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Czytaj książkę: «Mémoires pour servir à l'Histoire de France sous Napoléon, Tome 1», strona 13

Czcionka:

§ VIII

Le quartier-général de l'armée autrichienne était à Turin; mais la moitié des forces ennemies était devant Gênes, et l'autre moitié était supposée, et était effectivement en chemin pour venir par le col de Tende, renforcer les corps qui étaient à Turin. Dans cette circonstance, quel parti prendra le premier consul? marchera-t-il sur Turin, pour en chasser Mélas, se réunir avec Turreau et se trouver ainsi assuré de ses communications avec la France et avec ses arsenaux de Grenoble et de Briançon? jettera-t-il un pont à Chivasso, profitant des barques que la fortune a fait tomber en son pouvoir? et se dirigera-t-il à tire-d'aile sur Gênes pour débloquer cette place importante? ou bien, laissant Mélas sur ses derrières, passera-t-il la Sésia, le Tésin, pour se porter sur Milan et sur l'Adda, faire sa jonction avec le corps de Moncey, composé de 15,000 hommes, qui venaient de l'armée du Rhin, et qui avaient débouché par le Saint-Gothard?

De ces trois partis, le premier était contraire aux vrais principes de la guerre, puisque Mélas avait des forces assez considérables avec lui: l'armée française courait donc la chance de livrer une bataille, n'ayant pas de retraite assurée; le fort de Bard n'étant pas encore pris. D'ailleurs, si Mélas abandonnait Turin et se portait sur Alexandrie, la campagne était manquée, chaque armée se trouvait dans une position naturelle: l'armée française appuyée au Mont-Blanc et au Dauphiné; et celle de Mélas aurait eu sa gauche à Gênes: et derrière elle les places de Mantoue, Plaisance et Milan.

Le deuxième parti ne paraissait pas praticable: comment s'aventurer au milieu d'une armée aussi puissante que l'armée autrichienne, entre le Pô et Gênes, sans avoir aucune ligne d'opération, aucune retraite assurée?

Le troisième parti, au contraire, offrait tous les avantages: l'armée française, maîtresse de Milan, on s'emparait de tous les magasins, de tous les dépôts, de tous les hôpitaux de l'armée ennemie; on se joignait à la gauche que commandait le général Moncey; on avait une retraite assurée par le Simplon et le Saint-Gothard. Le Simplon conduisait sur le Valais et sur Sion, où l'on avait dirigé tous les magasins de vivres pour l'armée. Le Saint-Gothard conduisait sur la Suisse, dont nous étions en possession depuis deux ans, et que couvrait l'armée du Rhin alors sur l'Iller? Dans cette position, le général français pouvait agir selon sa volonté: Mélas marchait-il avec son armée réunie de Turin, sur la Sésia et le Tésin; l'armée française pouvait lui livrer bataille avec l'immense avantage que, si elle était victorieuse, Mélas, sans retraite, serait poursuivi et jeté en Savoie; et, dans le cas où l'armée française serait battue, elle se retirait par le Simplon et le Saint-Gothard. Si Mélas, comme il était naturel de le supposer, se dirigeait sur Alexandrie pour s'y réunir à l'armée qui venait de Gênes, on pouvait espérer, en se portant à sa rencontre, en passant le Pô, de le prévenir et de lui livrer bataille. L'armée française, ayant ses derrières assurés sur le fleuve et Milan, le Simplon et le Saint-Gothard; tandis que l'armée autrichienne, ayant sa retraite coupée, et n'ayant aucune communication avec Mantoue et l'Autriche, serait exposée à être jetée sur les montagnes de la rivière du Ponent, et entièrement détruite ou prise au pied des Alpes, au col de Tende et dans le comté de Nice. Enfin, en adoptant le troisième parti, si une fois maître de Milan, il convenait au général français de laisser passer Mélas, et de rester entre le Pô, l'Adda et le Tésin; il avait ainsi, sans bataille, reconquis la Lombardie et le Piémont, les Alpes maritimes, la rivière de Gênes, et fait lever le blocus de cette ville: c'étaient des résultats assez beaux.

Un corps de 2,000 Italiens réfugiés, commandé par le général Lecchi, s'était porté, le 21 mai, de Châtillon sur la haute Sésia. Ce corps eut un combat avec la légion de Rohan, la battit; et vint prendre position aux débouchés du Simplon, dans la vallée de Domo-d'Ossola, afin d'assurer les communications de l'armée par le Simplon.

Le 27, le général Murat se dirigea sur Verceil et passa la Sésia.

Le 31 mai, le premier consul se porta rapidement sur le Tésin; les corps d'observation, que le général Mélas avait laissés contre les débouchés de la Suisse, et les divisions de cavalerie et d'artillerie qu'il n'avait pas menées avec lui au siége de Gênes, se réunirent pour défendre le passage du fleuve et couvrir Milan. Le Tésin est extrêmement large et rapide.

L'adjudant-général Girard, officier du plus haut mérite et de la plus rare intrépidité, passa le premier le fleuve. Le combat fut chaud toute la journée sur la rive gauche. L'armée française n'avait pas de pont, elle passait sur quatre nacelles: mais comme le pays est très-coupé et boisé, et que l'on était favorisé par la position du Naviglio de Milan, la cavalerie ennemie ne s'engagea qu'avec répugnance sur un tel terrain.

Le 2 juin, le premier consul entra dans Milan; il fit aussitôt cerner la citadelle. Le général Lannes, avec l'avant-garde, s'était mis en marche forcée le 30; et, laissant un corps d'observation sur la gauche de la Dora Baltéa, et une garnison dans Ivrée, il marcha en toute hâte sur Pavie, où il entra le 1er juin. Il y trouva des magasins considérables et deux cents bouches à feu, dont trente de campagne.

Cependant, le 4, la division Duhesme entra à Lodi; le 15, elle cerna Pizzighitone, sa cavalerie légère occupa Crémone: l'alarme fut bientôt dans Mantoue, désapprovisionnée et sans garnison. Le corps de Moncey, avec 15,000 hommes de l'armée du Rhin, arriva à Belinzona le 31 mai.

On se peindrait difficilement l'étonnement et l'enthousiasme des Milanais, en voyant arriver l'armée française: le premier consul marchait avec l'avant-garde, de sorte qu'une des premières personnes qui s'offrit aux regards des Milanais, que l'enthousiasme et la curiosité faisaient arriver par tous les chemins détournés au-devant de l'armée française, fut le général Bonaparte. Le peuple de Milan ne voulait pas le croire: on avait dit qu'il était mort dans la mer Rouge, et que c'était un de ses frères qui commandait l'armée française.

Du 2 au 8 juin, c'est-à-dire, pendant six jours, le premier consul fut occupé à recevoir les députations, et à se montrer aux peuples accourus de tous les points de la Lombardie, pour voir leur libérateur. Le gouvernement de la république cisalpine fut réorganisé; mais un grand nombre des plus chauds patriotes italiens gémissaient dans les cachots de l'Autriche. Le premier consul adressa à l'armée la proclamation suivante.

ARMÉE DE RÉSERVE
Milan, le 17 prairial an VIII.
LE PREMIER CONSUL A L'ARMÉE

Soldats!

Un de nos départements était au pouvoir de l'ennemi; la consternation était dans tout le midi de la France.

La plus grande partie du territoire du peuple ligurien, le plus fidèle ami de la république, était envahie.

La république cisalpine, anéantie dès la campagne passée, était devenue le jouet du grotesque régime féodal.

Soldats! vous marchez… et déja le territoire français est délivré! La joie et l'espérance succèdent, dans notre patrie, à la consternation et à la crainte.

Vous rendrez la liberté et l'indépendance au peuple de Gênes; il sera pour toujours délivré de ses éternels ennemis.

Vous êtes dans la capitale de la Cisalpine!

L'ennemi, épouvanté, n'aspire plus qu'à regagner les frontières. Vous lui avez enlevé ses hôpitaux, ses magasins, ses parcs de réserve.

Le premier acte de la campagne est terminé.

Des millions d'hommes, vous l'entendez tous les jours, vous adressent des actes de reconnaissance.

Mais aura-t-on donc impunément violé le sol français? Laisserez-vous retourner dans ses foyers l'armée qui a porté l'alarme dans vos familles? Vous courez aux armes!.. Eh bien! marchez à sa rencontre, opposez-vous à sa retraite; arrachez-lui les lauriers dont elle s'est parée, et par là apprenez au monde que la malédiction est sur les insensés qui osent insulter le territoire du grand peuple.

Le résultat de tous nos efforts sera, Gloire sans nuage et paix solide.

Le premier consul, Signé, Bonaparte.

§ V

Les 15,000 hommes, que conduisait le général Moncey, arrivaient lentement; leur marche ne se faisait que par régiment. Ce retard fut nuisible; le premier consul passa la revue de ces troupes, les 6 et 7 juin. Le 9, il partit pour se rendre à Pavie.

Le général Murat s'était porté, le 6 mai, devant Plaisance, l'ennemi y avait un pont et une tête de pont; Murat eut le bonheur de surprendre la tête de pont et de s'emparer de la presque totalité des bateaux. Le même jour, il intercepta une dépêche du ministère de Vienne à M. de Mélas; cette dépêche contenait des renseignements curieux sur la prétendue armée de réserve de Bonaparte. Elle n'existait pas, et l'on prescrivait à Mélas de continuer avec vigueur ses opérations offensives en Provence. Le ministre espérait que Gênes aurait capitulé, et que l'armée anglaise serait arrivée. On lui mandait également qu'il fallait des succès; que l'armée française du Rhin était au cœur de l'Allemagne, et que des succès forceraient à la rappeler au secours de la Provence; que des mouvements, qui avaient eu lieu à Paris, avaient obligé le premier consul à retourner promptement de Genève en cette capitale; que la cour de Vienne mettait toute sa confiance dans les talents du général Mélas et dans l'intrépidité de sa victorieuse armée d'Italie.

Le corps d'observation, que nous avions sur la rive gauche de la Dora Baltéa, était tranquille, ainsi que la garnison d'Ivrée. Depuis le 1er juin, le fort de Bard était pris, et Ivrée se remplissait de toute espèce de munitions de guerre, de vivres et des embarras de l'armée. Mélas avait abandonné Turin, et paraissait se porter sur Alexandrie pour opérer sur la rive droite du Pô.

Le premier consul envoya la division Lapoype, du corps du général Moncey, pour border le Pô depuis Pavie jusqu'à la Dora Baltéa, et éclairer le mouvement de l'ennemi vis-à-vis Plaisance; et résolut de se porter à la Stradella, sur la rive droite du Pô, afin de couper à Mélas la route de Mantoue, et l'obliger à recevoir une bataille, ayant sa ligne d'opération coupée; débloquer à la fois Gênes, et poursuivre l'ennemi en l'acculant aux Alpes.

Le général Lannes, avec l'avant-garde, passa le Pô vis-à-vis Pavie à Belgiojoso, dans la journée du 6. – Le 7, le général Murat passa le Pô à Nocetta, et s'empara de Plaisance, où il trouva des magasins considérables. Le lendemain, il battit un corps autrichien qui était venu l'attaquer, et lui fit 2,000 prisonniers. Le général Murat eut l'ordre de se porter sur la Stradella pour s'y joindre à l'avant-garde; toute l'armée se réunissait sur ce point important.

Cependant, au milieu de si grands succès, et l'esprit livré aux plus belles espérances, on apprit une fâcheuse nouvelle: Gênes avait capitulé le 4, et les troupes autrichiennes, du blocus, revenaient à marche forcée se joindre à l'armée de Mélas sur Alexandrie. Des refugiés milanais, qui avaient été renfermés dans Gênes, donnèrent des détails sur les opérations de ce siège. Masséna, après la capitulation, avait commis la faute impardonnable de s'embarquer de sa personne sur un corsaire pour se rendre à Antibes. Une partie de son armée avait été également embarquée pour la même destination; seulement un corps de 8,500 hommes se dirigeait par terre. – Les troupes avaient conservé leurs armes, munitions, etc. La capitulation ne pouvait pas être plus honorable; mais cette funeste disposition du général Masséna, d'autant moins excusable, qu'il connaissait l'arrivée de l'armée du premier consul sur le Pô, annula tout ce que les conditions de la capitulation avaient d'avantageux. Si, d'après la capitulation, Masséna était sorti à la tête de toutes ses troupes (et il avait encore 12,000 hommes disponibles, armés, et son artillerie), et qu'arrivé à Voltri, il eût repris ses opérations, il aurait contenu un pareil nombre de troupes autrichiennes; il eût été promptement joint par les troupes du général Suchet, qui étaient en marche sur Port-Maurice, et aurait alors manœuvré contre l'ennemi avec une vingtaine de mille hommes. Mais ces troupes sortirent sans leur général; elles se dirigèrent par la rivière de Gênes: leur mouvement ne fut arrêté que lorsqu'elles furent rencontrées par le général Suchet. Trois ou quatre jours avaient été ainsi perdus; ces troupes furent inutiles. La victoire de Marengo avait remédié à tout.

§ VI

Le premier consul vit alors qu'il ne pouvait compter que sur ses propres forces, et qu'il allait avoir affaire à toute l'armée. Le 8, au soir, les coureurs ennemis vinrent observer les Français, qui avaient passé le Pô, et étaient bivouaqués sur la rive droite; ils les crurent peu nombreux, et une avant-garde de quatre à cinq mille Autrichiens vint les attaquer; mais toute l'avant-garde et une partie de l'armée française avaient déja passé. Le général Lannes mena battant cette avant-garde ennemie; et, à la nuit, il prit position devant l'armée autrichienne, qui occupait Montebello et Casteggio.

Cette armée était commandée par le général Ott, le même qui avait commandé le blocus de Gênes. Ce corps était venu en trois marches. L'observation des feux des bivouacs, le rapport des prisonniers et des déserteurs, faisaient monter cette partie de l'armée autrichienne à trente bataillons, formant 18,000 hommes. Les grenadiers d'Ott, l'élite de l'armée autrichienne, en faisaient partie.

Le général Lannes était en position, et, attendant à chaque instant des renforts, il n'avait pas intérêt d'attaquer; mais le général autrichien, à la pointe du jour, engagea la bataille. Le général Lannes n'avait avec lui que 8,000 hommes; mais la division Victor, qui avait passé le fleuve, n'était qu'à trois lieues. La bataille fut sanglante: Lannes s'y couvrit de gloire; ses troupes firent des prodiges d'intrépidité. Sur le midi, l'arrivée de la division Victor décida entièrement la victoire. Les Autrichiens se battirent en désespérés: ils étaient encore fiers des succès qu'ils avaient obtenus, la campagne précédente; ils sentaient que leur position les mettait dans la nécessité d'être vainqueurs.

Le premier consul, à la première nouvelle de l'attaque de l'ennemi contre l'avant-garde française, était accouru sur le champ de bataille; mais, à son arrivée, la victoire était déja décidée: les ennemis avaient perdu 3,000 hommes tués, et six mille prisonniers. Le champ de bataille était tout jonché de morts. Le général Lannes était couvert de sang: les troupes, qui avaient le sentiment de s'être bien comportées, étaient exténuées de fatigue, mais ivres de joie.

Les 10, 11 et 12, le premier consul resta à la position de la Stradella, employant ce temps à réunir son armée, à assurer sa retraite par l'établissement de deux ponts sur le Pô, avec des têtes de pont. Plus rien ne le pressait; Gênes était tombée.

Il envoya par des affidés, à travers les montagnes, l'ordre au général Suchet de marcher sur la Scrivia par le débouché du col de Cadibone.

L'ennemi avait une cavalerie formidable et une artillerie très-nombreuse. Ni l'une ni l'autre de ces armes n'avaient souffert, tandis que notre cavalerie et notre artillerie étaient très-inférieures en nombre: il était donc hasardeux de s'engager dans la plaine de Marengo. Si l'ennemi voulait rouvrir ses communications, et regagner Mantoue, c'était par la Stradella qu'il fallait qu'il passât, et qu'il marchât sur le ventre de l'armée française. Cette position de la Stradella semblait avoir été faite exprès pour l'armée française: la cavalerie ennemie ne pouvait rien contre elle, et la très-grande supériorité de son artillerie était moindre là que partout ailleurs. La droite de l'armée du premier consul s'appuyait au Pô et aux plaines marécageuses et impraticables qui l'avoisinaient: le centre, placé sur la chaussée, était appuyé de gros villages, ayant de grandes maisons en maçonnerie solide; et la gauche, sur de belles hauteurs.

§ VII

Dans la journée du 11, Desaix, qui revenait d'Égypte, et qui avait fait la quarantaine à Toulon, arriva au quartier-général de Montebello avec ses aides-de-camp, Rapp et Savary. La nuit entière se passa en longues conférences entre le premier consul et Desaix sur tout ce qui s'était passé en Égypte depuis que le premier consul en était parti; sur les détails de la campagne de la Haute-Égypte; sur les négociations d'El-Arisch, et la composition de la grande-armée turque du grand-visir; enfin sur la bataille d'Héliopolis, et la situation actuelle de l'armée française. «Comment, dit le premier consul, avez-vous pu, vous, Desaix, attacher votre nom à la capitulation d'El-Arisch? – Je l'ai fait, répondit Desaix; je le ferais encore, parce que le général en chef ne voulait plus rester en Égypte; et que, dans une armée éloignée et hors de l'influence du gouvernement, les dispositions du général en chef, équivalent à celles des cinq sixièmes de l'armée. J'ai toujours eu le plus grand mépris pour l'armée du grand-visir, que j'ai observée de près. J'ai écrit à Kléber que je me faisais fort de la repousser avec ma seule division. Si vous m'aviez laissé le commandement de l'armée d'Égypte, et que vous eussiez emmené Kléber, je vous aurais conservé cette belle province, et vous n'eussiez jamais entendu parler de capitulation: mais enfin les choses ont bien tourné; et Kléber, à Héliopolis, a réparé les fautes qu'il avait faites depuis six mois.»

Desaix brûlait de se signaler. Son cœur était ulcéré des mauvais traitements que lui avait fait éprouver, à Livourne, l'amiral Keith; il avait soif de se venger. Le premier consul lui donna sur-le-champ le commandement de la division Boudet.

§ VIII

Mélas avait son quartier-général à Alexandrie: toute son armée y était réunie depuis deux jours; sa position était critique, parce qu'il avait perdu sa ligne d'opération. Plus il tardait à prendre un parti, plus sa position s'empirait, parce que d'un côté le corps de Suchet arrivait sur les derrières, et que d'un autre côté l'armée du premier consul se fortifiait et se retranchait, chaque jour davantage, à sa position de la Stradella.

Cependant le général Mélas ne faisait aucun mouvement; dans la situation où il se trouvait il avait trois partis à prendre: le premier était de passer sur le ventre de l'armée du premier consul, l'armée autrichienne lui était très-supérieure en nombre, de gagner Plaisance, et de reprendre sa ligne d'opération sur Mantoue.

Le deuxième parti était de passer le Pô à Turin, ou entre cette ville et l'embouchure de la Sézia, de se porter ensuite à grandes marches sur le Tésin, de le passer; et, arrivant à Milan avant l'armée du premier consul, de lui couper sa ligne et le jeter derrière l'Adda.

Le troisième parti était de se jeter d'Alexandrie sur Novi, de s'appuyer à Gênes et à l'escadre anglaise de l'amiral Keith, de ne point prendre l'offensive jusqu'à l'arrivée de l'armée anglaise déja réunie à Mahon. L'armée autrichienne était sûre de ne point manquer de vivres ni de munitions, et même de recevoir des renforts, puisque par sa droite elle eût communiqué avec Florence et Bologne; qu'en Toscane, il y avait une division napolitaine, et qu'en outre les communications par mer étaient en son pouvoir. De cette position le général Mélas pouvait, quand il le voulait, regagner Mantoue, en faisant transporter, par mer, en Toscane, une grande partie de sa grosse artillerie.

Le général Lapoype, qui était le long du Pô, avait l'ordre de se plier sur le Tésin dans le cas où l'ennemi se porterait sur la rive gauche; il y aurait été joint par cinq ou six mille hommes, que pouvait réunir le général Moncey qui commandait à Milan. Ces dix mille hommes étaient plus que suffisants pour retarder le passage, et donner le temps au premier consul de revenir par les deux ponts, derrière le Tésin.

Le 12, dans l'après midi, le premier consul, surpris de l'inaction du général Mélas, conçut des inquiétudes, et craignit que l'armée autrichienne ne se fût portée sur Gênes ou sur le Tésin, ou bien qu'elle n'eût marché contre Suchet, pour l'écraser et revenir ensuite contre le premier consul; ce dernier résolut de quitter la Stradella, et de se porter sur la Scrivia en forme d'une grande reconnaissance, afin de pouvoir agir selon le parti que prendrait l'ennemi. Le soir, l'armée française11 prit position sur la Scrivia, Tortone était cernée, le quartier-général fut placé à Voghera: dans ce mouvement, on n'obtint aucune nouvelle de l'ennemi; on n'aperçut que quelques coureurs de cavalerie, qui n'indiquaient pas la présence d'une armée dans les plaines de Marengo. – Le premier consul ne douta plus que l'armée autrichienne ne lui eût échappé.

Le 13, à la pointe du jour, il passa la Scrivia, et se porta à Saint-Juliano, au milieu de l'immense plaine de Marengo. La cavalerie légère ne reconnut pas d'ennemi; il n'y eut plus aucun doute qu'il ne fût en pleine manœuvre, puisque, s'il eût voulu attendre l'armée française, il n'eût pas négligé le beau champ de bataille que lui offrait la plaine de Marengo, si avantageuse au développement de son immense cavalerie: il parut probable que l'ennemi marchait sur Gênes.

Le premier consul, dans cette pensée, dirigea en toute hâte le corps de Desaix en forme d'avant-garde sur son extrême gauche, avec ordre d'observer la chaussée qui de Novi conduit à Alexandrie: il ordonna à la division Victor de se porter sur le village de Marengo, et d'envoyer des coureurs sur la Bormida, pour s'assurer si l'ennemi n'y avait point de pont. Victor arriva à Marengo: il y trouva une arrière-garde de trois à quatre mille Autrichiens; il l'attaqua, la mit en déroute, et s'empara du village. Ses coureurs arrivèrent sur la Bormida à la nuit tombante; ils mandèrent que l'ennemi n'y avait point de pont, et qu'il n'y avait qu'une simple garnison dans Alexandrie; ils ne donnèrent point de nouvelles de l'armée de Mélas.

Le corps de Lannes bivouaqua diagonalement en arrière de Marengo, sur la droite.

Le premier consul était fort inquiet; à la nuit, il résolut de se rendre à son quartier-général de la veille, afin d'aller à la rencontre des nouvelles du général Moncey, du général Lapoype et des agents qui avaient été envoyés du côté de Gênes, et qui avaient rendez-vous à ce quartier-général, mais la Scrivia était débordée. Ce torrent en peu d'heures grossit considérablement, et peu d'heures lui suffisent aussi pour le remettre en son premier état. Cela décida le premier consul à arrêter son quartier-général à Torre di Garafolo entre Tortone et Alexandrie. La nuit se passa dans cette situation.

Cependant la plus horrible confusion régnait dans Alexandrie, depuis le combat de Montebello. Les plus sinistres pressentiments agitaient le conseil autrichien; il voyait l'armée autrichienne, coupée de sa ligne d'opération, de ses dépôts, et placée entre l'armée du premier consul et celle du général Suchet, dont les avant-postes avaient passé les montagnes, et commençaient à se faire sentir sur les derrières du flanc droit des Autrichiens. La plus grande irrésolution agitait les esprits.

Après bien des hésitations, le 11, Mélas se décida à faire un gros détachement sur Suchet, le reste de l'armée autrichienne restant couvert par la Bormida et la citadelle d'Alexandrie; mais, dans la nuit du 11 au 12, Mélas apprit le mouvement du premier consul sur la Scrivia. Il rappela, le 12, son détachement, et passa, tout le 13 et la nuit du 13 au 14, en délibérations: enfin, après de vives et orageuses discussions, le conseil de Mélas décida que l'existence de l'armée de réserve lui avait été inconnue; que les ordres et les instructions du conseil aulique n'avaient mentionné que l'armée de Masséna; que la fâcheuse position où l'on se trouvait devait donc être attribuée au ministère, et non au général; que dans cette circonstance imprévue, de braves soldats devaient faire leur devoir; qu'il fallait donc passer sur le ventre de l'armée du premier consul, et rouvrir ainsi les communications avec Vienne; que si l'on réussissait, tout était gagné, puisque l'on était maître de la place de Gênes, et qu'en retournant très-vite sur Nice, on exécuterait le plan d'opérations arrêté à Vienne; et qu'enfin, si l'on échouait et que l'on perdît la bataille, la position serait affreuse sans doute, mais que la responsabilité en tomberait tout entière sur le ministère.

Ce raisonnement fixa toutes les opinions; il n'y eut plus qu'un cri: Aux armes! aux armes! et chacun alla faire ses dispositions pour la bataille du lendemain.

Toutes les chances, pour le succès de la bataille, étaient en faveur de l'armée autrichienne; cette armée était très-nombreuse; sa cavalerie était au moins triple de celle de l'armée française. On ne savait pas positivement quelle était la force de celle-ci; mais l'armée autrichienne, malgré la perte éprouvée à la bataille de Montebello, malgré celles essuyées du côté de Gênes et du côté de Nice depuis la retraite, l'armée autrichienne devait être encore bien supérieure à l'armée de réserve. (Voyez le tableau ci-contre.)

Le 14, à l'aube du jour, les Autrichiens défilèrent sur les trois ponts de la Bormida, et attaquèrent avec fureur le village de Marengo. La résistance fut opiniâtre et longue.

Le premier consul, instruit par la vivacité de la canonnade, que l'armée autrichienne attaquait, expédia sur-le-champ l'ordre au général Desaix de revenir avec son corps sur San-Juliano. Il était à une demi-marche de distance, sur la gauche.

Le premier consul arriva sur le champ de bataille à dix heures du matin, entre San-Juliano et Marengo. L'ennemi avait enfin emporté Marengo, et la division Victor, après la plus vive résistance, ayant été forcée, s'était mise dans une complète déroute. La plaine sur la gauche était couverte de nos fuyards, qui répandaient partout l'alarme, et même plusieurs faisaient entendre ce cri funeste: Tout est perdu!

Le corps du général Lannes, un peu en arrière de la droite de Marengo, était aux mains avec l'ennemi, qui, après la prise de ce village, se déployant sur sa gauche, se mettait en bataille devant notre droite qu'elle débordait déja. Le premier consul envoya aussitôt son bataillon de la garde consulaire, composé de huit cents grenadiers, l'élite de l'armée, se placer à cinq cents toises sur la droite de Lannes, dans une bonne position, pour contenir l'ennemi. Le premier consul se porta lui-même, avec la soixante-douzième demi-brigade au secours du corps de Lannes, et dirigea la division de réserve Cara Saint-Cyr sur l'extrême droite à Castel-Cériolo, pour prendre en flanc toute la gauche de l'ennemi.

Cependant, au milieu de cette immense plaine, l'armée reconnaît le premier consul, entouré de son état-major et de deux cents grenadiers à cheval, avec leurs bonnets à poil; ce seul aspect suffit pour rendre aux troupes l'espoir de la victoire: la confiance renaît; les fuyards se rallient sur San-Juliano, en arrière de la gauche du général Lannes. Celui-ci, attaqué par une grande partie de l'armée ennemie, opérait sa retraite au milieu de cette vaste plaine, avec un ordre et un sang-froid admirables. Ce corps mit trois heures pour faire en arrière trois-quarts de lieue, exposé en entier au feu de mitraille de quatre-vingts bouches à feu, dans le temps que, par un mouvement inverse, Cara Saint-Cyr marchait en avant sur l'extrême droite, et tournait la gauche de l'ennemi.

Sur les trois heures après midi, le corps de Desaix arriva: le premier consul lui fit prendre position sur la chaussée, en avant de San-Juliano.

Mélas qui croyait la victoire décidée, accablé de fatigue, repassa les ponts et rentra dans Alexandrie, laissant au général Zach, son chef d'état-major, le soin de poursuivre l'armée française. Celui-ci croyant que la retraite de cette armée s'opérait sur la chaussée de Tortone, cherchait à arriver sur cette chaussée derrière San-Juliano; mais, au commencement de l'action, le premier consul avait changé sa ligne de retraite, et l'avait dirigée entre Sale et Tortone, de sorte que la chaussée de Tortone n'était d'aucune importance pour l'armée française.

En opérant sa retraite, le corps de Lannes refusait constamment sa gauche, se dirigeant ainsi sur le nouveau point de retraite; et Cara Saint-Cyr, qui était à l'extrémité de la droite, se trouvait presque sur la ligne de retraite dans le temps que le général Zach croyait ses deux corps coupés.

Cependant la division Victor s'était ralliée et brûlait d'impatience d'en venir de nouveau aux mains. Toute la cavalerie de l'armée était massée en avant de San-Juliano, sur la droite de Desaix, et en arrière de la gauche du général Lannes. Les boulets et les obus tombaient sur San-Juliano; une colonne de six mille grenadiers de Zach en avait déja gagné la gauche. Le premier consul envoya l'ordre au général Desaix de se précipiter, avec sa division toute fraîche, sur cette colonne ennemie. Desaix fit aussitôt ses dispositions pour exécuter cet ordre; mais, comme il marchait à la tête de deux cents éclaireurs de la neuvième légère, il fut frappé d'une balle au cœur, et tomba roide mort au moment où il venait d'ordonner la charge: ce coup enleva à l'empereur l'homme qu'il jugeait le plus digne de devenir son lieutenant.

Ce malheur ne dérangea en rien le mouvement, et le général Boudet fit passer facilement dans l'ame de ses soldats ce vif desir dont il était lui-même pénétré, de venger à l'instant un chef tant aimé. La neuvième légère, qui, là, mérita le titre d'incomparable, se couvrit de gloire. En même temps le général Kellermann, avec 800 hommes, grosse cavalerie, faisait une charge intrépide sur le milieu du flanc gauche de la colonne: en moins d'une demi-heure, ces six mille grenadiers furent enfoncés, culbutés, dispersés; ils disparurent.

Le général Zach et tout son état-major furent faits prisonniers.

Le général Lannes marcha sur-le-champ en avant au pas de charge. Cara Saint-Cyr, qui à notre droite se trouvait en potence sur le flanc gauche de l'ennemi, était beaucoup plus près des ponts sur la Bormida que l'ennemi lui-même. Dans un moment, l'armée autrichienne fut dans la plus épouvantable confusion. Huit à dix mille hommes de cavalerie, qui couvraient la plaine, craignant que l'infanterie de Saint-Cyr n'arrivât au pont avant eux, se mirent en retraite au galop, en culbutant tout ce qui se trouvait sur leur passage. La division Victor se porta en toute hâte pour reprendre son champ de bataille au village de Marengo. L'armée ennemie était dans la plus horrible déroute; chacun ne pensait plus qu'à fuir. L'encombrement devint extrême sur les ponts de la Bormida, où la masse des fuyards était obligée de se resserrer; et à la nuit tout ce qui était resté sur la rive gauche tomba au pouvoir de la république.

11.Armée française, les 12 et 13 juin.
  Divisions Vatrin et Mainoni. Lannes; aile droite à Castelnovo di Scrivia.
  Divisions Boudet et Monnier. Desaix; centre. Ponte Curone.
  Division Lapoype; ordre de rejoindre Desaix.
  La cavalerie sous Murat, entre Ponte-Curone et Tortone, ayant une avant-garde au delà de Tortone, sous Kellermann.
  Divisions Gardanne et Chambarlhac. Victor; aile gauche en avant de Tortone, et soutenant l'avant-garde Kellermann.