « Quand reviendront-elles? – Bientôt. – Irez-vous à Isle? – Cela dépendra plus du prince que de moi – L'avez-vous vu? – Non. – Et pourquoi? – C'est qu'il est parti pour Fontainebleau. – Quand en revient-il? – Je l'ignore. Il y a quatre jours qu'il y est, et il n'a point encore demandé ses chevaux. – Nous n'aurons donc pas maman ici le jour de sa fête? – Je ne crois pas. – Je vais lui écrire. – Et moi aussi; bonsoir.»

Mademoiselle, joignez mes souhaits, mon bouquet et mon baiser aux vôtres. Dites à maman de ma part tout ce que votre cœur vous inspirera de doux et de tendre, et ne craignez point d'aller au delà de ce que je sens.

Il fait un temps déplorable. La belle dame a bien tort de vous retenir seule dans votre triste château. Que fait-elle dans sa province? Si elle s'ennuyait seulement la moitié de ce que ferait le prince, il y a deux jours que vous seriez à Châlons. Mme Duclos a consulté Damilaville sur son voyage à Paris. Elle ne fait que l'embarrasser, lui susciter des querelles à la Briche; il l'aime tout autant à Châlons, et elle y restera si elle suit son avis. Je ne lui ai point écrit; mais ma petite bonne l'a fait pour moi: c'est la même chose; et puis, ma foi, j'aime mieux mériter ses reproches que les vôtres. J'ai pris une ou deux fois la plume pour elle, et c'est à vous que j'ai écrit. Hâtez-vous donc de revenir. Savez-vous que vous me devez incessamment un bouquet?

Je ne pense pas, dans la position incertaine où se trouve le prince, qu'il puisse aller au-devant de son amie; il attend à chaque poste l'ordre de se déplacer. Ce sont tous deux des enfants si quinteux, si ombrageux, si pointilleux, si vétilleux, que je ne serais point étonné qu'ils se fussent brouillés par lettres. Les meilleures gens en amitié sont quelquefois les plus sottes gens en amour. Le prince, qui est moraliste jusque par-dessus les oreilles, se sera avisé de lui donner quelques conseils sur leur bonheur à venir. Il y aura mis toute la douceur, tous les ménagements, tous les égards imaginables; et avec tout cela, on les aura mal pris, parce que les despotes en général n'aiment pas les conseils, et que les jolies femmes sont toutes despotes. En vérité, je ne saurais souffrir les femmes qui mettent quelque importance à leurs faveurs, passé la première fois.

Adieu, bonnes amies; j'entends le ciel qui se fond en eau. Je ne vous écris pas aussi souvent que je le voudrais; mais en revanche je ne finis point. Je compte sur votre solitude et votre amitié. Je compte que, quoi que je vous dise, vous ne lisez jamais que ces mots: Il nous aime, il nous aime, puisqu'il croit que nous nous prêtons sans dégoût à toutes les misères qu'il nous dit.

À propos, savez-vous que Mme d'Aine est devenue esprit fort? Il y a quelques jours qu'elle nous a déclaré qu'elle croyait que son âme pourrirait dans la terre avec son corps. «Mais pourquoi priez-vous donc Dieu? – Ma foi, je n'en sais rien. – Vous ne croyez donc pas à la messe? – Un jour j'y crois, un jour je n'y crois pas. – Mais le jour que vous y croyez? – Ce jour-là, j'ai de l'humeur. – Et allez-vous à confesse? – Quoi faire? – Dire vos péchés. – Je n'en fois point; et quand j'en ferais et que je les aurais dits à un prêtre, est-ce qu'ils en seraient moins faits? – Vous ne craignez donc point l'enfer? – Pas plus que je n'espère le paradis. – Mais où avez-vous pris tout cela? – Dans les belles conversations de mon gendre: il faudrait, par ma foi, avoir une bonne provision de religion pour en avoir gardé une miette avec lui. Tenez, mon gendre, c'est vous qui avez barbouillé tout mon catéchisme; vous en répondrez devant Dieu. – Vous croyez donc en Dieu? – En Dieu! il y a si longtemps que je n'y ai pensé, que je ne saurais vous dire ni ou ni non. Tout ce que je sais c'est que si je suis damnée, je ne le serai pas toute seule; et quand j'irais à confesse, que j'entendrais la messe, il n'en serait ni plus ni moins. Ce n'est pas la peine de se tant tourmenter pour rien. Si cela m'était venu quand j'étais jeune, j'aurais peut-être fait beaucoup de petites choses douces que je n'ai pas faites. Mais aujourd'hui, je ne sais pas pourquoi je ne crois rien. Cela ne me vaut pas un fétu. Si je ne lis pas la Bible, il faudra que je lise des romans; sans cela, je m'ennuierais comme un chien. – Mais la Bible est un fort bon roman. – Ma foi, vous avez raison; je ne l'ai jamais lue dans cet esprit-là; demain je commence; cela me fera peut-être rire. – Lisez d'abord Ézéchiel – Ah! oui; à cause de cette Olla et de cette Oliba, et de ces Assyriens qui… – Et dont il n'y a plus aujourd'hui. – Et qu'est-ce que cela me fait qu'il y en ait ou non? Il ne m'en viendra pas un; et quand il m'en viendrait une douzaine?.. – Vous croyez que vous les enverriez à votre voisine? – C'est selon le moment. – Vous avez donc encore des moments? – Pourquoi pas? – Ma foi, je crois que les femmes en ont jusqu'au tombeau; que c'est là leur dernier signe de vie; quand cela est mort en elles, le reste est bien mort. Vous riez tous, mais croyez que celles qui disent autrement sont des menteuses; je vous révèle là notre secret. – Oh! nous n'en abuserons pas. – Je le crois bien. Encore, ne sais-je: si vous n'aviez pour tout partage qu'une femme de mon âge, je veux mourir si je la croyais en sûreté, ni vous non plus. Mais revenons à notre incrédulité. – Non; laissons-la. Il me semble que ce que nous disons est plus drôle. – Ma foi, vous avez raison.»

215.Robert d'Arbrissel, fondateur et premier abbé de l'abbaye de Fontevrault, faisait, dit-on, coucher dans son propre lit deux religieuses afin de soumettre sa chasteté aux plus rudes épreuves. Ses supérieurs et ses contemporains ont très clairement exprimé leurs doutes sur l'efficacité de cette pénitence.
216.Kohaut.
217.Ingénieur en chef de l'île de la Grenade, auteur d'articles sur les sucres dans l'Encyclopédie.
218.Le beau-frère de d'Holbach, reçu maître des requêtes en 1757, fut plus tard intendant de la généralité de Tours.
Ograniczenie wiekowe:
12+
Data wydania na Litres:
11 sierpnia 2017
Objętość:
760 str. 1 ilustracja
Właściciel praw:
Public Domain

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