Czytaj tylko na LitRes

Książki nie można pobrać jako pliku, ale można ją czytać w naszej aplikacji lub online na stronie.

Czytaj książkę: «Mémoires pour servir à l'Histoire de France sous Napoléon, Tome 1», strona 10

Czcionka:

MÉMOIRES DE NAPOLÉON

GÊNES. – MASSÉNA
1800

Positions respectives des armées d'Italie. – Gênes. – Mélas coupe en deux l'armée française. – Masséna tente inutilement de rétablir ses communications avec sa gauche. Il est investi dans Gênes. – Blocus de Gênes. Mélas marche sur le Var: Suchet abandonne Nice. – Masséna cherche à faire lever le blocus. – Masséna, pressé par la famine, entre en négociation. Reddition de Gênes. – Les Autrichiens repassent les Alpes pour se porter à la rencontre de l'armée de réserve. Suchet les poursuit. – Effets de la victoire de Marengo. Suchet prend possession de Gênes. – Remarques critiques.

§ 1er

La principale armée de la maison d'Autriche était celle d'Italie; le feld-maréchal Mélas la commandait; son effectif était de 140,000 hommes, 130,000 sous les armes. Toute l'Italie était sous le commandement des Autrichiens, de Rome à Milan, de l'Isonzo aux Alpes cotiennes: ni le grand-duc, ni le roi de Sardaigne, ni le pape, n'avaient pu obtenir la permission de rentrer dans leurs états; le ministre Thugut retenait le premier à Vienne, le second à Florence, et le troisième à Venise.

L'action de l'administration autrichienne s'étendait sur toute l'Italie. Rien ne la contrariait: toutes les richesses de ce beau pays étaient employées à raviver, améliorer le matériel de l'armée, qui, fière des succès qu'elle avait obtenus dans la campagne précédente, avait à se rendre digne de fixer l'attention de l'Europe, d'être appelée à jouer le principal rôle dans la campagne qui allait s'ouvrir. Rien ne lui semblait au-dessus de ses destinées: elle se flattait d'entrer dans Gênes, dans Nice; de passer le Var, de se réunir à l'armée anglaise de Mahon, dans le port de Toulon, de planter l'aigle autrichienne sur les tours de l'antique Marseille, et de prendre ses quartiers d'hiver sur le Rhône et la Durance.

Dès le commencement de mars, le feld-maréchal Mélas leva ses cantonnements; il laissa toute sa cavalerie, ses parcs de réserve, sa grosse artillerie, dans les plaines d'Italie: tout cela ne lui était utile que lorsqu'il aurait passé le Var. Il mit 30,000 hommes d'infanterie sous les ordres des généraux Wuccassowich, Laudon, Haddich et Kaim, pour garder les places et les débouchés du Splugen, du Saint-Gothard, du Simplon, du Saint-Bernard, du mont Cenis, du mont Genèvre, d'Argentière, et avec 70 à 80,000 hommes il s'approcha de l'Apennin ligurien. Sa gauche, sous les ordres du feld-maréchal-lieutenant Ott, se porta sur Bobbio, d'où il poussa une avant-garde sur Sestri de Levante, pour communiquer avec l'escadre anglaise, et attirer de ce côté l'attention du général français. Avec le centre et le quartier général, il se porta à Acqui; il confia sa droite au feld-maréchal-lieutenant Elsnitz.

L'armée française voyait avec confiance à sa tête le vainqueur de Zurich; elle était appelée à combattre sur un terrain où chaque pas lui retraçait un souvenir de gloire. Il n'y avait pas encore quatre ans révolus qu'elle avait, quoique peu nombreuse et dans le plus grand dénuement, suppléant à tout par son courage et la force de sa volonté, remporté de nombreuses victoires, planté en cinquante jours ses drapeaux sur les rives de l'Adige, sur les confins du Tyrol, et porté si haut la gloire du nom français. L'administration avait été organisée pendant janvier, février et mars; la solde était alignée, et des convois considérables de subsistances avaient fait succéder l'abondance à la disette; les ports de Marseille, Toulon, Antibes, étaient encore pleins de bâtiments employés à son approvisionnement: elle commençait à perdre le souvenir des défaites qu'elle avait éprouvées l'année précédente; elle était aussi bien que le pouvait permettre la pauvreté du pays où elle se trouvait. Cette armée se montait à 40,000 hommes; mais elle avait des cadres pour une armée de 100,000. Toutes les nouvelles qui lui arrivaient de l'intérieur de la France, pendant la dernière campagne, excitaient l'esprit de faction, de division et de découragement; la république était alors dans les angoisses de l'agonie: mais aujourd'hui tout était propre à autoriser son émulation; la France était régénérée. Ces trente millions de Français, réunis autour de leur chef, si forts de la confiance réciproque qu'ils s'inspiraient, offraient le spectacle de l'Hercule gaulois armé de sa massue, prêt à terrasser les ennemis de sa liberté et de son indépendance.

Le quartier-général était à Gênes; le général de brigade Oudinot était chef d'état-major; le général Lamartellière commandait l'artillerie. Masséna avait confié la gauche de son armée au lieutenant-général Suchet, qui avait sous ses ordres quatre divisions: la première occupait Rocca-Barbena; la deuxième, Settepani et Mélogno; la troisième, Saint-Jacques et Notre-Dame de Nève; la quatrième était en réserve à Finale et sur les hauteurs de San-Pantaléone: sa force était de 12,000 hommes. Le lieutenant-général Soult commandait le centre, fort de 12,000 hommes, et partagé en trois divisions: celle du général Gardanne défendait Cadibone, Vado, Montélegino, Savone; les flanqueurs, les hauteurs de Stella; le général Gasan défendait les débouchés en avant et en arrière, et sur les flancs de la Bocchetta; le général Marbot commandait la réserve; le lieutenant-général Miollis commandait la droite, forte de 5,000 hommes: il barrait la rivière du Levant, occupant Recco par sa droite, le Mont-Cornua par son centre, et par sa gauche le col de Toriglio, situé à la naissance de la vallée de la Trébia. Une réserve de 5,000 hommes était dans la ville; l'armée entière était forte de 34 à 36,000 hommes. Les cols, depuis Argentière jusqu'aux sources du Tanaro, étaient encore obstrués de neige. Une division de 4,000 hommes, sous les ordres du général Garnier, était repartie pour les observer, et fournir aux garnisons de Saorgio, de Nice, de Montalban, de Vintimille et des batteries des côtes. L'approche de l'armée ennemie décida le général en chef à ordonner la levée des cantonnements; et, quoique la saison fût rigoureuse, qu'il y eût encore des neiges sur les hauteurs, les troupes prirent leurs camps, et occupèrent des positions culminantes. Des escarmouches ne tardèrent pas à avoir lieu entre les avant-postes. La situation de l'armée française était délicate; elle exigeait beaucoup de vigilance: tous les jours elle poussait en avant de fortes reconnaissances, dans lesquelles elle avait toujours l'avantage; elle faisait des prisonniers, enlevait des magasins et des bagages. L'occupation de Sestri de Levante gênait l'arrivée des convois de blé; les paysans de la vallée de la Fontana-Bona, de tout temps, dévoués à l'oligarchie, profitant du voisinage de l'armée autrichienne, s'étaient mis sous les armes, et déclarés pour l'ennemi. Le lieutenant-général Miollis y marcha sur deux colonnes: l'une entra dans la vallée, désarma les insurgés, brûla cinq de leurs villages, et prit des ôtages; l'autre longea la mer, chassa de Sestri l'avant-garde de Ott, la poussa au delà des Apennins, et se saisit d'un convoi de six mille quintaux de blé qu'elle fit entrer dans Gênes.

§ II

La ville de Gênes est située au bord de la mer, sur le revers d'une arête de l'Apennin, qui se détache au-dessus de la Bocchetta. Cette arête est coupée à pic par deux torrents, la Polcevera à l'ouest, et la Bisagno à l'est, qui ont leur embouchure dans la mer, à deux mille toises l'un de l'autre. Gênes a deux enceintes bastionnées; la première est un triangle de neuf mille toises de développement: le côté du sud, bordé par la mer, s'étend depuis la lanterne, à l'embouchure de la Polcevera, jusqu'au lazaret, à l'embouchure du Bisagno; les deux môles, le port, les quais l'occupent dans toute son étendue: le côté d'ouest longe la rive gauche de la Polcevera; celui de l'est, la rive droite du Bisagno: ils ont chacun trois mille cinq cents toises d'étendue, et se joignent en formant un angle aigu au fort de l'Éperon. Le plan qui passe par ces trois angles fait un angle de 15° avec l'horizon. Cette enceinte est bien revêtue, bien tracée, bien flanquée; le terrain a été saisi avec art. Le côté de l'ouest domine toute la vallée de la Polcevera, où est le faubourg de Saint-Pierre-d'Arena: le côté de l'est, au contraire, est dominé par les mamelons de Monte-Ratti et du Monte-Faccio; ce qui a obligé l'ingénieur à les occuper par les trois forts extérieurs de Quezzi sur Monte Valpura, de Richelieu sur le Manego, de San Tecla, entre le Monte Albaro et la Madone-del-Monte. Au-delà de ces montagnes est le torrent de Sturla; au-dessus du fort de l'Éperon est le plateau des Deux-Frères, parallèle à la mer, et dominé, pris à revers, par le fort de Diamant, situé à douze cents toises du fort de l'Éperon. La ville de Gênes est bâtie près de l'embouchure du Bisagno; elle est couverte par la deuxième enceinte, dessinée avec art, et susceptible de quelque résistance. Elle ne peut être bombardée ni du côté du nord, ni du côté de l'ouest, puisqu'elle se trouve à plus de deux mille toises du fort de l'Éperon, et à neuf cents toises de la lanterne; elle ne peut l'être du côté de l'est que par celui qui serait maître des trois forts extérieurs, et qui occuperait la position de Notre-Dame del Monte. La première enceinte a été bâtie en 1632; la deuxième est plus ancienne. Le port n'est précédé par aucune rade; la mer bat avec force dans l'intérieur; ce qui rend nécessaire la prolongation des môles, tel que cela avait été projeté en 1807. Les deux enceintes étaient parfaitement armées; l'arsenal abondamment fourni de toutes espèces de munitions de guerre. Le parti démocratique qui gouvernait la république depuis la convention de Montebello était exclusivement dévoué à la France. La répugnance du peuple pour les Autrichiens avait été soigneusement entretenue par le sénat depuis 1747. Gênes, par l'esprit de ceux qui la gouvernaient, par son opinion, par son dévouement, était une ville française.

Le vice-amiral Keith, commandant l'escadre anglaise dans la Méditerranée, notifia, en mars, aux consuls des diverses nations le blocus de tous les ports et côtes de la république de Gênes, depuis Vintimille à Sarzane: il interdisait aux neutres le commerce avec soixante lieues de côtes, qu'il ne pouvait cependant pas surveiller réellement; c'était, d'un coup de plume, les déclarer déchus de la protection du pavillon de leur souverain. Dans les premiers jours d'avril, il établit sa croisière devant Gênes; ce qui rendit difficiles les communications avec la Provence et l'arrivée des approvisionnements qui étaient en abondance dans les magasins de Marseille, Toulon, Antibes, Nice, etc.

§ III

Le 6 avril les grandes opérations commencèrent. Le feld-maréchal Mélas avec quatre divisions attaqua à la fois Montelegino et Stella: le lieutenant-général Soult accourut avec sa réserve au secours de la gauche. Le combat fut assez vif tout le jour: la division Palfy entra dans Cadibone et Vado; celles de Saint-Julien et de Lattermann entrèrent à Montelegino et Arbizola; Soult rallia sa gauche sur Savone, compléta la garnison de la citadelle, et se retira sur Varaggio pour couvrir Gênes; trois vaisseaux de guerre anglais mouillèrent dans la rade de Vado. Mélas porta son quartier-général à la Madona de Savone, et fit investir le fort: il trouva à Vado plusieurs pièces de 36 et de gros mortiers qui armaient les batteries des côtes. Dès cette première journée la ligne française se trouva coupée. Suchet, avec la gauche, fut séparé du reste de l'armée; mais il conserva sa communication avec la France.

Le même jour, Ott, avec la gauche, déboucha par trois colonnes sur Miollis; celle de gauche, le long de la mer, celle du centre par Monte-Cornua, celle de droite par le col de Toriglio: il fut partout vainqueur; occupa le Monte-Faccio, le Monte-Ratti, et investit les trois forts de Quezzi, de Richelieu et de San-Tecla; il établit le feu de ses bivouacs à une portée de canon de cette ville. L'atmosphère, jusqu'au ciel, en était embrasé: les Génois, hommes, femmes, vieillards, enfants, accoururent sur les murailles pour considérer un spectacle si nouveau et si important pour eux: ils attendaient le jour avec impatience; ils allaient donc devenir la proie de ces Allemands, que leurs pères avaient repoussés, chassés de leur ville avec tant de gloire! Le parti oligarque souriait en secret, et dissimulait mal sa joie; mais le peuple tout entier était consterné. Au premier rayon du soleil, Masséna fit ouvrir les portes; il sortit avec la division Miollis et la réserve, attaqua le Monte-Faccio, le Monte-Ratti, les prit à revers, et précipita dans les ravins et les fondrières les divisions de l'imprudent Ott, qui s'était approché avec tant d'inconsidération, seul et si loin du reste de son armée. La victoire fut complète; le Monte-Cornua, Recco, le col de Toriglio, furent repris. Le soir, mille cinq cents prisonniers, un général, des canons et sept drapeaux, trophées de cette journée, entrèrent dans Gênes au bruit des acclamations et des élans de joie de tout ce bon peuple.

Pendant cette même journée du 7, Elsnitz, avec la droite de Mélas, attaqua par cinq colonnes le lieutenant-général Suchet; celle qui déboucha par le Tanaro et le Saint-Bernard fut battue, rejetée au-delà du fleuve par la division française qui était à Rocca-Barbena; celles qui attaquèrent Settepani, Melogno, Notre-Dame de Nève, Saint-Jacques, eurent des succès variés; le général Séras se maintint à Melogno; mais Saint-Jacques fut occupé par Elsnitz, comme les hauteurs de Vado l'étaient de la veille par le général Palfy. Suchet se retira sur la Pietra et Loano; il prit la ligne de Borghetto, et renforça sa gauche pour assurer ses communications avec la France, sa seule retraite.

Le 9, le feld-maréchal-lieutenant Ott fit attaquer et occuper par le général Hohenzollern la Bocchetta. Mélas avait obtenu son principal objet; il avait coupé l'armée française de la France, et en avait séparé un corps: mais il fallait prévenir le retour offensif des Français, marcher sur Gênes, cerner la ville, et concentrer son armée. L'intervalle de quatorze lieues qui existait entre sa gauche et son centre était bien périlleux; il déboucha, le 10, avec son centre sur plusieurs colonnes: celle de droite, commandée par Lattermann, longea la mer par Varaggio; celle du centre, conduite par Palfy, se porta sur les hauteurs de cette ville; celle de Saint-Julien partit de Sospello pour se porter sur Monte-Fayale, dans le temps que Hohenzollern de la Bocchetta, se portait sur Ponte-Decimo, et dirigeait ses flanqueurs de droite par Marcarolo sur les hauteurs de la Madona-dell'Aqua, près Voltri, pour effectuer sa jonction avec le centre.

§ IV

Masséna, le même jour, 9 avril, était à Varaggio avec la moitié de ses forces; Soult, à Voltri, avec l'autre moitié; Miollis gardait Gênes; Suchet, prévenu par mer, sortait des lignes de Borghetto, et se portait à l'attaque de Saint-Jacques. Le but du général Masséna était de rétablir, à quelque prix que ce fût, ses communications avec sa gauche et la France. Soult devait se porter de Voltri sur Sassello; Masséna sur Melta; Suchet sur Cadibone: sa jonction devait se faire sur Montenotte-Supérieur. A l'aube du jour, Soult se mit en marche; mais, ses coureurs ayant eu connaissance que des flanqueurs de Hohenzollern s'approchaient de Voltri, il quitta sa route, fit un à droite, marcha sur eux, les poussa de hauteurs en hauteurs, les précipita, le soir, dans la fondrière du torrent de la Piota, tua, blessa ou prit 3,000 hommes. Le 11, il exécuta son mouvement sur Sassello, où il entra, et apprit que le général Saint-Julien en était parti le matin pour se porter sur Monte-Fayale; il marcha aussitôt à lui, le défit et le rejeta sur Montenotte, après lui avoir fait grand nombre de prisonniers; de là, il se porta sur le Monte-l'Hermette, dont il s'empara, après des combats fort vifs, où l'audace, l'intrépidité et la nécessité de vaincre, suppléèrent au nombre. Pendant ce temps, Masséna avait été moins heureux; il attendit, le 10, avec impatience que Soult arrivât sur sa droite: ne le voyant pas venir, il partit, le 11, de Varaggio, et marcha sur Stella; mais Lattermann, qui longeait la mer, entra dans Varaggio, et menaça Voltri, dans le temps que Palfy et Bellegarde l'attaquaient de front; il craignit d'être cerné: il battit en retraite sur Cogareto. Le lendemain, il détacha le général Fressinet par sa droite pour soutenir Soult: Fressinet arriva à propos; il décida de l'occupation du Monte-l'Hermette. De son côté, Suchet attaqua et prit Settepani, Melogno, San-Pantaleone; mais il fut repoussé à Saint-Jacques. Les 10, 11, 12, 13, 14 et 15 se passèrent en marches, manœuvres et combats: souvent les colonnes des deux armées se côtoyèrent en sens inverse, séparées entre elles par des torrents, des fondrières, qui les empêchaient de se combattre dans leurs marches, quoique très-près l'une de l'autre. Masséna reconnut l'impossibilité de rétablir ses communications: le défaut de concert entre les attaques de Masséna et celles de Suchet empêcha qu'elles ne fussent simultanées; mais la perte de l'ennemi, dans les combats, fut double de celle des Français. Le 21, Masséna évacua Voltri pour s'approcher des remparts de Gênes, dans laquelle il fit défiler devant lui cinq mille prisonniers. Le colonel Mouton, du troisième de ligne, depuis le comte de Lobau, se couvrit de gloire dans toutes ces attaques; il sauva l'arrière-garde au passage du pont de Voltri, par sa bonne contenance. Le peuple de Gênes, témoin de l'intrépidité du soldat français, du dévouement, de la résolution des généraux, se prit d'enthousiasme et d'amour pour l'armée.

L'armée de Masséna, dès ce jour, 21 avril, cessa d'avoir l'attitude d'une armée en campagne; elle n'eut plus que celle d'une forte et courageuse garnison d'une place de premier ordre. Cette situation lui offrit encore des lauriers à cueillir; peu de positions étaient plus avantageuses que celle que Masséna occupait. Maître d'un aussi grand camp retranché, qui barre toute la chaîne de l'Apennin, il pouvait en peu d'heures se porter de la droite à la gauche, en traversant la ville; ce que l'ennemi n'aurait pu faire qu'en plusieurs jours de marche. Le général autrichien ne tarda pas à sentir tous les avantages que donnait à son ennemi un pareil théâtre. Le 30, par une attaque combinée, il s'approcha des murailles de Gênes, dans le temps que l'amiral Keith engageait une vive canonnade avec les batteries des môles et des quais. La fortune sourit d'abord à toutes ses combinaisons, il s'empara du plateau des Deux-Frères, cerna le fort de Diamant, surprit le fort de Quezzi, bloqua celui de Richelieu, occupa tous les revers de Monte Ratti, de Monte Faccio, et même de la Madone del Monte; il voulait y mettre vingt mortiers en batterie, pendant la nuit, sur la position d'Albana, brûler la superbe Gênes, et y porter l'incendie et la révolte. Mais, dans l'après-midi, Masséna, ayant concentré toutes les forces derrière ses remparts, confia la garde de la ville à la garde nationale, et déboucha sur Monte-Faccio, qu'il cerna de tous côtés, le reprit malgré la plus vive résistance: ses troupes rentrèrent dans le fort de Quezzi. Soult marcha alors par le plateau des Deux-Frères; il s'en rendit maître. L'ennemi perdit toutes les positions qu'il avait prises le matin. Le soir, le général en chef rentra dans Gênes, menant à sa suite douze cents prisonniers, des drapeaux, les échelles dont l'armée autrichienne s'était munie pour l'escalade qu'elle avait voulu tenter au point de réunion des deux enceintes, du côté de Bisogno.

Suchet se maintint long-temps maître de Saint-Pantaléone et de Melogno; mais enfin il se retira dans la position de Borghetto, n'espérant plus rien de ses efforts pour rétablir la ligne de l'armée.

§ V

Après le désastre de cette journée, les généraux autrichiens renoncèrent à toute attaque de vive force sur un théâtre qui leur était si contraire. Gênes n'avait pas de vivres, et ne pouvait tarder à capituler. Conformément aux principes de la guerre de montagnes, ils occupèrent de fortes positions autour de cette place, pour empêcher les vivres d'y entrer par terre, comme l'escadre anglaise les interceptait par mer: ce serait donc au général français à prendre l'offensive, à les déposter s'il voulait communiquer avec la campagne, ouvrir les routes pour se procurer les fourrages et les vivres qui lui étaient indispensables.

D'un autre côté, la cour de Vienne était alarmée de la grande supériorité de l'armée française du Rhin, et des immenses préparatifs que faisait le premier consul pour porter la guerre sur le Danube: elle pressait une diversion sur la Provence. Mélas se porta sur le Var, et laissa le feld-maréchal-lieutenant Ott avec 30,000 hommes, pour bloquer Gênes de concert avec l'escadre anglaise. Ott occupa plusieurs camps, déja fortifiés par la nature, et auxquels il ajouta tous les secours de l'art, qui lui donnait le double avantage de maîtriser les débouchés, de s'opposer ainsi à l'arrivée des convois, et de placer les troupes dans de fortes positions, où elles n'avaient rien à redouter de la furie française.

Tranquille sur le sort de Gênes, qui devait lui ouvrir ses portes sous quinze jours, Mélas avec 30,000 hommes marchait à Suchet; il fit tourner la ligne de Borghetto par une division qui déboucha par Ormea, Ponte di Nave et la Pieva. Il attaqua, le 7 mai, les hauteurs de San-Bartolomeo, espérant couper aux Français le chemin de la Corniche à port Maurice, et obliger ainsi Suchet à poser les armes. Mais le général Pujet, qui était en position à Saint-Pantaléone, donna le temps à son général de faire sa retraite, bien qu'avec quelque désordre, et une assez grande perte, derrière la Taggia, où il eût pu tenir quelques jours, si la brigade Gorrup, partie de Coni, ne s'était pas emparée, dès le 6, du col de Tende. Déja ses avant-postes étaient au défilé de Saorgio. Suchet jugea, avec raison, devoir repasser la Roya et le Var en toute hâte. Il fit aussitôt travailler à retrancher la tête de pont et fit venir de la grosse artillerie d'Antibes, et des canonniers de la côte. Il avait laissé garnison dans le fort Vintimille, dans le château de Ville-Franche, et au fort Montalban, qui, situé sur la hauteur qui sépare le golfe de Ville-Franche de la rade de Nice, domine ces deux villes et tout le cours du Paglione. Il y fit établir un télégraphe, et eut ainsi sur les derrières de l'ennemi une vedette qui l'instruisait de tous ses mouvements, soit sur le chemin de Gênes par le col de Turbie, soit sur la chaussée de Turin par la vallée du Paglione.

Le général de division Saint-Hilaire commandait la 8e division militaire: il accourut sur le Var ramassant à Marseille et à Toulon toutes les troupes disponibles; des compagnies de garde nationale se rangèrent aussi sous ses ordres. Les places de Colmars, Entrevaux, Antibes, étaient en bon état de défense; dès le 15 mai, le corps de troupes réunies sur le Var était de 14,000 hommes.

Tous les courriers de Paris apportaient en Provence des nouvelles de la marche de l'armée de réserve; déja l'avant-garde arrivait sur le Saint-Bernard. Le résultat de cette manœuvre était évident pour les soldats comme pour les citoyens; le moral des troupes, comme celui des habitants, était au plus haut degré d'espérance. Le général Willot, qui se trouvait à la suite de l'armée autrichienne, formait une légion de déserteurs. Pichegru devait se mettre à la tête des mécontents du Midi. Willot avait commandé en Provence en 1797, avant le 18 fructidor, dans ce moment de réaction, où les ennemis de la république exerçaient tant d'influence dans l'intérieur. Il correspondait avec eux; il avait sous main organisé, dans les départements du Var et des Bouches-du-Rhône, une espèce de chouannerie. Dans le midi, les passions sont vives; les partisans de la république étaient exaltés, c'étaient les anarchistes les plus forcenés de France: le parti opposé n'était pas plus modéré. Il avait levé l'étendard de la révolte et de la guerre civile après le 31 mai; et livré Toulon, le principal arsenal de la France, à son plus mortel ennemi. Marseille ne vit que par le commerce: la supériorité maritime des Anglais l'avait réduite au simple cabotage, ce qui pesait beaucoup sur elle; c'est d'ailleurs le pays de France où il s'est moins vendu de domaines nationaux, les moines et les prêtres y avaient peu de biens-fonds, et hormis dans le district de Tarascon, les propriétés y ont éprouvé peu de changements. Cependant tous les efforts des partisans des Bourbons furent impuissants; les principes du 18 brumaire avaient réuni la très-grande majorité des citoyens; et enfin les mouvements de l'armée de réserve suspendaient les pensées, fixaient toutes les attentions, excitaient tous les intérêts.

Le 11 mai, Mélas fit son entrée à Nice: l'ivresse des officiers autrichiens était extrême; ils arrivaient enfin sur le territoire de la république, après avoir vu les armées françaises aux portes de Vienne. Une croisière anglaise mouilla à l'embouchure du Var; elle annonçait l'arrivée de l'armée embarquée à Mahon, qui devait investir la place de Toulon. Pour cette fois l'Angleterre voulait faire sauter les superbes bassins et détruire de fond en comble cet arsenal, d'où était sortie l'armée qui menaçait son empire des Indes.

Le Var est un torrent guéable, mais qui en peu d'heures grossit. Les gués n'y sont pas sûrs, d'ailleurs la ligne que défendait Suchet était courte, la gauche s'appuyait à des montagnes difficiles, la droite à la mer, à six cents toises. Il avait eu le temps de couvrir de retranchements et de batteries de gros calibre la tête de pont qu'il occupait en avant du village de Saint-Laurent. Dès la première entrée des Français dans le comté de Nice, en 1792, le génie avait construit grand nombre de batteries sur la rive droite pour protéger le pont qui a trois cents toises de longueur; un défilé aussi considérable avait attiré toute la sollicitude des généraux français, pendant les années 1792, 1793, 1794, 1795. Le champ de bataille qu'allait défendre Suchet était préparé de longue main. Le 14, après quelques jours de repos, les divisions Elsnitz, Bellegarde et Lattermann, attaquèrent la tête de pont avec opiniâtreté: la défense fut brillante; l'ennemi, écrasé par les batteries de la rive droite, reconnut l'impossibilité de réussir; il prit position; il poussa par la gauche des postes jusqu'à la croisière anglaise, et appuya sa droite aux montagnes. Mélas était résolu à passer le Var plus haut: le corps de Suchet tourné eût été obligé de se reployer sur Cagnes et les défilés de l'Esterelles, lorsque le 21 il reçut enfin les nouvelles du passage du Saint-Bernard par l'armée de réserve, et de l'arrivée de Napoléon à Aoste. Mélas partit aussitôt avec deux divisions, passa le col de Tende, entra à Coni le 23; le 24 il apprit à Savigliano la prise d'Ivrée: il s'était fait précéder depuis quelques jours par la division Palfy. Il se flattait encore que toutes ces nouvelles étaient exagérées; que cette armée, si redoutable, ne serait qu'un corps de 15 à 20,000 hommes au plus qu'il pouvait facilement contenir avec les troupes qu'il amenait avec lui et ce qu'il avait réuni dans la plaine d'Italie, sans renoncer à Gênes, ajournant seulement ses projets sur la Provence. Il ordonna à Elsnitz de conserver, de prendre position derrière la ligne de la Roya, appuyant sa droite au col de Tende, son centre sur les hauteurs de Breglio, sa gauche à Vintimille. Des officiers de génie, de nombreux corps de sapeurs, se rendirent sur cette ligne de retraite pour y construire des retranchements. La Roya est effectivement la meilleure ligne pour couvrir Gênes du côté de la France, en même temps que la chaussée de Tende; car la Taggia qui est en arrière, laisse à découvert la chaussée de Nice à Sospello, Tende et Turin.