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Czytaj książkę: «Les Trois Mousquetaires», strona 33

Czcionka:

– Vous m’avez dit la vérité, mes gentilshommes, dit-il en s’adressant aux trois mousquetaires, il ne tiendra pas à moi que notre rencontre de ce soir ne vous soit avantageuse ; en attendant, suivez-moi.»

Le cardinal mit pied à terre, les trois mousquetaires en firent autant ; le cardinal jeta la bride de son cheval aux mains de son écuyer, les trois mousquetaires attachèrent les brides des leurs aux contrevents.

L’hôte se tenait sur le seuil de la porte ; pour lui, le cardinal n’était qu’un officier venant visiter une dame.

«Avez-vous quelque chambre au rez-de-chaussée où ces messieurs puissent m’attendre près d’un bon feu ?» dit le cardinal.

L’hôte ouvrit la porte d’une grande salle, dans laquelle justement on venait de remplacer un mauvais poêle par une grande et excellente cheminée.

«J’ai celle-ci, répondit-il.

– C’est bien, dit le cardinal ; entrez là, messieurs, et veuillez m’attendre ; je ne serai pas plus d’une demi-heure.»

Et tandis que les trois mousquetaires entraient dans la chambre du rez-de-chaussée, le cardinal, sans demander plus amples renseignements, monta l’escalier en homme qui n’a pas besoin qu’on lui indique son chemin.

CHAPITRE XLIV. DE L’UTILITÉ DES TUYAUX DE POÊLE

Il était évident que, sans s’en douter, et mus seulement par leur caractère chevaleresque et aventureux, nos trois amis venaient de rendre service à quelqu’un que le cardinal honorait de sa protection particulière.

Maintenant quel était ce quelqu’un ? C’est la question que se firent d’abord les trois mousquetaires ; puis, voyant qu’aucune des réponses que pouvait leur faire leur intelligence n’était satisfaisante, Porthos appela l’hôte et demanda des dés.

Porthos et Aramis se placèrent à une table et se mirent à jouer. Athos se promena en réfléchissant.

En réfléchissant et en se promenant, Athos passait et repassait devant le tuyau du poêle rompu par la moitié et dont l’autre extrémité donnait dans la chambre supérieure, et à chaque fois qu’il passait et repassait, il entendait un murmure de paroles qui finit par fixer son attention. Athos s’approcha, et il distingua quelques mots qui lui parurent sans doute mériter un si grand intérêt qu’il fit signe à ses compagnons de se taire, restant lui-même courbé l’oreille tendue à la hauteur de l’orifice inférieur.

«Écoutez, Milady, disait le cardinal, l’affaire est importante : asseyez-vous là et causons.

– Milady ! murmura Athos.

– J’écoute Votre Éminence avec la plus grande attention, répondit une voix de femme qui fit tressaillir le mousquetaire.

– Un petit bâtiment avec équipage anglais, dont le capitaine est à moi, vous attend à l’embouchure de la Charente, au fort de La Pointe ; il mettra à la voile demain matin.

– Il faut alors que je m’y rende cette nuit ?

– À l’instant même, c’est-à-dire lorsque vous aurez reçu mes instructions. Deux hommes que vous trouverez à la porte en sortant vous serviront d’escorte ; vous me laisserez sortir le premier, puis une demi-heure après moi, vous sortirez à votre tour.

– Oui, Monseigneur. Maintenant revenons à la mission dont vous voulez bien me charger ; et comme je tiens à continuer de mériter la confiance de Votre Éminence, daignez me l’exposer en termes clairs et précis, afin que je ne commette aucune erreur.»

Il y eut un instant de profond silence entre les deux interlocuteurs ; il était évident que le cardinal mesurait d’avance les termes dans lesquels il allait parler, et que Milady recueillait toutes ses facultés intellectuelles pour comprendre les choses qu’il allait dire et les graver dans sa mémoire quand elles seraient dites.

Athos profita de ce moment pour dire à ses deux compagnons de fermer la porte en dedans et pour leur faire signe de venir écouter avec lui.

Les deux mousquetaires, qui aimaient leurs aises, apportèrent une chaise pour chacun d’eux, et une chaise pour Athos. Tous trois s’assirent alors, leurs têtes rapprochées et l’oreille au guet.

«Vous allez partir pour Londres, continua le cardinal. Arrivée à Londres, vous irez trouver Buckingham.

– Je ferai observer à Son Éminence, dit Milady, que depuis l’affaire des ferrets de diamants, pour laquelle le duc m’a toujours soupçonnée, Sa Grâce se défie de moi.

– Aussi cette fois-ci, dit le cardinal, ne s’agit-il plus de capter sa confiance, mais de se présenter franchement et loyalement à lui comme négociatrice.

– Franchement et loyalement, répéta Milady avec une indicible expression de duplicité.

– Oui, franchement et loyalement, reprit le cardinal du même ton ; toute cette négociation doit être faite à découvert.

– Je suivrai à la lettre les instructions de Son Éminence, et j’attends qu’elle me les donne.

– Vous irez trouver Buckingham de ma part, et vous lui direz que je sais tous les préparatifs qu’il fait mais que je ne m’en inquiète guère, attendu qu’au premier mouvement qu’il risquera, je perds la reine.

– Croira-t-il que Votre Éminence est en mesure d’accomplir la menace qu’elle lui fait ?

– Oui, car j’ai des preuves.

– Il faut que je puisse présenter ces preuves à son appréciation.

– Sans doute, et vous lui direz que je publie le rapport de Bois-Robert et du marquis de Beautru sur l’entrevue que le duc a eu chez Mme la connétable avec la reine, le soir que Mme la connétable a donné une fête masquée ; vous lui direz, afin qu’il ne doute de rien, qu’il y est venu sous le costume du grand mogol que devait porter le chevalier de Guise, et qu’il a acheté à ce dernier moyennant la somme de trois mille pistoles.

– Bien, Monseigneur.

– Tous les détails de son entrée au Louvre et de sa sortie pendant la nuit où il s’est introduit au palais sous le costume d’un diseur de bonne aventure italien me sont connus ; vous lui direz, pour qu’il ne doute pas encore de l’authenticité de mes renseignements, qu’il avait sous son manteau une grande robe blanche semée de larmes noires, de têtes de mort et d’os en sautoir : car, en cas de surprise, il devait se faire passer pour le fantôme de la Dame blanche qui, comme chacun le sait, revient au Louvre chaque fois que quelque grand événement va s’accomplir.

– Est-ce tout, Monseigneur ?

– Dites-lui que je sais encore tous les détails de l’aventure d’Amiens, que j’en ferai faire un petit roman, spirituellement tourné, avec un plan du jardin et les portraits des principaux acteurs de cette scène nocturne.

– Je lui dirai cela.

– Dites-lui encore que je tiens Montaigu, que Montaigu est à la Bastille, qu’on n’a surpris aucune lettre sur lui, c’est vrai, mais que la torture peut lui faire dire ce qu’il sait, et même… ce qu’il ne sait pas.

– À merveille.

– Enfin ajoutez que Sa Grâce, dans la précipitation qu’elle a mise à quitter l’île de Ré, oublia dans son logis certaine lettre de Mme de Chevreuse qui compromet singulièrement la reine, en ce qu’elle prouve non seulement que Sa Majesté peut aimer les ennemis du roi, mais encore qu’elle conspire avec ceux de la France. Vous avez bien retenu tout ce que je vous ai dit, n’est-ce pas ?

– Votre Éminence va en juger : le bal de Mme la connétable ; la nuit du Louvre ; la soirée d’Amiens ; l’arrestation de Montaigu ; la lettre de Mme de Chevreuse.

– C’est cela, dit le cardinal, c’est cela : vous avez une bien heureuse mémoire, Milady.

– Mais, reprit celle à qui le cardinal venait d’adresser ce compliment flatteur, si malgré toutes ces raisons le duc ne se rend pas et continue de menacer la France ?

– Le duc est amoureux comme un fou, ou plutôt comme un niais, reprit Richelieu avec une profonde amertume ; comme les anciens paladins, il n’a entrepris cette guerre que pour obtenir un regard de sa belle. S’il sait que cette guerre peut coûter l’honneur et peut-être la liberté à la dame de ses pensées, comme il dit, je vous réponds qu’il y regardera à deux fois.

– Et cependant, dit Milady avec une persistance qui prouvait qu’elle voulait voir clair jusqu’au bout, dans la mission dont elle allait être chargée, cependant s’il persiste ?

– S’il persiste, dit le cardinal…, ce n’est pas probable.

– C’est possible, dit Milady.

– S’il persiste…» Son Éminence fit une pause et reprit «S’il persiste, eh bien, j’espérerai dans un de ces événements qui changent la face des États.

– Si Son Éminence voulait me citer dans l’histoire quelques-uns de ces événements, dit Milady, peut-être partagerais-je sa confiance dans l’avenir.

– Eh bien, tenez ! par exemple, dit Richelieu, lorsqu’en 1610, pour une cause à peu près pareille à celle qui fait mouvoir le duc, le roi Henri IV, de glorieuse mémoire, allait à la fois envahir les Flandres et l’Italie pour frapper à la fois l’Autriche des deux côtés, eh bien, n’est-il pas arrivé un événement qui a sauvé l’Autriche ? Pourquoi le roi de France n’aurait-il pas la même chance que l’empereur ?

– Votre Éminence veut parler du coup de couteau de la rue de la Ferronnerie ?

– Justement, dit le cardinal.

– Votre Éminence ne craint-elle pas que le supplice de Ravaillac épouvante ceux qui auraient un instant l’idée de l’imiter ?

– Il y aura en tout temps et dans tous les pays, surtout si ces pays sont divisés de religion, des fanatiques qui ne demanderont pas mieux que de se faire martyrs. Et tenez, justement il me revient à cette heure que les puritains sont furieux contre le duc de Buckingham et que leurs prédicateurs le désignent comme l’Antéchrist.

– Eh bien ? fit Milady.

– Eh bien, continua le cardinal d’un air indifférent, il ne s’agirait, pour le moment, par exemple, que de trouver une femme, belle, jeune, adroite, qui eût à se venger elle-même du duc. Une pareille femme peut se rencontrer : le duc est homme à bonnes fortunes, et, s’il a semé bien des amours par ses promesses de constance éternelle, il a dû semer bien des haines aussi par ses éternelles infidélités.

– Sans doute, dit froidement Milady, une pareille femme peut se rencontrer.

– Eh bien, une pareille femme, qui mettrait le couteau de Jacques Clément ou de Ravaillac aux mains d’un fanatique, sauverait la France.

– Oui, mais elle serait complice d’un assassinat.

– A-t-on jamais connu les complices de Ravaillac ou de Jacques Clément ?

– Non, car peut-être étaient-ils placés trop haut pour qu’on osât les aller chercher là où ils étaient : on ne brûlerait pas le Palais de Justice pour tout le monde, Monseigneur.

– Vous croyez donc que l’incendie du Palais de Justice a une cause autre que celle du hasard ? demanda Richelieu du ton dont il eût fait une question sans aucune importance.

– Moi, Monseigneur, répondit Milady, je ne crois rien, je cite un fait, voilà tout, seulement, je dis que si je m’appelais Mlle de Monpensier ou la reine Marie de Médicis, je prendrais moins de précautions que j’en prends, m’appelant tout simplement Lady Clarick.

– C’est juste, dit Richelieu, et que voudriez-vous donc ?

– Je voudrais un ordre qui ratifiât d’avance tout ce que je croirai devoir faire pour le plus grand bien de la France.

– Mais il faudrait d’abord trouver la femme que j’ai dit, et qui aurait à se venger du duc.

– Elle est trouvée, dit Milady.

– Puis il faudrait trouver ce misérable fanatique qui servira d’instrument à la justice de Dieu.

– On le trouvera.

– Eh bien, dit le duc, alors il sera temps de réclamer l’ordre que vous demandiez tout à l’heure.

– Votre Éminence a raison, dit Milady, et c’est moi qui ai eu tort de voir dans la mission dont elle m’honore autre chose que ce qui est réellement, c’est-à-dire d’annoncer à Sa Grâce, de la part de Son Éminence, que vous connaissez les différents déguisements à l’aide desquels il est parvenu à se rapprocher de la reine pendant la fête donnée par Mme la connétable ; que vous avez les preuves de l’entrevue accordée au Louvre par la reine à certain astrologue italien qui n’est autre que le duc de Buckingham ; que vous avez commandé un petit roman, des plus spirituels, sur l’aventure d’Amiens, avec plan du jardin où cette aventure s’est passée et portraits des acteurs qui y ont figuré ; que Montaigu est à la Bastille, et que la torture peut lui faire dire des choses dont il se souvient et même des choses qu’il aurait oubliées ; enfin, que vous possédez certaine lettre de Mme de Chevreuse, trouvée dans le logis de Sa Grâce, qui compromet singulièrement, non seulement celle qui l’a écrite, mais encore celle au nom de qui elle a été écrite. Puis, s’il persiste malgré tout cela, comme c’est à ce que je viens de dire que se borne ma mission, je n’aurai plus qu’à prier Dieu de faire un miracle pour sauver la France. C’est bien cela, n’est-ce pas, Monseigneur, et je n’ai pas autre chose à faire ?

– C’est bien cela, reprit sèchement le cardinal.

– Et maintenant, dit Milady sans paraître remarquer le changement de ton du duc à son égard, maintenant que j’ai reçu les instructions de Votre Éminence à propos de ses ennemis, Monseigneur me permettra-t-il de lui dire deux mots des miens ?

– Vous avez donc des ennemis ? demanda Richelieu.

– Oui, Monseigneur ; des ennemis contre lesquels vous me devez tout votre appui, car je me les suis faits en servant Votre Éminence.

– Et lesquels ? répliqua le duc.

– D’abord une petite intrigante du nom de Bonacieux.

– Elle est dans la prison de Mantes.

– C’est-à-dire qu’elle y était, reprit Milady, mais la reine a surpris un ordre du roi, à l’aide duquel elle l’a fait transporter dans un couvent.

– Dans un couvent ? dit le duc.

– Oui, dans un couvent.

– Et dans lequel ?

– Je l’ignore, le secret a été bien gardé…

– Je le saurai, moi !

– Et Votre Éminence me dira dans quel couvent est cette femme ?

– Je n’y vois pas d’inconvénient, dit le cardinal.

– Bien ; maintenant j’ai un autre ennemi bien autrement à craindre pour moi que cette petite Mme Bonacieux.

– Et lequel ?

– Son amant.

– Comment s’appelle-t-il ?

– Oh ! Votre Éminence le connaît bien, s’écria Milady emportée par la colère, c’est notre mauvais génie à tous deux ; c’est celui qui, dans une rencontre avec les gardes de Votre Éminence, a décidé la victoire en faveur des mousquetaires du roi ; c’est celui qui a donné trois coups d’épée à de Wardes, votre émissaire, et qui a fait échouer l’affaire des ferrets ; c’est celui enfin qui, sachant que c’était moi qui lui avais enlevé Mme Bonacieux, a juré ma mort.

– Ah ! ah ! dit le cardinal, je sais de qui vous voulez parler.

– Je veux parler de ce misérable d’Artagnan.

– C’est un hardi compagnon, dit le cardinal.

– Et c’est justement parce que c’est un hardi compagnon qu’il n’en est que plus à craindre.

– Il faudrait, dit le duc, avoir une preuve de ses intelligences avec Buckingham.

– Une preuve, s’écria Milady, j’en aurai dix.

– Eh bien, alors ! c’est la chose la plus simple du monde, ayez-moi cette preuve et je l’envoie à la Bastille.

– Bien, Monseigneur ! mais ensuite ?

– Quand on est à la Bastille, il n’y a pas d’ensuite, dit le cardinal d’une voix sourde. Ah ! pardieu, continua-t-il, s’il m’était aussi facile de me débarrasser de mon ennemi qu’il m’est facile de me débarrasser des vôtres, et si c’était contre de pareilles gens que vous me demandiez l’impunité !…

– Monseigneur, reprit Milady, troc pour troc, existence pour existence, homme pour homme ; donnez-moi celui-là, je vous donne l’autre.

– Je ne sais pas ce que vous voulez dire, reprit le cardinal, et ne veux même pas le savoir, mais j’ai le désir de vous être agréable et ne vois aucun inconvénient à vous donner ce que vous demandez à l’égard d’une si infime créature ; d’autant plus, comme vous me le dites, que ce petit d’Artagnan est un libertin, un duelliste, un traître.

– Un infâme, Monseigneur, un infâme !

– Donnez-moi donc du papier, une plume et de l’encre, dit le cardinal.

– En voici, Monseigneur.»

Il se fit un instant de silence qui prouvait que le cardinal était occupé à chercher les termes dans lesquels devait être écrit le billet, ou même à l’écrire. Athos, qui n’avait pas perdu un mot de la conversation, prit ses deux compagnons chacun par une main et les conduisit à l’autre bout de la chambre.

«Eh bien, dit Porthos, que veux-tu, et pourquoi ne nous laisses-tu pas écouter la fin de la conversation ?

– Chut ! dit Athos parlant à voix basse, nous en avons entendu tout ce qu’il est nécessaire que nous entendions ; d’ailleurs je ne vous empêche pas d’écouter le reste, mais il faut que je sorte.

– Il faut que tu sortes ! dit Porthos ; mais si le cardinal te demande, que répondrons-nous ?

– Vous n’attendrez pas qu’il me demande, vous lui direz les premiers que je suis parti en éclaireur parce que certaines paroles de notre hôte m’ont donné à penser que le chemin n’était pas sûr ; j’en toucherai d’abord deux mots à l’écuyer du cardinal ; le reste me regarde, ne vous en inquiétez pas.

– Soyez prudent, Athos ! dit Aramis.

– Soyez tranquille, répondit Athos, vous le savez, j’ai du sang-froid.»

Porthos et Aramis allèrent reprendre leur place près du tuyau de poêle.

Quant à Athos, il sortit sans aucun mystère, alla prendre son cheval attaché avec ceux de ses deux amis aux tourniquets des contrevents, convainquit en quatre mots l’écuyer de la nécessité d’une avant-garde pour le retour, visita avec affectation l’amorce de ses pistolets, mit l’épée aux dents et suivit, en enfant perdu, la route qui conduisait au camp.

CHAPITRE XLV. SCÈNE CONJUGALE

Comme l’avait prévu Athos, le cardinal ne tarda point à descendre ; il ouvrit la porte de la chambre où étaient entrés les mousquetaires, et trouva Porthos faisant une partie de dés acharnée avec Aramis. D’un coup d’oeil rapide, il fouilla tous les coins de la salle, et vit qu’un de ses hommes lui manquait.

«Qu’est devenu M. Athos ? demanda-t-il.

– Monseigneur, répondit Porthos, il est parti en éclaireur sur quelques propos de notre hôte, qui lui ont fait croire que la route n’était pas sûre.

– Et vous, qu’avez-vous fait, monsieur Porthos ?

– J’ai gagné cinq pistoles à Aramis.

– Et maintenant, vous pouvez revenir avec moi ?

– Nous sommes aux ordres de Votre Éminence.

– À cheval donc, messieurs, car il se fait tard.»

L’écuyer était à la porte, et tenait en bride le cheval du cardinal. Un peu plus loin, un groupe de deux hommes et de trois chevaux apparaissait dans l’ombre ; ces deux hommes étaient ceux qui devaient conduire Milady au fort de La Pointe, et veiller à son embarquement.

L’écuyer confirma au cardinal ce que les deux mousquetaires lui avaient déjà dit à propos d’Athos. Le cardinal fit un geste approbateur, et reprit la route, s’entourant au retour des mêmes précautions qu’il avait prises au départ.

Laissons-le suivre le chemin du camp, protégé par l’écuyer et les deux mousquetaires, et revenons à Athos.

Pendant une centaine de pas, il avait marché de la même allure ; mais, une fois hors de vue, il avait lancé son cheval à droite, avait fait un détour, et était revenu à une vingtaine de pas, dans le taillis, guetter le passage de la petite troupe ; ayant reconnu les chapeaux bordés de ses compagnons et la frange dorée du manteau de M. le cardinal, il attendit que les cavaliers eussent tourné l’angle de la route, et, les ayant perdus de vue, il revint au galop à l’auberge, qu’on lui ouvrit sans difficulté.

L’hôte le reconnut.

«Mon officier, dit Athos, a oublié de faire à la dame du premier une recommandation importante, il m’envoie pour réparer son oubli.

– Montez, dit l’hôte, elle est encore dans sa chambre.»

Athos profita de la permission, monta l’escalier de son pas le plus léger, arriva sur le carré, et, à travers la porte entrouverte, il vit Milady qui attachait son chapeau.

Il entra dans la chambre, et referma la porte derrière lui.

Au bruit qu’il fit en repoussant le verrou, Milady se retourna.

Athos était debout devant la porte, enveloppé dans son manteau, son chapeau rabattu sur ses yeux.

En voyant cette figure muette et immobile comme une statue, Milady eut peur.

«Qui êtes-vous ? et que demandez-vous ?» s’écria-t-elle. «Allons, c’est bien elle !» murmura Athos.

Et, laissant tomber son manteau, et relevant son feutre, il s’avança vers Milady.

«Me reconnaissez-vous, madame ?» dit-il.

Milady fit un pas en avant, puis recula comme à la vue d’un serpent.

«Allons, dit Athos, c’est bien, je vois que vous me reconnaissez.

– Le comte de La Fère ! murmura Milady en pâlissant et en reculant jusqu’à ce que la muraille l’empêchât d’aller plus loin.

– Oui, Milady, répondit Athos, le comte de La Fère en personne, qui revient tout exprès de l’autre monde pour avoir le plaisir de vous voir. Asseyons-nous donc, et causons, comme dit Monseigneur le cardinal.»

Milady, dominée par une terreur inexprimable, s’assit sans proférer une seule parole.

«Vous êtes donc un démon envoyé sur la terre ? dit Athos. Votre puissance est grande, je le sais ; mais vous savez aussi qu’avec l’aide de Dieu les hommes ont souvent vaincu les démons les plus terribles. Vous vous êtes déjà trouvée sur mon chemin, je croyais vous avoir terrassée, madame ; mais, ou je me trompai, ou l’enfer vous a ressuscitée.»

Milady, à ces paroles qui lui rappelaient des souvenirs effroyables, baissa la tête avec un gémissement sourd.

«Oui, l’enfer vous a ressuscitée, reprit Athos, l’enfer vous a faite riche, l’enfer vous a donné un autre nom l’enfer vous a presque refait même un autre visage ; mais il n’a effacé ni les souillures de votre âme, ni la flétrissure de votre corps.»

Milady se leva comme mue par un ressort, et ses yeux lancèrent des éclairs. Athos resta assis.

«Vous me croyiez mort, n’est-ce pas, comme je vous croyais morte ? et ce nom d’Athos avait caché le comte de La Fère, comme le nom de Milady Clarick avait caché Anne de Breuil ! N’était-ce pas ainsi que vous vous appeliez quand votre honoré frère nous a mariés ? Notre position est vraiment étrange, poursuivit Athos en riant ; nous n’avons vécu jusqu’à présent l’un et l’autre que parce que nous nous croyions morts, et qu’un souvenir gêne moins qu’une créature, quoique ce soit chose dévorante parfois qu’un souvenir !

– Mais enfin, dit Milady d’une voix sourde, qui vous ramène vers moi ? et que me voulez-vous ?

– Je veux vous dire que, tout en restant invisible à vos yeux, je ne vous ai pas perdue de vue, moi !

– Vous savez ce que j’ai fait ?

– Je puis vous raconter jour par jour vos actions, depuis votre entrée au service du cardinal jusqu’à ce soir.»

Un sourire d’incrédulité passa sur les lèvres pâles de Milady.

«Écoutez : c’est vous qui avez coupé les deux ferrets de diamants sur l’épaule du duc de Buckingham ; c’est vous qui avez fait enlever Mme Bonacieux ; c’est vous qui, amoureuse de de Wardes, et croyant passer la nuit avec lui, avez ouvert votre porte à M. d’Artagnan ; c’est vous qui, croyant que de Wardes vous avait trompée, avez voulu le faire tuer par son rival ; c’est vous qui, lorsque ce rival eut découvert votre infâme secret, avez voulu le faire tuer à son tour par deux assassins que vous avez envoyés à sa poursuite ; c’est vous qui, voyant que les balles avaient manqué leur coup, avez envoyé du vin empoisonné avec une fausse lettre, pour faire croire à votre victime que ce vin venait de ses amis ; c’est vous, enfin, qui venez là, dans cette chambre, assise sur cette chaise où je suis, de prendre avec le cardinal de Richelieu l’engagement de faire assassiner le duc de Buckingham, en échange de la promesse qu’il vous a faite de vous laisser assassiner d’Artagnan.»

Milady était livide.

«Mais vous êtes donc Satan ? dit-elle.

– Peut-être, dit Athos ; mais, en tout cas, écoutez bien ceci : Assassinez ou faites assassiner le duc de Buckingham, peu m’importe ! je ne le connais pas : d’ailleurs c’est un Anglais ; mais ne touchez pas du bout du doigt à un seul cheveu de d’Artagnan, qui est un fidèle ami que j’aime et que je défends, ou, je vous le jure par la tête de mon père, le crime que vous aurez commis sera le dernier.

– M. d’Artagnan m’a cruellement offensée, dit Milady d’une voix sourde, M. d’Artagnan mourra.

– En vérité, cela est-il possible qu’on vous offense, madame ? dit en riant Athos ; il vous a offensée, et il mourra ?

– Il mourra, reprit Milady ; elle d’abord, lui ensuite.»

Athos fut saisi comme d’un vertige : la vue de cette créature, qui n’avait rien d’une femme, lui rappelait des souvenirs terribles ; il pensa qu’un jour, dans une situation moins dangereuse que celle où il se trouvait, il avait déjà voulu la sacrifier à son honneur ; son désir de meurtre lui revint brûlant et l’envahit comme une fièvre ardente : il se leva à son tour, porta la main à sa ceinture, en tira un pistolet et l’arma.

Milady, pâle comme un cadavre, voulut crier, mais sa langue glacée ne put proférer qu’un son rauque qui n’avait rien de la parole humaine et qui semblait le râle d’une bête fauve ; collée contre la sombre tapisserie, elle apparaissait, les cheveux épars, comme l’image effrayante de la terreur.

Athos leva lentement son pistolet, étendit le bras de manière que l’arme touchât presque le front de Milady puis, d’une voix d’autant plus terrible qu’elle avait le calme suprême d’une inflexible résolution :

«Madame, dit-il, vous allez à l’instant même me remettre le papier que vous a signé le cardinal, ou, sur mon âme, je vous fais sauter la cervelle.»

Avec un autre homme Milady aurait pu conserver quelque doute, mais elle connaissait Athos ; cependant elle resta immobile.

«Vous avez une seconde pour vous décider», dit-il.

Milady vit à la contraction de son visage que le coup allait partir ; elle porta vivement la main à sa poitrine, en tira un papier et le tendit à Athos.

«Tenez, dit-elle, et soyez maudit !»

Athos prit le papier, repassa le pistolet à sa ceinture, s’approcha de la lampe pour s’assurer que c’était bien celui-là, le déplia et lut :

«C’est par mon ordre et pour le bien de l’État que le porteur du présent a fait ce qu’il a fait.

3 décembre 1627.

«Richelieu»

«Et maintenant, dit Athos en reprenant son manteau et en replaçant son feutre sur sa tête, maintenant que je t’ai arraché les dents, vipère, mords si tu peux.»

Et il sortit de la chambre sans même regarder en arrière.

À la porte il trouva les deux hommes et le cheval qu’ils tenaient en main.

«Messieurs, dit-il, l’ordre de Monseigneur, vous le savez, est de conduire cette femme, sans perdre de temps, au fort de La Pointe et de ne la quitter que lorsqu’elle sera à bord.»

Comme ces paroles s’accordaient effectivement avec l’ordre qu’ils avaient reçu, ils inclinèrent la tête en signe d’assentiment.

Quant à Athos, il se mit légèrement en selle et partit au galop ; seulement, au lieu de suivre la route, il prit à travers champs, piquant avec vigueur son cheval et de temps en temps s’arrêtant pour écouter.

Dans une de ces haltes, il entendit sur la route le pas de plusieurs chevaux. Il ne douta point que ce ne fût le cardinal et son escorte. Aussitôt il fit une nouvelle pointe en avant, bouchonna son cheval avec de la bruyère et des feuilles d’arbres, et vint se mettre en travers de la route à deux cents pas du camp à peu près.

«Qui vive ? cria-t-il de loin quand il aperçut les cavaliers.

– C’est notre brave mousquetaire, je crois, dit le cardinal.

– Oui, Monseigneur, répondit Athos. C’est lui-même.

– Monsieur Athos, dit Richelieu, recevez tous mes remerciements pour la bonne garde que vous nous avez faite ; messieurs, nous voici arrivés : prenez la porte à gauche, le mot d’ordre est Roi et Ré.»

En disant ces mots, le cardinal salua de la tête les trois amis, et prit à droite suivi de son écuyer ; car, cette nuit-là, lui-même couchait au camp.

«Eh bien ! dirent ensemble Porthos et Aramis lorsque le cardinal fut hors de la portée de la voix, eh bien il a signé le papier qu’elle demandait.

– Je le sais, dit tranquillement Athos, puisque le voici.»

Et les trois amis n’échangèrent plus une seule parole jusqu’à leur quartier, excepté pour donner le mot d’ordre aux sentinelles.

Seulement, on envoya Mousqueton dire à Planchet que son maître était prié, en relevant de tranchée, de se rendre à l’instant même au logis des mousquetaires.

D’un autre côté, comme l’avait prévu Athos, Milady, en retrouvant à la porte les hommes qui l’attendaient, ne fit aucune difficulté de les suivre ; elle avait bien eu l’envie un instant de se faire reconduire devant le cardinal et de lui tout raconter, mais une révélation de sa part amenait une révélation de la part d’Athos : elle dirait bien qu’Athos l’avait pendue, mais Athos dirait qu’elle était marquée ; elle pensa qu’il valait donc encore mieux garder le silence, partir discrètement, accomplir avec son habileté ordinaire la mission difficile dont elle s’était chargée, puis, toutes les choses accomplies à la satisfaction du cardinal, venir lui réclamer sa vengeance.

En conséquence, après avoir voyagé toute la nuit, à sept heures du matin elle était au fort de La Pointe, à huit heures elle était embarquée, et à neuf heures le bâtiment, qui, avec des lettres de marque du cardinal, était censé être en partance pour Bayonne, levait l’ancre et faisait voile pour l’Angleterre.

Ograniczenie wiekowe:
12+
Data wydania na Litres:
30 sierpnia 2016
Objętość:
830 str. 1 ilustracja
Właściciel praw:
Public Domain