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Czytaj książkę: «Mémoires touchant la vie et les écrits de Marie de Rabutin-Chantal, Volume 5», strona 10

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CHAPITRE X.
1675-1676

L'opinion du peuple se tourne contre Louis XIV, et attribue les malheurs publics à ses amours avec madame de Montespan.—Le parti religieux cherche à se séparer d'elle.—Un prêtre refuse l'absolution à madame de Montespan.—Le curé et Bossuet sont consultés, et déclarent tous deux que le prêtre a fait son devoir.—Bossuet et Bourdaloue profitent de cette circonstance pour persuader au roi et à madame de Montespan de se séparer.—Ils le promettent.—Le roi et madame de Montespan communient tous deux le jour de la Pentecôte.—Le roi écrit à Colbert pour qu'il pourvoie aux dépenses de madame de Montespan, et fasse en sorte de la distraire.—Elle construit Clagny.—Le roi revient de l'armée, et ordonne que madame de Montespan soit réintégrée à Versailles, mais avec l'intention de ne pas renouer son commerce avec elle.—Madame de Montespan cherche à le faire changer de résolution.—Elle y parvient.—Son triomphe est complet.—La cour reprend sa splendeur et ses plaisirs.—Racine fait jouer Iphigénie.—Boileau compose l'épître à Seignelay contre les flatteurs.—On rejoue l'opéra de Thésée.—Le ministre de Pomponne mène madame de Sévigné à ce spectacle.—Vers du Prologue: ils sont tout entiers à la louange du roi.

Madame de Sévigné, en donnant à sa fille de désastreuses nouvelles, ajoute: «Le peuple dit que c'est à cause de Quantova (madame de Montespan423

Ce peu de mots nous apprend que l'opinion publique, qui s'était montrée si favorable à la jeunesse de Louis XIV, se tournait contre lui. Ses amours avec la Vallière, sur lesquelles se reflétaient les premiers rayons de sa gloire, avaient trouvé plus de sympathie que de blâme. La mémoire de Henri IV, plus récente et plus populaire que celle de saint Louis, avait habitué la nation à considérer le libre commerce avec la beauté comme un des priviléges et presque une des qualités d'un roi français. Mais la prolongation des guerres engagea de plus en plus le gouvernement dans la voie du despotisme. Par les impôts excessifs les fortunes privées furent anéanties, et les populations appauvries par le sang versé sur les champs de bataille. Les provinces étaient mécontentes, et ne pouvaient pardonner à Louis XIV son luxe, ses prodigalités et le scandale de sa liaison avec une femme mariée. Il se forma à la cour un parti composé d'hommes sincèrement attachés au monarque et à la monarchie, dans l'espoir d'opérer une réforme salutaire. Ce parti, qu'on pouvait appeler le parti pieux, parce que ses principaux chefs se faisaient remarquer par leur zèle pour la religion, était peu considérable; mais il était puissamment soutenu par les dignitaires ecclésiastiques et par le contraste que présentaient alors les mœurs sévères des magistrats, des bourgeois industrieux, économes et rangés et la classe licencieuse, besoigneuse, des nobles grands seigneurs, des courtisans et des militaires. Dès que ce parti s'aperçut que la pensée du salut acquérait tous les jours plus de force dans l'esprit du roi, il espéra le rendre tout entier à sa bonne petite Espagnole, à la reine, que, par intérêt pour sa dynastie, par attachement, par conscience d'honnête homme, le roi n'avait jamais entièrement négligée424. Bourdaloue et Bossuet, qui donnaient les appuis de la raison à la foi, et à la piété la chaleur du sentiment, considéraient tous deux comme l'acte le plus méritoire envers Dieu et le plus utile à l'humanité, de soumettre aux préceptes de la religion et aux lois de l'Église le plus puissant souverain du monde. Ils employaient pour y parvenir tous les moyens qui n'étaient pas incompatibles avec leurs scrupules religieux. La victoire qu'ils avaient remportée sur la Vallière leur permettait d'en espérer une plus décisive encore; mais ce second triomphe était plus difficile à obtenir. Ils n'avaient pas, il est vrai, à combattre dans Montespan ce sentiment profond, inaltérable, sincère, désintéressé qui faisait de la Vallière une victime disposée à quitter la vie plutôt qu'à renoncer à son amour; mais cet amour de la Vallière était sans joie, sans consolation, sans espérance, et torturait le cœur de celle qu'il subjuguait, par le supplice incessant de la jalousie. On put donc persuader à cette infortunée qu'elle échapperait au désespoir en se jetant au pied de la croix, et que là le calme de ses sens, les extases de l'amour divin lui feraient anticiper, dès cette vie même, les pures délices que Dieu, dans la vie éternelle, réserve à ses élus.

Bien différente était Montespan, qui, en devenant la maîtresse de Louis XIV, avait moins cédé à l'amour qu'à la séduction. Si, en public, elle se conformait à tout ce qu'exigeaient d'elle l'étiquette de la cour et son titre de dame d'honneur; quand Louis était chez elle, le roi disparaissait, elle ne voyait plus que l'amant. Voluptueuse et tendre, capricieuse et fière, par sa conversation pleine d'à-propos, de verve et de gaieté, par ses saillies, qu'on n'oublie pas et qu'on répète, elle ne permettait pas à l'ennui de se glisser dans ces longs tête-à-tête. Elle satisfaisait son amour-propre et la haute opinion que Louis XIV avait de lui-même en faisant ressortir par des mots piquants les ridicules et les faiblesses de ceux qui l'approchaient. Elle avait avec lui des rapports de ressemblance dans ses qualités et dans ses défauts, qui devaient contribuer à la force et à la durée de leur mutuel attachement. Comme lui elle aimait le faste, le luxe et la grandeur; plus que lui elle avait le goût et le sentiment des arts et de la poésie; elle prenait intérêt à tout ce qui pouvait augmenter la gloire de la France, et ses idées sur la politique et les affaires d'État étaient justes et élevées. De toutes les femmes que Louis XIV a aimées, elle fut certainement la seule qui obtint sur lui un véritable empire, la seule qui força les ministres à compter avec elle, la seule qui ait osé combattre les préventions justes ou injustes du monarque tout-puissant et qui, en toute circonstance, ait lutté courageusement en faveur de ses amis ou de ceux qu'elle avait pris sous sa protection. Aussi fut-elle, de toutes les maîtresses de Louis XIV, la seule que les courtisans aient regrettée.

Montespan était encore trop enivrée de l'orgueilleux plaisir de l'avoir emporté sur sa rivale pour qu'on pût espérer que ses scrupules lui donnassent la force de rompre ses liens. Ceux qui entreprenaient de faire d'elle une maîtresse répudiée et de lui ôter le seul dédommagement du sacrifice de son honneur, sacrifice que la noble fierté de sa naissance et les vertueux penchants de sa jeunesse lui avaient rendu pénible425, ceux-là devenaient nécessairement ses ennemis déclarés. En travaillant à la conversion de la Vallière lorsque Louis XIV était épris de Montespan, on n'avait pas la crainte de déplaire et de s'attirer une disgrâce à laquelle personne alors n'était insensible; mais la pieuse ligue qui entreprenait d'enlever au roi celle qui le charmait par son esprit autant que par ses grâces et sa beauté pouvait craindre les terribles effets de son ressentiment.

Les hommes religieux qui formaient cette ligue ne pouvaient être retenus par de telles considérations; ils savaient que Louis et Montespan, en cédant à la force de leur passion, ne renonçaient pas pour cela à l'héritage de Jésus-Christ, mais qu'ils considéraient comme un privilége de leur rang de pouvoir s'écarter de quelques-uns de ses divins commandements, pourvu qu'ils se soumissent à ceux plus impérieusement exigés par l'Église. Cette aberration, qui leur était commune avec un grand nombre de catholiques peu fervents, moins élevés qu'eux en dignités, ne les aveuglait pas au point qu'à l'approche des grandes fêtes leur conscience ne fût troublée et leur repos intérieur détruit par de puissants scrupules.

Le jeudi saint 11 avril (1675), madame de Montespan se présenta au tribunal de la pénitence devant un prêtre de sa paroisse, se croyant assurée d'obtenir l'approbation nécessaire pour communier le jour de Pâques (14 avril). Le prêtre426 lui refusa l'absolution. L'orgueil de Montespan fut révolté d'une telle audace. Elle s'en plaignit au roi, qui fit venir le curé427. Celui-ci déclara que le prêtre avait fait son devoir. Le roi appela près de lui Bossuet; et Bossuet non-seulement approuva la conduite du prêtre, mais il dit au roi que l'Église avait toujours décidé428 «que, dans des circonstances semblables, une séparation entière et absolue était une disposition indispensable pour être admis à la participation des sacrements.» Le roi fut singulièrement troublé en apprenant, de la bouche du prélat qui avait toute sa confiance, qu'alors qu'il se disposait à affronter à la guerre de nouveaux périls il ne pouvait faire ses pâques, à moins de se soumettre aux décisions de L'Église. Bossuet saisit cette occasion pour agir fortement sur l'esprit du monarque: Louis XIV consentit à tout. Le prélat fut chargé d'aller annoncer à madame de Montespan la résolution du roi, de faire ses efforts pour la persuader à en prendre volontairement une semblable et à s'éloigner de la cour. «Mes paroles, écrivait Bossuet au roi, ont fait verser à madame de Montespan beaucoup de larmes; et certainement, sire, il n'y a point de plus juste sujet de pleurer que de sentir qu'on a engagé à la créature un cœur que Dieu veut avoir. Qu'il est malaisé de se retirer d'un funeste engagement! Mais cependant, sire, il le faut; ou il n'y a point de salut à espérer429

Madame de Montespan parut décidée à se conformer aux intentions du roi et comme lui se soumettre aux injonctions de Bossuet. Elle se retira à Clagny, et Louis XIV s'empressa de donner des ordres à Colbert430 pour qu'il pourvût à toutes les dépenses qu'elle voudrait y faire. Le roi enjoignit au ministre de prévenir les désirs de celle qu'il lui était si pénible d'affliger et de lui procurer toutes sortes de distractions. Madame de Montespan usa largement des dons du roi. A l'aide de Mansart et de Le Nôtre et des habiles artistes qu'ils appelèrent à leur aide, elle fit de Clagny un magnifique séjour, une miniature de Versailles; et les sommes auxquelles Colbert dut pourvoir pour cette résidence excédèrent de beaucoup celles que le roi avait, l'année précédente, paru honteux d'exiger du sage administrateur de ses finances. Par une lettre écrite de son camp près de Dôle431, Louis XIV donnait ordre à Colbert de commander pour madame de Montespan un collier de belles perles, des boucles d'oreilles, des bracelets, des boutons et des boîtes ornées en diamants, d'autres en pierres de toutes couleurs. Avant de faire cette commande, qui est minutieusement détaillée dans sa lettre, Louis XIV commence par dire au ministre: «Madame de Montespan ne veut pas absolument que je lui donne des pierreries; cela paraît extraordinaire, mais elle ne veut pas entendre raison sur les présents. Je veux avoir de quoi lui prêter à point nommé ce qu'elle désirera.»

Dans sa nouvelle et élégante retraite, madame de Montespan reçut de fréquentes visites de la reine; toute la cour s'empressa autour d'elle, et jamais elle ne fut comblée de plus d'honneurs, ne parut jouir de plus de crédit et de puissance432 que depuis qu'elle sembla vouloir renoncer à toutes les grandeurs du monde et à tout attachement illégitime.

Le roi était parti de Saint-Germain le samedi 11 mai, pour rejoindre son armée de Flandre. Il n'avait pas manqué à la promesse faite à Bossuet, et il autorisa le prélat à lui écrire pour l'entretenir dans les pieuses dispositions qu'il lui avait inspirées. Ce fut alors que l'illustre précepteur de l'héritier du trône transmit au roi lui-même, pour son usage personnel, des instructions qui sont d'admirables monuments de son zèle apostolique433. Pénétré de l'importance de sa mission, Bossuet écrivait en même temps au maréchal de Bellefonds: «Priez Dieu pour moi, je vous en conjure; et priez-le pour qu'il me délivre du plus grand poids dont un homme puisse être chargé, et qu'il fasse mourir tout l'homme en moi, pour n'agir que pour lui seul434

Bossuet, qui comprenait que le succès de cette grande œuvre dépendait principalement de madame de Montespan, ne la négligeait pas. Il écrivait au roi, à son sujet: «Je vois autant que je puis madame de Montespan, comme Votre Majesté me l'a commandé. Je la trouve assez tranquille; elle s'occupe beaucoup de bonnes œuvres, et je la vois fort touchée des vérités que je lui propose, qui sont les mêmes que je dis à Votre Majesté. Dieu veuille les mettre à tous deux dans le fond du cœur et achever son ouvrage, afin que tant de larmes, tant de violence, tant d'efforts que vous avez faits sur vous-même ne soient pas inutiles435

Par sa docilité à suivre les conseils de Bossuet, madame de Montespan put communier le 2 juin, jour de la Pentecôte436, deux jours avant la profession de foi de madame de la Vallière437. Le roi communia le même jour, dans son camp de Latines438, «avec beaucoup de marques de piété,» dit Pellisson. Il avait près de lui son nouveau confesseur. C'était le P. la Chaise, jésuite. La Chaise était un gentilhomme, âgé de cinquante-un ans, auteur d'un excellent abrégé de philosophie. On le disait sévère, et Bossuet avait fondé de grandes espérances sur son concours: il se trompait. Il eût été mieux servi par le confesseur janséniste de madame de Sévigné, qui lui refusa de la laisser communier, comme firent le roi et madame de Montespan, le jour de la Pentecôte, parce que la préoccupation de sa fille l'empêchait d'être suffisamment à Dieu; rigueur que madame de Sévigné approuva, en bonne janséniste. «Je me suis trouvée si uniquement occupée et remplie de vous, dit-elle, que, mon cœur n'étant capable de nulle autre pensée, on m'a défendu de faire mes dévotions à la Pentecôte; et c'est savoir le christianisme439

Le roi revint, non pas tel qu'il était à son départ: les pieuses exhortations de Bossuet ne s'étaient pas entièrement effacées de son esprit. Le prélat avait fait promettre une séparation absolue comme condition essentielle du salut, et par conséquent demandé, exigé440 que madame de Montespan fût expulsée de la cour. A cet égard l'auteur du Traité de Philosophie, le P. la Chaise, se montra moins rigoureux que Bossuet. Les courtisans amis de madame de Montespan qui étaient à l'armée avec le roi tournèrent en ridicule l'exigence de l'évêque. Était-il possible de bannir entièrement de la cour une dame d'honneur de la reine, que l'exercice de sa charge y attachait nécessairement? Et qui ne voyait qu'en croyant éviter un scandale le prélat en causait un plus grand, dont tout le monde se préoccuperait? Le roi, persuadé par ces discours, se décida à ne pas tenir sa promesse. Bossuet, informé de son changement de résolution, voulut encore tenter un dernier effort. Il alla résolument de lui-même au-devant de Sa Majesté, et la joignit à huit lieues de Versailles. Sans être appelé, Bossuet parut inopinément devant Louis XIV. Son visage était triste et sévère: «Ne me dites rien! lui cria le roi dès qu'il l'aperçut de loin. J'ai donné des ordres pour qu'on préparât au château le logement de madame de Montespan.»

«Le roi (écrit à sa fille madame de Sévigné, qui ignorait tout ce qui s'était passé entre Bossuet et Louis XIV) arriva dimanche matin à Versailles (21 juillet 1675); la reine, madame de Montespan et toutes les dames étaient allées, dès le samedi, reprendre tous leurs appartements ordinaires. Un moment après être arrivé, le roi alla faire ses visites. La seule différence, c'est qu'on joue dans les grands appartements que vous connaissez441.» Cette différence était grande: elle indiquait que, bien que la séparation absolue exigée par Bossuet au nom de l'Église n'eût pas eu lieu, cependant Louis XIV hésitait encore, et qu'il se contentait de jouir de la présence et de la société d'une femme dont les grâces, l'enjouement, l'esprit, l'élévation des sentiments, les sympathies pour sa gloire étaient devenus pour lui un dédommagement indispensable aux peines et aux soucis de la royauté. Tout n'était donc pas perdu pour madame de Montespan; et ce qui le prouve c'est ce qu'écrit madame de Sévigné à sa fille quatre jours après: «La cour s'en va à Fontainebleau; c'est MADAME qui le veut. Il est certain que l'ami de Quantova (Louis XIV) a dit à sa femme et à son curé par deux fois: «Soyez persuadés que je n'ai pas changé les résolutions que j'avais en partant; fiez-vous à ma parole, et instruisez les curieux de mes sentiments442

Dominé par l'influence des habitudes de sa jeunesse, Louis XIV, on le savait, ne pouvait se contraindre: il s'abandonnait sans résistance et sans scrupule aux séductions des belles femmes de sa cour, par lesquelles il était sans cesse assiégé; mais aucune de celles qui avaient profité des intervalles laissés à ses désirs par les grossesses ou les courtes absences de madame de Montespan n'avait pu parvenir à toucher son cœur, à intéresser son esprit. Toutes n'avaient obtenu que le facile et honteux triomphe d'être pendant quelques mois, ou même quelques heures, l'objet préféré du caprice des sens; toutes n'avaient fait que fortifier, par la comparaison, le vif attachement qu'il avait pour sa maîtresse. Si, par tous les moyens qu'elle possédait d'agir sur son esprit, elle était restée à la cour dans l'unique but de seconder le parti religieux et de rendre à la reine son époux, madame de Montespan, majestueuse et belle, serait devenue l'objet de l'admiration générale; elle eût exercé sur les affaires d'État une salutaire influence, que, du vivant de Louis XIV, aucune femme à la cour n'a su obtenir; elle eût paru incorporée à la gloire du grand siècle comme une divinité bienfaisante: elle eût régné!

Telle avait été, après les communions de la Pentecôte, l'espérance du parti moral et religieux, de Montausier, du maréchal de Bellefonds, des Colbert, des duchesses d'Albret, de Richelieu. On apprend, par les lettres de madame de Sévigné, quelle brillante et honorable existence pour madame de Montespan cet espoir seul avait fait naître. Madame de Sévigné écrit à sa fille, tandis que le roi était encore à l'armée au camp de Nerhespen443: «Vous jugez très-bien de Quantova. Si elle ne peut point reprendre ses vieilles brisées, elle poussera son autorité et sa grandeur au-dessus des nues; mais il faudrait qu'elle se mît en état d'être aimée toute l'année sans scrupule. En attendant, sa maison est pleine de toute la cour; les visites se font alternativement, et sa considération est sans bornes.»

Cependant dès lors même on doutait de la constance du roi et de madame de Montespan à garder la résolution qu'ils avaient prise. A propos de la grande-duchesse de Toscane (Marguerite-Louise d'Orléans), qui, après quinze ans de séjour, avait quitté son mari et venait en France444 dans l'espoir de plaire à Louis XIV, le même jour où la vue du saint sacrement qu'on portait à deux soldats suisses qui allaient être fusillés comme déserteurs donna au roi l'idée de leur faire grâce445, madame de Sévigné écrit à sa fille: «Je suis persuadée qu'elle aimerait fort cette maison (c'est-à-dire le cœur du roi), qui n'est point à louer. Ah! qu'elle n'est point à louer! et que l'autorité et la considération seront poussés loin si la conduite du retour est habile! Cela est plaisant, que tous les intérêts de Quanto et toute sa politique s'accordent avec le christianisme, et que le conseil de ses amis ne soit que la même chose avec celui de M. de Condom. Vous ne sauriez vous représenter le triomphe où elle est au milieu de ses ouvriers (à Clagny), qui sont au nombre de douze cents; le palais d'Appollidon446 et les jardins d'Armide en sont une légère description. La femme de son ami solide (la reine) lui fait des visites, et toute la famille tour à tour; elle passe nettement devant toutes les duchesses; et celle qu'elle a placée (madame de Richelieu) témoigne tous les jours sa reconnaissance par les pas qu'elle fait faire447.» Et, dans une lettre du mois précédent, elle avait écrit: «La reine alla hier faire collation à Trianon; elle descendit à l'église, puis à Clagny, où elle prit madame de Montespan dans son carrosse, et la mena avec elle à Trianon448

La séparation du roi et de madame de Montespan ne pouvait être connue à la cour sans l'être aussi à Paris et dans la province. Madame de Scudéry en écrivit en ces termes à Bussy-Rabutin: «Le roi et madame de Montespan se sont quittés, dit-on, s'aimant plus que leur vie, purement par principe de religion; on dit qu'elle retournera à la cour sans être logée au château et sans voir jamais le roi que chez la reine… La douce et tranquille amitié suffit pour bien remplir un cœur. Pour moi, je trouve que madame de Montespan aura deux paradis au lieu d'un: elle sera toujours aimée, et elle saura qu'il n'y aura que Dieu au-dessus d'elle dans son cœur449

Mais on apprend, par la réponse de Bussy, que lui ne se laissait point abuser par ces belles apparences; il en était de même de madame de Sévigné: elle prévit quel serait le dénoûment de cette amoureuse épopée. Deux jours après, écrivant encore à sa fille, elle revient sur cette remarquable visite de la reine à madame de Montespan, et dit: «La reine fut voir madame de Montespan à Clagny le jour que je vous avais dit qu'elle l'avait prise en passant; elle monta dans sa chambre, où elle fut une demi-heure; elle alla dans celle de M. du Vexin450, qui était un peu malade, et puis emmena madame de Montespan à Trianon, comme je vous l'avais mandé. Il y a des dames qui ont été à Clagny: elles trouvèrent la belle si occupée des ouvrages et des enchantements que l'on fait pour elle que, pour moi, je me représente Didon qui fait bâtir Carthage. La suite de cette histoire ne se ressemblera pas451

Madame de Montespan parut quelque temps vouloir participer à la bonne résolution du roi et se montrer satisfaite «d'être aimée toute l'année sans scrupule.» Bossuet lui-même crut à cet effort de sa raison, et c'est peut-être ce qui le fit relâcher de la décision rigoureuse qu'il avait donnée, au nom de l'Église, de la nécessité d'une séparation absolue. Il prononça, dit-on, que rien n'empêchait madame de Montespan de rester à la cour, d'y remplir sa charge de dame d'honneur de la reine et d'y vivre aussi chrétiennement qu'ailleurs452.

On peut suivre dans les lettres de madame de Sévigné, qui mit toujours beaucoup d'empressement à se faire initier, autant qu'elle le pouvait, dans le secret des petits appartements du roi et à en instruire sa fille, cette phase curieuse de la liaison des amours de Louis XIV et de madame de Montespan.

«Toutes les dames de la reine sont précisément celles qui font compagnie à madame de Montespan: on y joue tour à tour, on y mange; il y a des concerts tous les soirs; rien n'est caché, rien n'est secret; les promenades en triomphe. Cet air déplairait encore plus à une femme qui serait un peu jalouse (allusion à la reine); tout le monde est content. Nous fûmes à Clagny: que vous dirai-je? c'est le palais d'Armide; le bâtiment s'élève à vue d'œil; les jardins sont faits. Vous connaissez la manière de Le Nôtre: il a laissé un petit bois sombre qui fait fort bien; il y a un bois d'orangers dans de grandes caisses; on s'y promène; ce sont des allées où l'on est à l'ombre; et, pour cacher les caisses, il y a des deux cotés de petites palissades à hauteur d'appui, toutes fleuries de tubéreuses, de roses, de jasmins et d'œillets. C'est assurément la plus belle, la plus surprenante, la plus enchantée nouveauté qui se puisse imaginer: on aime fort ce bois453

Madame de Sévigné avait déjà dit, en parlant de Quantova: «L'attachement est toujours extrême; on en fait assez pour fâcher le curé et tout le monde, et peut-être pas assez pour elle; car dans son triomphe extérieur il y a un fonds de tristesse454

C'est que ce triomphe n'était pas complet. Il ne suffisait pas à madame de Montespan d'avoir été, contre le vœu de Bossuet et du parti pieux, réintégrée au château, d'y faire sa charge, d'être estimée et considérée de la reine et de toute la cour: tous ces honneurs, toute cette pompe ne pouvaient la distraire de ses désirs. Louis XIV avait trente-sept ans, madame de Montespan n'en avait que trente, et, comme lui, elle était encore dans toute la force, dans tout l'éclat de la beauté. La vive impression du passé pesait trop fortement sur elle et sur le roi pour que le présent ne leur devînt pas insupportable. Bussy, qui était instruit de tout par madame de Scudéry, prédisait avec certitude que madame de Montespan ne pourrait demeurer à la cour que comme maîtresse. «On ne remporte, disait-il, la victoire sur l'amour qu'en fuyant. Si, ayant quitté le roi, elle avait encore du plaisir à s'en croire aimée, elle ne serait pas selon le cœur de Dieu.»—«Il est vrai (ajoutait-il avec ce solide jugement que donne l'expérience) que le bon sens voudrait qu'on ne se chargeât point d'une grande passion, puisqu'on sait bien qu'elle finira avant la mort; mais chacun se flatte; on ne veut pas trouver des raisons qui empêchent de faire une chose agréable. Il est certain que l'amitié est bien plus solide; mais il n'y a que des gens qui ne sont plus propres à l'amour qui en soient capables455

Habitués depuis longtemps à se comprendre sans proférer une seule parole, Louis et Montespan connurent par leurs regards, dès les premiers moments de leur entrevue, que leur amour mutuel s'était accru par l'absence et par la contrainte. Alors Montespan, par son attitude, ses paroles, ses manières, annonça qu'elle avait renoncé au rôle froid qu'on avait voulu lui imposer, et montra la ferme volonté d'être rétablie dans tous ses droits et dans la double puissance d'amante et de favorite.

Le roi subissait l'influence de tout le parti pieux. Retenu par la promesse faite à Bossuet, il résistait encore; mais les charmes séducteurs de celle dont le son de voix seul suffisait pour l'émouvoir, les amusants sarcasmes de son brillant esprit, sa folle gaieté, sa tristesse et ses larmes domptèrent un courage qu'avaient seuls pu soutenir les dangers et les distractions de la guerre. Le triomphe de Montespan fut complet; et sa faveur, sa puissance parurent plus grandes et plus affermies que jamais. Tout prit alors à la cour un aspect plus gai et plus conforme aux mœurs et aux habitudes qui y régnaient. L'année put se terminer comme elle avait commencé, lorsque, pendant le carnaval, au retour de la seconde conquête de la Franche-Comté, on représenta le dernier ballet où Louis XIV avait dansé et l'opéra de Thésée, par Quinault et Lulli. Malgré les traits satiriques dirigés contre Lulli et Quinault par Despréaux456, dans son épître à Seignelay, récemment publiée (et cette épître avait pour but de stigmatiser les flatteurs), on reprit les représentations de cet opéra; et pour cette reprise on négligea Iphigénie457, nouveau et admirable chef-d'œuvre de Racine. A ce brillant spectacle Pomponne conduisit l'abbé Arnauld, son frère, revenu de Rome, madame de Sévigné, madame de Vins, M. de la Troche et d'Hacqueville458. Le prologue tout entier était consacré aux louanges du roi, et la décoration représentait les jardins et la façade du palais de Versailles. Louis XIV entendit encore chanter les vers suivants:

VÉNUS
 
Vénus répand sur lui tout ce qui peut charmer.
 
MARS
 
Malheur, malheur à qui voudra contraindre
Un si grand héros à s'armer!
 
VÉNUS
 
Tout doit l'aimer.
 
MARS
 
Tout doit le craindre.
 
VÉNUS ET MARS
 
Tout doit le craindre,
Tout doit l'aimer.
 
MARS ET VÉNUS
 
Qu'il passe, au gré de ses désirs
De la gloire aux plaisirs,
Des plaisirs à la gloire!
Venez, aimables dieux, venez tous dans sa cour.
Mêlez aux chants de la victoire
Les douces chansons de l'amour.
 
LE CHŒUR
 
Mêlons aux chants de la victoire
Les douces chansons de l'amour459.
 

Ce n'étaient pas là les exhortations de Bossuet, ce n'était pas avec de tels vers,

 
De morale lubrique,
Que Lulli réchauffait des sons de sa musique,
 

que Despréaux, accusé à tort d'être un flatteur, louait le grand monarque. C'est depuis même que l'auteur de Thésée était le plus comblé des dons de la faveur royale que le courageux législateur du Parnasse français n'a cessé de flétrir ses fades adulations460 et de condamner l'opéra comme un spectacle immoral461.

423.SÉVIGNÉ, Lettres (31 juillet 1675), t. III, p. 473, édit. G.; t. III, p. 338, édit. M.
424.MADAME, duchesse d'Orléans, Fragments de lettres, 1788, in-12, t. I, p. 175, 176.—Mémoires, édit. 1732, in-8o, p. 45 et 90—Mémoires sur Sévigné, 3e partie, ch. V, p. 166.
425.SAINT-SIMON, Mémoires authentiques, 1829, in-8o, t. V, p. 403.
426.Il se nommait Lecuyer.
427.Thibault.
428.BOSSUET, Lettres, t. XXXVII, p. 86, 92, 98.—DE BAUSSET, Histoire de Bossuet, 4e édit. in-12, t. II, p. 45 et 55.
429.BOSSUET, Œuvres, t. XXXVII, p. 82 et suiv.
430.LOUIS XIV, Lettres (28 mai et 8 juin 1675), t. V, p. 533, 536, 537 des Œuvres, 1806, in-8o.—CHAMPOLLION-FIGEAC, Documents hist. sur l'hist. de France, 1843, in-4o.
431.Lettre de LOUIS XIV à Colbert (9 juin 1674), dans les Documents historiques inédits publiés par Champollion-Figeac, 1843, in-4o, p. 526 et 527.
432.SÉVIGNÉ, Lettres (12 et 14 juin 1675), t. III, p. 416, 418 et 419, édit. G.; t. III, p. 295, 296 et 297, édit. M.
433.DE BAUSSET, Histoire de Bossuet, 4e édit. in-12, t. II, p. 52, 54 et 55, liv. V, VIII, IX et X.—BOSSUET, Œuvres, t. XXXVII, p. 52.
434.DE BAUSSET, Histoire de Bossuet, 4e édit. in-12, p. 49 (lettre du 20 juin 1675).
435.BOSSUET, Œuvres, t. XXXVII, p. 92 et 98 (lettre au roi, 1675).
436.SÉVIGNÉ, Lettres (7 juin 1675), t. III, p. 411, édit. G.; t. III, p. 290, édit. M.
437.SÉVIGNÉ, Lettres (5 juin 1675), t. III, p. 403, édit. G.; t. III, p. 283, édit. M.
438.PELLISSON, Lettres historiques, 1729, in-12 (3 juin 1675), t. II, p. 276.—SÉVIGNÉ, loc. cit.
439.SÉVIGNÉ, Lettres (5 juin 1675), t. III, p. 405, édit. G.; t. III, p. 285, édit. M.
440.DE BAUSSET, Histoire de Bossuet, 1824, in-12, t. II, p. 60.
441.SÉVIGNÉ, Lettres (mercredi 24 juillet 1675), t. III, p. 456, édit. G.; t. III, p. 331, édit. M.—BUSSY, Suite des Mémoires, ms. de l'Institut, p. 129 et 130 (lettre à madame de Scudéry, du 20 juillet 1675).—Supplément aux Mémoires et Lettres de M. le comte DE BUSSY-RABUTIN, t. I, p. 189.
442.SÉVIGNÉ, Lettres, t. III, p. 470, édit. G.; t. III, p. 343, édit. M.
443.SÉVIGNÉ, Lettres (28 juin 1675), t. III, p. 439, édit. G.; t. III, p. 314, édit. M.—PELLISSON, Lettres historiques (28 juin 1675), t. II, p. 334.
444.SAINT-SIMON, Mémoires complets et authentiques, 1829, in 8o, t. XVIII, chap. XXVI, p. 400.
445.Conférez PELLISSON, Lettres historiques (3 juillet 1675), t. II, p. 344.
446.Conférez MICHEL-HARDOUIN MANSART, Livre de tous les plans, coupes, profils et élévations du château de Clagny, 1680, in-folio.—SÉVIGNÉ, Lettres (7 août 1675), t. III, p. 499 et 500.
447.SÉVIGNÉ, Lettres (3 juillet 1675), t. III, p. 316, édit. M.; t. III, p. 442, édit. G.
448.SÉVIGNÉ, Lettres (12 juin 1675), t. III, p. 418, édit. G.; t. III, p. 296.
449.Supplément aux Mémoires et Lettres de M. le comte DE BUSSY-RABUTIN, t. I, p. 184-187.
450.Louis-César de Bourbon, comte du Vexin, second fils de Louis XIV et de madame de Montespan, né le 20 juin 1672; il n'avait alors que trois ans. Il avait été légitimé en novembre 1673, et mourut en 1683.
451.SÉVIGNÉ, Lettres (14 juin 1675), t. III, p. 419, édit. G.; t. III, p. 297, édit. M.
452.CAYLUS, Souvenirs, collect. des Mémoires relatifs à l'histoire de France, édit. de Petitot et Monmerqué, 1828, in-8o, t. LXVI, p. 89.—Et la note de Monmerqué, t. III, p. 269 des Lettres de SÉVIGNÉ (14 mai 1675).
453.SÉVIGNÉ, Lettres (7 août 1675), t. III, p. 490 et 500, édit. G.; t. III, p. 361. Conférez MICHEL-HARDOUIN MANSART, Les plans, profits et élévations du château de Clagny, 1680. Voyez le plan général, qui est le meilleur commentaire de cette lettre.
454.SÉVIGNÉ, Lettres (31 juillet 1675), t. III, p. 473, édit. G.; t. III, p. 346.
455.Supplément aux Mémoires et Lettres du comte DE BUSSY-RABUTIN, t. I, p. 185.
456.BOILEAU, épître à Seignelay, vers 1, 91, 93, 134, 140, 146, 170, 174.—Œuvres DE BOILEAU DESPRÉAUX, épître IX, 1747, in-8o, édit. de Saint-Marc, p. 330-393; édit. 1830, in-8o, de Berriat Saint-Prix, t. II, p. 105 à 119.
457.RACINE, Iphigénie, Paris, Barbin, 1675, in-12 (72 pages).
458.SÉVIGNÉ, Lettres (26 juillet 1675), t. III, p. 468, édit. G.; t. III, p. 341, édit. M.—L'abbé ARNAULD, Mémoires, coll. Petitot, t. XXXIV, p. 358.
459.FÉLIBIEN, Relation des divertissements de Versailles donnés par le roi à toute la cour, au retour de la conquête de la Franche-Comté, l'année 1674, in-4o (5 pages).—Cinquième journée du samedi 18 août, p. 426 à 428.—Les frères PARFAICT, Histoire du Théâtre françois, t. XI, p. 318.—DE BEAUCHAMP, Recherches sur les théâtres, t. III, p. 172 et 207.—QUINAULT, Théâtre, édit. 1715, Paris, in-12, t. IV, p. 200 et 201.—Opéra de Thésée, représenté devant Sa Majesté à Saint-Germain en Laye (le dixième jour de janvier 1675; Paris, Ballard, in-4o, p. 5).
460.BOILEAU, satire II, 20; III, 195; IX, 98; IX, 288.—Lutrin, II, 92-8.
461.BOILEAU, satire X, 131, 141-2.