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Czytaj książkę: «L'Abbé de l'Épée: sa vie, son apostolat, ses travaux, sa lutte et ses succès», strona 13

Czcionka:

XXXIII

M. Aubernon, préfet de Seine-et-Oise, avant de donner son approbation complète au projet de monument qu'on prépare à l'abbé de l'Épée, désire être mieux édifié sur diverses circonstances qui s'y rattachent. – Réponses de la commission aux différentes questions qui lui ont été soumises par M. le préfet. – Première pensée d'une entrevue de quelques membres du conseil municipal de Versailles avec quelques membres de la commission du monument, ayant pour but d'essayer de lever en commun ces obstacles. – Délibération favorable du conseil municipal en réponse aux objections soulevées par M. le préfet. – Rédaction d'un prospectus à répandre pour activer les souscriptions.

M. le préfet de Seine-et-Oise, dans une lettre du 14 janvier 1840, adressée à M. le maire de Versailles, lui faisait observer que, comme il n'était pas complétement édifié sur l'affaire du monument à élever à l'abbé de l'Épée, il ne pensait pas pouvoir, dans l'état actuel des choses, y donner son approbation. Il désirait, avant tout, être éclairé:

1º Sur la forme et le mérite de la statue projetée, question qui ne pouvait être résolue que par la présentation d'un modèle en plâtre, de la grandeur même de la statue;

2º Sur l'emplacement, choisi par les souscripteurs, qui ne lui paraissait pas être agréé par le conseil municipal, opinion que partageait M. le préfet, l'hémicycle qui devait être pris sur le jardin de l'École normale lui semblant trop restreint, et la place Saint-Louis offrant, à son avis, un emplacement plus convenable;

3º Sur le montant de la dépense, sur la garantie que cette dépense serait intégralement couverte au moyen des souscriptions, et sur les ressources que la ville de Versailles se proposait d'y affecter afin de compléter la somme exigée pour les frais, dans le cas où les souscriptions ne seraient pas suffisantes;

4º Enfin, sur le fait même de la concession du terrain, qui aurait dû être faite à la ville, et non aux souscripteurs.

Le 17 janvier, M. le maire de Versailles écrivit à la commission des souscripteurs, en lui adressant copie de la lettre de M. le préfet de Seine-et-Oise.

En conséquence, dans la sixième séance du 27 janvier 1840, M. le président exposa à la commission que M. le préfet de Seine-et-Oise n'avait pas paru complétement satisfait des explications fournies par la commission, ni de la délibération du conseil municipal, et qu'il croyait nécessaire d'obtenir de nouveaux renseignements avant d'homologuer une délibération sur laquelle il regrettait de ne pas se trouver nanti de documents suffisants. Il était donc d'avis, d'après la lecture des délibération et décision ci-dessus mentionnées, de rassembler le comité de rédaction, à l'effet de préparer une réponse.

M. Lebrun développa son travail, qui fut entièrement approuvé dans son ensemble et dans ses détails, dans son esprit et dans sa forme. La commission décida, à l'unanimité, que ce mémoire serait adressé, en double exemplaire, à M. le maire de Versailles.

M. le secrétaire donna, ensuite, lecture du prospectus95, avec les additions qui y avaient été faites par le comité de rédaction, et il fit connaître les listes qui avaient été dressées, de l'avis de ce comité.

Le 5 février, la commission répondit aux quatre questions qui lui avaient été soumises par M. le préfet, et finit par proposer, dans le cas où ses réponses ne paraîtraient pas suffisantes et ne porteraient pas la conviction dans tous les esprits, un moyen qui rendrait plus prompte et plus facile la conclusion d'une affaire qui avait déjà souffert tant de retard. «Si le conseil municipal, observait-elle, voulait bien désigner quelques-uns de ses membres à l'effet de s'entendre avec la commission des souscripteurs sur les points en désaccord, sans aucun doute de telles communications auraient bientôt levé tous les obstacles.»

Comme la commission du conseil municipal qui devait présenter incessamment un rapport au conseil sur les observations faites par M. le préfet de Seine-et-Oise relativement à l'érection de la statue de l'abbé de l'Épée, désirait entendre encore les membres du comité des souscripteurs, M. le maire écrivit, le 11 février 1840, à M. de Fresquienne, pour le prier de vouloir bien inviter les membres du comité à se réunir à la commission, qui devait être convoquée le 14, à la Mairie.

Dans la septième séance, qui eut lieu le 3 mai, il fut donné lecture d'un rapport étendu, contenant l'exposé de ce qui avait été fait depuis le 27 janvier. M. le secrétaire porta ensuite à la connaissance de la commission le nombre des prospectus délivrés, d'après les états qu'il avait tenus.

M. le trésorier exposa l'état de la caisse au 16 avril 1840. La commission déclara approuver cet aperçu de la situation.

M. le président communiqua la délibération suivante du conseil municipal, qui répondait aux différentes questions proposées par M. le préfet:

«Le conseil,

«Vu les motifs exprimés dans le rapport qui précède, estime qu'il y a lieu de répondre à M. le préfet:

«1º Que le conseil municipal a reçu de la commission des souscripteurs, par l'organe de M. le baron de Fresquienne, son président, la promesse écrite de la production préalable d'un modèle en plâtre, de grandeur d'exécution;

«2º Que l'emplacement choisi sur la place des Tribunaux ne lui paraît pas heureux, et qu'une statue de deux mètres, douze centimètres, suivant la mesure annoncée, ne lui semble pouvoir convenir à aucun autre emplacement de la ville;

«3º Que la ville de Versailles n'a pas eu d'engagement pécuniaire à prendre, et qu'aucun sacrifice n'a été réclamé d'elle pour cet objet;

«4º Que la concession du terrain de l'École normale n'a pu être faite, ni aux souscripteurs, ni à la ville, et que l'Université, qui en jouit, aurait seulement transféré la jouissance à la ville, devenue propriétaire du monument.

«Les propositions de la commission sont successivement mises aux voix et adoptées.»

XXXIV

Lettre d'envoi du prospectus. – Premières listes de souscriptions. – Empressement des évêques et du clergé. – Offrande de 300 francs de la part du roi Louis-Philippe. – Les membres de la commission invités à donner chacun son avis sur le modèle de la statue. – Le statuaire Michaut promet d'en profiter. – Souscriptions des sourds-muets, recueillies par le docteur Doumic. – Projet d'exposition du modèle de la statue dans la cour de l'Institution des sourds-muets de Paris. – Le préfet de Seine-et-Oise accepte les fonctions de président d'honneur de la commission. – MM. Molé, Lepelletier-d'Aunay, Berlin de Vaux et le duc de Luynes désignés pour en être membres d'honneur. – Le Ministre de la guerre regrette de ne pouvoir accorder le bronze qu'on lui demande pour la confection de la statue.

Une circulaire, signée du président baron de Fresquienne, et contre-signée du secrétaire E. – B. de Sainte-James, membres du conseil municipal, avait déjà été répandue. Elle était conçue en ces termes:

«La commission, en vous adressant ses prospectus, vous prie de vouloir bien considérer que le monument qu'elle se propose d'ériger ne doit pas être confondu avec ceux dont l'objet peut toucher seulement les vanités municipales. Ce n'est pas un hommage ordinaire à rendre à un guerrier, à un magistrat, à un savant, mais un témoignage national de reconnaissance. L'abbé de l'Épée est un homme de lumières et de charité, un apôtre de l'infortune, le saint Vincent de Paule de notre époque. C'est ainsi que vous comprendrez sa position et que vous aimerez, non-seulement à vous associer à notre œuvre, mais encore à provoquer l'assistance des personnes qui sont placées sous votre direction, ou avec lesquelles vous vous trouvez en rapports fréquents.

«Nous espérons que vous voudrez bien nous faire obtenir quelques souscriptions, et nous vous prions de recevoir l'assurance de nos sentiments les plus distingués.»

Le président, Baron DE PRESQUIENNE,
Le secrétaire, E. B. DE SAINTE-JAMES,
Membres du conseil municipal.

A peine la commission avait-elle commencé l'envoi de son prospectus, que déjà l'on répondait avec un honorable empressement à l'appel qu'elle faisait aux gens de bien, aux admirateurs du génie, à toutes les personnes qui éprouvaient de la sympathie pour une idée patriotique et morale. C'était ce que prouvait la première liste qu'elle publiait, et dont le total s'élevait à 2,060 fr. 75 c.

Le roi Louis-Philippe, informé de ce projet, fit remettre au trésorier une somme de 300 fr. pour accélérer la réalisation des fonds nécessaires, et témoigner, en même temps, de sa sympathie pour ce monument vraiment national.

A l'ouverture de la huitième séance, le 14 juin, M. le président exprima le désir de voir inviter chaque membre à formuler son opinion personnelle sur le modèle de la statue en plâtre qu'il avait été admis à visiter. On procéda immédiatement à l'audition de chacun d'eux, et il fut arrêté que l'envoi des notes de la commission serait fait immédiatement à M. Michaut, par les soins du secrétaire, et qu'il serait prié de formuler aussi promptement que possible une réponse à ses observations.

M. le président déposa sur le bureau une lettre de M. le docteur Doumic, frère d'un sourd-muet, proposant de faire souscrire les 30,000 infortunés de cette catégorie que peut contenir la France96. Des remercîments furent votés à M. Doumic, pour le zèle éclairé qu'il apportait à l'érection du monument, et il fut décidé qu'on lui transmettrait l'expression des sentiments de sympathie dont la commission était animée pour ses louables efforts.

Dans la neuvième séance, tenue le 3 juillet, il fut donné communication d'une lettre de M. Michaut, s'engageant à profiter des observations de la commission pour certains détails. Il proposait ensuite de solliciter de M. le directeur de l'Institution nationale des sourds-muets de Paris97 l'autorisation d'exposer le modèle de sa statue dans cet établissement, afin que le public pût être admis à le contempler, et qu'il en résultât un nouveau stimulant pour la souscription.

M. le président porta à la connaissance de la commission une nouvelle lettre de M. le docteur Doumic, annonçant qu'il tenait à sa disposition une somme de 348 fr. 50 c., qui lui avait été versée par 83 sourds-muets. Il annonçait, en outre, qu'il allait continuer à réunir de nouvelles souscriptions.

Le secrétaire rendit compte de la visite que M. le baron de Fresquienne l'avait autorisé à faire à M. le directeur de l'Institution des sourds-muets, pour s'entendre avec lui sur la convenance du projet d'exposition de la statue dans cet établissement. Le directeur regrettait de n'y pouvoir consacrer la salle des séances de l'École; mais il consentait volontiers à ce que l'exposition eût lieu dans la cour de la maison, où des mesures pourraient être prises pour veiller à la conservation de la statue en plein air; mais, ajoutait-il, il était nécessaire, avant tout, que la proposition qui lui était faite, fût approuvée par l'autorité supérieure, M. le Ministre de l'intérieur. Le secrétaire avait, en conséquence, déclaré au directeur qu'il s'engageait à proposer à la commission de faire face à tous les frais que pourraient entraîner la pose de la statue et son enlèvement, ainsi que l'abri qu'il pourrait être utile de lui donner. Le directeur s'engagea, de son côté, à demander promptement l'autorisation ministérielle, et à faire part à la commission du résultat de sa démarche. Il promit, en outre, de mettre l'agent, chargé des dépenses de l'établissement, à la disposition de la commission pour recueillir les offrandes.

La commission décida, en conséquence, que le modèle de la statue serait transporté, 1º dans la cour de l'hôtel de ville de Versailles, 2º vers le mois d'octobre, dans celle de l'Institution nationale des sourds-muets de Paris, 3º au mois de février suivant, dans celle du Louvre, en obtenant toutes les autorisations indispensables pour arriver à ces fins.

La commission s'occupa incontinent de la question de savoir s'il ne serait pas utile de lui agréger de nouveaux membres, afin de lui donner plus de puissance et de popularité.

Le titre de membres d'honneur serait offert à MM. le comte Molé et Lepelletier-d'Aunay, tous deux membres du conseil général du département, ainsi qu'à M. Bertin de Vaux, ancien député du département, pair de France, et à M. le duc de Luynes.

En juillet 1841, M. le préfet de Seine-et-Oise répondit à M. l'abbé Caron, vice-président de la commission, qu'il acceptait la présidence d'honneur qui lui était décernée par les membres de cette commission. Cette offre avait été motivée, non-seulement sur ce que ce fonctionnaire occupait si dignement le poste honorable auquel la confiance du gouvernement l'avait élevé, mais encore sur ce qu'il avait tenu à être le premier patron de cette entreprise, et sur ce que son nom, inscrit par lui en tête de la liste de souscription, attestait le désir qu'il éprouvait de voir une statue érigée à l'abbé de l'Épée dans sa ville natale.

Ce magistrat annonça, en même temps, à M. l'abbé Caron qu'il s'était empressé de transmettre à M. le Ministre de la guerre la demande que ce respectable ecclésiastique avait faite pour obtenir le bronze nécessaire à la confection de la statue, ajoutant qu'il avait vivement insisté pour que les 1,500 kilog., qui paraissaient devoir suffire, fussent accordés par le gouvernement.

Le président du conseil, Ministre secrétaire d'État de la guerre, maréchal, duc de Dalmatie, répondit à M. le préfet de Seine-et-Oise qu'une semblable demande lui avait déjà été adressée par M. le baron de Fresquienne, au nom de la commission, et qu'il lui avait fait connaître les motifs qui le forçaient, à son grand regret, de refuser le bronze demandé. «En effet, il n'existe pas, dit le Ministre, de vieux bronzes dont nous puissions disposer, si ce n'est pour la fabrication des bouches à feu et de différents autres objets qui sont confectionnés dans les fonderies de l'État pour le service de la guerre. Tout autre emploi pour un service étranger serait blâmable, et la cour des comptes ne manquerait pas de le signaler comme tel.»

La commission publia, dans le courant du même mois, une seconde liste de souscriptions, qui en portait le montant à 4,664 fr. Il était à remarquer que cette liste ne comprenait que bien peu de personnes qui ne fussent pas de Versailles, et, cependant, la commission espérait beaucoup des souscriptions dont elle avait provoqué l'ouverture dans les départements et à l'étranger. Elle était également convaincue que tous les sourds-muets qui auraient connaissance du projet d'érection de ce monument, s'empresseraient de suivre l'exemple des quatre vingt-trois de leurs frères qui, à la vue du modèle en plâtre, avaient spontanément souscrit pour plusieurs centaines de francs. Parmi ses premiers souscripteurs, elle comptait déjà un grand nombre d'évêques et de membres du clergé. Ce bon exemple devait, suivant elle, porter ses fruits. Elle faisait donc un appel à tous les gens de bien, à tous les admirateurs du génie, à toutes les familles qui avaient profité des services rendus par l'abbé de l'Épée, non-seulement en France, mais chez toutes les nations, car il s'agissait moins d'élever un monument au génie, que d'acquitter une dette de reconnaissance.

XXXV

Exposition du modèle de la statue dans la cour de l'Institution des sourds-muets de Paris. – Description. Éloge. – Visite du préfet de Seine-et-Oise, du maire de Versailles, d'un de ses adjoints, de délégués du conseil municipal, de membres de la commission des souscripteurs. – Mes impressions en présence de la statue. – Engagement du fondeur. – Adoption de la statue par le conseil municipal, qui décide qu'elle sera placée à la croix des rues Royale et d'Anjou. – M. Michaut se soumet aux corrections indiquées. – L'architecte de la ville mis à la disposition de l'œuvre. – Nouveaux moyens à employer pour activer les souscriptions.

Le modèle de la statue de l'abbé de l'Épée, destinée à la ville de Versailles, venait, enfin, d'être exposé, ainsi qu'on l'avait annoncé, dans la cour de l'Institution des sourds-muets de Paris, rue Saint-Jacques, nº 254. Ce modèle avait deux mètres et demi de proportion; il représentait l'abbé de l'Épée à quarante ans environ, en costume de prêtre. Aujourd'hui que nous avons pu nous livrer à un examen sérieux de l'œuvre de M. Michaut, c'est un devoir pour nous de féliciter le statuaire. Il a su résoudre heureusement un problème difficile, longtemps discuté, mais qu'il faudra bien admettre désormais comme une vérité artistique, à savoir que l'habit ecclésiastique peut devenir riche et gracieux sous le ciseau d'un habile sculpteur. Nous pensons qu'on nous saura gré de quelques détails sur cette composition remarquable.

Debout sur un piédestal, le vénérable instituteur des sourds-muets, dont le petit collet est relevé avec grâce, tient de la main gauche un crayon et une tablette, sur laquelle est écrit le mot Dieu, d'abord en caractères symboliques, puis en caractères ordinaires. Sa main droite, élevée vers le ciel, indique que c'est là qu'il faut que l'humanité adresse ses témoignages de reconnaissance pour le nouveau bienfait dont elle vient d'être dotée. Les doigts sont disposés de manière à former la première lettre du mot Dieu. C'était dans cette position simple, naturelle, c'était avec cette physionomie pleine de bienveillance que l'illustre abbé devait chercher à créer ces intelligences enfantines, trop longtemps plongées dans les ténèbres du néant. – Vue de face, la statue est tout à fait à l'abri de la critique; de profil, elle est belle. L'œil est satisfait autant que le cœur. – La soutane est de l'effet le plus vrai, le mieux senti. – Par derrière, les plis du manteau retombent naturellement et sans contrainte.

Sur le socle sont indiqués trois bas-reliefs; celui de face représente le tombeau de l'abbé de l'Épée, auprès duquel la Charité, sous ses emblèmes, rend grâce à Dieu du nouveau moyen de soulagement offert à l'humanité. Ceux de droite et de gauche représentent les deux premiers élèves de ce maître dévoué.

Le travail de l'artiste est aussi beau que son désintéressement est honorable. Pour que son œuvre puisse être citée comme un des plus beaux ornements de la ville, qui déjà possède tant de richesses en ce genre, il attend impatiemment le moment où le modèle sera descendu, afin de pouvoir travailler à donner plus de légèreté aux plis du manteau, qui retombent sur le bras gauche. – Il a droit, désormais, à nos félicitations autant qu'à notre reconnaissance.

Le samedi 21 août 1841, M. le préfet de Seine-et-Oise se rendit, à trois heures de l'après-midi, dans la cour de l'Institution des sourds-muets de Paris. M. Remilly, maire de Versailles, et M. Delerot, l'un des adjoints, s'y trouvaient déjà, avec les membres du conseil municipal composant la commission d'examen du monument. Ils y furent reçus par une députation de membres de la commission des souscripteurs.

La visite dura une demi-heure, pendant laquelle ces Messieurs examinèrent attentivement la statue, et témoignèrent, plusieurs fois, leur satisfaction du talent avec lequel M. Michaut avait traité son sujet et su imprimer à sa figure le caractère de bienveillance, de douceur et de fermeté tout à la fois, qui est devenu le cachet historique du vénérable abbé de l'Épée.

Le piédestal sur lequel était placée, en ce moment, la statue, était loin de représenter exactement celui sur lequel elle devait être élevée à Versailles; celui-ci était hexagone, tandis que le projet définitif annonçait un piédestal carré, plus gros, plus haut, et faisant probablement ressortir la statue avec plus d'avantage.

Le 25 août, le Journal de Seine-et-Oise publiait l'article suivant, intitulé98: Impressions des sourds-muets en présence de la statue de l'abbé de l'Épée, dans la cour de l'Institution des sourds-muets de Paris:

«La statue de l'abbé de l'Épée, dont le modèle en plâtre est exposé dans la cour de l'Institution des sourds-muets de Paris, rue Saint-Jacques, nº 254, doit être coulée en bronze et orner une des places publiques de Versailles. C'est l'œuvre de M. Michaut, le célèbre graveur des monnaies. Ce tribut de reconnaissance nationale était un devoir pour la ville qui a vu naître un des plus illustres bienfaiteurs de l'humanité. Grâces soient rendues à la commission chargée de ce soin pieux, à cette commission qui a eu la louable idée de faire placer provisoirement ce monument, simple et majestueux, sur le théâtre des miracles de notre père spirituel. Il me semble inutile de décrire la profonde vénération, la vive reconnaissance qui, à son apparition soudaine, ont saisi les cœurs de tous ces enfants, anciens et nouveaux élèves de notre Institution, et de peindre l'avidité religieuse avec laquelle ils dévoraient des yeux les traits si chéris de leur Messie. Les aînés, je veux dire les plus anciens, racontaient en détail l'histoire de sa vie à leurs cadets, et ceux-ci la répétaient aux plus jeunes de leurs condisciples. De toutes parts, dans l'École, les crayons et les plumes étaient en mouvement. C'était à qui consacrerait quelques lignes, tracées d'inspiration, au sublime instituteur des sourds-muets; c'était à qui dessinerait ses traits, mélange heureux de noblesse et de bonté. Déjà la lithographie les a reproduits par centaines dans l'atelier même de l'établissement.

«Tous les yeux sont fixés sur cette image chérie. Que de sensations elle excite! Nos enfants s'extasient; leur cœur s'enflamme au souvenir de ce courage inébranlable, de ce sublime dévouement qu'il lui a fallu pour lutter avec avantage contre tant de préjugés injustes et puissants. Nos frères, se disent-ils, étaient retranchés, il y a soixante ans à peine, de la communion du monde moral et physique. Ils étaient repoussés impitoyablement, ou du moins dédaigneusement exclus du banquet de la vie, et marqués, pour ainsi dire, d'un signe visible du courroux céleste. On les fuyait comme des pestiférés. Il n'y avait pas jusqu'aux tendres mères qui ne fissent violence à leur affection pour ne pas blesser les regards de la multitude par le spectacle de cette infirmité. La foule criait arrière à ces innocentes victimes de l'ignorance, de la barbarie, condamnées à ne jamais savourer la coupe des jouissances communes, et cela parce qu'il avait plu à Aristote de les reléguer bien au-dessous des animaux les plus stupides! Oh! combien tout cela est changé maintenant! Tournons nos yeux sur nous-mêmes, regardons autour de nous, comparons-nous à eux! N'avons-nous pas de puissants motifs de bénir la mémoire de notre saint apôtre?

«Du milieu de tous ces groupes de muets s'échappe soudain un geste énergique. Qu'elle devienne la propriété de l'école, cette statue dont l'exécution répond si bien à toutes les sensations de nos cœurs, à toutes les pensées des admirateurs du génie, cette statue dont le travail honore le talent d'un modeste artiste! Ce vœu trouve de l'écho dans l'Institution entière. Mais, mes amis, leur a-t-on dit, à quoi pensez-vous donc? Ne voyez-vous pas que c'est une dette sacrée que Versailles a hâte d'acquitter envers le plus digne de ses enfants, envers l'abbé de l'Épée? La voyez-vous, cette ville des rois de France, tendant son casque et demandant l'aumône pour qu'on érige, au plus vite, le monument qu'elle a voté à notre grand instituteur? Elle ne repoussera pas l'obole des orphelins qu'il a laissés ici-bas. Leur place est, au premier rang, dans la fête qui se prépare. Patience donc, mes amis! Votre tour ne peut manquer de venir. L'École doit posséder aussi une image de l'abbé de l'Épée. Pour Versailles doit être le grand homme, la statue monumentale! Pour vous, le bienfaiteur modeste, l'instituteur qui préside à vos jeux, à vos travaux, à vos espérances! Vous l'aurez, vous dis-je; patience, mes amis! car à Versailles, au noble berceau de notre père, doit appartenir l'exemple de tous les hommages.

«Qu'il me soit permis, après avoir traduit aussi fidèlement que possible les sentiments si naïfs de mes jeunes frères, d'enregistrer ici une réponse touchante qu'il y a cinq jours, à la distribution de nos prix, une jeune sourde-muette, Aimée Duval, élève de Mlle Barbier99, a faite à cette question:

«Quel sentiment éprouvez-vous en voyant la statue de l'abbé de l'Épée dans l'Institution des sourds-muets?»

«En voyant ici l'image de celui qui a tant fait pour nous, nous croyons voir un bon père au milieu de ses enfants. Avant que l'abbé de l'Épée se fût occupé de nous, combien notre sort était triste et malheureux! nous ne connaissions ni notre Dieu, ni nos devoirs. Aujourd'hui, nous ne sommes plus séparés du reste de la société, et nous savons que, si nous obéissons toujours à la loi de Dieu, nous serons aussi heureux dans le ciel que ceux qui ont toutes leurs facultés. Soyez mille fois béni, vous qui avez été, pour nous, comme un second père, vous à qui nous devons plus que la vie! Jamais nous ne contemplerons vos traits sans un vif sentiment d'amour et de reconnaissance. Nous savons que vous êtes au ciel, où vous jouissez du bien que vous avez fait à tant de malheureux; que la plus douce récompense pour votre belle âme est de voir les sourds-muets pratiquer toutes les vertus, et que nous ne pouvons mieux vous prouver notre reconnaissance qu'en remplissant tous nos devoirs. Si jamais nous étions tentés de nous en écarter, votre pensée viendrait nous retenir, et c'est ainsi que vous ne cesserez jamais d'être le bienfaiteur des sourds-muets.»

M. Saint-Denis, dans sa lettre du 10 octobre 1841, au président de la commission du monument, s'engageait: 1º à faire transporter le modèle en plâtre de la statue de l'abbé de l'Épée, qui se trouvait dans la cour de l'Institution des sourds-muets, rue des Trois-Bornes, nº 15, afin de l'y mouler en deux parties seulement;

2º A le couler en bronze, qu'il garantissait composé de 84 livres cuivre pur de Russie et 16 livres de blanc (qui pourrait, d'ailleurs, être essayé par expert sur la statue même);

3º A la faire réparer avec tous les soins convenables, sous la direction de M. Michaut, et, enfin, à la faire transporter à Versailles et placer sur son piédestal, avec toutes les précautions et solidités nécessaires; le tout, pour la somme de six mille francs.

Il s'engageait, en outre, si on l'exigeait, à la livrer, toute terminée, deux mois après le jour de l'arrivée du modèle dans sa fonderie.

Le maire de Versailles annonça, le 17 décembre, à M. le baron de Fresquienne, qu'il avait adressé à M. le préfet la délibération du conseil municipal du 8 novembre, ayant pour objet l'érection de la statue de l'abbé de l'Épée sur le point de jonction des rues Royale et d'Anjou. M. le préfet était tout disposé à soumettre cette délibération à l'approbation de M. le Ministre de l'intérieur; mais, auparavant, il lui paraissait nécessaire d'être parfaitement fixé sur le montant de la dépense, ainsi que sur les moyens d'y pourvoir.

A l'ouverture de la dixième séance de la commission, le 19 mars 1842, M. le président a annoncé que la statue n'avait pu être exposée au Louvre ni à Versailles, à cause des frais de transport et de la fragilité du plâtre, mais que l'exposition avait eu lieu à l'Institution des sourds-muets, en vertu de l'autorisation de M. le Ministre de l'intérieur.

Il a fait connaître, de plus, que M. le préfet du département avait bien voulu accepter la présidence d'honneur et faire espérer son concours le plus efficace à la commission. Ce patronage lui permettait, en conséquence, de se dispenser d'adjoindre des propriétaires éminents du département à l'accomplissement du projet qu'elle poursuivait avec zèle, la sollicitude de M. le préfet lui ayant fait obtenir, en outre, de M. le Ministre de l'intérieur, une somme de 3,000 francs, pour faire face aux dépenses de la fonte de la statue.

«Le 21 août, a dit ensuite M. le président, M. le préfet, M. le maire, des membres de la commission municipale et de la commission du monument se sont rendus à l'Institution des sourds-muets pour examiner la statue. D'autres personnages éminents s'y sont rendus aussi. Le 8 novembre, le conseil municipal a adopté la statue, et décidé qu'elle serait posée à la croix des rues Royale et d'Anjou, mais à condition que des corrections y seraient faites… Depuis, il a été transmis à M. le préfet un état de prévision des dépenses, pour éclairer M. le Ministre de l'intérieur sur l'autorisation à accorder à l'emplacement de la statue. Le 4 mars, M. le maire a mis l'architecte de la ville à la disposition du bureau, pour aviser, de concert avec lui, à la réalisation des projets de la commission…»

Déjà elle avait accepté les offres de M. Saint-Denis, mais à la condition qu'elles ne l'engageraient, à son égard, que lorsque les corrections à faire par l'artiste auraient été exécutées, et il était bien entendu que le moulage n'aurait lieu que sur l'avis écrit du président, et après l'approbation de la commission.

M. le trésorier lui communique la situation de son avoir.

M. le président rappelle que plusieurs appels de fonds pourraient amener des résultats: 1º chez les habitants du quartier Saint-Louis, qui voyaient avec plaisir les décisions du conseil et de la commission, 2º près des évêques de France, 3º près des établissements de sourds-muets qui avaient fait des promesses, 4º près de MM. les présidents de chambre des notaires d'arrondissements, 5º enfin, près de MM. les correspondants de la commission.

Dans la onzième séance du 17 décembre, le président d'honneur, M. le préfet Aubernon, proposa de s'occuper, avant tout, des moyens financiers à la disposition de la commission. – Il fut décidé que le bureau provoquerait immédiatement les rentrées en retard, par des lettres adressées aux personnes et aux chefs d'établissements mentionnés ci-dessus.

Puis, la commission arrêta ce qui suit:

«La statue sera immédiatement mise à la disposition du fondeur, pour être moulée et coulée. Elle sera, par l'entremise du bureau, au nom de la commission des souscripteurs, offerte à la ville de Versailles; le maire et le conseil municipal de cette ville seront priés de prêter leur concours, par une mise de fonds, qui, tout en facilitant l'achèvement du monument, sera un signe de l'hommage rendu par la ville à l'abbé de l'Épée.»

95.Voyez le prospectus à la note S.
96.Selon toutes les probabilités, ce nombre ne peut être évalué au-dessus de 24,000.
97.M. Ad. de Lanneau, ancien maire du XIIe arrondissement de Paris.
98.Il m'avait été demandé par un membre de la commission chargée de l'érection du monument.
99.Dame professeur a l'Institution nationale des sourds-muets de Paris.