N'Allez Jamais Chez Le Dentiste Le Lundi

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N'Allez Jamais Chez Le Dentiste Le Lundi
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N’ALLEZ JAMAIS CHEZ

LE DENTISTE LE LUNDI

Ana Escudero

Belén Escudero

Première édition: julliet 2019

© Ana Escudero Canosa

© Belén Escudero Canosa

© Cécile Torrents

© N'allez jamais chez le dentiste le lundi

Registered in Safe Creative: 1804076483175 - Tous droits réservés.

Images de couverture: licence Creative Commons

Origine des images: Pixabay

Auteurs des images originales: Mysticsartdesign, martaposemuckel.

Épisode 1 — Le début

— Peter, n’oublie pas qu’aujourd’hui tu dois amener Alexis chez le dentiste. Peter, malgré un manque d’envie évident, hocha docilement la tête.

—Et n’oublie pas non plus de passer au supermarché acheter la nourriture pour Sultan, continua Vivian.

Peter lança un regard au concerné : le chien se prélassait, collé à la cheminée, complètement immobile. Seules ses oreilles remuèrent en entendant le mot « nourriture ».

— Et toi, Vivian, tu vas où ? demanda Peter, même s’il savait déjà pertinemment la réponse.

— Tu sais bien que j’ai des affaires à régler, des dettes à couvrir. D’ailleurs, quand vas-tu me rembourser tout l’argent que tu me dois encore ? Les années passent et les intérêts grimpent…

— Mais tout n’était pas déjà réglé ? demanda Peter.

— Pourquoi nous sommes nous mariés déjà ?

— Oui, ce n’était pas le pacte ?

— Honnêtement ? Je ne m’en souviens pas. Comprends-moi, le stress du mariage m’a forcé à dire des choses que je ne pensais pas…

Peter se souvient que ce jour-là, tout avait été très rapide, il avait cru qu’ils allaient le tuer. Vivian se leva de la chaise, s’approcha de Peter et l’embrassa avant d’aller embrasser son fils, qui jouait avec Sultan, lui tirant gentiment les oreilles.

— A plus tard, dit-elle en partant, et ne rentre pas tard, Peter. Je ne pourrai pas changer l’heure du rendez-vous encore une fois.

Peter regarda sa femme partir sans regret, elle était d’un tempérament tyrannique et cela commençait à lui coûter de vivre avec tant de règles. Cela allait contre sa nature.

— Alexis, va t’habiller et n’oublie pas de prendre un sweat. Maman te grondera si tu abîmes ton déguisement. Après le dentiste, on ira où tu veux.

— D’accord papa. Où je veux… pour de vrai ?

— Oui, n’importe où.

Pour Peter, une visite chez le dentiste méritait bien une récompense. Vingt minutes après, les deux sortaient, suivis de près par Sultan. Le cabinet du dentiste n’était pas à côté ; il fallait marcher plus d’une demi-heure si bien que Peter décida :

— On va prendre le bus, ça te va Alexis ?

— Oui, mais… et Sultan ?

— Sultan vient avec nous, ne t’inquiète pas.

Alexis resta pensif, il y avait quelque chose qui clochait, mais il décida de suivre son père. Les trois marchèrent jusqu’à l’arrêt de bus. Peter et Alexis devant, et Sultan, à l’arrière, paraissant plus se laisser tirer que marcher par lui-même. Quand ils arrivèrent, Peter remarqua qu’il y avait déjà quelques personnes qui attendaient le bus.Je n’aime pas rester debout, dit-il, viens Alexis, on va se mettre parmi les premiers.

Au loin, une voiture doubla alors adroitement le bus qui arrivait. Le feu rouge arrêta le bus un instant et donna le temps au véhicule d’arriver jusqu’à Peter. La voiture s’arrêta et le conducteur klaxonna plusieurs fois. Tout le monde l’observait. Sultan aboya joyeusement et Alexis applaudit tandis que Peter regardait, effrayé, le conducteur.Salut, vous montez ? proposa le Créancier.Pas la peine, on peut parfaitement prendre le bus, répondit Peter brusquement.

Le bus avança à nouveau et plusieurs personnes lui firent signe de s’arrêter. Peter prit par la main son fils et appela Sultan, tout en se dirigeant vers le bus dans l’intention d’y monter. Mais Sultan ne bougeait pas, il s’était confortablement couché sur le siège arrière de la voiture.

— Papa, regarde Sultan! Il est monté dans la voiture du Créancier! commenta Alexis, pointant du doigt l’évidence.

Peter se retourna pour le voir par lui-même. Pendant ce temps, le bus s’était arrêté et les gens commençaient déjà à y entrer, certains se bousculant même, ayant dans l’idée de monter les premiers pour avoir un siège libre.

Le Créancier attendait, se roulant une cigarette, appuyé sur le capot, que Peter se décide.

— Si tu réfléchis trop, vous allez arriver en retard à votre rendez-vous, dit-il.

— Bon je monte, mais c’est moi qui conduis.

Le Créancier rit, comme lui seul savait le faire, d’un rire mystérieux et sombre qui fit frémir Peter jusqu’au plus profond de son être.

— Je suis sur le point d’avoir mon permis de conduire, protesta-t-il sans mentionner que c’était son vingtième essai.

Le Créancier rit à nouveau - si le son qui sortait de sa gorge pouvait être appelé rire.

— Allez, monte. Regarde, ton fils est déjà à côté de Sultan.

— Papa, monte, ou maman va nous gronder, renchérit Alexis

Il monta donc à la suite du Créancier qui mit le moteur en route.

— Je vous dépose où ? demanda-t-il.

— 150 rue del Arribista.

— Et qu’est-ce que vous allez faire là-bas ?

— Tu le sais déjà… on va chez le dentiste.

— Moi ? Comment veux-tu que je le sache, petit frère ?

— Je crois que tu te fais vieux. L’ Alzheimer te joue des tours.

— Très drôle petit frère! C’est que tu aimerais bien que je perde la mémoire.

— Je m’inquiète pour toi… ça fait un paquet d’années qu’on se connaît. Quel âge as-tu déjà ?

— Je dirais quarante deux.

— C’est tout ? Tu sembles plus vieux. Le travail que tu fais te vieillit, commenta Peter. Regarde-moi, je viens tout juste d’avoir trente ans et regarde le teint que j’ai, conclut-il.

— Mais oui, tu es encore un enfant, frérot. Enfin, ce serait mieux qu’on se mette en route ou ta femme nous engueulera tous les deux.

Il tourna alors le volant pour s’introduire dans la circulation.

A mesure qu’il se rapprochait de leur destination, Peter devenait de plus en plus nerveux. Pendant ce temps, Alexis observait les voitures à travers la vitre.

— Tonton, j’ai une question. Comment tu t’appelles pour de vrai ? Créancier ? Tonton ? Mon papa t’appelle toujours en disant « celui-là » ou d’autres mots que maman ne veut pas que je répète à voix haute.

— Ahahaha, se mit à rire le Créancier, tu peux m’appeler Créancier, comme tout le monde.

— D’accord oncle Créancier.

— Pourquoi vas-tu voir le dentiste, Alexis ?

— Ma maman dit que c’est parce que je mange trop de bonbons. Elle dit aussi que c’est la faute à papa.

— Quel âge as-tu ?

Alexis leva ses mains et tendit en l’air six doigts.

— Six ans! s’exclama le Créditeur. Alors tu as encore des dents de lait. Ecoute ta mère, Alexis.

— Je comprends pas, tonton. Pourquoi tu dis ça ? Moi, j’écoute toujours maman. C’est elle la chef à la maison.

— C’est bien. Il est chouette ton déguisement, commenta-t-il bien qu’il ne pouvait le voir que partiellement, l’enfant avait la fermeture éclair de son sweat ouverte car la chaleur était étouffante dans la voiture.

— Merci! Je suis Éridan, dit-il sans vraiment savoir ce que c’était, mais fier de s’en souvenir.

Peter n’écoutait pas, à mille lieues d’ici : quel bonheur se serait d’être sur une plage en Californie!

— C’est ce bâtiment ? lui demanda le Créancier, sans obtenir de réponse. Peter, Peter!

— Eh ? Quoi ?

— Où tu étais ? Je te demande si c’est ici, répéta-t-il en montrant l’immeuble qui affichait « Cabinet dentaire ».

— Et bien, je ne sais pas. Je n’ai pas fait attention à la route que l’on a prise.

— Je ne sais même pas pourquoi je te le demande, marmonna le Créancier.

Il se rapprocha pour voir le numéro. Après avoir vérifié que c’était la bonne adresse, ils descendirent de la voiture.

— Tu peux y aller maintenant. Ciao, Créancier.

— A très vite, petit frère.

Quelques minutes plus tard, sa voiture tournait au coin de la rue. Sultan vit s’éloigner la voiture en gémissant avant de se coucher à l’entrée du bâtiment. Père et fils se dirigèrent alors vers la clinique. Le père en traînant les pieds, le fils joyeusement, en sautillant.

Épisode 2 — Le dentiste

En les voyant entrer, l’infirmière blêmit et prit rapidement le téléphone.

— Docteur, on a besoin de vous ici. Vous n’allez pas le croire.

— Qu’est-ce qu’il y a Xenia ?

— Le patient de 9 heures est arrivé avec son père.

Le docteur regarda dans son agenda qui était le patient de 9 heures et prit peur à son tour, mais feignit néanmoins la tranquillité :

— Tu peux les faire entrer, Xenia.

— Tous les deux ?

— Oui, Xenia. - puis il ajouta, surtout pour lui-même - Si Dieu le veut!

— Bonjour, dit l’infirmière en s’adressant aux arrivants. Le docteur me dit que vous pouvez entrer.

Peter jeta un coup d’oeil en direction de la porte, la terreur peinte sur son visage.

— Allez papa, l’encouragea Alexis en le tirant.

Etait-il si lâche ? Pouvait-il se montrer ainsi devant son fils ?

Le docteur vint à leur rencontre, et serrant la main d’Alexis, lui dit :

— Allez petit, ça va être rapide. — Puis, se dirigeant à Peter —. Je vous en prie, entrez. Peter hésita, se sentant déjà un peu malade. Le docteur vit comment Peter blêmissait, et eut peur qu’il ne s’évanouisse, ou pire, qu’il ne se mette à vomir à ses pieds.

— Xenia, montre à ce monsieur où sont les toilettes.

 

Mais Peter restait immobile, respirant comme si l’air lui manquait, hoquetant la bouche ouverte comme un poisson hors de l’eau.

— Je vais bien, dit Peter, même s’il était évident que ce n’était pas vrai.

— Asseyez-vous un moment, dit le docteur en lui ramenant une chaise, maintenant respirez doucement. Inspirez, expirez,…

Peter inspira et expira suivant les indications du dentiste, sous le regard stupéfait d’Alexis, qui, après quelques secondes de réflexion, s’assit à côté de son père pour l’imiter.

— Xenia, accompagne le petit à l’intérieur et prépare tout, lui dit le docteur, avant de s’adresser à nouveau à Peter : c’est ça, très bien, inspirez et expirez.

— Combien de temps encore, docteur ? demanda Peter entre deux inspirations.

— Jusqu’à ce que je vous le dise. Dès que ça va mieux, vous pouvez vous relever et entrer. Le prochain patient ne va pas tarder à arriver.

La porte du cabinet s’ouvrit alors, laissant place à une dame d’âge moyen, qui, regardant là où se trouvait le docteur et Peter, resta interdite.

— Bonjour madame. L’infirmière va sortir pour prendre votre nom, dit alors le dentiste.

La dame, qui avait une joue plus enflée que l’autre, hocha la tête et alla patienter dans la salle d’attente. Elle vit peu de temps après disparaître derrière la porte du cabinet le docteur et son patient.

Alexis était confortablement assis sur le fauteuil d’examen et l’infirmière venait de préparer le matériel nécessaire.

— C’est bien Alexis, on va jeter un coup à tes dents. As-tu mal quelque part ? lui demanda le dentiste.

— Non.

— Tant mieux. Maintenant ouvre grand la bouche pour que je vérifie que tout va bien à l’intérieur.

Alexis obéit et le dentiste se mit à examiner ses dents, passant de la mâchoire inférieure à la mâchoire supérieure.

— Je vois quelque chose, dit-il entre ses dents. Es-tu sûr que ça ne te fait pas mal ici ? demanda-t-il en appuyant sur une des dents inférieures.

— Parfois… mais à papa aussi ça lui fait mal. Il se plaint tout le temps.

— Quoi ?! Moi ?! Je ne me plains jamais! … se plaignit Peter à grands cris.

— Papa, c’est pas bien de mentir.

— Quoi ? Alors je suis aussi un menteur ?! C’est ce que tu penses de moi ?

— Mais non papa… mais pourquoi tu ne dis pas au monsieur dentiste que ta molaire te fait très mal tous les jours ?

— Ce n’est rien, juste une petite gêne, ça passera.

— Papa, toi qui as échappé à un ogre, qui as vécu avec sept géants et qui connais une sorcière, tu ne peux pas avoir peur du dentiste, pas vrai ?

— Et encore je ne t’ai pas tout raconté… blagua Peter, avant de se taire, ayant tout à coup une idée pour faire taire son fils : Alexis, arrête de parler, le docteur ne peut pas travailler.

Le docteur, qui n’avait pas perdu un détail de la conversation, rétorqua en jetant un coup d’oeil à Peter :

— Je vais en terminer avec toi Alexis, puis j’examinerai ton père.

— Terminer mon fils… mais que vas-tu lui faire ? Assassin! se mit à hurler Peter, les mains sur les hanches.

— Faites-moi le plaisir de ne pas crier, lui ordonna le dentiste. Vous êtes dans une clinique prestigieuse. Bientôt les dents de lait d’Alexis vont commencer à tomber et les définitives commenceront à pousser… Maintenant venez et asseyez-vous ici, ajouta-t-il fermement.

Peter obéit et s’assit sur le fauteuil, le dos droit, tendu.

— Ouvrez la bouche.

Peter ouvrit lentement la bouche, dévoilant à peine le bout de ses dents.— Non papa, pas comme ça, comme ça, lui dit Alexis en ouvrant en grand sa bouche.

Peter, imitant son fils, ouvrit un peu plus la bouche, laissant enfin voir ses gencives et une partie de sa langue. Le docteur Bistouri avança l’appareil pour pouvoir bien observer l’intérieur de sa bouche. Il examina ses dents unes à unes, utilisant le souffleur à chaque fois qu’il voyait quelque chose de suspect. La dent cariée apparut alors sous ses yeux et il ne put s’empêcher d’être surpris en pensant à la douleur que Peter devait supporter. Il était d’autant plus surpris qu’il connaissait bien Peter, et pas uniquement comme patient, il l’avait déjà côtoyé lors de différentes rencontres sociales.

— Il y a du travail… se dit-il tout en regardant l’horloge accroché au mur qui affichait 9h40. Je vais endormir la zone pour que vous ne sentiez pas la douleur.

— Pas la peine, dit Peter, faisant mine de se lever. Nous devons y aller.

— Je vous conseille de ne pas partir. On peut encore sauver votre dent, mais si elle reste dans cet état encore un peu plus longtemps, je devrais l’arracher, commenta le docteur.

Quelques secondes suffirent pour que Peter s’imagine torturé par un dentiste sadique lui arrachant la molaire. Mais ce fut la présence de son fils qui le fit finalement se rasseoir dans le fauteuil d’examen.

— Faites ce que vous avez à faire, dit-il avec tout le courage dont il était encore capable.

Le docteur avait pour cela besoin d’assistance, et il appela donc Xenia, qui prépara le nécessaire pour l’intervention. L’injection qu’on avait faite à Peter quelques minutes avant lui maintenait le côté gauche endormi. Le docteur alluma alors la chignole en déclarant :

— Si je vous fais mal, levez la main et j’arrêterai aussitôt.

Mais c’est alors qu’un bruit inattendu, comme une sorte d’explosion, les effraya un instant, et le docteur interrompit son travail.

— Xenia, emmenez le garçon dans une autre pièce et donnez-lui quelque chose pour dessiner.

L’infirmière s’approcha du docteur et lui murmura à l’oreille :

— Nous devons y allez. C’est le signal.

— Vous avez raison, répondit-il en se redressant.

Il enleva sa blouse et l’infirmière ouvrit une porte attenante au bureau. Tous deux s’y engouffrèrent sans que Peter ne bouge du fauteuil, la bouche toujours grande ouverte. Quelques secondes passèrent, presque une minute sans que le docteur ou l’infirmière ne reviennent aux côtés de leur patient, qui maintenait encore sa bouche ouverte aussi grande que possible.

— Papa, où est allé le docteur ? demanda Alexis.

Pour toute réponse, Peter émit des sons étranges qu’Alexis essaya de décrypter.

— Bon, papa, je vais le chercher! dit-il en sautant de la chaise, courant aussitôt vers la porte. Peter le laissa partir et ferma enfin la bouche, prenant conscience avec quelques minutes de retard que le dentiste n’était plus là pour l’obliger à la maintenir ouverte, et donc qu’il pouvait la fermer sans problème. « C’est déjà terminé ? » pensa-t-il. « C’était rapide. Je devrais me rincer la bouche ». Il se redressa et prit un verre en plastique rempli d’eau et s’apprêtait à boire quand sa langue toucha le trou que le dentiste avait commencé à faire dans sa molaire.

— Mais qu’est-ce que c’est que ça ? se demanda Peter qui voulait savoir ce qui avait bien pu arriver à sa dent même si la réponse l’effrayait déjà.

Alexis ne répondit pas à l’exclamation de son père. Le silence avait envahi la clinique - un silence seulement interrompu par le bruit des pages du magazine people que feuilletait la patiente suivante dans la salle d’attente, et par l’horloge qui sonna dix heures. Peter sortit de la pièce et s’approcha de la dame.

— Excusez-moi, avez-vous vu passer un enfant ?

— Et bien, je n’ai pas fait attention. Vous l’avez perdu ?

— Non. Et le dentiste ? Vous l’avez vu ?

— Il n’est pas passé. Qu’est-ce qu’il se passe ? J’avais rendez-vous à 9h30 et l’horaire est déjà nettement passé.

Peter ne répondit pas, mais commença à ouvrir des portes tout en appelant son fils.

— Alexis! Alexis! Mais dans quoi t’es-tu fourré encore ? Je vais me fâcher si tu ne viens pas tout de suite.

Épisode 3 — Enquête dans

le cabinet dentaire

Peter, ne trouvant pas son fils, se rappela alors de Sultan et partit le chercher. Ce dernier attendait toujours patiemment, couché devant la porte du cabinet.

— Sultan, viens ici. Tu as du travail. Va chercher Alexis. Sultan se leva, bailla et s’étira avant de s’approcher de Peter.

— Ouaf ? demanda-t-il, interrogatif.

— Cherche, Sultan! Cherche! lui ordonna Peter.

« Comment avait-il pu pour perdre son fils ? Qu’avait fait cet idiot pour le perdre ? » se demanda Sultan.

Peter laissa entrer Sultan dans le cabinet médical malgré la mine accusatrice de la patiente suivante. Le chien alla jusqu’à la pièce où le père et le fils avaient été peu de temps auparavant et aboya fort : il n’aimait pas ce lieu qui lui rappelait ses visites chez le vétérinaire.

— Sultan, arrête de faire le fainéant et cherche Alexis.

Sultan se dirigea alors vers la porte par laquelle le docteur et son infirmière avaient disparu puis vers une seconde porte qui était fermée. Il leva sa patte pour tourner la poignée. La porte s’ouvrit, permettant à Sultan et à Peter d’entrer dans une autre pièce, également vide. Mais où pouvaient-ils être ?

Peter ouvrit l’unique porte qu’il y avait et se retrouva face à face avec son frère. L’expression de préoccupation de Peter l’alerta, connaissant suffisamment son frère pour savoir qu’il se passait quelque chose.

— Qu’est-ce que tu fais encore là ? Cela fait un moment que j’ai vu le docteur partir.

— Qu’est-ce que tu as fait d’Alexis ? C’est sûr que c’est toi!

— Alexis ? demanda-t-il, pensif. Non, lui, je ne l’ai pas vu.

— Ne mens pas! Bien sûr que tu l’as vu et que tu l’as kidnappé.

— Tu l’as perdu ? Il doit être par là. Tu es allé voir aux toilettes ?

— Non.

— Et bien nous allons voir alors. Viens, on y va ensemble.

Peter suivit son frère jusqu’à la porte des toilettes avec une expression suspicieuse sur le visage. Le Créditeur ouvrit et invita Peter à entrer en premier. La lumière était éteinte. Peter appuya sur l’interrupteur et l’ampoule collée au plafond éclaira la petite pièce.

Sultan aboya plusieurs fois, son odorat l’avait mené jusqu’à la porte de secours.

— Allez, Peter! Ce n’est pas le moment de pisser, dit le Créditeur en voyant Peter déboutonner les boutons de son pantalon.

— Laisse)moi faire pipi. Il faut profiter du moment opportun.

— Tu es un enfant…

Une fois soulagé, Peter boutonna les boutons et se lava les mains.— Tu ne veux pas pisser ? Tu devrais en profiter toi aussi.

Entretemps, Sultan aboyait sans s’arrêter. « Qu’attendaient ces idiots d’humains ? »

Peter sortit des toilettes et s’exclama :

— Allons-y! Sultan est en train d’aboyer.

Sultan vit apparaitre les deux humains… « il était temps! ». Le Créditeur ouvrit la porte qui donnait sur quelques marches, et au bout, il y avait une autre porte qui donnait sur la rue. Sultan se dirigea sans douter vers cette seconde porte et attendit que quelqu’un lui ouvre, se collant à côté et émettant un bref aboiement.

— Il ne peut pas être sorti dans la rue! s’exclama Peter, anxieux. Il sait qu’il n’a pas le droit de sortir tout seul.

— La question est de savoir s’il a choisi de sortir par lui-même ou si on l’y a obligé.

— Obligé ? Qui l’aurait obligé ? Toi, toi, je savais que c’était toi.

— Comment est-ce que cela pourrait être moi si je suis avec toi en ce moment, en train de t’aider ? Ne sois pas bête, petit frère.

— Tu as envoyé quelqu’un. Tu as des subalternes même en enfer.

— C’est sûr que j’aurais pu le faire comme ça. Très bien pensé, Peter.

— Ouaf, ouaf, ouaf! aboya Sultan furieusement. « Pourquoi les humains aimaient-ils perdre du temps ? »

Le Créditeur ouvrit la porte et sortit à l’extérieur, suivi de Peter et de Sultan.

La voiture du Créditeur était stationnée très proche, si bien que les trois partirent en courant jusqu’à elle. Quelques secondes plus tard, le Créditeur allumait le moteur.

— Alexis est sorti après le dentiste, se souvint Peter, qui m’a abandonné sur le fauteuil médical. Et Vivian qui disait qu’il était le meilleur de la ville.

— Explique-moi Peter, qu’est-ce qu’il s’est passé ? Où est allé le dentiste ?

— Je ne sais pas. Il y a eu une explosion. Tu ne l’as pas entendu ? Puis, d’un coup, j’étais seul.

— Tu expliques mal. Pense que ce que tu me dis peut nous aider à trouver Alexis. Explique-moi tout ce qui s’est passé à la clinique.

 

— Nous sommes entrés. Alexis était très content. L’infirmière était au comptoir, elle a pris le téléphone.

— Ce n’est pas non plus nécessaire… commença à dire le Créditeur, mais ajoutant après : mais continue. Quoi de plus ?

— L’infirmière nous a dit que l’on pouvait entrer, mais je ne pouvais pas bouger, je me souviens qu’Alexis me tirait, parce que je ne voulais pas entrer.

— Ton fils doit être un saint pour te supporter. Qu’est-ce qu’il s’est passé ensuite après que tu as arrêté de faire l’imbécile ?

— J’ai inspiré et expiré… inspiré et expiré… répéta Peter comme il l’avait fait dans le cabinet.

— Si tu continues à expliquer à ce rythme là, on va y passer la nuit. Accélère!

— Après avoir examiné Alexis, il m’a obligé à m’asseoir puis s’est obstiné à me dire que j’avais une carie sur la molaire et qu’il devait la plomber.

— Et c’était vrai ?

— Non, mais il m’a menacé qu’un dentiste sadique me l’enlève. Au bout d’un moment, l’explosion a retenti.

— L’explosion… quelle explosion ?

— Ne me dis pas que tu ne l’as pas entendu! C’était très fort, mais cela semblait venir d’assez loin. Boum!

— J’ai entendu quelque chose mais cela paraissait plus à des feux d’artifice qu’à une explosion. Quoique maintenant que je m’en souviens, peut-être que tu as raison.

— Bon, puis après le docteur a demandé à l’infirmière d’emmener Alexis dans une pièce et peu de temps après, j’ai entendu une chaise bouger, comme si quelqu’un se levait, et j’ai entendu une porte s’ouvrir, des bruit de pas, se rappela Peter, et ensuite, le silence.

— Mais Alexis est allé dans une autre pièce ou non ? Parce qu’il me semblait que tu avais dit qu’il était allé chercher le docteur.

— C’était après. Alexis est sorti chercher le docteur, et moi… - la sonnerie de son téléphone l’interrompit — C’est Vivian! Qu’est-ce que je lui dis ?

— La vérité. C’est ta femme et la mère d’Alexis.

— Je ne peux pas lui dire la vérité. Elle va se fâcher.

— Avec raison, tu ne crois pas ?

— Moi je ne peux pas lui dire, ce serait mieux si c’était toi. Au moins, elle se fâchera contre toi.

— Je ne vais pas porter cette croix, rétorqua le Créditeur, avant de finalement prendre le téléphone, décrocher, et dire : Vivian, salut. Je te passe ton mari.

— Salut Vivian. Qu’est-ce qui t’amène ? demanda Peter.

— Peter, tu as oublié la carte vitale d’Alexis.

— Et? Quoi ? répondit Peter qui ne s’attendait pas à ça.

— La réceptionniste ne te l’a pas demandé ?

— Non. Nous sommes passés directement en consultation.

— Elle va te la demander en sortant alors. Et Alexis ?

— Il va bien. Tu sais quoi ? Je vais envoyer le Créditeur chercher la carte. Il nous a accompagnés jusque-là, ajouta-t-il devant la mine réprobatrice de celui-ci.

— Bonne idée. Frans lui ouvrira la porte.

— Tu veux me dire quelque chose d’autre ? Non ? et il raccrocha sans donner le temps à Vivian de réagir.

— On a gagné un peu de temps. Pendant que toi tu vas chercher la carte, Sultan et moi on va chercher Alexis.

— Et tu sais déjà où le chercher ? Tu as un plan ?

— Non. Mais, au mieux, quelqu’un l’a vu. J’ai une photo sur mon portable, dit-il en lui montrant.

— Seulement une ? Mais quel père! Moi aussi j’ai des photos d’Alexis sur mon portable comme le bon oncle que je suis.

— Mes parents ont eu un seul enfant, c’est-à-dire, moi. Après autant d’années, je croyais que c’était clair.

— C’est vrai ? Tu es sûr ? Ta mère m’a toujours très bien traité.

— Ma mère traitait bien tout le monde. Elle était mère d’accueil, tu le savais ?

— Tu crois que c’est le bon moment pour aborder ce sujet ? tu n’as pas quelque chose de plus important entre les mains ?

— C’est vrai! Cours, va à la maison. Sultan et moi t’attendons ici.

Le Créditeur réfléchit un millième de seconde : il valait mieux que Peter lui fasse confiance et qu’il continue à jouer le jeu, pour ainsi dire.

Il gara la voiture en double file et dit à Peter :

— Descend. Je reviens ensuite.

Peter sauta hors de la voiture, suivi par un Sultan récalcitrant. La voiture disparut à l’angle de la rue.

— Et maintenant, on fait quoi Sultan ?

— Ouaf! répondit celui-ci. Il avait perdu la trace d’Alexis quatre rues avant.

— Ouaf ? je ne comprends pas ce ouaf. Je ne parle pas la langue des canidés. Qu’est-ce que tu veux dire Sultan ?

— Ouaf! aboya de nouveau Sultan avant de s’allonger dans la rue de tout son long.

— Sultan! Ce n’est pas le moment ni le lieu adéquat pour faire une sieste.

Le chien ferma les yeux, ne pensant pas bouger jusqu’à ce que revienne le Créditeur : il n’avait pas l’intention de tourner en rond, sans direction fixe.

— Debout, Sultan! Je sais que les années pèsent, mais Alexis a besoin de nous, l’encouragea Peter.

— Ouaf! répondit Sultan avec plus d’énergie cette fois, se relevant enfin en entendant le prénom d’Alexis.