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Czytaj książkę: «Madame Corentine», strona 9

Czcionka:

XV

Sous l'averse moins violente, madame Corentine suivait la route de Perros. Sa robe, détrempée de pluie, lui collait aux jambes et gênait sa marche. Le vent soufflait de terre, et la poussait le long des talus qu'elle distinguait à peine. Elle ne songeait guère à la fatigue. Que lui importait? C'était l'âme qui souffrait le plus. Oh! cette après-midi, cette soirée, comme elle les revivait douloureusement! Rebutée, renvoyée, elle qui était venue, dans un élan de tout son être, si vrai, chercher le pardon du passé! Que fallait-il donc pour les toucher? En quel mépris ils la tenaient, après dix ans! Encore s'il n'y avait eu que les paroles blessantes de madame Jeanne! Mais le silence incompréhensible de Guillaume, voilà ce qui la torturait.

«Que pouvais-je faire mieux? disait-elle tout haut. Quoi encore? J'ai tout fait, tout. Et ils n'ont pas eu pitié!»

Elle avait attendu, en effet, rôdant autour de la maison, que la nuit fût tombée. Aux approches de l'heure où son mari se retirait dans sa chambre, elle s'était cachée tout près, dans la ruelle déserte qui borde le jardin et s'enfonce à travers la campagne. Elle connaissait le bruit doux que faisait le contrevent en tournant. Elle l'avait entendu, net dans la nuit pluvieuse, au delà du mur. Elle avait aperçu la lueur d'une lumière sur la corniche du toit. Guillaume était donc là. Elle avait appelé. Et tout son cœur était plein de la réponse désirée, du mot qui devait la sauver: «Corentine!» Hélas! elle avait répété l'appel, d'abord en face de la fenêtre, puis le long du verger, puis dans la rue du Pavé-Neuf, près du salon. Elle avait tourné autour de l'hôtel, implorant une réponse, espérant toujours. Et l'humiliation avait été vaine, la souffrance vaine, l'espérance vaine.

Toute seule, sur cette route bordée de talus d'ajoncs, elle allait vers son père, qui ne pourrait la consoler, vers sa fille, qui ne devait rien savoir. Et se voyant réduite là, par la dureté de ceux qu'elle avait été chercher, elle sentait passer en elle des réveils de l'ancienne colère. Elle se repentait de sa bonté, elle jurait de ne plus jamais se prêter à aucune réconciliation, se mît-on à genoux devant elle pour l'implorer à son tour. Mais cela ne durait qu'un instant. C'était plutôt en elle un grand chagrin, une impression d'abandon et le martèlement douloureux de cette question, toujours revenue: «Comment ne l'ai-je pas touché, lui du moins, lui qui m'a aimée?»

Elle ne trouvait point de réponse, si ce n'est qu'on la rejetait à jamais au delà de la mer, dans l'exil. Et cela lui semblait horrible, maintenant, cette vie à Saint-Hélier, qu'il allait falloir reprendre.

Parfois la pensée de la nuit et de l'heure la prenait, quand le vent secouait les buissons, quand les chiens, au loin, hurlaient. Alors elle se hâtait, portée par la peur, par la fièvre qui l'empêchaient de sentir le froid.

Il était plus de minuit lorsque, exténuée, madame Corentine s'engagea, au bas de la côte de Saint-Quay, entre les premières maisons du port de Perros. Elle fut ressaisie par de très anciennes timidités de bourgeoise, et s'efforça de ne plus faire de bruit en marchant, de crainte d'attirer l'attention. Que dirait-on de l'apercevoir à cette heure, trempée de pluie, seule sur les routes? Mais toutes les fenêtres étaient closes. Un douanier faisait le quart, enveloppé dans son manteau. Elle attendit, pour traverser la petite place, qu'il se fût éloigné.

Le vieux Guen veillait dans la salle basse. Il devinait que les choses avaient mal tourné. Jusque très tard dans la soirée, il était resté à causer, près de la cheminée, avec Simone. Il n'avait pu se retenir de lui parler de ce sujet qui l'occupait tout entier, et ce que lui avait dit la petite lui semblait si bien pensé, si brave, si fort au-dessus, croyait-il, d'une fille de quinze ans, que maintenant qu'elle était remontée là-haut, il ne cessait de songer à elle.

Au coup frappé par Corentine, il se leva brusquement, et vint ouvrir.

Quand il l'aperçut, pâle, haletante, les vêtements tachés de boue, il comprit, et dit, avec une grande pitié dans la voix:

– Entre, ma Corentine, assieds-toi. Comme tu arrives tard!

Il l'avait prise par la taille, et l'amenait vers la chaise qu'avait laissée Simone. Puis il enlevait le mantelet tout mouillé, et jetait sur le feu une brassée de bois.

– Chauffe-toi, approche-toi. Tiens, comme ceci.

Mais son orgueil de petite tête folle avait ressaisi Corentine. Elle passa la main sur son visage, pour écarter les cheveux collés à ses joues, et, regardant le père, elle dit, avec un rire forcé, qui tremblait:

– Eh bien! je n'ai pas réussi!

– L'as-tu vu?

– J'ai vu madame Jeanne. Je vous assure qu'elle n'a pas changé. C'est la même femme qui nous déteste, moi, vous, nous tous. J'ai eu grand tort d'écouter tout le monde et d'aller vers ces gens-là!

Elle avait l'air de reprocher son insuccès au vieux Guen, qui s'était assis près d'elle et, tantôt la regardait, tantôt rassemblait, du bout d'une pelle, les rames de bois brûlées en leur milieu. Il resta très doux, et répondit:

– Ce que tu faisais était bien, pourtant.

– J'en suis récompensée, vous voyez! Des injures, le mépris: voilà ce que j'en ai retiré.

– Cela ne m'étonne pas beaucoup d'elle, ma petite. Madame Jeanne n'a jamais été bien disposée pour toi. Mais lui, mon enfant?

– Il n'a pas paru.

– Peut-être il n'était pas là?

– Si! si! il était là, je le sais, et il n'est pas venu!

– Pauvre petite! dit Guen.

Il la considéra un moment, comme la chose la plus triste, la plus faible, la plus à plaindre qu'il eût vue. Puis il reprit:

– Alors, pourquoi es-tu rentrée si tard? Tu devais revenir avant le dîner, en voiture?

Elle rougit. Au coin de ses lèvres, deux plis se creusèrent. Elle renversa un peu la tête en arrière, puis de côté, et, la laissant retomber sur l'épaule de son père, elle dit, en sanglotant:

– Je ne puis pas vous dire… non, pas en ce moment… laissez-moi pleurer…

Et lui, qui n'avait guère l'habitude de ces menues attentions, il s'arrangea pour qu'elle pût mieux pleurer, sans honte, à moitié cachée dans le pli de sa veste brune et soutenue d'un bras, très doucement. Il la traita comme une enfant, se bornant à répéter: «Pauvre! pauvre!» Et cela voulait dire: «Pleure, va, tu es à l'abri. Je t'aime bien. Je suis vieux, Corentine. Mais tu ne pèses guère: appuie-toi.» Elle s'abandonnait à cette tendresse; pour la première fois depuis longtemps elle avait besoin de lui. Il le sentait. Et cela lui était une douceur incroyable.

Quand il la vit apaisée et les nerfs détendus, il la releva:

– A présent, dit-il, tu vas monter dans ta chambre. Fais attention: Simone dort.

– Ah! oui, Simone, fit-elle, comme si elle avait oublié la présence de sa fille.

– Il faudra nous la laisser, fit gravement le capitaine.

– La laisser? Y pensez-vous? Après cela?

Elle se retrouvait tout entière, avec son accent impérieux, son air de lutte et de révolte.

– Oui, dit Guen tranquillement. D'abord, tu l'as promis.

– A qui, je vous prie?

– A elle.

– Je voudrais voir qu'elle me le rappelât, par exemple! Demander à revoir son père, ma fille, après ce qui vient de m'être fait!

– Mais elle ne sait rien, Corentine. Elle serait excusable.

– C'est vrai.

– Et puis, ce n'est pas elle qui te le demande, mon enfant, c'est moi!

– Vous, père? Vous voulez?..

– Oui, je veux.

Elle fixait, stupéfaite, les yeux ardents, ce vieux père qui lui tenait tête sans se fâcher ni s'émouvoir, avec une conviction grave. Elle était si peu habituée à l'entendre parler de la sorte!

– Vois-tu, continua-t-il, je la connais bien ta Simone, à présent. Elle est capable de faire ce que nous ne ferions pas, ni toi, ni moi.

– Pauvre innocente!

– C'est peut-être à cause de cela, justement, Corentine. Laisse-la aller. J'ai idée qu'elle trouvera des moyens. Quand ils la verront, si belle comme elle est, et si facile à aimer…

Madame Corentine lui prit le bras, brusquement:

– Mais vous ne comprenez donc pas qu'ils la garderont!

– La garder?

– Eh! oui, la garder. Ils sont capables de tout!

Le vieux se leva tout d'une pièce, le visage et la voix rudes pour la première fois.

– Capables de tout, je veux bien, dit-il. Mais elle, ta fille, tu ne la connais pas!

– Allons donc!

– Non, tu ne la connais pas! Si elle te dit qu'elle reviendra, tu peux avoir confiance, elle reviendra, et elle t'en aimera mieux, de ne pas l'avoir traitée comme une enfant qu'elle n'est plus.

– Et s'ils la chassent? dit-elle, mobile comme toujours, et sans voir la contradiction.

– Je serai là, moi, Corentine, pour te la ramener. Et alors, jamais je ne demanderai plus rien. Je te le promets. Mais, essaye encore, dis, essaye par notre Simone, qui ne saura pas tout, mais qui devinera, s'il le faut, et qui peut-être, peut-être…

Sa voix se fit un peu tremblante:

– Tiens, Corentine, fais-le pour moi, qui ai toujours regretté ton mari!

Et telle était la fatigue morale et physique de Corentine, telle aussi la supplication douloureuse du père, que la jeune femme baissa la tête, et dit:

– Je ne sais plus ce que je veux. Faites ce que vous voudrez: je la laisserai.

XVI

Quand Marie-Anne apprit que le projet était accepté, le lendemain, au réveil, elle eut, regardant le père qui lui parlait à voix basse, la même expression de ravissement qu'elle avait eue en apprenant la bonne nouvelle pour Sullian. Son fils dormait près d'elle. Guen, assis au pied du berceau, près du lit, avait l'air heureux, comme si on lui eût annoncé qu'il allait rajeunir de trente ans et reprendre le commandement de l'Armide.

Ce fut même une force pour madame Corentine, ce contentement où elle laissait les siens. Sa résolution prise, elle l'exécuta avec une hâte et une rigueur que personne ne lui eût demandées. Elle abandonna sa fille au grand-père. Elle partit sans pouvoir ni préparer ni juger cette tentative qu'allait faire son enfant. Dès le lendemain, elle louait une voiture qui la conduisait, sans toucher Lannion, à Plouaret. De là, ne voulant pas refaire seule toute la route qu'elle avait parcourue avec Simone, elle se rendit à l'un des ports voisins, et le petit cutter anglais qui, chaque semaine, vient chercher à Portrieux des œufs et des fruits pour Jersey, la prit à bord, et l'emmena.

Simone resta plusieurs jours à Perros. Puis, par une après-midi chaude de la fin d'août, un jour qu'elle se sentait plus de courage, ayant songé, prié, longuement causé avec sa tante devenue son intime amie, elle monta dans la carriole qui l'avait déjà menée au Pardon de la Clarté. Sa malle était ficelée à l'arrière. Le vieux Guen tenait les rênes. Au moment où il allait donner le coup de fouet du départ, Simone sauta à terre.

– Attendez! dit-elle, j'ai oublié!

Elle remonta en courant l'escalier.

– Tante Marie-Anne, j'ai oublié d'embrasser Sullian!

Elle se pencha, le cœur battant de sa course folle, au-dessus de l'enfant qui dormait, contempla une minute, avec un air de jeune mère, ce visage d'où rayonnait la paix inconsciente et profonde, le baisa au front, se releva:

– Ces petits-là, ça porte bonheur! dit-elle.

Et quand elle descendit, elle avait une assurance tranquille, qui ressemblait à celle du petit Sullian.

XVII

Tous deux, secoués par la carriole, ils montaient et dévalaient les coteaux familiers de la route. Le soleil épuisait, au fond des grappes de bruyères sèches et sur les dernières fleurs de ronces, un reste de parfum d'été qui s'en allait vers les terres, poussé par un vent doux. Les cimes des bois de pins luisaient comme des aigrettes. Ils n'y prenaient garde ni l'un ni l'autre. Guen conduisait distraitement. Il lui en coûtait de se séparer de Simone. Il se demandait aussi quel accueil serait fait à l'enfant, et l'envie lui prenait de tourner bride. Tout au moins, il eût voulu être là, quand elle entrerait, pour la protéger de sa présence, en imposer, – il le croyait, – à madame Jeanne, et, au moindre mot, ramener Simone dont la jeunesse ne serait pas, ne pourrait jamais être aimée là comme au logis de Perros. Mais la petite ne voulait pas. Elle avait dit: «Je désire être seule, grand-père. Attendez-moi deux heures près du marché au sable. Si je ne reviens pas, c'est qu'on m'aura bien reçue, et vous aurez de mes nouvelles demain matin.»

Les pensées du capitaine ne sortaient point de ce petit cercle d'amour. Il songeait à peine à Corentine. En vérité, cette confiance de Simone, calme et rose auprès de lui, l'étonnait. Il ne se rappelait plus, étant trop vieux, quelle force c'est d'ignorer, et d'être toute jeune, et de n'avoir en soi rien de brisé.

Pourtant, lorsqu'elle se trouva seule au bas de la rue du Pavé-Neuf, et qu'elle aperçut les volets bruns derrière lesquels son père et madame Jeanne vivaient, Simone hésita. Elle monta lentement les cinquante mètres qui la séparaient de la porte, effrayée de n'avoir pas préparé ce qu'elle allait dire. Et quand elle eut tiré la poignée de fer forgé de la sonnette, il lui sembla que tout Lannion, averti, avait les yeux sur elle, et regardait.

Ce fut Fantic, la noire, qui vint ouvrir.

– M. L'Héréec?

Simone n'osa pas dire: «Mon père?»

Mais la fille, qui l'avait élevée, la reconnut. Elle se recula, livide, comme si elle avait vu une morte apparaître, et, perdant la tête, les mains levées, elle s'enfuit en criant:

– Ciel adorable! voilà notre demoiselle à présent!

Simone avança, par l'allée sablée, jusqu'au milieu de la façade. Là elle trouva Gote, la blanche, la vieille Trégoroise inféodée à madame Jeanne. Gote était accourue aux exclamations de sa compagne et servante Fantic. Elle venait se rendre compte et défendre sa maison, avec son air de maîtresse, bourrue, et le ventre en avant, barrant la porte.

– Mon père est-il ici? demanda Simone.

– Il n'y est pas.

– Doit-il rentrer bientôt?

– Je ne sais pas.

– Et ma grand'mère?

Pour le coup, le visage impassible et dur de Gote exprima la stupeur. Oser demander madame Jeanne?

– Elle n'y est pas non plus, répondit-elle.

– C'est bien: j'entre et j'attendrai, fit Simone.

Intimidée par le ton résolu de Simone, Gote s'effaça à moitié le long du mur, et demeura immobile, tandis que la jeune fille ouvrait elle-même la porte du salon, et disparaissait.

Simone alla s'asseoir au fond, sur le canapé. Émue de ce premier accueil hostile de la vieille bonne, plus qu'elle ne l'aurait voulu, les narines serrées, comprimant de sa main les battements trop vifs de son cœur, elle tâchait de se remettre, en parcourant du regard ce mobilier qu'elle retrouvait dans le même ordre, aussi clairsemé le long de la tapisserie, comme elle se l'était souvent représenté, de souvenir. Mais, involontairement, ses yeux se tournaient vers la fenêtre. Qui allait-elle voir le premier? Son père ou madame Jeanne? Elle voyait déjà celle-ci entrer, l'air impérieux, ses deux papillotes blanches toutes raides au bord de sa coiffe. Et puis c'étaient les domestiques, dont elle entendait le chuchotement à travers les longs espaces endormis de cette maison. L'émotion ne faisait que grandir. Jamais Simone ne s'était sentie si dépourvue de moyens.

Elle attendait ainsi, inconsciente de la durée, frémissante au moindre bruit, quand la porte s'ouvrit brusquement. Son père entra. Elle s'était levée. Il ne jeta qu'un regard sur elle. Puis, comme s'il allait défaillir, il s'appuya, fermant à demi les yeux, contre la porte dont il tenait la poignée.

Alors Simone s'avança:

– Bonjour, mon père!

Il ouvrit les bras, poussa un grand soupir, et la tint embrassée.

Et elle ne bougea plus, écoutant la réponse de ce cœur d'homme qui battait puissamment contre le sien, comprenant que cet accueil muet valait mieux que toutes les paroles, sûre d'avoir bien fait, récompensée quoi qu'il advînt. Toute cachée sur l'épaule de son père, elle ne le voyait pas. Lui non plus ne songeait pas encore à la revoir. Il la tenait là, sa fille, son sang, l'être cher séparé de lui trop longtemps, la jeunesse qui rentrait.

Enfin ils s'écartèrent l'un de l'autre.

– Ah! Simone, dit le père, que tu me fais de bien! D'où viens-tu?

– De Perros. Grand-père m'a amenée.

– Quelle bonne idée tu as eue! Asseyons-nous là, veux-tu, où tu étais?.. Tu m'as attendu?

– Un peu, je crois, je ne sais pas.

– Moi qui ne me doutais pas! Tu aurais dû écrire.

– A quoi bon?

– C'est vrai, à quoi bon?.. Tu es grande à présent! M. Guen va bien?

– Très bien.

Il la dévorait des yeux, maintenant, assis en face d'elle sur une chaise, à contre-jour. Il s'était mis là pour la mieux voir, un peu penché en avant, les mains jointes sur les genoux, sa figure sérieuse éclairée d'un sourire, et juste à la même hauteur que celle de sa fille. On eût dit qu'il découvrait son enfant, cette robe, ce cou, cette coiffure, ce bout de dentelle. Il parlait, mais ce qu'il disait n'avait pour lui qu'une importance médiocre, et les réponses traversaient comme une partie vague, non encore attentive de son esprit. Simone, au contraire, tout heureuse qu'elle fût, et fière de ce long éloge qu'elle lisait dans les yeux de son père, ne pouvait s'empêcher de remarquer la navrante banalité des mots qu'ils échangeaient. M. L'Héréec n'avait pas demandé des nouvelles de sa femme. Il évitait de la mêler à cette entrevue d'où elle n'était pas absente, cependant. L'enfant devinait, elle voyait que la pensée de la mère était là, entre eux deux. Ils faisaient effort l'un et l'autre, lui par habitude, elle douloureusement et par discrétion, pour ne pas la nommer. Et tout de suite cela les réduisait à un bavardage d'étrangers.

Simone ne pouvait comprendre, d'ailleurs, les sentiments multiples qu'éprouvait son père en ce moment, l'un surtout, la peur de la voir s'échapper, de la perdre, de retomber dans la solitude, après cette apparition radieuse. Il ne savait pas pour combien de temps elle était venue. La question avait dix fois expiré sur ses lèvres, de crainte de cette réponse: «Mais, je retourne. Adieu, grand-père m'attend.»

Enfin, il s'enhardit. Ils causaient depuis une demi-heure au moins.

– Simone, est-ce que… est-ce que tu repars ce soir?

– Non, mon père, si vous voulez…

– Si je veux, Simone! Alors ce n'est pas une visite?

– Bien mieux qu'une visite. J'ai pensé, et ma mère a pensé, – elle le regarda en disant ce mot, et elle s'aperçut qu'il avait baissé les yeux comme sous une douleur vive, – que je ne pouvais passer en Bretagne sans vous donner au moins plusieurs jours. Je souffrais de ne plus vous connaître…

Il répondit, sans changer d'attitude, à demi-voix, confus devant elle:

– J'en ai souffert aussi, va, mon enfant. Mais je me croyais oublié, tu comprends, je n'osais pas t'imposer… La maison n'est pas très gaie… Enfin, puisque ton cœur t'a conduite, je te remercie.

Il leva sur elle ses yeux où brillait une joie encore inquiète.

– Tu restes?

– Oui, je reste. J'ai fait apporter mes bagages au pont de Viarmes.

– En effet, il faudrait les envoyer prendre… tu n'as pas vu ta grand'mère?

– Non, elle est sortie.

– En effet, à cette heure-ci…

Et M. L'Héréec ajouta, avec un sourire triste:

– C'est que, vois-tu, pour désigner ta chambre, pour tous les détails de service, c'est elle qui commande ici… Moi, je suis un peu son pensionnaire…

Il y eut un silence, pendant lequel ils pensèrent tous deux à madame Jeanne.

Un bruit de voix dans le jardin fit se détourner M. L'Héréec. Et, derrière les vitres, dehors, il aperçut sa mère qui le regardait.

La coiffe de la vieille Gote, à côté, dépassait à peine le bourrelet de glycine.

– La voici, dit-il.

Ils étaient debout l'un près de l'autre, quand elle entra doucement, son mantelet de soie sur le bras, grande, les yeux dans l'ombre de sa coiffe de Tréguier. Madame Jeanne ferma la porte, et s'arrêta à quelques pas, comme si elle venait seulement de découvrir la présence de Simone.

Un peu pâle, interdite, Simone marcha en glissant. Elle essaya de dire avec un sourire:

– C'est moi, grand'mère!

Et elle se haussa sur les pieds, pour l'embrasser au front.

Madame Jeanne ne lui rendit pas sa caresse. Elle n'eut pas même l'air de l'avoir reçue. Elle ne quittait pas des yeux Guillaume, son fils, resté près du canapé, et c'était bien à lui, au fond, qu'elle s'adressait, quand elle dit, de ce ton glacé que les émotions vives lui donnaient:

– Je suppose, Simone, que vous êtes seule ici?

– Oui, dit Simone en s'écartant un peu, toute seule. Ma mère est repartie.

Elle souffrait affreusement d'être obligée de dire cela. Elle regarda son père qui n'avait plus la même physionomie. Très froid d'apparence, comme sa mère, et l'œil aussi ferme maintenant, il dit avec lenteur, en caressant sa barbe:

– Je suis content qu'elle soit venue, mère. Elle a été conduite par son bon cœur. Elle vient passer plusieurs jours avec nous, comme autrefois.

Madame Jeanne comprit, à l'expression qu'il avait, que le Breton de race forte parlait en ce moment.

– C'est bien, dit-elle simplement. Tu n'as pas fait préparer une chambre?

– Je vous ai attendue.

– Alors, je vais m'en occuper. Nous nous retrouverons tout à l'heure, à dîner.

Quand elle fut sortie, M. L'Héréec et Simone s'approchèrent ensemble de la fenêtre, gênés.

– Simone, dit le père en prenant la main de l'enfant, il ne faut pas t'étonner ni te froisser… Ta grand'mère est un peu rude… Elle a eu des chagrins qui l'ont aigrie… Et puis elle ne te connaît guère… Ne fais pas attention… Elle est très bonne, je t'assure. Tu ne saurais croire le dévouement qu'elle a montré pour moi.

Et il expliqua, tenant toujours la main de Simone, comment madame Jeanne et lui vivaient dans l'hôtel de Lannion, quelles prévenances elle avait, quelle entente des choses du ménage et du commerce même, quelle situation honorable parmi les gens de la ville. Et plus il montrait, voulant défendre sa mère, la grande place qu'elle tenait dans sa vie, plus la pauvre Simone se sentait envie de pleurer.

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Data wydania na Litres:
30 czerwca 2017
Objętość:
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