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Czytaj książkę: «Le vicomte de Bragelonne, Tome II.», strona 19

Czcionka:

L'eau salée de la mer et le sable fin s'étaient introduits dans ses blessures et lui causaient d'inexprimables souffrances.

Le secrétaire du duc tira de sa poche une bourse pleine et la remit à celui qui paraissait le plus considérable d'entre les assistants.

– De la part de mon maître, milord duc de Buckingham, dit-il, pour que l'on prenne de M. le marquis de Wardes tous les soins imaginables.

Et il s'en retourna, suivi des siens, jusqu'au canot que Buckingham avait regagné à grand-peine, mais seulement lorsqu'il avait vu de Wardes hors de danger.

La mer était déjà haute; les habits brodés et les ceintures de soie furent noyés. Beaucoup de chapeaux furent enlevés par les lames.

Quant aux habits de milord duc et à ceux de de Wardes, le flux les avait portés vers le rivage.

On enveloppa de Wardes dans l'habit du duc, croyant que c'était le sien, et on le transporta à bras vers la ville.

Chapitre CIV – Triple amour

Depuis le départ de Buckingham, de Guiche se figurait que la terre lui appartenait sans partage.

Monsieur, qui n'avait plus le moindre sujet de jalousie et qui, d'ailleurs, se laissait accaparer par le chevalier de Lorraine, accordait dans sa maison autant de liberté que les plus exigeants pouvaient en souhaiter.

De son côté, le roi, qui avait pris goût à la société de Madame, imaginait plaisirs sur plaisirs pour égayer le séjour de Paris, en sorte qu'il ne se passait pas un jour sans une fête au Palais- Royal ou une réception chez Monsieur.

Le roi faisait disposer Fontainebleau pour y recevoir la cour, et tout le monde s'employait pour être du voyage. Madame menait la vie la plus occupée. Sa voix, sa plume ne s'arrêtaient pas un moment.

Les conversations avec de Guiche prenaient peu à peu l'intérêt auquel on ne peut méconnaître les préludes des grandes passions.

Lorsque les yeux languissent à propos d'une discussion sur des couleurs d'étoffes, lorsque l'on passe une heure à analyser les mérites et le parfum d'un sachet ou d'une fleur, il y a dans ce genre de conversation des mots que tout le monde peut entendre, mais il y a des gestes ou des soupirs que tout le monde ne peut voir.

Quand Madame avait bien causé avec M. de Guiche, elle causait avec le roi, qui lui rendait visite régulièrement chaque jour. On jouait, on faisait des vers, on choisissait des devises et des emblèmes; ce printemps n'était pas seulement le printemps de la nature, c'était la jeunesse de tout un peuple dont cette cour formait la tête.

Le roi était beau, jeune, galant plus que tout le monde. Il aimait amoureusement toutes les femmes, même la reine sa femme.

Seulement le grand roi était le plus timide ou le plus réservé de son royaume, tant qu'il ne s'était pas avoué à lui-même ses sentiments.

Cette timidité le retenait dans les limites de la simple politesse, et nulle femme ne pouvait se vanter d'avoir la préférence sur une autre.

On pouvait pressentir que le jour où il se déclarerait serait l'aurore d'une souveraineté nouvelle; mais il ne se déclarait pas. M. de Guiche en profitait pour être le roi de toute la cour amoureuse.

On l'avait dit au mieux avec Mlle de Montalais, on l'avait dit assidu près de Mlle de Châtillon; maintenant il n'était plus même civil avec aucune femme de la cour. Il n'avait d'yeux, d'oreilles que pour une seule.

Aussi prenait-il insensiblement sa place chez Monsieur, qui l'aimait et le retenait le plus possible dans sa maison.

Naturellement sauvage, il s'éloignait trop avant l'arrivée de Madame, une fois que Madame était arrivée, il ne s'éloignait plus assez.

Ce qui, remarqué de tout le monde, le fut particulièrement du mauvais génie de la maison, le chevalier de Lorraine, à qui Monsieur témoignait un vif attachement parce qu'il avait l'humeur joyeuse, même dans ses méchancetés, et qu'il ne manquait jamais d'idées pour employer le temps.

Le chevalier de Lorraine, disons-nous, voyant que de Guiche menaçait de le supplanter, eut recours au grand moyen. Il disparut, laissant Monsieur bien empêché.

Le premier jour de sa disparition, Monsieur ne le chercha presque pas, car de Guiche était là, et, sauf les entretiens avec Madame, il consacrait bravement les heures du jour et de la nuit au prince.

Mais le second jour, Monsieur, ne trouvant personne sous la main, demanda où était le chevalier.

Il lui fut répondu que l'on ne savait pas.

De Guiche, après avoir passé sa matinée à choisir des broderies et des franges avec Madame, vint consoler le prince. Mais, après le dîner, il y avait encore des tulipes et des améthystes à estimer; de Guiche retourna dans le cabinet de Madame.

Monsieur demeura seul; c'était l'heure de sa toilette: il se trouva le plus malheureux des hommes et demanda encore si l'on avait des nouvelles du chevalier.

– Nul ne sait où trouver M. le chevalier, fut la réponse que l'on rendit au prince.

Monsieur, ne sachant plus où porter son ennui, s'en alla en robe de chambre et coiffé chez Madame.

Il y avait là grand cercle de gens qui riaient et chuchotaient à tous les coins: ici un groupe de femmes autour d'un homme et des éclats étouffés; là Manicamp et Malicorne pillés par Montalais, Mlle de Tonnay-Charente et deux autres rieuses.

Plus loin, Madame, assise sur des coussins, et de Guiche éparpillant, à genoux près d'elle, une poignée de perles et de pierres dans lesquelles le doigt fin et blanc de la princesse désignait celles qui lui plaisaient le plus.

Dans un autre coin, un joueur de guitare qui chantonnait des séguedilles espagnoles dont Madame raffolait depuis qu'elle les avait entendu chanter à la jeune reine avec une certaine mélancolie; seulement ce que l'Espagnole avait chanté avec des larmes dans les paupières, l'Anglaise le fredonnait avec un sourire qui laissait voir ses dents de nacre.

Ce cabinet, ainsi habité, présentait la plus riante image du plaisir.

En entrant, Monsieur fut frappé de voir tant de gens qui se divertissaient sans lui. Il en fut tellement jaloux, qu'il ne put s'empêcher de dire comme un enfant:

– Eh quoi! vous vous amusez ici, et moi, je m'ennuie tout seul!

Sa voix fut comme le coup de tonnerre qui interrompt le gazouillement d'oiseaux sous le feuillage; il se fit un grand silence.

De Guiche fut debout en un moment.

Malicorne se fit petit derrière les jupes de Montalais.

Manicamp se redressa et prit ses grands airs de cérémonie.

Le guitarrero fourra sa guitare sous une table et tira le tapis pour la dissimuler aux yeux du prince.

Madame seule ne bougea point, et, souriant à son époux, lui répondit:

– Est-ce que ce n'est pas l'heure de votre toilette?

– Que l'on choisit pour se divertir, grommela le prince.

Ce mot malencontreux fut le signal de la déroute: les femmes s'enfuirent comme une volée d'oiseaux effrayés; le joueur de guitare s'évanouit comme une ombre; Malicorne, toujours protégé par Montalais, qui élargissait sa robe, se glissa derrière une tapisserie Pour Manicamp, il vint en aide à de Guiche, qui, naturellement, restait auprès de Madame, et tous deux soutinrent bravement le choc avec la princesse. Le comte était trop heureux pour en vouloir au mari; mais Monsieur en voulait à sa femme.

Il lui fallait un motif de querelle; il le cherchait, et le départ précipité de cette foule, si joyeuse avant son arrivée et si troublée par sa présence, lui servit de prétexte.

– Pourquoi donc prend-on la fuite à mon aspect? dit-il d'un ton rogue.

Madame répliqua froidement que, toutes les fois que le maître paraissait, la famille se tenait à l'écart par respect.

Et, en disant ces mots, elle fit une mine si drôle et si plaisante, que de Guiche et Manicamp ne purent se retenir. Ils éclatèrent de rire; madame les imita; l'accès gagna Monsieur lui- même, qui fut forcé de s'asseoir, parce que, en riant, il perdait trop de sa gravité.

Enfin il cessa, mais sa colère s'était augmentée. Il était encore plus furieux de s'être laissé aller à rire qu'il ne l'avait été de voir rire les autres.

Il regardait Manicamp avec de gros yeux, n'osant pas montrer sa colère au comte de Guiche.

Mais, sur un signe qu'il fit avec trop de dépit, Manicamp et de Guiche sortirent.

En sorte que Madame, demeurée seule, se mit à ramasser tristement ses perles, ne rit plus du tout et parla encore moins.

– Je suis bien aise de voir, dit le duc, que l'on me traite comme un étranger chez vous, madame.

Et il sortit exaspéré. En chemin, il rencontra Montalais, qui veillait dans l'antichambre.

– Il fait beau venir vous voir, dit-il, mais à la porte.

Montalais fit la révérence la plus profonde.

– Je ne comprends pas bien, dit-elle, ce que Votre Altesse Royale me fait l'honneur de me dire.

– Je dis, mademoiselle, que quand vous riez tous ensemble, dans l'appartement de Madame, est mal venu celui qui ne reste pas dehors.

– Votre Altesse Royale ne pense pas et ne parle pas ainsi pour elle, sans doute?

– Au contraire, mademoiselle, c'est pour moi que je parle, c'est à moi que je pense. Certes, je n'ai pas lieu de m'applaudir des réceptions qui me sont faites ici. Comment! pour un jour qu'il y a chez Madame, chez moi, musique et assemblée, pour un jour que je compte me divertir un peu à mon tour, on s'éloigne!.. Ah çà! craignait-on donc de me voir, que tout le monde a pris la fuite en me voyant?.. On fait donc mal, quand je suis absent?..

– Mais, repartit Montalais, on ne fait pas aujourd'hui, monseigneur, autre chose que l'on ne fasse les autres jours.

– Quoi! tous les jours on rit comme cela!

– Mais, oui, monseigneur.

– Tous les jours, ce sont des groupes comme ceux que je viens de voir?

– Absolument pareils, monseigneur.

– Et enfin tous les jours on racle le boyau?

– Monseigneur, la guitare est d'aujourd'hui; mais, quand nous n'avons pas de guitare, nous avons les violons et les flûtes; des femmes s'ennuient sans musique.

– Peste! et des hommes?

– Quels hommes, monseigneur?

– M. de Guiche, M. de Manicamp et les autres.

– Tous de la maison de Monseigneur.

– Oui, oui, vous avez raison, mademoiselle.

Et le prince rentra dans ses appartements: il était tout rêveur. Il se précipita dans le plus profond de ses fauteuils, sans se regarder au miroir.

– Où peut être le chevalier? dit-il.

Il y avait un serviteur auprès du prince.

Sa question fut entendue.

– On ne sait, monseigneur.

– Encore cette réponse!.. Le premier qui me répondra: «Je ne sais», je le chasse.

Tout le monde, à cette parole, s'enfuit de chez Monsieur comme on s'était enfui de chez Madame.

Alors le prince entra dans une colère inexprimable. Il donna du pied dans un chiffonnier, qui roula sur le parquet, brisé en trente morceaux.

Puis, du plus grand sang-froid, il alla aux galeries, et renversa l'un sur l'autre un vase d'émail, une aiguière de porphyre et un candélabre de bronze. Le tout fit un fracas effroyable. Tout le monde parut aux portes.

– Que veut Monseigneur? se hasarda de dire timidement le capitaine des gardes.

– Je me donne de la musique, répliqua Monseigneur en grinçant des dents.

Le capitaine des gardes envoya chercher le médecin de Son Altesse

Royale.

Mais avant le médecin, arriva Malicorne, qui dit au prince:

– Monseigneur, M. le chevalier de Lorraine me suit.

Le duc regarda Malicorne et lui sourit.

Le chevalier entra en effet.

Chapitre CV – La jalousie de M. de Lorraine

Le duc d'Orléans poussa un cri de satisfaction en apercevant le chevalier de Lorraine.

– Ah! c'est heureux, dit-il, par quel hasard vous voit-on?

N'étiez-vous pas disparu, comme on le disait?

– Mais, oui, monseigneur.

– Un caprice?

– Un caprice! moi, avoir des caprices avec Votre Altesse? Le respect…

– Laisse là le respect, auquel tu manques tous les jours. Je t'absous. Pourquoi étais-tu parti?

– Parce que j'étais parfaitement inutile à Monseigneur.

– Explique-toi?

– Monseigneur a près de lui des gens plus divertissants que je ne le serai jamais. Je ne me sens pas de force à lutter, moi; je me suis retiré.

– Toute cette réserve n'a pas le sens commun. Quels sont ces gens contre qui tu ne veux pas lutter? Guiche?

– Je ne nomme personne.

– C'est absurde! Guiche te gêne?

– Je ne dis pas cela, monseigneur; ne me faites pas parler: vous savez bien que de Guiche est de nos bons amis.

– Qui, alors?

– De grâce, monseigneur, brisons là, je vous en supplie.

Le chevalier savait bien que l'on irrite la curiosité comme la soif en éloignant le breuvage ou l'explication.

– Non, je veux savoir pourquoi tu as disparu.

– Eh bien! je vais vous le dire; mais ne le prenez pas en mauvaise part.

– Parle.

– Je me suis aperçu que je gênais.

– Qui?

– Madame.

– Comment cela? dit le duc étonné.

– C'est tout simple Madame est peut-être jalouse de l'attachement que vous voulez bien avoir pour moi.

– Elle te le témoigne?

– Monseigneur, Madame ne m'adresse jamais la parole, surtout depuis un certain temps.

– Quel temps?

– Depuis que M. de Guiche lui ayant plu mieux que moi, elle le reçoit à toute heure.

Le duc rougit.

– À toute heure… Qu'est-ce que ce mot-là, chevalier? dit-il sévèrement.

– Vous voyez bien, monseigneur, que je vous ai déplu; j'en étais bien sûr.

– Vous ne me déplaisez pas, mais vous dites les choses un peu vivement. En quoi Madame préfère-t-elle Guiche à vous?

– Je ne dirai plus rien, fit le chevalier avec un salut plein de cérémonie.

– Au contraire, j'entends que vous parliez. Si vous vous êtes retiré pour cela, vous êtes donc bien jaloux?

– Il faut être jaloux quand on aime, monseigneur; est-ce que Votre Altesse n'est pas jalouse de Madame? est-ce que Votre Altesse, si elle voyait toujours quelqu'un près de Madame, et quelqu'un traité favorablement, ne prendrait pas de l'ombrage? On aime ses amis comme ses amours. Votre Altesse Royale m'a fait quelquefois l'insigne honneur de m'appeler son ami.

– Oui, oui, mais voilà encore un mot équivoque; chevalier, vous avez la conversation malheureuse.

– Quel mot, monseigneur?

– Vous avez dit: Traité favorablement… Qu'entendez-vous par ce favorablement?

– Rien que de fort simple, monseigneur, dit le chevalier avec une grande bonhomie. Ainsi, par exemple, quand un mari voit sa femme appeler de préférence tel ou tel homme près d'elle; quand cet homme se trouve toujours à la tête de son lit ou bien à la portière de son carrosse; lorsqu'il y a toujours une petite place pour le pied de cet homme dans la circonférence des robes de la femme; lorsque les gens se rencontrent hors des appels de la conversation; lorsque le bouquet de celle-ci est de la couleur des rubans de celui-là; lorsque les musiques sont dans l'appartement, les soupers dans les ruelles; lorsque, le mari paraissant, tout se tait chez la femme; lorsque le mari se trouve avoir soudain pour compagnon le plus assidu, le plus tendre des hommes qui, huit jours auparavant, semblait le moins à lui… alors…

– Alors, achève.

– Alors, je dis, monseigneur, qu'on est peut-être jaloux; mais tous ces détails-là ne sont pas de mise, il ne s'agit en rien de cela dans notre conversation.

Le duc s'agitait et se combattait évidemment.

– Vous ne me dites pas, finit-il par dire, pourquoi vous vous éloignâtes. Tout à l'heure, vous disiez que c'était dans la crainte de gêner, vous ajoutiez même que vous aviez remarqué de la part de Madame un penchant à fréquenter un de Guiche.

– Ah! monseigneur, je n'ai pas dit cela.

– Si fait.

– Mais si je l'ai dit, je ne voyais rien là que d'innocent.

– Enfin, vous voyiez quelque chose?

– Monseigneur m'embarrasse.

– Qu'importe! parlez. Si vous dites la vérité, pourquoi vous embarrasser?

– Je dis toujours la vérité, monseigneur, mais j'hésite toujours aussi quand il s'agit de répéter ce que disent les autres.

– Ah! vous répétez… Il paraît qu'on a dit alors?

– J'avoue qu'on m'a parlé.

– Qui?

Le chevalier prit un air presque courroucé.

– Monseigneur, dit-il, vous me soumettez à une question, vous me traitez comme un accusé sur la sellette… et les bruits qui effleurent en passant l'oreille d'un gentilhomme n'y séjournent pas. Votre Altesse veut que je grandisse le bruit à la hauteur d'un événement.

– Enfin, s'écria le duc avec dépit, un fait constant, c'est que vous vous êtes retiré à cause de ce bruit.

– Je dois dire la vérité: on m'a parlé des assiduités de M. de Guiche près de Madame, rien de plus; plaisir innocent, je le répète, et, de plus, permis; mais, monseigneur, ne soyez pas injuste et ne poussez pas les choses à l'excès. Cela ne vous regarde pas.

– Il ne me regarde pas qu'on parle des assiduités de Guiche chez

Madame?..

– Non, monseigneur, non; et ce que je vous dis, je le dirais à de Guiche lui-même, tant je vois en beau la cour qu'il fait à Madame; je le lui dirais à elle-même. Seulement vous comprenez ce que je crains? Je crains de passer pour un jaloux de faveur, quand je ne suis qu'un jaloux d'amitié. Je connais votre faible, je connais que, quand vous aimez, vous êtes exclusif. Or, vous aimez Madame, et d'ailleurs qui ne l'aimerait pas? Suivez bien le cercle où je me promène: Madame a distingué dans vos amis le plus beau et le plus attrayant; elle va vous influencer de telle façon au sujet de celui-là, que vous négligerez les autres. Un dédain de vous me ferait mourir; c'est assez déjà de supporter ceux de Madame. J'ai donc pris mon parti, monseigneur, de céder la place au favori dont j'envie le bonheur, tout en professant pour lui une amitié sincère et une sincère admiration. Voyons, avez-vous quelque chose contre ce raisonnement? Est-il d'un galant homme? La conduite est-elle d'un brave ami? Répondez au moins, vous qui m'avez si rudement interrogé.

Le duc s'était assis, il tenait sa tête à deux mains et ravageait sa coiffure. Après un silence assez long pour que le chevalier eût pu apprécier tout l'effet de ses combinaisons oratoires, Monseigneur se releva.

– Voyons, dit-il, et sois franc.

– Comme toujours.

– Bon! Tu sais que nous avons déjà remarqué quelque chose au sujet de cet extravagant de Buckingham.

– Oh! monseigneur, n'accusez pas Madame, ou je prends congé de vous. Quoi! vous allez à ces systèmes? quoi, vous soupçonnez?

– Non, non, chevalier, je ne soupçonne pas Madame; mais enfin… je vois… je compare…

– Buckingham était un fou!

– Un fou sur lequel tu m'as parfaitement ouvert les yeux.

– Non! non! dit vivement le chevalier, ce n'est pas moi qui vous ai ouvert les yeux, c'est de Guiche. Oh! ne confondons pas.

Et il se mit à rire de ce rire strident qui ressemble au sifflet d'une couleuvre.

– Oui, oui, en effet… tu dis quelques mots, mais Guiche se montra le plus jaloux.

– Je crois bien, continua le chevalier sur le même ton; il combattait pour l'autel et le foyer.

– Plaît-il? fit le duc impérieusement et révolté de cette plaisanterie perfide.

– Sans doute, M. de Guiche n'est-il pas le premier gentilhomme de votre maison?

– Enfin, répliqua le duc un peu plus calme, cette passion de

Buckingham avait été remarquée?

– Certes!

– Eh bien! dit-on que celle de M. de Guiche soit remarquée autant?

– Mais, monseigneur, vous retombez encore; on ne dit pas que

M. de Guiche ait de la passion.

– C'est bien! c'est bien!

– Vous voyez, monseigneur, qu'il valait mieux, cent fois mieux, me laisser dans ma retraite que d'aller vous forger avec mes scrupules des soupçons que Madame regardera comme des crimes, et elle aura raison.

– Que feras-tu, toi?

– Une chose raisonnable.

– Laquelle?

– Je ne ferais plus la moindre attention à la société de ces épicuriens nouveaux, et de cette façon les bruits tomberaient.

– Je verrai, je me consulterai.

– Oh! vous avez le temps, le danger n'est pas grand, et puis il ne s'agit ni de danger ni de passion; il s'agit d'une crainte que j'ai eue de voir s'affaiblir votre amitié pour moi. Dès que vous me la rendez avec une assurance aussi gracieuse, je n'ai plus d'autre idée en tête.

Le duc secoua la tête, comme s'il voulait dire: «Si tu n'as plus d'idées, moi, j'en ai.»

Mais l'heure du dîner étant arrivée, Monseigneur envoya prévenir Madame. Il fut répondu que Madame ne pouvait assister au grand couvert et qu'elle dînerait chez elle.

– Cela n'est pas ma faute, dit le duc; ce matin, tombant au milieu de toutes leurs musiques, j'ai fait le jaloux, et on me boude.

– Nous dînerons seuls, dit le chevalier avec un soupir; je regrette Guiche.

– Oh! de Guiche ne boudera pas longtemps, c'est un bon naturel.

– Monseigneur, dit tout à coup le chevalier, il me vient une bonne idée: tantôt, dans notre conversation, j'ai pu aigrir Votre Altesse et donner sur lui des ombrages. Il convient que je sois le médiateur… Je vais aller à la recherche du comte et je le ramènerai.

– Ah! chevalier, tu es une bonne âme.

– Vous dites cela comme si vous étiez surpris.

– Dame! tu n'es pas tendre tous les jours.

– Soit; mais je sais réparer un tort que j'ai fait, avouez.

– J'avoue.

– Votre Altesse veut bien me faire la grâce d'attendre ici quelques moments?

– Volontiers, va… J'essaierai mes habits de Fontainebleau.

Le chevalier partit, il appela ses gens avec un grand soin, comme s'il leur donnait divers ordres.

Tous partirent dans différentes directions; mais il retint son valet de chambre.

– Sache, dit-il, et sache tout de suite si M. de Guiche n'est pas chez Madame. Vois; comment savoir cela?

– Facilement, monsieur le chevalier; je le demanderai à Malicorne, qui le saura de Mlle de Montalais. Cependant je dois dire que la demande sera vaine, car tous les gens de M. de Guiche sont partis: le maître a dû partir avec eux.

– Informe-toi, néanmoins.

Dix minutes ne s'étaient pas écoulées, que le valet de chambre revint. Il attira mystérieusement son maître dans un escalier de service, et le fit entrer dans une petite chambre dont la fenêtre donnait sur le jardin.

– Qu'y a-t-il? dit le chevalier; pourquoi tant de précautions?

– Regardez, monsieur, dit le valet de chambre.

– Quoi?

– Regardez sous le marronnier, en bas.

– Bien… Ah! mon Dieu! je vois Manicamp qui attend; qu'attend- il?

– Vous allez le voir, si vous prenez patience… Là! voyez-vous, maintenant?

– Je vois un, deux, quatre musiciens avec leurs instruments, et derrière eux, les poussant, de Guiche en personne. Mais que fait- il là?

– Il attend qu'on lui ouvre la porte de l'escalier des dames d'honneur; il montera par là chez Madame, où l'on va faire entendre une nouvelle musique pendant le dîner.

– C'est superbe ce que tu dis là.

– N'est-ce pas, monsieur?

– Et c'est M. Malicorne qui t'a dit cela?

– Lui-même.

– Il t'aime donc?

– Il aime Monsieur.

– Pourquoi?

– Parce qu'il veut être de sa maison.

– Mordieu! il en sera. Combien t'as-t-il donné pour cela?

– Le secret que je vous vends, monsieur.

– Je te le paie cent pistoles. Prends!

– Merci, monsieur… Voyez-vous, la petite porte s'ouvre, une femme fait entrer les musiciens…

– C'est la Montalais?

– Tout beau, monsieur, ne criez pas ce nom; qui dit Montalais dit Malicorne. Si vous vous brouillez avec l'un, vous serez mal avec l'autre.

– Bien, je n'ai rien vu.

– Et moi rien reçu, dit le valet en emportant la bourse.

Le chevalier, ayant la certitude que de Guiche était entré, revint chez Monsieur, qu'il trouva splendidement vêtu et rayonnant de joie comme de beauté.

– On dit, s'écria-t-il, que le roi prend le soleil pour devise; vrai, monseigneur, c'est à vous que cette devise conviendrait.

– Et Guiche?

– Introuvable! Il a fui, il s'est évaporé. Votre algarade du matin l'a effarouché. On ne l'a pas trouvé chez lui.

– Bah! il est capable, ce cerveau fêlé, d'avoir pris la poste pour aller dans ses terres. Pauvre garçon! nous le rappellerons, va. Dînons.

– Monseigneur, c'est le jour des idées; j'en ai encore une.

– Laquelle?

– Monseigneur, Madame vous boude, et elle a raison. Vous lui devez une revanche; allez dîner avec elle.

– Oh! c'est d'un mari faible.

– C'est d'un bon mari. La princesse s'ennuie: elle va pleurer dans son assiette, elle aura les yeux rouges. Un mari se fait odieux qui rougit les yeux de sa femme. Allons, monseigneur, allons!

– Non, mon service est commandé pour ici.

– Voyons, voyons, monseigneur, nous serons tristes; j'aurai le coeur gros de savoir que Madame est seule; vous, tout féroce que vous voudrez être, vous soupirerez. Emmenez-moi au dîner de Madame, et ce sera une charmante surprise. Je gage que nous nous divertirons; vous aviez tort ce matin.

– Peut-être bien.

– Il n'y a pas de peut-être, c'est un fait.

– Chevalier, chevalier! tu me conseilles mal.

– Je vous conseille bien, vous êtes dans vos avantages: votre habit pensée, brodé d'or, vous va divinement. Madame sera encore plus subjuguée par l'homme que par le procédé. Voyons, monseigneur.

– Tu me décides, partons.

Le duc sortit avec le chevalier de son appartement, et se dirigea vers celui de Madame.

Le chevalier glissa ces mots à l'oreille de son valet:

– Du monde devant la petite porte! Que nul ne puisse s'échapper par là! Cours.

Et derrière le duc il parvint aux antichambres de Madame.

Les huissiers allaient annoncer.

– Que nul ne bouge, dit le chevalier en riant, Monseigneur veut faire une surprise.