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Czytaj książkę: «Le vicomte de Bragelonne, Tome II.», strona 11

Czcionka:

«Allons, monsieur Malicorne, il est temps que nous laissions ces jeunes gens ensemble; ils ont une foule de choses à se dire; donnez-moi votre main: j'espère que voilà un grand honneur que l'on vous fait, monsieur Malicorne.

– Pardon, mademoiselle, dit Raoul en arrêtant la folle jeune fille et en donnant à ses paroles une intonation dont la gravité contrastait avec celles de Montalais; pardon, mais pourrais-je savoir le nom de ce protecteur? Car si l'on vous protège, vous, mademoiselle, et avec toutes sortes de raisons…

Raoul s'inclina:

– … je ne vois pas les mêmes raisons pour que Mlle de La Vallière soit protégée.

– Mon Dieu! monsieur Raoul, dit naïvement Louise, la chose est bien simple, et je ne vois pas pourquoi je ne vous le dirais pas moi-même… Mon protecteur, c'est M. Malicorne.

Raoul resta un instant stupéfait, se demandant si l'on se jouait de lui; puis il se retourna pour interpeller Malicorne.

Mais celui-ci était déjà loin, entraîné qu'il était par Montalais.

Mlle de La Vallière fit un mouvement pour suivre son amie; mais

Raoul la retint avec une douce autorité.

– Je vous en supplie, Louise, dit-il, un mot.

– Mais, monsieur Raoul, dit Louise toute rougissante, nous sommes seuls… Tout le monde est parti… On va s'inquiéter, nous chercher.

– Ne craignez rien, dit le jeune homme en souriant, nous ne sommes ni l'un ni l'autre des personnages assez importants pour que notre absence se remarque.

– Mais mon service, monsieur Raoul?

– Tranquillisez-vous, mademoiselle, je connais les usages de la cour; votre service ne doit commencer que demain; il vous reste donc quelques minutes, pendant lesquelles vous pouvez me donner l'éclaircissement que je vais avoir l'honneur de vous demander.

– Comme vous êtes sérieux, monsieur Raoul! dit Louise tout inquiète.

– C'est que la circonstance est sérieuse, mademoiselle.

M'écoutez-vous?

– Je vous écoute; seulement, monsieur, je vous le répète, nous sommes bien seuls.

– Vous avez raison, dit Raoul.

Et, lui offrant la main, il conduisit la jeune fille dans la galerie voisine de la salle de réception, et dont les fenêtres donnaient sur la place.

Tout le monde se pressait à la fenêtre du milieu, qui avait un balcon extérieur d'où l'on pouvait voir dans tous leurs détails les lents préparatifs du départ.

Raoul ouvrit une des fenêtres latérales, et là, seul avec

Mlle de La Vallière:

– Louise, dit-il, vous savez que, dès mon enfance, je vous ai chérie comme une soeur et que vous avez été la confidente de tous mes chagrins, la dépositaire de toutes mes espérances.

– Oui, répondit-elle bien bas, oui, monsieur Raoul, je sais cela.

– Vous aviez l'habitude, de votre côté, de me témoigner la même amitié, la même confiance; pourquoi, en cette rencontre, n'avez- vous pas été mon amie? pourquoi vous êtes-vous défiée de moi? La Vallière ne répondit point.

– J'ai cru que vous m'aimiez, dit Raoul, dont la voix devenait de plus en plus tremblante; j'ai cru que vous aviez consenti à tous les plans faits en commun pour notre bonheur, alors que tous deux nous nous promenions dans les grandes allées de Cour-Cheverny et sous les peupliers de l'avenue qui conduit à Blois. Vous ne répondez pas, Louise?

Il s'interrompit.

– Serait-ce, demanda-t-il en respirant à peine, que vous ne m'aimeriez plus?

– Je ne dis point cela, répliqua tout bas Louise.

– Oh! dites-le-moi bien, je vous en prie; j'ai mis tout l'espoir de ma vie en vous, je vous ai choisie pour vos habitudes douces et simples. Ne vous laissez pas éblouir, Louise, à présent que vous voilà au milieu de la cour, où tout ce qui est pur se corrompt, où tout ce qui est jeune vieillit vite. Louise, fermez vos oreilles pour ne pas entendre les paroles, fermez vos yeux pour ne pas voir les exemples, fermez vos lèvres pour ne point respirer les souffles corrupteurs. Sans mensonges, sans détours, Louise, faut- il que je croie ces mots de Mlle de Montalais? Louise, êtes-vous venue à Paris parce que je n'étais plus à Blois?

La Vallière rougit et cacha son visage dans ses mains.

– Oui, n'est-ce pas, s'écria Raoul exalté, oui, c'est pour cela que vous êtes venue? oh! je vous aime comme jamais je ne vous ai aimée! Merci, Louise, de ce dévouement; mais il faut que je prenne un parti pour vous mettre à couvert de toute insulte, pour vous garantir de toute tache. Louise, une fille d'honneur, à la cour d'une jeune princesse, en ce temps de moeurs faciles et d'inconstantes amours, une fille d'honneur est placée dans le centre des attaques sans aucune défense; cette condition ne peut vous convenir: il faut que vous soyez mariée pour être respectée.

– Mariée?

– Oui.

– Mon Dieu!

– Voici ma main, Louise, laissez-y tomber la vôtre.

– Mais votre père?

– Mon père me laisse libre.

– Cependant…

– Je comprends ce scrupule, Louise; je consulterai mon père.

– Oh! monsieur Raoul, réfléchissez, attendez.

– Attendre, c'est impossible; réfléchir, Louise, réfléchir, quand il s'agit de vous! ce serait vous insulter; votre main, chère Louise, je suis maître de moi; mon père dira oui, je vous le promets; votre main, ne me faites point attendre ainsi, répondez vite un mot, un seul, sinon je croirais que, pour vous changer à jamais, il a suffi d'un seul pas dans le palais, d'un seul souffle de la faveur, d'un seul sourire des reines, d'un seul regard du roi.

Raoul n'avait pas prononcé ce dernier mot que La Vallière était devenue pâle comme la mort, sans doute par la crainte qu'elle avait de voir s'exalter le jeune homme.

Aussi, par un mouvement rapide comme la pensée, jeta-t-elle ses deux mains dans celles de Raoul.

Puis elle s'enfuit sans ajouter une syllabe et disparut sans avoir regardé en arrière. Raoul sentit son corps frissonner au contact de cette main. Il reçut le serment, comme un serment solennel arraché par l'amour à la timidité virginale.

Chapitre XC – Le consentement d'Athos

Raoul était sorti du Palais-Royal avec des idées qui n'admettaient point de délais dans leur exécution.

Il monta donc à cheval dans la cour même et prit la route de

Blois, tandis que s'accomplissaient, avec une grande allégresse des courtisans et une grande désolation de Guiche et de

Buckingham, les noces de Monsieur et de la princesse d'Angleterre.

Raoul fit diligence; en dix-huit heures il arriva à Blois. Il avait préparé en route ses meilleurs arguments. La fièvre aussi est un argument sans réplique, et Raoul avait la fièvre.

Athos était dans son cabinet, ajoutant quelques pages à ses mémoires, lorsque Raoul entra conduit par Grimaud. Le clairvoyant gentilhomme n'eut besoin que d'un coup d'oeil pour reconnaître quelque chose d'extraordinaire dans l'attitude de son fils.

– Vous me paraissez venir pour affaire de conséquence, dit-il en montrant un siège à Raoul après l'avoir embrassé.

– Oui, monsieur, répondit le jeune homme, et je vous supplie de me prêter cette bienveillante attention qui ne m'a jamais fait défaut.

– Parlez, Raoul.

– Monsieur, voici le fait dénué de tout préambule indigne d'un homme comme vous: Mlle de La Vallière est à Paris en qualité de fille d'honneur de Madame; je me suis bien consulté, j'aime Mlle de La Vallière par-dessus tout, et il ne me convient pas de la laisser dans un poste où sa réputation, sa vertu peuvent être exposées; je désire donc l'épouser, monsieur, et je viens vous demander votre consentement à ce mariage.

Athos avait gardé, pendant cette communication, un silence et une réserve absolus.

Raoul avait commencé son discours avec l'affectation du sang- froid, et il avait fini par laisser voir à chaque mot une émotion des plus manifestes.

Athos fixa sur Bragelonne un regard profond, voilé d'une certaine tristesse.

– Donc, vous avez bien réfléchi? demanda-t-il.

– Oui, monsieur.

– Il me semblait vous avoir déjà dit mon sentiment à l'égard de cette alliance.

– Je le sais, monsieur, répondit Raoul bien bas; mais vous avez répondu que si j'insistais…

– Et vous insistez?

Bragelonne balbutia un oui presque inintelligible.

– Il faut, en effet, monsieur, continua tranquillement Athos, que votre passion soit bien forte, puisque, malgré ma répugnance pour cette union, vous persistez à la désirer.

Raoul passa sur son front une main tremblante, il essuyait ainsi la sueur qui l'inondait.

Athos le regarda, et la pitié descendit au fond de son coeur.

Il se leva.

– C'est bien, dit-il, mes sentiments personnels, à moi, ne signifient rien, puisqu'il s'agit des vôtres; vous me requérez, je suis à vous. Au fait, voyons, que désirez-vous de moi?

– Oh! votre indulgence, monsieur, votre indulgence d'abord, dit

Raoul en lui prenant les mains.

– Vous vous méprenez sur mes sentiments pour vous, Raoul; il y a mieux que cela dans mon coeur, répliqua le comte.

Raoul baisa la main qu'il tenait, comme eût pu le faire l'amant le plus passionné.

– Allons, allons, reprit Athos; dites, Raoul, me voilà prêt, que faut-il signer?

– Oh! rien, monsieur, rien; seulement, il serait bon que vous

prissiez la peine d'écrire au roi, et de demander pour moi à Sa

Majesté, à laquelle j'appartiens, la permission d'épouser

Mlle de La Vallière.

– Bien, vous avez là une bonne pensée, Raoul. En effet, après moi, ou plutôt avant moi, vous avez un maître; ce maître, c'est le roi; vous vous soumettez donc à une double épreuve, c'est loyal.

– Oh! monsieur!

– Je vais sur-le-champ acquiescer à votre demande, Raoul. Le comte s'approcha de la fenêtre; et se penchant légèrement en dehors:

– Grimaud! cria-t-il.

Grimaud montra sa tête à travers une tonnelle de jasmin qu'il émondait.

– Mes chevaux! continua le comte.

– Que signifie cet ordre, monsieur?

– Que nous partons dans deux heures.

– Pour où?

– Pour Paris.

– Comment, pour Paris! Vous venez à Paris?

– Le roi n'est-il pas à Paris?

– Sans doute.

– Eh bien! ne faut-il pas que nous y allions, et avez-vous perdu le sens?

– Mais, monsieur, dit Raoul presque effrayé de cette condescendance paternelle, je ne vous demande point un pareil dérangement, et une simple lettre…

– Raoul, vous vous méprenez sur mon importance; il n'est point convenable qu'un simple gentilhomme comme moi écrive à son roi. Je veux et je dois parler à Sa Majesté. Je le ferai. Nous partirons ensemble, Raoul.

– Oh! que de bontés, monsieur!

– Comment croyez-vous Sa Majesté disposée?

– Pour moi, monsieur?

– Oui.

– Oh! parfaitement.

– Elle vous l'a dit?

– De sa propre bouche.

– À quelle occasion?

– Mais sur une recommandation de M. d'Artagnan, je crois, et à propos d'une affaire en Grève où j'ai eu le bonheur de tirer l'épée pour Sa Majesté. J'ai donc lieu de me croire, sans amour- propre, assez avancé dans l'esprit de Sa Majesté.

– Tant mieux!

– Mais, je vous en conjure, continua Raoul, ne gardez point avec moi ce sérieux et cette discrétion, ne me faites pas regretter d'avoir écouté un sentiment plus fort que tout.

– C'est la seconde fois que vous me le dites, Raoul, cela n'était point nécessaire; vous voulez une formalité de consentement, je vous le donne, c'est acquis, n'en parlons plus. Venez voir mes nouvelles plantations, Raoul.

Le jeune homme savait qu'après l'expression d'une volonté du comte, il n'y avait plus de place pour la controverse. Il baissa la tête et suivit son père au jardin. Athos lui montra lentement les greffes, les pousses et les quinconces.

Cette tranquillité déconcertait de plus en plus Raoul; l'amour qui remplissait son coeur lui semblait assez grand pour que le monde pût le contenir à peine. Comment le coeur d'Athos restait-il vide et fermé à cette influence?

Aussi Bragelonne, rassemblant toutes ses forces, s'écria-t-il tout à coup:

– Monsieur, il est impossible que vous n'ayez pas quelque raison de repousser Mlle de La Vallière, elle est si bonne, si douce, si pure, que votre esprit, plein d'une suprême sagesse, devrait l'apprécier à sa valeur. Au nom du Ciel! existe-t-il entre vous et sa famille quelque secrète inimitié, quelque haine héréditaire?

– Voyez, Raoul, la belle planche de muguet, dit Athos, voyez comme l'ombre et l'humidité lui vont bien, cette ombre surtout des feuilles de sycomore, par l'échancrure desquelles filtre la chaleur et non la flamme du soleil.

Raoul s'arrêta, se mordit les lèvres; puis, sentant le sang affluer à ses tempes:

– Monsieur, dit-il bravement, une explication, je vous en supplie; vous ne pouvez oublier que votre fils est un homme.

– Alors, répondit Athos en se redressant avec sévérité, alors prouvez-moi que vous êtes un homme, car vous ne prouvez point que vous êtes un fils. Je vous priais d'attendre le moment d'une illustre alliance, je vous eusse trouvé une femme dans les premiers rangs de la riche noblesse; je voulais que vous pussiez briller de ce double éclat que donnent la gloire et la fortune: vous avez la noblesse de la race.

– Monsieur, s'écria Raoul emporté par un premier mouvement, l'on m'a reproché l'autre jour de ne pas connaître ma mère.

Athos pâlit; puis, fronçant le sourcil comme le dieu suprême de l'Antiquité:

– Il me tarde de savoir ce que vous avez répondu, monsieur, demanda-t-il majestueusement.

– Oh! pardon… pardon!.. murmura le jeune homme tombant du haut de son exaltation.

– Qu'avez-vous répondu, monsieur? demanda le comte en frappant du pied.

– Monsieur, j'avais l'épée à la main, celui qui m'insultait, était en garde, j'ai fait sauter son épée par-dessus une palissade, et je l'ai envoyé rejoindre son épée.

– Et pourquoi ne l'avez-vous pas tué?

– Sa Majesté défend le duel, monsieur, et j'étais en ce moment ambassadeur de Sa Majesté.

– C'est bien, dit Athos, mais raison de plus pour que j'aille parler au roi.

– Qu'allez-vous lui demander, monsieur?

– L'autorisation de tirer l'épée contre celui qui nous a fait cette offense.

– Monsieur, si je n'ai point agi comme je devais agir, pardonnez- moi, je vous en supplie.

– Qui vous a fait un reproche, Raoul?

– Mais cette permission que vous voulez demander au roi.

– Raoul, je prierai Sa Majesté de signer à votre contrat de mariage.

– Monsieur…

– Mais à une condition…

– Avez-vous besoin de condition vis-à-vis de moi? ordonnez, monsieur, et j'obéirai.

– À la condition, continua Athos, que vous me direz le nom de celui qui a ainsi parlé de votre mère.

– Mais, monsieur, qu'avez-vous besoin de savoir ce nom?

– C'est à moi que l'offense a été faite, et une fois la permission obtenue de Sa Majesté, c'est moi que la vengeance regarde.

– Son nom, monsieur?

– Je ne souffrirai pas que vous vous exposiez.

– Me prenez-vous pour un don Diegue? Son nom?

– Vous l'exigez?

– Je le veux.

– Le vicomte de Wardes.

– Ah! dit tranquillement Athos, c'est bien, je le connais. Mais nos chevaux sont prêts, monsieur; au lieu de partir dans deux heures, nous partirons tout de suite. À cheval, monsieur, à cheval!

Chapitre XCI – Monsieur est jaloux du duc de Buckingham

Tandis que M. le comte de La Fère s'acheminait vers Paris, accompagné de Raoul, le Palais-Royal était le théâtre d'une scène que Molière eût appelée une bonne comédie.

C'était quatre jours après son mariage; Monsieur, après avoir déjeuné à la hâte, passa dans ses antichambres, les lèvres en moue, le sourcil froncé.

Le repas n'avait pas été gai. Madame s'était fait servir dans son appartement.

Monsieur avait donc déjeuné en petit comité. Le chevalier de Lorraine et Manicamp assistaient seuls à ce déjeuner, qui avait duré trois quarts d'heure sans qu'un seul mot eût été prononcé.

Manicamp, moins avancé dans l'intimité de Son Altesse Royale que le chevalier de Lorraine, essayait vainement de lire dans les yeux du prince ce qui lui donnait cette mine si maussade. Le chevalier de Lorraine, qui n'avait besoin de rien devenir, attendu qu'il savait tout, mangeait avec cet appétit extraordinaire que lui donnait le chagrin des autres, et jouissait à la fois du dépit de Monsieur et du trouble de Manicamp.

Il prenait plaisir à retenir à table, en continuant de manger, le prince impatient, qui brûlait du désir de lever le siège. Parfois Monsieur se repentait de cet ascendant qu'il avait laissé prendre sur lui au chevalier de Lorraine, et qui exemptait celui-ci de toute étiquette.

Monsieur était dans un de ces moments-là; mais il craignait le chevalier presque autant qu'il l'aimait, et se contentait de rager intérieurement.

De temps en temps, Monsieur levait les yeux au ciel, puis les abaissait sur les tranches de pâté que le chevalier attaquait; puis enfin, n'osant éclater, il se livrait à une pantomime dont Arlequin se fût montré jaloux.

Enfin Monsieur n'y put tenir, et au fruit, se levant tout courroucé, comme nous l'avons dit, il laissa le chevalier de Lorraine achever son déjeuner comme il l'entendrait.

En voyant Monsieur se lever, Manicamp se leva tout roide, sa serviette à la main.

Monsieur courut plutôt qu'il ne marcha vers l'antichambre, et, trouvant un huissier, il le chargea d'un ordre à voix basse.

Puis, rebroussant chemin, pour ne pas passer par la salle à manger, il traversa ses cabinets, dans l'intention d'aller trouver la reine mère dans son oratoire, où elle se tenait habituellement. Il pouvait être dix heures du matin.

Anne d'Autriche écrivait lorsque Monsieur entra. La reine mère aimait beaucoup ce fils, qui était beau de visage et doux de caractère.

Monsieur, en effet, était plus tendre et, si l'on veut, plus efféminé que le roi.

Il avait pris sa mère par les petites sensibleries de femme, qui plaisent toujours aux femmes; Anne d'Autriche, qui eût fort aimé avoir une fille, trouvait presque en ce fils les attentions, les petits soins et les mignardises d'un enfant de douze ans.

Ainsi, Monsieur employait tout le temps qu'il passait chez sa mère à admirer ses beaux bras, à lui donner des conseils sur ses pâtes et des recettes sur ses essences, où elle se montrait fort recherchée; puis il lui baisait les mains et les yeux avec un enfantillage charmant, avait toujours quelque sucrerie à lui offrir, quelque ajustement nouveau à lui recommander.

Anne d'Autriche aimait le roi, ou plutôt la royauté dans son fils aîné: Louis XIV lui représentait la légitimité divine.

Elle était reine mère avec le roi; elle était mère seulement avec Philippe. Et ce dernier savait que, de tous les abris, le sein d'une mère est le plus doux et le plus sûr.

Aussi, tout enfant, allait-il se réfugier là quand des orages s'étaient élevés entre son frère et lui; souvent après les gourmades qui constituaient de sa part des crimes de lèse-majesté, après les combats à coups de poings et d'ongles, que le roi et son sujet très insoumis se livraient en chemise sur un lit contesté, ayant le valet de chambre La Porte pour tout juge du camp, Philippe, vainqueur, mais épouvanté de sa victoire, était allé demander du renfort à sa mère, ou du moins l'assurance d'un pardon que Louis XIV n'accordait que difficilement et à distance. Anne avait réussi, par cette habitude d'intervention pacifique, à concilier tous les différends de ses fils et à participer par la même occasion à tous leurs secrets.

Le roi, un peu jaloux de cette sollicitude maternelle qui s'épandait surtout sur son frère, se sentait disposé envers Anne d'Autriche à plus de soumission et de prévenances qu'il n'était dans son caractère d'en avoir.

Anne d'Autriche avait surtout pratiqué ce système de politique envers la jeune reine.

Aussi régnait-elle presque despotiquement sur le ménage royal, et dressait-elle déjà toutes ses batteries pour régner avec le même absolutisme sur le ménage de son second fils. Anne d'Autriche était presque fière lorsqu'elle voyait entrer chez elle une mine allongée, des joues pâles et des yeux rouges, comprenant qu'il s'agissait d'un secours à donner au plus faible ou au plus mutin.

Elle écrivait, disons-nous, lorsque Monsieur entra dans son oratoire, non pas les yeux rouges, non pas les joues pâles, mais inquiet, dépité, agacé.

Il baisa distraitement les bras de sa mère, et s'assit avant qu'elle lui en eût donné l'autorisation.

Avec les habitudes d'étiquette établies à la cour d'Anne d'Autriche, cet oubli des convenances était un signe d'égarement, de la part surtout de Philippe, qui pratiquait si volontiers l'adulation du respect.

Mais, s'il manquait si notoirement à tous ces principes, c'est que la cause en devait être grave.

– Qu'avez-vous, Philippe? demanda Anne d'Autriche en se tournant vers son fils.

– Ah! madame, bien des choses, murmura le prince d'un air dolent.

– Vous ressemblez, en effet, à un homme fort affairé, dit la reine en posant la plume dans l'écritoire.

Philippe fronça le sourcil, mais ne répondit point.

– Dans toutes les choses qui remplissent votre esprit, dit Anne d'Autriche, il doit cependant s'en trouver quelqu'une qui vous occupe plus que les autres?

– Une, en effet, m'occupe plus que les autres, oui, madame.

– Je vous écoute.

Philippe ouvrit la bouche pour donner passage à tous les griefs qui se passaient dans son esprit et semblaient n'attendre qu'une issue pour s'exhaler.

Mais tout à coup il se tut, et tout ce qu'il avait sur le coeur se résuma par un soupir.

– Voyons, Philippe, voyons, de la fermeté, dit la reine mère. Une chose dont on se plaint, c'est presque toujours une personne qui gêne, n'est-ce pas?

– Je ne dis point cela, madame.

– De qui voulez-vous parler? Allons, allons, résumez-vous.

– Mais c'est qu'en vérité, madame, ce que j'aurais à dire est fort discret.

– Ah! mon Dieu!

– Sans doute; car, enfin, une femme…

– Ah! vous voulez parler de Madame? demanda la reine mère avec un vif sentiment de curiosité.

– De Madame?

– De votre femme, enfin.

– Oui, oui, j'entends.

– Eh bien! si c'est de Madame que vous voulez me parler, mon fils, ne vous gênez pas. Je suis votre mère, et Madame n'est pour moi qu'une étrangère. Cependant, comme elle est ma bru, ne doutez point que je n'écoute avec intérêt, ne fût-ce que pour vous, tout ce que vous m'en direz.

– Voyons, à votre tour, madame, dit Philippe, avouez-moi si vous n'avez pas remarqué quelque chose?

– Quelque chose, Philippe?.. Vous avez des mots d'un vague effrayant… Quelque chose, et de quelle sorte est-ce quelque chose?

– Madame est jolie, enfin.

– Mais oui.

– Cependant ce n'est point une beauté.

– Non; mais, en grandissant, elle peut singulièrement embellir encore. Vous avez bien vu les changements que quelques années déjà ont apportés sur son visage. Eh bien! elle se développera de plus en plus, elle n'a que seize ans. À quinze ans, moi aussi, j'étais fort maigre; mais enfin, telle qu'elle est, Madame est jolie.

– Par conséquent, on peut l'avoir remarquée.

– Sans doute, on remarque une femme ordinaire, à plus forte raison une princesse.

– Elle a été bien élevée, n'est-ce pas, madame?

– Madame Henriette, sa mère, est une femme un peu froide, un peu prétentieuse, mais une femme pleine de beaux sentiments. L'éducation de la jeune princesse peut avoir été négligée, mais, quant aux principes, je les crois bons; telle était du moins mon opinion sur elle lors de son séjour en France; depuis, elle est retournée en Angleterre, et je ne sais ce qui s'est passé.

– Que voulez-vous dire?

– Eh! mon Dieu, je veux dire que certaines têtes, un peu légères, sont facilement tournées par la prospérité.

– Eh bien! madame, vous avez dit le mot; je crois à la princesse une tête un peu légère, en effet.

– Il ne faudrait pas exagérer, Philippe: elle a de l'esprit et une certaine dose de coquetterie très naturelle chez une jeune femme; mais, mon fils, chez les personnes de haute qualité ce défaut tourne à l'avantage d'une cour. Une princesse un peu coquette se fait ordinairement une cour brillante; un sourire d'elle fait éclore partout le luxe, l'esprit et le courage même; la noblesse se bat mieux pour un prince dont la femme est belle.

– Grand merci, madame, dit Philippe avec humeur; en vérité, vous me faites là des peintures fort alarmantes, ma mère.

– En quoi? demanda la reine avec une feinte naïveté.

– Vous savez, madame, dit dolemment Philippe, vous savez si j'ai eu de la répugnance à me marier.

– Ah! mais, cette fois, vous m'alarmez. Vous avez donc un grief sérieux contre Madame?

– Sérieux, je ne dis point cela.

– Alors; quittez cette physionomie renversée. Si vous vous montrez ainsi chez vous, prenez-y garde, on vous prendra pour un mari fort malheureux.

– Au fait, répondit Philippe, je ne suis pas un mari satisfait, et je suis aise qu'on le sache.

– Philippe! Philippe!

– Ma foi! madame, je vous dirai franchement, je n'ai point compris la vie comme on me la fait.

– Expliquez-vous.

– Ma femme n'est point à moi, en vérité; elle m'échappe en toute circonstance. Le matin, ce sont les visites, les correspondances, les toilettes; le soir, ce sont les bals et les concerts.

– Vous êtes jaloux, Philippe!

– Moi? Dieu m'en préserve! À d'autres qu'à moi ce sot rôle de mari jaloux; mais je suis contrarié.

– Philippe, ce sont toutes choses innocentes que vous reprochez là à votre femme, et tant que vous n'aurez rien de plus considérable…

– Écoutez donc, sans être coupable, une femme peut inquiéter; il est de certaines fréquentations, de certaines préférences que les jeunes femmes affichent et qui suffisent pour faire donner parfois au diable les maris les moins jaloux.

– Ah! nous y voilà, enfin; ce n'est point sans peine. Les fréquentations, les préférences, bon! Depuis une heure que nous battons la campagne, vous venez enfin d'aborder la véritable question.

– Eh bien! oui…

– Ceci est plus sérieux. Madame aurait-elle donc de ces sortes de torts envers vous?

– Précisément.

– Quoi! votre femme, après quatre jours de mariage, vous préférerait quelqu'un, fréquenterait quelqu'un? Prenez-y garde, Philippe, vous exagérez ses torts; à force de vouloir prouver, on ne prouve rien.

Le prince, effarouché du sérieux de sa mère, voulut répondre, mais il ne put que balbutier quelques paroles inintelligibles.

– Voilà que vous reculez, dit Anne d'Autriche, j'aime mieux cela; c'est une reconnaissance de vos torts.

– Non! s'écria Philippe, non, je ne recule pas, et je vais le prouver. J'ai dit préférences, n'est-ce pas? j'ai dit fréquentations, n'est-ce pas? Eh bien! écoutez.

Anne d'Autriche s'apprêta complaisamment à écouter avec ce plaisir de commère que la meilleure femme, que la meilleure mère, fût-elle reine, trouve toujours dans son immixtion à de petites querelles de ménage.

– Eh bien! reprit Philippe, dites-moi une chose.

– Laquelle?

– Pourquoi ma femme a-t-elle conservé une cour anglaise? Dites!

Et Philippe se croisa les bras en regardant sa mère, comme s'il eût été convaincu qu'elle ne trouverait rien à répondre à ce reproche.

– Mais, reprit Anne d'Autriche, c'est tout simple, parce que les Anglais sont ses compatriotes, parce qu'ils ont dépensé beaucoup d'argent pour l'accompagner en France, et qu'il serait peu poli, peu politique même, de congédier brusquement une noblesse qui n'a reculé devant aucun dévouement, devant aucun sacrifice.

– Eh! ma mère, le beau sacrifice, en vérité, que de se déranger d'un vilain pays pour venir dans une belle contrée, où l'on fait avec un écu plus d'effet qu'autre part avec quatre! Le beau dévouement, n'est-ce pas, que de faire cent lieues pour accompagner une femme dont on est amoureux?

– Amoureux, Philippe? Songez-vous à ce que vous dites?

– Parbleu!

– Et qui donc est amoureux de Madame?

– Le beau duc de Buckingham… N'allez-vous pas aussi me défendre celui là, ma mère?

Anne d'Autriche rougit et sourit en même temps. Ce nom de duc de Buckingham lui rappelait à la fois de si doux et de si tristes souvenirs!

– Le duc de Buckingham? murmura-t-elle.

– Oui, un de ces mignons de couchette, comme disait mon grand- père Henri IV.

– Les Buckingham sont loyaux et braves, dit courageusement Anne d'Autriche.

– Allons! bien; voilà ma mère qui défend contre moi le galant de ma femme! s'écria Philippe tellement exaspéré que sa nature frêle en fut ébranlée jusqu'aux larmes.

– Mon fils! mon fils! s'écria Anne d'Autriche, l'expression n'est pas digne de vous. Votre femme n'a point de galant, et si elle en devait avoir un, ce ne serait pas M. de Buckingham: les gens de cette race, je vous le répète, sont loyaux et discrets; l'hospitalité leur est sacrée.

– Eh! madame! s'écria Philippe, M. de Buckingham est un Anglais, et les Anglais respectent-ils si fort religieusement le bien des princes français?

Anne rougit sous ses coiffes pour la seconde fois, et se retourna sous prétexte de tirer sa plume de l'écritoire; mais, en réalité, pour cacher sa rougeur aux yeux de son fils.

– En vérité, Philippe, dit-elle, vous savez trouver des mots qui me confondent, et votre colère vous aveugle, comme elle m'épouvante; réfléchissez, voyons!

– Madame, je n'ai pas besoin de réfléchir, je vois.

– Et que voyez-vous?

– Je vois que M. de Buckingham ne quitte point ma femme. Il ose lui faire des présents, elle ose les accepter. Hier, elle parlait de sachets à la violette; or, nos parfumeurs français, vous le savez bien, madame, vous qui en avez demandé tant de fois sans pouvoir en obtenir, or, nos parfumeurs français n'ont jamais pu trouver cette odeur. Eh bien! le duc, lui aussi, avait sur lui un sachet à la violette. C'est donc de lui que venait celui de ma femme.

– En vérité, monsieur, dit Anne d'Autriche, vous bâtissez des pyramides sur des pointes d'aiguilles; prenez garde. Quel mal, je vous le demande, y a-t-il à ce qu'un compatriote donne une recette d'essence nouvelle à sa compatriote? Ces idées étranges, je vous le jure, me rappellent douloureusement votre père, qui m'a fait souvent souffrir avec injustice.

– Le père de M. de Buckingham était sans doute plus réservé, plus respectueux que son fils, dit étourdiment Philippe, sans voir qu'il touchait rudement au coeur de sa mère.

La reine pâlit et appuya une main crispée sur sa poitrine; mais, se remettant promptement:

– Enfin, dit-elle, vous êtes venu ici dans une intention quelconque?

– Sans doute.

– Alors, expliquez-vous.

– Je suis venu, madame, dans l'intention de me plaindre énergiquement, et pour vous prévenir que je n'endurerai rien de la part de M. de Buckingham.

– Vous n'endurerez rien?

– Non.

– Que ferez-vous?

– Je me plaindrai au roi.

– Et que voulez-vous que vous réponde le roi?

– Eh bien! dit Monsieur avec une expression de féroce fermeté qui faisait un étrange contraste avec la douceur habituelle de sa physionomie, eh bien! je me ferai justice moi-même.