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Czytaj książkę: «Micah Clarke – Tome I. Les recrues de Monmouth», strona 7

Czcionka:

– Pourquoi le cacherions-nous? demandai je.

– Eh! l'ami, si ignorant que vous soyez des choses de la guerre ou des précautions du soldat, vous devez voir que si l'on trouvait ce cadavre ici, on crierait au meurtre dans tout le pays, et que des inconnus comme nous seraient arrêtés comme suspects. Et si nous arrivions à nous justifier, ce qui n'est pas chose facile, le juge de paix voudrait au moins savoir d'où nous venons, où nous allons; et tout cela finirait par des recherches qui ne présagent rien de bon.

«Ainsi donc, mon ami inconnu et silencieux, reprit-il, je vais prendre la liberté de vous traîner jusque dans les broussailles. Il est probable que vous y passerez au moins un ou deux jours sans qu'on s'aperçoive de votre présence, et qu'ainsi vous ne causerez pas d'ennuis à d'honnêtes gens.

– Au nom du Ciel, ne le traitez pas avec cette brutalité, m'écriai-je en sautant à bas de mon cheval, et posant ma main sur le bras de mon compagnon. Il n'est nullement nécessaire de le traîner avec autant de sans-gêne. Puisqu'il faut l'enlever d'ici, je le transporterai avec tous les égards nécessaires.

En disant ces mots, je pris le corps entre mes bras. Je le portai dans un amas d'ajoncs en fleur près de la route, je l'y déposai avec respect et ramenai les branches sur lui pour le cacher.

– Vous avez les muscles d'un bœuf et un cœur de femme, marmotta mon compagnon. Par la Messe, il avait raison, ce chanteur de psaumes en cheveux blancs, car, si ma mémoire est fidèle, il a dit quelque chose de ce genre. Quelques poignées de poussière feront disparaître les taches. Maintenant nous pouvons nous remettre en route sans crainte d'être appelés à répondre des crimes d'un autre. Je vais seulement serrer ma ceinture et sans doute nous serons bientôt hors de danger.

«J'ai eu affaire, reprit Saxon, pendant que nous reprenions notre chevauchée, à bien des gentilshommes de cette espèce, avec les brigands albanais, les banditti piémontais, les lansquenets, les francs-cavaliers du Rhin, les picaroons d'Algérie, et autres de leurs pareils. Cependant je ne puis m'en rappeler un seul qui ait pu prendre sa retraite en sa vieillesse avec une fortune suffisante. C'est un commerce toujours précaire, et qui doit finir tôt ou tard par une danse dans le vide au bout d'une corde raide, avec un bon ami vous tirant de toute sa force par les jambes pour vous débarrasser de l'excès de souffle qui peut vous rester.

– Et tout ne finit pas là! remarquai-je.

– Non, il y a de l'autre côté Tophet et le feu de l'enfer. Ainsi nous l'apprennent nos bons amis les curés. Eh bien, si l'on ne réussit pas à gagner de l'argent dans ce monde, si l'on finit par y être pendu, et si l'on doit enfin brûler éternellement, il est certain qu'on s'est engagé dans une route semée d'épines. Mais d'autre part, si l'on parvient à mettre la main sur une bourse bien garnie, ainsi que l'on fait cette nuit ces coquins, on peut bien risquer quelque chose, dans le monde à venir.

– Mais, dis-je, à quoi leur servira cette bourse pleine? De quelle utilité seront les vingt ou trente pièces enlevées à ce malheureux par ces coquins, quand sonnera leur dernière heure?

– C'est vrai, dit sèchement Saxon, mais elles pourront leur rendre quelques services en attendant. Vous dites que c'est là Bishopstoke? Que sont ces lumières qu'on voit plus loin?

– Elles viennent de Bishop's Waltham, répondis je.

– Il faut aller plus vite, car je tiendrais beaucoup à être à Salisbury avant qu'il fasse grand jour.

«Nous y donnerons du repos à nos cheveux jusqu'au soir, et nous nous reposerons aussi, car l'homme et la bête ne gagnent rien à arriver fourbus sur le théâtre de la guerre.

«Pendant toute cette journée, on ne verra pas que courriers sur courriers par toutes les routes de l'ouest.

«Il y aura peut être aussi des patrouilles de cavalerie et nous ne pourrons y montrer nos figures sans risquer d'être arrêtés et interrogés.

«Or, si nous restons dedans pendant le jour, et si nous reprenons notre voyage à la tombée de la nuit, en nous écartant de la grande route et traversant la plaine de Salisbury et les dunes du comté de Somerset, nous arriverons probablement au but sans accident.

– Mais si Monmouth avait engagé la lutte avant que nous soyons arrivés?

– Alors nous aurons manqué une occasion de nous faire couper la gorge.

«Hé! l'ami, en supposant qu'il ait été mis en déroute, et son monde dispersé, ne serait-ce pas une fameuse idée de notre part que de nous présenter comme deux loyaux yeomen, qui auraient fait à cheval tout le trajet depuis le Hampshire, pour frapper un coup contre les ennemis du Roi?

«Nous pourrions obtenir un présent en argent ou en terre comme récompense de notre zèle…

«Non, ne froncez pas le sourcil, ce n'était qu'une plaisanterie.

«Laissons souffler nos chevaux en montant cette côte au pas.

«Mon genêt est aussi frais qu'au départ, mais votre grande carcasse commence à peser sur votre gris pommelé.

La tache lumineuse de l'orient s'était allongée et élargie.

Le ciel était parsemé de petites aigrettes écarlates formées par des nuages.

Comme nous franchissions les collines basses près du gué de Chandler et Romsey, nous pûmes voir la fumée de Southampton au Sud-Est, et la vaste et sombre masse de la New Forest sur laquelle planait la brume matinale.

Quelques cavaliers passèrent près de nous, jouant de l'éperon, et trop préoccupés de leurs affaires pour s'enquérir des nôtres.

Deux ou trois charrettes, et une longue file de chevaux de bât, dont la charge consistait principalement en ballots de laine arrivèrent fort espacés par un chemin, de traverse.

Les conducteurs nous ôtèrent leurs chapeaux et nous souhaitèrent bon voyage.

À Dunbridge, les habitants commençaient à se mettre en mouvement.

Ils enlevaient les volets des cottages et venaient à la barrière de leurs jardins pour nous voir passer.

Lorsque nous entrâmes à Dean, le grand soleil rouge élevait son globe rosé au-dessus de l'horizon.

L'air s'emplissait du bourdonnement des insectes et des doux parfums du matin.

Nous mîmes pied à terre dans le dernier village et bûmes un verre d'ale pendant que nos chevaux se reposaient et se désaltéraient.

L'hôtelier ne put nous donner aucun renseignement au sujet des insurgés et paraissait d'ailleurs se soucier fort peu que l'affaire tournât dans un sens ou dans l'autre.

– Tant que le brandy paiera un droit de six shillings huit pence par gallon et qu'avec le fret et le coulage il reviendra à une demi-couronne, dont je compte bien tirer douze shillings, peu m'importe que tel ou tel soit roi d'Angleterre. Parlez-moi d'un roi qui empêcherait la maladie du houblon, je suis son homme.

Telle était la politique de l'hôtelier, et j'oserai dire qu'il y en avait bien d'autres qui pensaient comme lui.

De Dean à Salisbury, on va en droite ligne à travers de la lande, des marais, des bourbiers de chaque côté de la route, sans autre halte que le hameau d'Aldesbury, à cheval sur la limite même du comté de Wilts.

Nos montures, ragaillardies par un court repos, allaient d'un bon train.

Ce mouvement rapide, l'éclat du soleil, la beauté du matin, tout concourait à nous égayer l'esprit, à nous remonter, après l'abattement que nous avaient causé notre longue chevauchée nocturne et l'incident du voyageur assassiné.

Les canards sauvages, les macreuses, les bécasses partaient à grand bruit des deux côtés de la route au son des fers des chevaux.

Une fois, une harde de daims rouges se dressa au milieu de la fougère et s'enfuit dans la direction de la forêt.

Une autre fois, comme nous passions devant un épais bouquet d'arbres, j'entrevis une créature de formes indécises, à demi cachée par les troncs des arbres, et qui était sans doute, à ce que j'imagine, un de ces bœufs sauvages dont j'ai entendu les paysans parler, êtres, qui, d'après eux, habitent les profondeurs des forêts du sud et sont si farouches, si intraitables que nul n'ose en approcher.

L'étendue de la perspective, la fraîcheur piquante de l'air, la sensation toute nouvelle d'une grande tâche à accomplir, tout concourait à faire circuler dans mes veines comme une vie ardente, et telle que le tranquille séjour au village n'eût jamais pu me la donner.

Mon compagnon, avec sa supériorité d'expérience, éprouvait aussi cette influence car il se mit à chanter d'une voix fêlée une chanson monotone, qui, prétendait-il, était une ode orientale et qui lui avait été apprise par la sœur cadette de l'Hospodar de Valachie.

– Parlons un peu de Monmouth, remarqua-t-il, revenant soudain aux réalités de notre situation. Il est peu probable qu'il soit en état d'entrer en campagne avant quelques jours, quoiqu'il soit d'extrême importance pour lui de frapper un coup sans retard, de façon à exciter le courage de ses partisans avant d'avoir sur les bras les troupes du roi.

«Remarquez-le, il lui faut non seulement trouver des soldats, mais encore les armer, et il est probable que ce sera plus difficile encore.

«Supposons qu'il réussisse à rassembler cinq mille hommes – et il ne peut faire un mouvement avec un nombre inférieur – il n'aura pas un mousquet par cinq hommes. Le reste devra se tirer d'affaires avec des piques, des massues et les armes primitives qu'on pourra trouver.

«Tout cela prend du temps; il y aura peut-être des escarmouches, mais sans doute aucun engagement sérieux avant notre arrivée.

– Lorsque nous le rejoindrons, il aura débarqué depuis trois ou quatre jours, dis-je.

– C'est bien peu de temps, avec son petit état-major d'officiers pour enrôler ses hommes et les organiser en régiments. Je ne m'attends guère à le trouver à Taunton, quoiqu'on nous y ait envoyés. Avez-vous entendu parler de riches Papistes dans ce pays?

– Je ne sais, répondis-je.

– S'il y en avait, il y aurait des caisses d'orfèvrerie, de la vaisselle d'argent, sans parler des bijoux de Milady et autres bagatelles propres à récompenser un fidèle soldat.

«Que serait la guerre sans le pillage?

«Une bouteille sans vin, une coquille sans huître.

«Voyez-vous là-bas cette maison qui regarde furtivement entre les arbres. Je parie qu'il y a sous ce toit un tas de bonnes choses, que vous et moi nous les aurions, rien qu'on prenant la peine de les demander, pourvu que nous les demandions, le sabre bien en main. Vous m'êtes témoin que votre père m'a fait présent de ce cheval, qu'il ne me l'a point prêté?

– Alors pourquoi dites-vous cela?

– De peur qu'il ne réclame la moitié du butin que je pourrai faire. Que dit mon érudit Flamand dans le chapitre intitulé: «An qui militi equum proebuit proedoe ab eo captoe particeps esse debeat?» ce qui signifie: «Si celui qui prête un cheval à un soldat, doit avoir part au butin fait par celui-ci?»

«En ce passage, il cite le cas d'un commandant espagnol, qui avait prêté un cheval à l'un de ses capitaines, et le capitaine ayant fait prisonnier le général ennemi, le commandant l'assigna en justice pour avoir la moitié des vingt mille couronnes auxquelles se monta la rançon du prisonnier. Un cas analogue est rapporté par le fameux Petrinus Bellus en son livre: «De Re militari» lecture favorite des chefs de grand renom.

– Je puis vous promettre, dis-je, que jamais mon père ne vous fera aucune réclamation, de ce genre. Voyez-vous, là, par-dessus la cime de la colline, comme le soleil fait briller le haut clocher de la cathédrale, qui semble comme un gigantesque doigt de pierre, montrant la route que tout homme doit suivre.

– Il y a une belle provision d'orfèvrerie et d'argenterie dans ces mêmes églises, dit mon compagnon. Je me souviens qu'à Leipzig, au temps de ma première campagne, je mis la main sur un chandelier, que je fus forcé de vendre à un brocanteur juif pour un quart de sa valeur; et pourtant, même à ce prix-là, j'en eus assez pour remplir de grosses pièces mon havresac.

Pendant qu'il parlait, il se trouva que la jument de Saxon avait gagné une où deux longueurs sur ma monture, ce qui me permit de le considérer à loisir sans tourner la tête.

Pendant notre chevauchée, j'avais eu trop peu de lumière pour juger de l'air qu'il avait sous son équipement, je fus stupéfait du changement que cela avait produit chez mon homme.

Habillé en simple particulier, sa maigreur extrême, la longueur de ses membres lui donnaient l'air gauche, mais à cheval, sa face maigre et sèche, vue sous son casque d'acier, sa cuirasse et son justaucorps de buffle élargissant son corps, ses hautes bottes de cuir souple montant jusqu'à mi-cuisse, il avait bien l'air du vétéran qu'il prétendait être.

L'aisance avec laquelle il se tenait en selle, l'expression hautaine et hardie de sa figure, la grande longueur de ses bras, tout indiquait l'homme capable de bien jouer son rôle dans la mêlée.

Son langage seul m'inspirait peu de confiance, mais son attitude suffisait aussi pour convaincre un novice que c'était un homme profondément expérimenté dans les choses de la guerre.

– Voici l'Aven qui brille parmi les arbres, remarquai-je. Nous sommes à environ trois milles de la ville de Salisbury.

– Voici un beau clocher, dit-il en jetant un regard sur la haute tour de pierre qui se dressait devant nous. On dirait que les gens d'autrefois passaient leur vie à entasser pierres sur pierres.

«Et pourtant l'histoire nous conte de rudes batailles, nous parle de bons coups donnés! Cela prouve qu'ils avaient des loisirs pour se distraire par des exercices guerriers, et qu'ils n'étaient pas toujours occupés à des besognes de maçons.

– En ce temps-là, l'Église était rude, répondis-je, en secouant mes rênes, car Covenant commençait à donner des signes de paresse. Mais voici quelqu'un qui pourrait peut-être nous donner des nouvelles de la guerre.

Un cavalier, dont l'extérieur indiquait qu'il avait dû faire une longue et pénible traite, s'approchait rapidement vers nous.

Homme et cheval étaient pareillement couverts de poussière grise, barbouillés de boue.

Néanmoins l'homme se mit au galop en laissant aller les rênes, et en se courbant sur l'encolure comme un homme pour lequel une foulée de plus a de la valeur.

– Holà! hé, l'ami, s'écria Saxon, en dirigeant sa jument de façon à barrer la route sur le passage de l'homme, quoi de nouveau dans l'Ouest?

– Je ne dois pas m'attarder, dit le messager d'une voix haletante, en ralentissant un instant son allure, je porte des papiers importants envoyés par Gregory Alford, maire de Lyme, pour le Conseil de Sa Majesté.

«Les Rebelles lèvent la tête, et se rassemblent comme les abeilles au temps de l'essaimage. Il y en a déjà quelques milliers en armes, et tout le comté de Devon s'agite.

«La cavalerie rebelle, commandée par Lord Grey, a été chassée de Bridport par la milice rouge de Dorset, mais tous les whigs à l'oreille en pointe, depuis le Canal jusqu'à la Severn, vont rejoindre Monmouth.

Et après ce bref résumé des nouvelles, il nous dépassa et reprit sa route à grand bruit, au milieu d'un nuage de poussière, pour remplir sa mission.

– Ainsi donc voilà la bouillie sur le feu, dit Decimus Saxon, lorsque nous nous remîmes en marche, maintenant qu'il y a des peaux trouées, les rebelles peuvent tirer les épées et jeter les fourreaux. Ou bien c'est la victoire pour eux, ou bien leurs quartiers seront accrochés dans toutes les villes du royaume qui ont un marché. Hé! mon garçon, nous jetons une basse carte pour une belle mise.

– Remarquez que Lord Grey a éprouvé un échec, dis-je.

– Peuh! cela n'a pas d'importance. Une escarmouche de cavalerie, tout au plus, car il est impossible que Monmouth ait amené le gros de ses forces à Bridport, et s'il avait pu l'y amener, il s'en serait gardé, car cet endroit n'est pas sur sa route.

«Ça été une de ces affaires qui se composent de trois coups de feu et un temps de galop, où chacun des combattants gagne au large en s'attribuant la victoire. Mais nous voici dans les rues de Salisbury. Maintenant laissez-moi la parole. Sans quoi votre maudite véracité peut nous faire faire la culbute avant que l'heure ait sonné.

Nous descendîmes la large Grand-Rue pour mettre pied à terre devant l'Hôtellerie du Sanglier Bleu.

Nous confiâmes nos chevaux fatigués au valet d'écurie, auquel Saxon fit de minutieuses recommandations au sujet de la façon de les soigner, en parlant à très haute voix, et émaillant ses propos de nombreux et rudes jurons soldatesques.

Après quoi, il fit une entrée bruyante dans la salle commune, s'assit sur une chaise, posa ses pieds sur une autre chaise, et fit comparaître l'hôtelier devant lui, pour lui faire connaître nos besoins, sur un ton et avec des façons bien propres à lui donner une haute idée de notre condition.

– Ce que vous avez de mieux, et tout de suite, dit-il. Tenez prête votre plus grande chambre à coucher à deux lits, auxquels vous mettrez les draps les plus fins, parfumés à la lavande, car nous avons fait un fatigant trajet à cheval, et nous avons besoin de repos.

«Et puis, vous m'entendez bien, hôtelier, n'essayez pas de nous faire passer de vos marchandises éventées et moisies pour des denrées fraîches, non plus que de votre lessive de vin français pour du Hainaut authentique.

«Je tiens à vous faire savoir que mon ami et moi nous sommes des personnages qui jouissent de quelque considération dans le monde, bien que nous ne pensions pas devoir faire connaître nos noms au premier croquant venu.

«Faites donc en sorte de bien mériter de nous, ou autrement ce sera tant pis pour vous.

Ce discours, ainsi que les façons hautaines et l'air farouche de mon compagnon, produisit tant d'effet sur l'hôtelier qu'il nous servit aussitôt un déjeuner qui avait été préparé pour trois officiers des Bleus, lesquels l'attendaient dans la pièce voisine.

Il leur fallut passer une demi-heure de plus à jeun.

Nous entendions fort bien leurs jurons et leurs plaintes pendant que nous dévorions leur chapon et leur pâté de gibier.

Lorsque nous eûmes fait ce bon repas, arrosé d'une bouteille de Bourgogne, nous montâmes à notre chambre, pour étendre sur les lits nos membres fatigués, et nous fûmes bientôt plongés dans un profond sommeil.

IX-Une passe d'armes au Sanglier Bleu

Je dormais depuis quelques heures, lorsque je fus réveillé brusquement par un fracas prodigieux, suivi d'un bruit d'armes entrechoquées et de cris perçants qui parvenaient du rez-de-chaussée.

Je me levai aussitôt.

Je m'aperçus que le lit qu'avait occupé mon camarade était vide, et que la porte de la chambre était ouverte.

Comme le vacarme continuait et qu'il me semblait y reconnaître sa voix, je pris mon épée et sans prendre le temps de me couvrir de mon casque, de ma cuirasse et de mes brassards, je courus vers l'endroit où avait lieu cette scène de désordre.

Le vestibule et le corridor étaient encombrés de sottes servantes et de voituriers, qui restaient là, ouvrant de grands yeux, et que le vacarme avait attirés, comme moi.

Je me frayai passage à travers ces gens, jusque dans la salle où nous avions déjeuné le matin, et où régnait la plus grande confusion.

La table ronde, qui en occupait le centre, avait été renversée et trois bouteilles de vin brisées.

Des pommes, des poires, des noix, les morceaux des assiettes qui les avaient contenues, jonchaient le sol.

Deux paquets de cartes et un cornet à dés gisaient parmi les débris du festin.

Près de la porte, Decimus Saxon était debout, la rapière nue en main, une seconde rapière sous ses pieds.

En face de lui, un jeune officier en uniforme bleu, la figure pourpre de confusion et de colère, jetant autour de lui des regards furieux comme s'il cherchait une arme pour remplacer celle qu'on lui avait enlevée.

Il aurait pu servir de modèle à Cibber ou à Gibbons pour une statue représentant la rage impuissante.

Deux autres officiers, portant le même uniforme bleu, étaient debout près de leur camarade, et comme je les avais vus mettre la main sur la garde de leurs épées, je pris place à côté de Saxon, en me tenant prêt à frapper, si l'occasion se présentait.

– Qu'est-ce que dirait le maître d'armes, le maître d'escrime? raillait mon compagnon. M'est avis qu'il serait cassé de son emploi pour ne vous avoir point appris à faire meilleure figure. Foin de lui! Est-ce ainsi qu'il enseigne aux officiers de la garde de Sa Majesté à se servir de leurs armes?

– Cette raillerie, monsieur, dit le plus âgé des trois, un homme trapu, brun, aux gros traits, n'est pas imméritée. Et pourtant, vous auriez pu vous en dispenser. Je me permets de trouver que notre ami vous a attaqué avec un peu trop de précipitation et qu'un soldat aussi jeune aurait dû témoigner un peu plus de déférence à un cavalier aussi expérimenté que vous.

L'autre officier, personnage aux traits fins, à l'air noble, s'exprima d'une façon presque identique.

– Si ces excuses sont admises, dit-il, je suis prêt à y ajouter les miennes. Si toutefois on en demande davantage, je serai heureux de prendre la querelle à mon compte.

– Non, non, ramassez votre poinçon, répondit Saxon, d'un ton de bonhomie, en poussant du pied la rapière du côté de son tout jeune adversaire, seulement faites attention à ceci: quand vous vous fendez à fond, dirigez votre pointe en bas plutôt qu'en haut. Sans quoi vous risquez d'exposer votre poignet au coup de votre adversaire, qui, sans doute, ne manquera pas de vous désarmer. Qu'on tire en quarte, en tierce ou en seconde, la même règle est applicable.

Le jeune homme remit son épée au fourreau, mais il était si confus d'avoir été battu avec tant de facilité, et de la façon dédaigneuse dont son adversaire le renvoyait, qu'il fit demi-tour et sortit.

Pendant ce temps, Decimus Saxon et les deux officiers se mirent à l'œuvre pour redresser la table et rétablir un ordre relatif dans la pièce.

Je fis de mon mieux pour les y aider.

– J'avais en main trois dames aujourd'hui pour la première fois, grommela le soldat de fortune. J'allais les annoncer quand ce jeune coq m'a sauté à la gorge. C'est également lui qui nous a causé la perte de trois bouteilles du meilleur vin. Lorsqu'il aura bu du vin détestable autant qu'il m'a fallu en avaler, il ne sera pas aussi pressé d'en gaspiller du bon.

– C'est un gamin qui a la tête chaude, dit le plus âgé des officiers, et quelques instants de réflexions solitaires ajoutés à la leçon que vous lui avez donnée pourront lui être utiles. Quant au vin muscat, la perte en sera aisément réparée, d'autant plus joyeusement que votre ami ici présent nous aidera à le boire.

– J'ai été réveillé par le bruit des armes, dis-je, et maintenant je me doute à peine de ce qui est arrivé.

– Bah! une simple dispute de cabaret, que l'habileté et la jugement de votre ami a empêchée de tourner au sérieux. Je vous en prie, prenez cette chaise à fond de jonc, et vous Jack, commandez le vin. Si notre camarade a répandu la dernière bouteille, c'est à nous à offrir celle-ci, et du meilleur qu'il y ait à la cave.

«Nous faisions une partie de bossette, ou Mr Saxon ici présent faisait preuve de la même habileté qu'au maniement de l'épée de combat.

«Le hasard a fait tourner la chance contre le jeune Horsford, ce qui sans doute l'a disposé à prendre trop vite les choses du mauvais côté.

«Au cours de la conversation, votre ami, parlant de ce qu'il avait vu en différents pays, remarqua que les troupes de la garde, en France, semblaient soumises à une discipline plus stricte que nos régiments.

«Sur ces mots, Horsford a pris feu, et après quelques paroles vives, ils se sont trouvés comme vous les avez vus, face à face, l'épée tirée.

«Le petit n'a pas encore fait campagne. Aussi est-il très désireux de prouver qu'il a du courage.

– En quoi, dit l'officier de haute taille, il a montré assez peu d'égards pour moi, car si les propos avaient été offensants, c'eût été à moi de les relever, en ma qualité de capitaine plus ancien et major à brevet, et non à un petit bout d'enseigne, qui en sait tout juste assez pour faire l'exercice à sa troupe.

– Vous parlez raison, Ogilvy, dit l'autre officier en reprenant son siège près de la table et essuyant les cartes qui avaient été éclaboussées par le vin.

«Si la comparaison avait été faite par un officier de la garde de Louis dans le but d'insulter et par bravade, il aurait été à propos pour nous de risquer une passe.

«Mais ces mots venant d'un Anglais mûri par l'expérience ne peuvent constituer qu'une critique instructive dont on devrait profiter au lieu de s'en fâcher.

– C'est vrai, Ambroise, répondit l'autre, sans des critiques de cette sorte, une armée moisit sur place, et elle ne peut espérer de se maintenir au niveau de ces troupes continentales qui rivalisent sans cesse entre elles à qui deviendra la plus efficace.

Je fus si enchanté d'entendre ces officiers faire ces remarques pleines de bon sens, que je fus vraiment heureux d'avoir l'occasion de faire plus ample connaissance avec eux par l'intermédiaire d'une bouteille d'excellent vin.

Les préjugés de mon père m'avaient amené à croire qu'un officier du Roi ne pouvait être autre chose qu'un composé du fat et du fanfaron, mais je reconnus, devant la réalité, que cette idée-là était comme presque toutes celles qu'on accepte de confiance, dépourvue de tout fondement.

En fait, s'ils avaient été vêtus d'habits moins guerriers, si on leur avait ôté leurs épées et leurs bottes montantes, on aurait pu les prendre pour des gens remarquables par la douceur de leurs manières, car leur causerie roulait sur des sujets de science.

Ils discutaient sur les recherches de Boyle, sur le passage de l'air, d'un rire fort grave, et avec grand étalage de connaissances.

En même temps, leurs mouvements alertes, et leur port viril prouvaient qu'en cultivant le lettré, ils n'avaient point sacrifié le soldat.

– Puis-je vous demander, dit l'un d'eux en s'adressant à Saxon, si au cours de vos nombreux voyages, vous avez jamais rencontré un de ces sages, de ces philosophes qui ont valu tant d'honneur et de gloire à la France et à l'Allemagne?

Mon compagnon parut embarrassé.

Il avait l'air d'un homme qu'on met sur un terrain qui n'est pas le sien.

– Il y en avait en effet un à Nuremberg, dit-il, un certain Gervinus ou Gervianus qui, d'après les on-dit, était capable de changer un morceau de fer en un lingot d'or aussi aisément que je change en cendres ce tabac. Le vieux Pappenheimer l'enferma avec une tonne de métal, en le menaçant de lui faire subir les poucettes s'il ne le changeait pas en pièces d'or.

«Je puis vous garantir qu'il n'y avait pas un jaunet dans la tonne, car j'étais capitaine de la garde, et je fouillai minutieusement la prison. Je le dis à mon regret, car j'avais ajouté de mon chef une petite grille de fer au tas, dans l'espoir que s'il y avait quelques métamorphose de ce genre, il serait bon que j'eusse ma petite part du l'expérience.

– L'Alchimie, la transmutation des métaux et d'autres choses de cette sorte ont été rejetées par la véritable science, remarqua le grand officier. Même le vieux Sir Thomas Browne, de Norwich, qui fut toujours porté à plaider la cause des Anciens, ne trouve rien à dire en faveur de ces idées. Depuis Trismegiste, en passant par Albert le Grand, Thomas d'Aquin, Raymond Lulle, Basile Valentin, Paracelse et les autres, il n'y en a pas un qui ait laissé derrière lui autre chose qu'un nuage de mots.

– Et le coquin dont je parle n'en laissa pas davantage, dit Saxon. Il y en eut un autre, Van Helstadt, qui était un savant. Il tirait des horoscopes moyennant un petit tarif ou honoraire. Je n'ai jamais connu d'homme aussi avisé que lui, il parlait planètes, constellations, comme s'il les gardait toutes dans son arrière-cour. Il ne faisait pas plus de cas d'une comète que si c'était une orange de Chine pourrie, et il nous en expliquait la nature, en disant que c'étaient tout simplement des étoiles ordinaires dans lesquelles on avait fait un trou, par où sortaient leurs intestins, leurs entrailles. C'était un vrai philosophe, celui-là.

– Et avez-vous jamais mis son habileté à l'épreuve? demanda l'un des officiers en souriant.

– Non, pas moi, car je me suis toujours tenu à l'écart de la magie noire, et de toute la diablerie de cette espèce. Mon camarade Pierre Scotton, qui était oberst (colonel) dans la brigade de cavalerie impériale, lui paya un noble à la rose pour se faire dévoiler son avenir.

«Si je m'en souviens bien, les étoiles dirent qu'il aimait trop le vin et les femmes: il avait l'œil coquin, et le nez couleur d'escarboucle.

«Elles lui prédirent aussi qu'il aurait un jour le bâton de maréchal, qu'il mourrait à l'âge mûr, et tout cela aurait bien pu arriver s'il n'était pas tombé de cheval un mois après à Obergraustock et s'il n'avait pas péri sous les fers de ses propres chevaux.

«Ni les planètes, ni même le maréchal-ferrant du régiment, homme d'expérience pourtant, n'auraient pu prédire que l'animal aurait crevé aussi complètement.

Les officiers rirent à gorge déployée de la façon de voir de mon compagnon et se levèrent de leurs chaises, car la bouteille était finie, et il se faisait tard.

– Nous avons de la besogne à faire par ici, dit l'un d'eux, celui qui avait répondu au nom d'Ogilvy. En outre, il nous faut retrouver notre jeune sot et lui démontrer qu'il n'y a rien de déshonorant à être désarmé par un tireur d'épée aussi exercé. Nous devons préparer les quartiers pour le régiment, qui doit se réunir aux troupes de Churchill dès ce soir. Vous aussi, vous êtes envoyés dans l'Ouest, à ce que je pense.

– Nous faisons partie de la maison du duc de Beaufort, dit Saxon.

– Ah! vraiment! je croyais que vous apparteniez au régiment jaune de milice de Portman. Je compte que le Duc armera, autant de monde que possible et qu'il occupera le tapis jusqu'à l'arrivée des troupes royales.

– Combien d'hommes amènera Churchill? demanda mon compagnon d'un air indifférent.

– Huit cents chevaux au plus, mais milord Feversham suivra avec bien près de quatre mille fantassins.

– Nous nous rencontrerons peut-être sur le champ de bataille, sinon avant, dis-je.

Et nous fîmes des adieux pleins de cordialité à nos excellents ennemis.

– Voilà qui n'est pas mal comme équivoque, maître Micah, dit Decimus Saxon, et cela vous a un parfum de restriction mentale chez un homme épris de véracité comme vous. Si jamais nous les rencontrons sur le champ de bataille, j'espère bien que ce sera derrière des chevaux de frise faits de piques et de morgenstierns, et doublés, en avant, d'une rangée de chausse-trapes, car Monmouth n'a pas de cavalerie capable de tenir un instant contre la garde royale.