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CHAPITRE XIV.
LE RAPPORT DE SOUSCARRIÈRES

Resté seul, le cardinal appela son secrétaire Charpentier et lui demanda sa correspondance du jour. Elle contenait trois lettres importantes:

Une de Beautru, l'ambassadeur, ou plutôt l'envoyé en Espagne, car jamais Beautru ne fut ambassadeur en titre; sa position de demi-bouffon à la cour, nous dirions d'homme d'esprit si nous ne craignions pas d'être impertinent pour la haute diplomatie, ne permettant pas qu'on lui donnât le titre d'ambassadeur.

La seconde, de La Saladie, envoyé extraordinaire en Piémont, à Mantoue, à Venise et à Rome.

La troisième de Charnassé, envoyé de confiance en Allemagne et chargé d'une mission secrète pour Gustave-Adolphe.

Peut-être Beautru n'avait-il été choisi, par Mgr de Richelieu, que parce qu'il était un des grands ennemis de M. d'Epernon; s'étant permis quelques plaisanteries sur le duc, le duc le fit prendre par les Simon, déjà mentionnés, on s'en souviendra, par Latil comme des donneurs d'étrivières: encore mal remis de cet accident, et les reins endoloris, il vint faire visite à la reine-mère, s'appuyant sur une canne.

– Avez-vous donc la goutte, monsieur de Beautru, lui demanda la reine-mère, que vous êtes obligé de vous appuyer sur un bâton?

– Madame, répondit le prince de Guéménée, Beautru n'a pas la goutte, mais il porte le bâton comme saint Laurent porte son gril, pour montrer l'instrument de son martyre.

Etant en province, le juge d'une petite ville l'importunait si souvent qu'il avait ordonné à son valet de ne plus le laisser entrer; le juge se présente; malgré la défense, le valet l'annonce.

– Ne t'ai-je pas ordonné, drôle, de trouver un prétexte pour me débarrasser de lui?

– Par ma foi oui, vous m'avez dit cela, mais je ne sais que lui dire.

– Dis-lui que je suis au lit, pardieu!

Le valet sort et rentre.

– Monsieur, il dit qu'il attendra que vous soyez levé.

– Dis-lui que je suis malade, alors.

Le valet sort et rentre:

– Monsieur, il dit qu'il vous enseignera une recette.

– Dis-lui que je suis à l'extrémité.

Le valet sort et rentre.

– Monsieur, il dit qu'il veut vous faire ses adieux.

– Dis-lui que je suis mort.

Le valet sort et rentre.

– Monsieur, il dit qu'il veut vous jeter de l'eau bénite.

– Alors, fais-le entrer, dit Beautru avec un soupir; je n'aurais jamais cru trouver un homme plus entêté que moi.

Une des choses qui le recommandaient au cardinal, c'était d'abord son honnêteté. Le cardinal disait de lui: «J'aime mieux la conscience de Beautru, qu'on appelle un bouffon, que celle de deux cardinaux de Bérulle.» Ce qui le recommandait encore au cardinal c'était son souverain mépris pour Rome, qu'il appelait une chemise apostolique; le cardinal lui communiqua un jour une promotion de dix cardinaux nommés par Urbain XIII, et dont le dernier s'appelait Fachinetti.

– Je n'en vois que neuf, dit Beautru.

– Bon! et Fachinetti, dit le cardinal?

– Excusez-moi, monseigneur, répondit Beautru, je croyais que c'était le titre des neuf autres.

Beautru écrivait que l'Espagne n'avait point paru prendre sa mission au sérieux. Le comte-duc Olivarès l'avait conduit voir le poulailler du roi qui était bien tenu, et lui avait dit qu'il ne doutait point que, dès que S. M. Philippe IV saurait son arrivée, il ne lui envoyât della gallos, ce qui en espagnol faisait un jeu de mots médiocrement poli pour la France. Il ajoutait qu'il invitait le cardinal à ne voir dans toutes les propositions que ferait l'Espagne, qu'un moyen de gagner du temps, le cabinet de Madrid étant lié par un traité avec Charles-Emmanuel pour l'aider à prendre le Montferrat, quitte à le partager avec lui quand il serait pris. Il recommandait surtout à son Eminence de se défier de plus en plus de Fargis qui appartenait de corps et d'âme – Beautru mettait l'âme en doute, – mais tout au moins de corps, à la reine mère, et qui ne faisait rien que sur les notes de sa femme, lesquelles n'étaient rien autre chose que les instructions de Marie de Médicis et d'Anne d'Autriche.

Richelieu, après avoir lu la dépêche de Beautru, fit un imperceptible mouvement d'épaule et murmura:

– J'aimerais mieux la paix, mais je suis prêt à la guerre.

La dépêche de La Saladie était plus explicite encore.

Le duc Charles-Emmanuel, auquel Richelieu faisait offrir, s'il voulait renoncer à ses prétentions sur le Montferrat et sur Mantoue, la ville de Trin, avec douze mille écus de rente en terres souveraines, avait refusé et avait tout simplement répondu qu'il aimait autant Cazal que Trin, et que Cazal serait pris avant que les troupes du roi fussent à Lyon.

A l'arrivée de La Saladie à Mantoue, le nouveau duc qui commençait à désespérer, avait repris courage, mais il ajoutait qu'il fallait renoncer au premier plan, qui était de faire débarquer le duc de Guise avec 7,000 hommes à Gênes, les Espagnols gardant tous les passages de Gênes dans le Montferrat. Le roi devait donc se contenter de forcer le pas de Suze, position bien défendue, mais non imprenable.

Après avoir vu le duc de Savoie et le duc de Mantoue, La Saladie annonçait qu'il partait pour Venise.

Richelieu prit son cahier de notes et écrivit:

«Rappeler le chevalier Marini, notre ambassadeur à Turin en lui ordonnant d'annoncer à Charles-Emmanuel que le roi le regarde comme un ennemi éclairé.»

Charnassé, dans l'intelligence duquel le cardinal avait d'ailleurs la plus grande confiance, était parti longtemps avant les deux autres, devant passer avant d'arriver en Suède, par Constantinople et la Russie. M. de Charnassé, sous le poids d'une grande douleur, venant de perdre une femme qu'il adorait, avait sollicité du cardinal, cette mission, qui l'éloignait de Paris. Il avait traversé Constantinople, la Russie, et était arrivé près de Gustave.

La lettre du baron n'était qu'un long panégyrique du roi de Suède, qu'il présentait à Richelieu comme le seul homme capable d'arrêter le progrès des armes impériales en Allemagne, si les protestants voulaient signer une ligue avec lui.

Richelieu réfléchit un instant, puis comme s'il rompait avec un dernier scrupule:

– Bon, fit-il, le pape dira ce qu'il voudra: au bout du compte, je suis cardinal, et il ne peut me décardinaliser; mais la gloire et la grandeur de la France avant tout!

Et tirant un papier à lui, il écrivit:

– Exhorter le roi Gustave dès qu'il en aura fini avec les Russes à passer en Allemagne au secours de ceux de sa religion, dont Ferdinand méditait la perte.

«Promettre au roi Gustave que Richelieu lui fournira une grosse somme d'argent, s'il seconde sa politique, et laisser espérer que le roi de France attaquera en même temps la Lorraine pour faire une diversion.»

Le cardinal, comme on le voit, n'oubliait pas la lettre en chiffres que, huit jours auparavant, Rossignol avait déchiffrée.

Enfin le cardinal ajoutait:

«Si l'entreprise du roi de Suède commence bien et promet un bon succès, le roi de France ne gardera plus aucun ménagement à l'endroit de la maison d'Autriche.»

«La lettre pour le chevalier Marini et la dépêche pour Charnassé partiront le jour même.

Le cardinal en était là de son travail diplomatique, lorsque Cavois rentra, lui rapportant la lettre de Mme de Coëtman, dont M. de Sully avait donné décharge à Mlle de Gournay.

Elle était conçue en ces termes:

«Au roi Henri IV, Majesté très-aimée!

«Prière instante au nom de la France, au nom de son intérêt, au nom de sa vie, de faire arrêter un homme nommé François Ravaillac, connu partout sous le nom de Tueur du Roi, qui m'a avoué à moi-même son dessein horrible, et que l'on dit, j'ose à peine le répéter, poussé à ce parricide par la reine, par le maréchal d'Ancre et par le duc d'Epernon.

«Trois lettres étant écrites par moi, la très humble servante de Sa Majesté, à la reine et étant restées sans réponse, je m'adresse au roi et prie M. le duc de Sully, que je crois le meilleur ami de Sa Majesté, et même je l'adjure au besoin de mettre cette lettre sous les yeux du roi dont je suis la très-humble sujette et servante,

«Jeanne Levoyer, dame de Coetman.»

Richelieu fit un signe de satisfaction, indiquant que la lettre était bien telle qu'il la désirait; et ouvrant le tiroir secret dans lequel était le fil correspondant à la chambre de sa nièce, après avoir hésité s'il n'appellerait point celle-ci, il referma le tiroir, s'apercevant que Cavois se tenait debout devant lui et paraissait avoir encore quelque chose à lui dire.

– Eh bien, Cavois, que veux-tu encore, importun? lui demanda-t-il de ce ton auquel ses familiers ne se trompaient point, et qu'il prenait lorsqu'il était de belle humeur.

– Eminence, c'est M. de Souscarrières qui vous fait tenir son premier rapport.

– Ah! c'est vrai! va prendre le premier rapport de M. de Souscarrières et apporte-le moi.

Cavois sortit.

Le cardinal, comme si l'annonce de Cavois lui eût rappelé un souvenir oublié, se leva, alla à la porte de communication donnant chez Marion Delorme, l'ouvrit et ramassa le billet qui gisait sur le plancher.

Il contenait le renseignement suivant:

«Venu une seule fois, depuis huit jours, chez Mme de la Montagne: on le croit amoureux d'une demoiselle de la reine, nommée Isabelle de Lautrec.»

– Ah! ah! fit le duc, la fille du baron François de Lautrec, qui est près du duc de Rethellois, à Mantoue!

Et il écrivit en note:

«Donner ordre au baron de Lautrec de rappeler sa fille près de lui.»

Puis se parlant à lui-même:

– Comme mon intention est d'envoyer le comte de Moret faire la guerre en Italie, murmura-t-il, il ira de grand cœur, ne fût-ce que pour se rapprocher de sa bien-aimée.

Comme il achevait de prendre cette note, Cavois entra et lui remit un papier sous enveloppe aux armes de Bellegarde.

Le cardinal déchira l'enveloppe, déplia le papier et lut:

Rapport du sieur Michel, dit Souscarrières, à Son Eminence le cardinal de Richelieu.

«Hier, 13 décembre, premier jour de l'exercice du sieur Michel, dit Souscarrières:

«M. Mirabel, ambassadeur d'Espagne, a pris une chaise rue Saint-Sulpice, et s'est fait conduire chez le joaillier Lopez, où il était rendu à onze heures du matin.

«Vers la même heure, Mme de Fargis prenait une chaise à la rue des Poulies et se faisait, de son côté, conduire chez Lopez.

«Un des porteurs a vu l'ambassadeur d'Espagne causer avec la dame de la reine et lui remettre un billet.

«A midi, M. le cardinal de Bérulle a pris une chaise, quai des Galeries du Louvre, et s'est fait conduire chez M. le duc de Bellegarde et chez le maréchal de Bassompierre. Par mes relations dans la maison de M. de Bellegarde, dont on s'obstine à me croire le fils, j'ai su qu'il était question d'un conseil secret aux Tuileries, à l'endroit de la guerre du Piémont. A ce conseil seront convoqués M. de Guise et M. de Marillac. M. le cardinal sera averti du jour.»

– Ah! ah! fit le cardinal, je me doutais bien que ce drôle-là ne me serait pas inutile.

«Mme Bellier, femme de chambre de la reine, a pris vers deux heures une chaise et s'est fait conduire chez Michel Dauze, apothicaire de la reine, lequel a pris une chaise à son tour, la nuit venue, et s'est fait conduire au Louvre.

– Bon, murmura Richelieu, la reine régnante voudrait-elle avoir son Vauthier comme la reine-mère? nous la surveillerons.

Puis, sur son cahier de notes il écrivit:

«Acheter Mme Bellier, femme de chambre de la reine, et Patrocle, écuyer de la petite écurie, son amant.»

«Hier, vers huit heures du soir, S. M. la reine-mère a pris une chaise et s'est fait conduire chez la présidente de Verdun, où se faisait conduire, de son côté, un astrologue nommé le Censuré. L'entretien a duré une heure; le Censuré est sorti regardant à la lueur de la lanterne de la chaise une très belle bague de diamant, cadeau qui, selon toute probabilité, lui venait de S. M. la reine-mère. On ignore le sujet de la conversation.

«Hier soir, M. le comte de Moret a pris une chaise rue Sainte-Avoie et s'est fait conduire à l'hôtel Longueville, où il y avait grande réunion, et où se sont fait conduire, également en chaise, M. d'Orléans, le duc de Montmorency, Mme de Fargis…

«En sortant, Mme de Fargis a, dans le vestibule, échangé quelques mots avec M. le comte de Moret. On n'a entendu que ceux qui ont paru satisfaire également M. le comte de Moret et Mme de Fargis, car Mme de Fargis s'est éloignée en riant et M. le comte de Moret en chantant.

– Tout cela est excellent, murmura le cardinal, continuons.

«Hier, entre onze heures et minuit, M. le cardinal de Richelieu, déguisé en capucin…

– Ah! ah! fit le cardinal en s'interrompant.

Puis il reprit avec une curiosité croissante:

Déguisé en capucin, a pris une chaise rue Royale, et s'est fait conduire rue de l'Homme-Armé, à l'hôtellerie de la Barbe Peinte.

– Hum! fit le cardinal.

«A l'hôtellerie de la Barbe Peinte, où il est resté jusqu'à une heure et demie dans la chambre d'Etienne Latil; à une heure et demie, Son Eminence est descendue et a donné l'ordre de la conduire rue des Postes, au couvent des filles repenties.»

– Diable! diable!»

Puis, la curiosité le poussant:

«Là il s'est fait ouvrir les portes par la sœur tourière, a fait lever la supérieure, s'est fait conduire par elle à la loge de la dame de Coëtman; après un quart d'heure de conversation à travers la lucarne grillée de cette loge, il a appelé ses deux porteurs et leur a ordonné de pratiquer dans la muraille une ouverture par laquelle la dame de Coëtman pût passer; une demi-heure après, l'ordre de Son Eminence était exécuté.»

Le cardinal s'arrêta un instant comme pour réfléchir, et continua:

«Comme à sa sortie de la loge, la dame de Coëtman était à peu près nue, Mgr le cardinal l'enveloppa dans sa robe, et restant nu tête et en habit noir, la fit déposer dans la chambre de la supérieure, près d'un grand feu, où la dame de Coëtman se réchauffa et reprit des forces. A trois heures, monseigneur envoya chercher une seconde chaise pour la dame de Coëtman, et la conduisit chez le baigneur Nollet, en face le pont Notre-Dame, où il donna quelques ordres, continuant seul son chemin.

– Allons! allons! murmura le cardinal, le drôle est habile, tant mieux, tant mieux; continuons:

«A cinq heures moins un quart, Son Eminence est rentrée chez elle, place Royale, et à cinq heures et quelques minutes, ayant changé de costume, elle est remontée en chaise avec son costume ordinaire, et s'est fait conduire à l'hôtel Sully, où elle est restée une demi-heure à peu près; vers six heures un quart, elle rentrait place Royale.

«Dix minutes après sa rentrée, Mme de Combalet prenait une chaise à son tour, se faisait conduire chez le baigneur Nollet, et après y être restée une heure à peu près, ramenait, vers les huit heures du matin, chez elle, la dame de Coëtman habillée en carmélite.

«Tel est le rapport que le sieur Michel, dit Souscarrières, a l'honneur de soumettre à Son Eminence, lui affirmant l'exactitude des faits qui y sont consignés.

«Et a signé: «Michel, dit Souscarrières.»

– Ah! pardieu, s'écria le cardinal, voilà par ma foi, un adroit coquin. Cavois! Cavois!

Le capitaine des gardes entra:

– Monseigneur?

– L'homme qui a apporté ce papier est-il encore là? demanda le cardinal.

– Monseigneur, répondit Cavois, si je ne me trompe, c'est M. Souscarrières lui-même.

– Fais-le entrer, mon cher Cavois, fais-le entrer.

Comme si le seigneur de Souscarrières n'eût attendu que cette autorisation, il parut sur le seuil de la porte du cabinet, vêtu d'un costume sombre, mais élégant néanmoins; il fit une profonde révérence au cardinal.

– Venez ici, monsieur Michel, lui dit Son Eminence.

– Me voici, monseigneur, dit Souscarrières.

– Je ne m'étais pas trompé en vous donnant ma confiance, vous êtes un homme habile.

– Si monseigneur est content de moi, je serai en même temps un homme heureux.

– Très-content; seulement, je n'aime pas les énigmes, n'ayant pas le temps de les deviner. Comment se fait-il que tous les détails qui me sont personnels soient venus aussi exactement à votre connaissance?

– Monseigneur, répondit Souscarrières avec un sourire dans lequel on pouvait voir briller le contentement de lui-même, je me suis douté que Votre Eminence voudrait tâter en personne du nouveau mode de locomotion qu'il venait d'autoriser.

– Eh bien?

– Eh bien, monseigneur, je me suis embusqué rue Royale, et j'ai reconnu Son Eminence.

– Après?

– Après, monseigneur; le plus grand des porteurs, celui qui a frappé à la porte du couvent, qui a porté la dame de Coëtman près du feu, qui a été chercher la chaise à porteurs fermée à clef, c'était moi.

– Ah! ma foi, fit le cardinal, vous m'en direz tant!

FIN DU DEUXIÈME VOLUME

TROISIÈME VOLUME

CHAPITRE Ier.
LES LARDOIRES DU ROI LOUIS XIII

Et maintenant, il faut, pour les besoins de notre récit, que nos lecteurs nous permettent de leur faire faire plus ample connaissance avec le roi Louis XIII, qu'ils ont entrevu à peine pendant cette nuit où, poussé par les pressentiments du cardinal de Richelieu dans la chambre de la reine, il n'y entra que pour s'assurer que l'on n'y tenait point cabale et lui annoncer que, par ordre de Bouvard, il se purgeait le lendemain et se faisait saigner le surlendemain.

Il s'était purgé, il s'était fait saigner, et n'en était ni plus gai ni plus rouge; mais tout au contraire, sa mélancolie n'avait fait qu'augmenter.

Cette mélancolie, dont nul ne connaissait la cause et qui avait pris le roi dès l'âge de quatorze à quinze ans, le conduisait à essayer les uns après les autres toutes sortes de divertissements qui ne le divertissaient pas. Joignez à cela qu'il était presque le seul à la cour, avec son fou l'Angély, qui fût vêtu de noir, ce qui ajoutait encore à son air lugubre.

Rien n'était donc plus triste que ses appartements, dans lesquels, à l'exception de la reine Anne d'Autriche et de la reine-mère, qui du reste, avaient toujours le soin de prévenir le roi lorsqu'elles désiraient lui rendre visite, il n'entrait jamais aucune femme.

Souvent, lorsque l'on avait audience de lui, en arrivant à l'heure désignée, on était reçu ou par Beringhen, qu'en sa qualité de premier valet de chambre on appelait M. le Premier, ou par M. de Tréville, ou par M. de Guitaut; l'un ou l'autre de ces messieurs vous introduisait dans le salon où l'on cherchait inutilement des yeux le roi; le roi était dans une embrasure de fenêtre avec quelqu'un de son intimité, à qui il avait fait l'honneur de dire: Monsieur un tel, venez avec moi et ennuyons-nous. Et sur ce point, on était toujours sûr qu'il se tenait religieusement parole à lui et aux autres.

Plus d'une fois la reine, dans le but d'avoir prise sur ce morne personnage, et trop sûre de ne pouvoir y parvenir par elle-même, avait, sur le conseil de la reine-mère, admis dans son intimité ou attaché à sa maison quelque belle créature de la fidélité de laquelle elle était certaine, espérant que cette glace se fondrait aux rayons de deux beaux yeux, mais toujours inutilement.

Ce roi, que de Luynes, après quatre ans de mariage, avait été obligé de porter dans la chambre de sa femme, avait des favoris, jamais des favorites. La buggera a passato i monti, disaient les Italiens.

La belle Mme de Chevreuse, elle que l'on pouvait appeler l'Irrésistible, y avait essayé, et malgré la triple séduction de sa jeunesse, de sa beauté et de son esprit, elle y avait échoué.

– Mais, Sire, lui dit-elle un jour, impatientée de cette invincible froideur, vous n'avez donc pas de maîtresse.

– Si fait, madame, j'en ai, lui répondit le roi.

– Comment donc les aimez-vous, alors?

– De la ceinture en haut, répondit le roi.

– Bon, fit Mme de Chevreuse, la première fois que je viendrai au Louvre, je ferai comme Gros-Guillaume, je mettrai ma ceinture au milieu des cuisses.

C'était un espoir pareil qui avait fait appeler à la cour la belle et chaste enfant que nous avons déjà présentée à nos lecteurs sous le nom d'Isabelle de Lautrec. On savait son dévouement acharné à la reine qui l'avait fait élever, quoique son père fût attaché, lui, au duc de Rethellois. Et en effet, elle était si belle, que Louis XIII s'en était d'abord fort occupé; il avait causé avec elle, et son esprit l'avait charmé. Elle, de son côté, tout à fait ignorante des desseins que l'on avait sur elle, avait répondu au roi avec modestie et respect. Mais il avait, six mois avant l'époque où nous sommes arrivés, recruté un nouveau page de sa chambre, et non-seulement le roi ne s'était plus occupé d'Isabelle, mais encore il avait presque entièrement cessé d'aller chez la reine.

Et en effet les favoris se succédaient près du roi avec une rapidité qui n'avait rien de rassurant pour celui qui, comme on dit en terme de turf, tenait momentanément la corde.

Il y avait d'abord eu Pierrot, ce petit paysan dont nous avons parlé.

Vint ensuite Luynes, le chef des oiseaux de cabinet; puis son porteur d'arbalète d'Esplan, qu'il fit marquis de Grimaud.

Puis Chalais, auquel il laissa couper la tête.

Puis Baradas, le favori du moment.

Et enfin Saint-Simon, le favori aspirant qui comptait sur la disgrâce de Baradas, disgrâce que l'on pouvait toujours prévoir quant on connaissait la fragilité de cet étrange sentiment qui, chez le roi Louis XIII, tenait un inqualifiable milieu entre l'amitié et l'amour.

En dehors de ses favoris, le roi Louis XIII avait des familiers; c'étaient: M. de Tréville, le commandant de ses mousquetaires, dont nous nous sommes assez occupés dans quelques-uns de nos livres, pour que nous nous contentions de le nommer ici; le comte de Nogent Beautru, frère de celui que le cardinal venait d'envoyer en Espagne, qui, la première fois qu'il avait été présenté à la cour, avait eu la chance, pour lui faire passer un endroit des Tuileries où il y avait de l'eau, de porter le roi sur ses épaules, comme saint-Christophe avait porté Jésus-Christ, et qui avait le rare privilége, non-seulement comme son fou l'Angély, de tout lui dire, mais encore de dérider ce front funèbre, par ses plaisanteries.

Bassompierre, fait maréchal en 1622, bien plus par les souvenirs d'alcôve de Marie de Médicis que par ses propres souvenirs de bataille; homme, du reste, d'un esprit assez charmant, et d'un manque de cœur assez complet, pour résumer en lui toute cette époque qui s'étend de la première partie du seizième siècle à la première partie du dix-septième; Lublet des Noyers, son secrétaire, ou plutôt son valet, La Vieuville, le surintendant des finances, Guitaut, son capitaine des gardes, homme tout dévoué à lui et à la reine Anne d'Autriche, qui, à toutes les offres que lui fit le cardinal pour se l'attacher, ne fit jamais d'autres réponses que: «Impossible, Votre Eminence, je suis au roi et l'Evangile défend de servir deux maîtres» et enfin, le maréchal de Marillac, frère du garde des sceaux, qui devait, lui aussi, être une des taches sanglantes du règne de Louis XIII, ou plutôt du ministère du cardinal de Richelieu.

Ceci posé comme explication préliminaire, il arriva que, le lendemain du jour où Souscarrières avait fait au cardinal un rapport si véridique et si circonstancié des événements de la nuit précédente, le roi, après avoir déjeuné avec Baradas, fait une partie de volant avec Nogent, et ordonné que l'on prévînt deux de ses musiciens, Molinier et Justin, de prendre l'un son luth, l'autre sa viole, pour le distraire pendant la grande occupation à laquelle il allait se livrer, se tourna vers MM. de Bassompierre, de Marillac, des Noyers et La Vieuville, qui étaient venus lui faire leur cour.

– Messieurs, allons larder! fit-il.

– Allons larder, messieurs, dit l'Angély en nasillant, voyez comme cela s'accorde bien: majesté et larder!

Et, sur cette plaisanterie assez médiocre et que nous ne rappellerions pas si elle n'était historique, il enfonça son chapeau sur son oreille et celui de Nogent sur le milieu de sa tête.

– Eh bien, drôle, que fais-tu? lui dit Nogent.

– Je me couvre, et je vous couvre, dit l'Angély.

– Devant le roi, y penses-tu?

– Bah! pour des bouffons, c'est sans conséquence…

– Sire, faites donc taire votre fou! s'écria Nogent furieux.

– Bon! Nogent, dit Louis XIII, est-ce que l'on fait taire l'Angély?

– On me paye pour tout dire, fit l'Angély; si je me taisais, je ferais comme M. de La Vieuville, qu'on fait surintendant des finances pour qu'il y ait des finances, et qui n'a pas de finances, je volerais mon argent.

– Mais Votre Majesté n'a pas entendu ce qu'il a dit.

– Si fait, mais tu m'en dis bien d'autres à moi.

– A vous, Sire?

– Oui, tout à l'heure, quand, en jouant à la raquette, j'ai manqué le volant. Ne m'as-tu pas dit: «En voilà un beau Louis le Juste!» Si je ne te regardais pas un peu comme le confrère de l'Angély, crois-tu que je te laisserais me dire de ces choses-là? Allons larder, messieurs, allons larder!

Ces deux mots: Allons larder, méritent une explication, sous peine de ne pas être intelligibles pour nos lecteurs; cette explication, nous allons la donner.

Nous avons dit, à deux endroits différents déjà, que, pour combattre sa mélancolie, le roi se livrait à toute sorte de divertissements qui ne le divertissaient pas. Il avait, enfant, fait des canons avec du cuir, des jets d'eau avec des plumes; étant jeune homme il avait enluminé des images, ce que ses courtisans avaient appelé faire de la peinture; il avait fait ce que ses courtisans avaient appelé de la musique, c'est-à-dire joué du tambour, exercice auquel, s'il faut en croire Bassompierre, il réussissait très-bien.

Il avait fait des cages et des châssis, avec M. des Noyers. Il s'était fait confiturier et avait fait d'excellentes confitures; puis jardinier et avait réussi à avoir en février des pois verts qu'il avait fait vendre, et que, pour lui faire sa cour, M. de Montauron avait achetés. Enfin il s'était mis à faire la barbe, et un beau jour, dans l'ardeur qu'il avait pour cet amusement, il avait réuni tous ses officiers, et lui-même leur avait coupé la barbe, ne leur laissant au menton, dans sa parcimonieuse munificence que ce bouquet de poil que, depuis ce jour, en commémoration d'une main auguste, on a appelé une royale, si bien que le lendemain, le pont-Neuf suivant courait par le Louvre:

 
Hélas! ma pauvre barbe,
Qui t'a donc faite ainsi?
C'est le grand roi Louis
Treizième de ce nom
Qui toute ébarba sa maison.
 
 
Ça, monsieur de la Force,
Faut vous la faire aussi.
Hélas, Sire, merci,
Ne me la faites pas:
Me méconnaîtraient mes soldats.
 
 
Laissons la barbe en pointe
Au cousin Richelieu,
Car par la vertudieu
Ce serait trop oser
Que de prétendre la raser.
 

Or, le roi Louis XIII avait fini par se lasser de faire la barbe, comme il finissait par se lasser de tout, et comme il était descendu quelques jours auparavant dans sa cuisine, afin d'y introduire une mesure économique dans laquelle la générale Coquet perdit sa soupe au lait et M. de la Vrillière ses biscuits du matin; il avait vu son cuisinier et ses marmitons piquer, ceux-ci des longes de veau, ceux-là des filets de bœuf, ceux-là des lièvres, ceux-là des faisans; il avait trouvé cette opération des plus récréatives. Il en résultait que, depuis un mois à peu près, Sa Majesté avait adopté ce nouveau divertissement.

Sa Majesté lardait et faisait larder avec elle ses courtisans.

Je ne sais si l'art de la cuisine avait à gagner en passant par des mains royales, mais l'état de l'ornementation y avait fait de grands progrès. Les longes de veau et les filets de bœuf surtout qui présentaient une plus grande surface, redescendaient à l'office avec les dessins les plus variés. Le roi se bornait à larder en paysage, c'est-à-dire qu'il dessinait des arbres, des maisons, de chasses, des chiens, des loups, des cerfs, des fleurs de lys; mais Nogent et les autres ne se bornaient point à des figures héraldiques et variaient leurs dessins de la façon la plus fantastique, ce qui leur valait quelquefois, de la part du roi Charles Louis, les admonestations les plus sévères et faisait exiler impitoyablement des tables royales les morceaux ornementés par eux.

Et maintenant que voici nos lecteurs suffisamment renseignés, reprenons le cours de notre récit.

Sur ces mots: – Messieurs, allons larder, les personnes que nous avons nommées se hâtèrent donc de suivre le roi.

Bassompierre profita du moment où l'on passait dans la salle à manger, dans la pièce destinée au nouvel exercice adopté par le roi, dans laquelle cinq ou six tables de marbre avaient chacune, soit sa longe de veau, soit son filet de bœuf, son lièvre, soit son faisan, et où l'écuyer Georges attendait au milieu d'assiettes pleines de lardons taillés d'avance, et tenant en main des lardoires d'argent qu'il remettait à ceux qui désiraient faire leur cour à Sa Majesté en l'imitant, et surtout en se laissant vaincre par elle; Bassompierre, disons-nous, profita de ce moment pour poser la main sur l'épaule du surintendant des finances et lui dire assez bas pour y mettre de la forme, assez haut pour être entendu:

– Monsieur le surintendant, sans être trop curieux, pourrait-on vous demander quand vous comptez me payer mon dernier quartier de colonel général des Suisses, que j'ai acheté cent mille écus, et que j'ai payé rubis sur l'ongle?

Mais au lieu de lui répondre, M. de La Vieuville qui, comme Nogent, donnait parfois dans la pasquinade, se mit à étendre et à rapprocher ses bras en disant:

– Je nage, je nage, je nage!

– Par ma foi, dit Bassompierre, j'ai deviné bien des énigmes dans ma vie, mais je ne sais pas le mot de celle-là.

– Monsieur le maréchal, dit La Vieuville, quand on nage, c'est qu'on a perdu pied, n'est-ce pas?

– Oui.

– Et quand on a perdu pied, c'est qu'on n'a plus de fond.

– Après?

– Eh bien, je n'ai plus de fond; je nage, je nage, je nage!

En ce moment, M. le duc d'Angoulême, bâtard de Charles IX et de Marie Touchet, venait de se joindre au cortége avec le duc de Guise que nous avons déjà vu dans la soirée de la princesse Marie, et à qui le duc d'Orléans avait promis un corps, dans l'armée où il serait lieutenant-général pour le roi dans l'expédition d'Italie, et tous deux attendaient pour s'avancer que le roi les remarquât. Bassompierre, qui ne trouvait rien à répondre à de Vieuville et qui n'aimait point à rester court, s'accrocha bravement au duc d'Angoulême, nous disons bravement, parce que le duc d'Angoulême était pour la réplique, comme on disait alors, un des meilleurs becs de l'époque.