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Czytaj książkę: «La reine Margot», strona 28

Czcionka:

Et il se recoucha. Quant à La Mole, il prit son vol vers les appartements de la reine. Arrivé au corridor que nous connaissons, il rencontra le duc d’Alençon.

– Ah! c’est vous, monsieur de la Mole? lui dit le prince.

– Oui, Monseigneur, répondit La Mole en saluant avec respect.

– Sortez-vous donc du Louvre?

– Non, Votre Altesse; je vais présenter mes hommages à Sa Majesté la reine de Navarre.

– Vers quelle heure sortirez-vous de chez elle, monsieur de la Mole?

– Monseigneur a-t-il quelques ordres à me donner?

– Non, pas pour le moment, mais j’aurai à vous parler ce soir.

– Vers quelle heure?

– Mais de neuf à dix.

– J’aurai l’honneur de me présenter à cette heure-là chez Votre Altesse.

– Bien, je compte sur vous. La Mole salua et continua son chemin.

– Ce duc, dit-il, a des moments où il est pâle comme un cadavre; c’est singulier. Et il frappa à la porte de la reine. Gillonne, qui semblait guetter son arrivée, le conduisit près de Marguerite.

Celle-ci était occupée d’un travail qui paraissait la fatiguer beaucoup; un papier chargé de ratures et un volume d’Isocrate étaient placés devant elle. Elle fit signe à La Mole de la laisser achever un paragraphe; puis, ayant terminé, ce qui ne fut pas long, elle jeta sa plume, et invita le jeune homme à s’asseoir près d’elle.

La Mole rayonnait. Il n’avait jamais été si beau, jamais si gai.

– Du grec! s’écria-t-il en jetant les yeux sur le livre; une harangue d’Isocrate! Que voulez-vous faire de cela? Oh! oh! sur ce papier du latin: Ad Sarmatiae legatos reginae Margaritae concio! Vous allez donc haranguer ces barbares en latin?

– Il le faut bien, dit Marguerite, puisqu’ils ne parlent pas français.

– Mais comment pouvez-vous faire la réponse avant d’avoir le discours?

– Une plus coquette que moi vous ferait croire à une improvisation; mais pour vous, mon Hyacinthe, je n’ai point de ces sortes de tromperies: on m’a communiqué d’avance le discours, et j’y réponds.

– Sont-ils donc près d’arriver, ces ambassadeurs?

– Mieux que cela, ils sont arrivés ce matin.

– Mais personne ne le sait?

– Ils sont arrivés incognito. Leur entrée solennelle est remise à après-demain, je crois. Au reste, vous verrez, dit Marguerite avec un petit air satisfait qui n’était point exempt de pédantisme, ce que j’ai fait ce soir est assez cicéronien; mais laissons là ces futilités. Parlons de ce qui vous est arrivé.

– À moi?

– Oui.

– Que m’est-il donc arrivé?

– Ah! vous avez beau faire le brave, je vous trouve un peu pâle.

– Alors, c’est d’avoir trop dormi; je m’en accuse bien humblement.

– Allons, allons, ne faisons point le fanfaron, je sais tout.

– Ayez donc la bonté de me mettre au courant, ma perle, car moi je ne sais rien.

– Voyons, répondez-moi franchement. Que vous a demandé la reine mère?

– La reine mère à moi! avait-elle donc à me parler?

– Comment! vous ne l’avez pas vue?

– Non.

– Et le roi Charles?

– Non.

– Et le roi de Navarre?

– Non.

– Mais le duc d’Alençon, vous l’avez vu?

– Oui, tout à l’heure, je l’ai rencontré dans le corridor.

– Que vous a-t-il dit?

– Qu’il avait à me donner quelques ordres entre neuf et dix heures du soir.

– Et pas autre chose?

– Pas autre chose.

– C’est étrange.

– Mais enfin, que trouvez-vous d’étrange, dites-moi?

– Que vous n’ayez entendu parler de rien.

– Que s’est-il donc passé?

– Il s’est passé que pendant toute cette journée, malheureux, vous avez été suspendu sur un abîme.

– Moi?

– Oui, vous.

– À quel propos?

– Écoutez. De Mouy, surpris cette nuit dans la chambre du roi de Navarre, que l’on voulait arrêter, a tué trois hommes, et s’est sauvé, sans que l’on reconnût de lui autre chose que le fameux manteau rouge.

– Eh bien?

– Eh bien, ce manteau rouge qui m’avait trompée une fois en a trompé d’autres aussi: vous avez été soupçonné, accusé même de ce triple meurtre. Ce matin on voulait vous arrêter, vous juger, qui sait? vous condamner peut-être, car pour vous sauver vous n’eussiez pas voulu dire où vous étiez, n’est-ce pas?

– Dire où j’étais! s’écria La Mole, vous compromettre, vous, ma belle Majesté! Oh! vous avez bien raison; je fusse mort en chantant pour épargner une larme à vos beaux yeux.

– Hélas! mon pauvre gentilhomme! dit Marguerite, mes beaux yeux eussent bien pleuré.

– Mais comment s’est apaisé ce grand orage?

– Devinez.

– Que sais-je, moi?

– Il n’y avait qu’un moyen de prouver que vous n’étiez pas dans la chambre du roi de Navarre.

– Lequel?

– C’était de dire où vous étiez.

– Eh bien?

– Eh bien, je l’ai dit!

– Et à qui?

– À ma mère.

– Et la reine Catherine…

– La reine Catherine sait que vous êtes mon amant.

– Oh! madame, après avoir tant fait pour moi, vous pouvez tout exiger de votre serviteur. Oh! vraiment, c’est beau et grand, Marguerite, ce que vous avez fait là! Oh! Marguerite, ma vie est bien à vous!

– Je l’espère, car je l’ai arrachée à ceux qui me la voulaient prendre; mais à présent vous êtes sauvé.

– Et par vous! s’écria le jeune homme, par ma reine adorée!

Au même moment un bruit éclatant les fit tressaillir. La Mole se rejeta en arrière plein d’un vague effroi; Marguerite poussa un cri, demeura les yeux fixés sur la vitre brisée d’une fenêtre.

Par cette vitre un caillou de la grosseur d’un œuf venait d’entrer; il roulait encore sur le parquet. La Mole vit à son tour le carreau cassé et reconnut la cause du bruit.

– Quel est l’insolent?… s’écria-t-il. Et il s’élança vers la fenêtre.

– Un moment, dit Marguerite; à cette pierre est attaché quelque chose, ce me semble.

– En effet, dit La Mole, on dirait un papier.

Marguerite se précipita sur l’étrange projectile, et arracha la mince feuille qui, pliée comme un étroit ruban, enveloppait le caillou par le milieu.

Ce papier était maintenu par une ficelle, laquelle sortait par l’ouverture de la vitre cassée.

Marguerite déplia la lettre et lut.

– Malheureux! s’écria-t-elle. Elle tendit le papier à La Mole pâle, debout et immobile comme la statue de l’Effroi. La Mole, le cœur serré d’une douleur pressentimentale, lut ces mots: «On attend M. de La Mole avec de longues épées dans le corridor qui conduit chez M. d’Alençon. Peut-être aimerait-il mieux sortir par cette fenêtre et aller rejoindre M. de Mouy à Mantes…»

– Eh! demanda La Mole après avoir lu, ces épées sont-elles donc plus longues que la mienne?

– Non, mais il y en a peut-être dix contre une.

– Et quel est l’ami qui nous envoie ce billet? demanda La Mole.

Marguerite le reprit des mains du jeune homme et fixa sur lui un regard ardent.

– L’écriture du roi de Navarre! s’écria-t-elle. S’il prévient, c’est que le danger est réel. Fuyez, La Mole, fuyez, c’est moi qui vous en prie.

– Et comment voulez-vous que je fuie? dit La Mole.

– Mais cette fenêtre, ne parle-t-on pas de cette fenêtre?

– Ordonnez, ma reine, et je sauterai de cette fenêtre pour vous obéir, dussé-je vingt fois me briser en tombant.

– Attendez donc, attendez donc, dit Marguerite. Il me semble que cette ficelle supporte un poids.

– Voyons, dit La Mole. Et tous deux, attirant à eux l’objet suspendu après cette corde, virent avec une joie indicible apparaître l’extrémité d’une échelle de crin et de soie.

– Ah! vous êtes sauvé, s’écria Marguerite.

– C’est un miracle du ciel!

– Non, c’est un bienfait du roi de Navarre.

– Et si c’était un piège, au contraire? dit La Mole; si cette échelle devait se briser sous mes pieds! madame, n’avez-vous point avoué aujourd’hui votre affection pour moi?

Marguerite, à qui la joie avait rendu ses couleurs, redevint d’une pâleur mortelle.

– Vous avez raison, dit-elle, c’est possible. Et elle s’élança vers la porte.

– Qu’allez-vous faire? s’écria La Mole.

– M’assurer par moi-même s’il est vrai qu’on vous attende dans le corridor.

– Jamais, jamais! Pour que leur colère tombe sur vous!

– Que voulez-vous qu’on fasse à une fille de France? femme et princesse du sang, je suis deux fois inviolable.

La reine dit ces paroles avec une telle dignité qu’en effet La Mole comprit qu’elle ne risquait rien, et qu’il devait la laisser agir comme elle l’entendrait.

Marguerite mit La Mole sous la garde de Gillonne en laissant à sa sagacité, selon ce qui se passerait, de fuir, ou d’attendre son retour, et elle s’avança dans le corridor qui, par un embranchement, conduisait à la bibliothèque ainsi qu’à plusieurs salons de réception, et qui en le suivant dans toute sa longueur aboutissait aux appartements du roi, de la reine mère, et à ce petit escalier dérobé par lequel on montait chez le duc d’Alençon et chez Henri. Quoiqu’il fût à peine neuf heures du soir, toutes les lumières étaient éteintes, et le corridor, à part une légère lueur qui venait de l’embranchement, était dans la plus parfaite obscurité. La reine de Navarre s’avança d’un pas ferme; mais lorsqu’elle fut au tiers du corridor à peine, elle entendit comme un chuchotement de voix basses auxquelles le soin qu’on prenait de les éteindre donnait un accent mystérieux et effrayant. Mais presque aussitôt le bruit cessa comme si un ordre supérieur l’eût éteint, et tout rentra dans l’obscurité; car cette lueur, si faible qu’elle fût, parut diminuer encore.

Marguerite continua son chemin, marchant droit au danger qui, s’il existait, l’attendait là. Elle était calme en apparence, quoique ses mains crispées indiquassent une violente tension nerveuse. À mesure qu’elle s’approchait, ce silence sinistre redoublait, et une ombre pareille à celle d’une main obscurcissait la tremblante et incertaine lueur.

Tout à coup, arrivée à l’embranchement du corridor, un homme fit deux pas en avant, démasqua un bougeoir de vermeil dont il s’éclairait en s’écriant:

– Le voilà! Marguerite se trouva face à face avec son frère Charles. Derrière lui se tenait debout, un cordon de soie à la main, le duc d’Alençon. Au fond, dans l’obscurité, deux ombres apparaissaient debout, l’une à côté de l’autre, ne reflétant d’autre lumière que celle que renvoyait l’épée nue qu’ils tenaient à la main.

Marguerite embrassa tout le tableau d’un coup d’œil. Elle fit un effort suprême, et répondit en souriant à Charles:

– Vous voulez dire: La voilà, Sire!

Charles recula d’un pas. Tous les autres demeurèrent immobiles.

– Toi, Margot! dit-il; et où vas-tu à cette heure?

– À cette heure! dit Marguerite; est-il donc si tard?

– Je te demande où tu vas.

– Chercher un livre des discours de Cicéron, que je pense avoir laissé chez notre mère.

– Ainsi, sans lumière?

– Je croyais le corridor éclairé.

– Et tu viens de chez toi?

– Oui.

– Que fais-tu donc ce soir?

– Je prépare ma harangue aux envoyés polonais. N’y a-t-il pas conseil demain, et n’est-il pas convenu que chacun soumettra sa harangue à Votre Majesté?

– Et n’as-tu pas quelqu’un qui t’aide dans ce travail? Marguerite rassembla toutes ses forces.

– Oui, mon frère, dit-elle, M. de La Mole; il est très savant.

– Si savant, dit le duc d’Alençon, que je l’avais prié, quand il aurait fini avec vous, ma sœur, de me venir trouver pour me donner des conseils, à moi qui ne suis pas de votre force.

– Et vous l’attendiez? dit Marguerite du ton le plus naturel.

– Oui, dit d’Alençon avec impatience.

– En ce cas, fit Marguerite, je vais vous l’envoyer, mon frère, car nous avons fini.

– Et votre livre? dit Charles.

– Je le ferai prendre par Gillonne. Les deux frères échangèrent un signe.

– Allez, dit Charles; et nous, continuons notre ronde.

– Votre ronde! dit Marguerite; que cherchez-vous donc?

– Le petit homme rouge, dit Charles. Ne savez-vous pas qu’il y a un petit homme rouge qui revient au vieux Louvre? Mon frère d’Alençon prétend l’avoir vu, et nous sommes en quête de lui.

– Bonne chasse, dit Marguerite. Et elle se retira en jetant un regard derrière elle. Elle vit alors sur la muraille du corridor les quatre ombres réunies et qui semblaient conférer. En une seconde elle fut à la porte de son appartement.

– Ouvre, Gillonne, dit-elle, ouvre. Gillonne obéit. Marguerite s’élança dans l’appartement, et trouva La Mole qui l’attendait, calme et résolu, mais l’épée à la main.

– Fuyez, dit-elle, fuyez sans perdre une seconde. Ils vous attendent dans le corridor pour vous assassiner.

– Vous l’ordonnez? dit La Mole.

– Je le veux. Il faut nous séparer pour nous revoir.

Pendant l’excursion de Marguerite, La Mole avait assuré l’échelle à la barre de la fenêtre, il l’enjamba; mais avant de poser le pied sur le premier échelon, il baisa tendrement la main de la reine.

– Si cette échelle est un piège et que je meure pour vous, Marguerite, souvenez-vous de votre promesse.

– Ce n’est pas une promesse, La Mole, c’est un serment. Ne craignez rien. Adieu. Et La Mole enhardi se laissa glisser plutôt qu’il ne descendit par l’échelle. Au même moment on frappa à la porte.

Marguerite suivit des yeux La Mole dans sa périlleuse opération, et ne se retourna qu’au moment où elle se fut bien assurée que ses pieds avaient touché la terre.

– Madame, disait Gillonne, madame!

– Eh bien? demanda Marguerite.

– Le roi frappe à la porte.

– Ouvrez. Gillonne obéit. Les quatre princes, sans doute impatientés d’attendre, étaient debout sur le seuil.

Charles entra.

Marguerite vint au-devant de son frère, le sourire sur les lèvres. Le roi jeta un regard rapide autour de lui.

– Que cherchez-vous, mon frère? demanda Marguerite.

– Mais, dit Charles, je cherche… je cherche… eh! corne de bœuf! je cherche M. de La Mole.

– M. de La Mole!

– Oui; où est-il?Marguerite prit son frère par la main et le conduisit à la fenêtre. En ce moment même deux hommes s’éloignaient au grand galop de leurs chevaux, gagnant la tour de bois; l’un d’eux détacha son écharpe, et fit en signe d’adieu voltiger le blanc satin dans la nuit: ces deux hommes étaient La Mole et Orthon. Marguerite montra du doigt les deux hommes à Charles.

– Eh bien, demanda le roi, que veut dire cela?

– Cela veut dire, répondit Marguerite, que M. le duc d’Alençon peut remettre son cordon dans sa poche et MM. d’Anjou et de Guise leur épée dans le fourreau, attendu que M. de La Mole ne repassera pas cette nuit par le corridor.

IX. Les Atrides

Depuis son retour à Paris, Henri d’Anjou n’avait pas encore revu librement sa mère Catherine, dont, comme chacun sait, il était le fils bien-aimé.

C’était pour lui non pas la vaine satisfaction de l’étiquette, non plus un cérémonial pénible à remplir, mais l’accomplissement d’un devoir bien doux pour ce fils qui, s’il n’aimait pas sa mère, était sûr du moins d’être tendrement aimé par elle.

En effet, Catherine préférait réellement ce fils, soit pour sa bravoure, soit plutôt pour sa beauté, car il y avait, outre la mère, de la femme dans Catherine, soit enfin parce que, suivant quelques chroniques scandaleuses, Henri d’Anjou rappelait à la Florentine certaine heureuse époque de mystérieuses amours.

Catherine savait seule le retour du duc d’Anjou à Paris, retour que Charles IX eût ignoré si le hasard ne l’eût point conduit en face de l’hôtel de Condé au moment même où son frère en sortait. Charles ne l’attendait que le lendemain, et Henri d’Anjou espérait lui dérober les deux démarches qui avaient avancé son arrivée d’un jour, et qui étaient sa visite à la belle Marie de Clèves, princesse de Condé, et sa conférence avec les ambassadeurs polonais.

C’est cette dernière démarche, sur l’intention de laquelle Charles était incertain, que le duc d’Anjou avait à expliquer à sa mère; et le lecteur, qui, comme Henri de Navarre, était certainement dans l’erreur à l’endroit de cette démarche, profitera de l’explication.

Aussi lorsque le duc d’Anjou, longtemps attendu, entra chez sa mère, Catherine, si froide, si compassée d’habitude, Catherine, qui n’avait depuis le départ de son fils bien-aimé embrassé avec effusion que Coligny qui devait être assassiné le lendemain, ouvrit ses bras à l’enfant de son amour et le serra sur sa poitrine avec un élan d’affection maternelle qu’on était étonné de trouver encore dans ce cœur desséché.

Puis elle s’éloignait de lui, le regardait et se reprenait encore à l’embrasser.

– Ah! madame, lui dit-il, puisque le ciel me donne cette satisfaction d’embrasser sans témoin ma mère, consolez l’homme le plus malheureux du monde.

– Eh! mon Dieu! mon cher enfant, s’écria Catherine, que vous est-il donc arrivé?

– Rien que vous ne sachiez, ma mère. Je suis amoureux, je suis aimé; mais c’est cet amour même qui fait mon malheur à moi.

– Expliquez-moi cela, mon fils, dit Catherine.

– Eh! ma mère… ces ambassadeurs, ce départ…

– Oui, dit Catherine, ces ambassadeurs sont arrivés, ce départ presse.

– Il ne presse pas, ma mère, mais mon frère le pressera. Il me déteste, je lui fais ombrage, il veut se débarrasser de moi. Catherine sourit.

– En vous donnant un trône, pauvre malheureux couronné!

– Oh! n’importe, ma mère, reprit Henri avec angoisse, je ne veux pas partir. Moi, un fils de France, élevé dans le raffinement des mœurs polies, près de la meilleure mère, aimé d’une des plus charmantes femmes de la terre, j’irais là-bas dans ces neiges, au bout du monde, mourir lentement parmi ces gens grossiers qui s’enivrent du matin au soir et jugent les capacités de leur roi sur celles d’un tonneau, selon ce qu’il contient! Non, ma mère, je ne veux point partir, j’en mourrais!

– Voyons, Henri, dit Catherine en pressant les deux mains de son fils, voyons, est-ce là la véritable raison?

Henri baissa les yeux comme s’il n’osait, à sa mère elle-même, avouer ce qui se passait dans son cœur.

– N’en est-il pas une autre, demanda Catherine, moins romanesque, plus raisonnable, plus politique!

– Ma mère, ce n’est pas ma faute si cette idée m’est restée dans l’esprit, et peut-être y tient-elle plus de place qu’elle n’en devrait prendre; mais ne m’avez-vous pas dit vous-même que l’horoscope tiré à la naissance de mon frère Charles le condamnait à mourir jeune?

– Oui, dit Catherine, mais un horoscope peut mentir, mon fils. Moi-même, j’en suis à espérer en ce moment que tous ces horoscopes ne soient pas vrais.

– Mais enfin, son horoscope ne disait-il pas cela?

– Son horoscope parlait d’un quart de siècle; mais il ne disait pas si c’était pour sa vie ou pour son règne.

– Eh bien, ma mère, faites que je reste. Mon frère a près de vingt-quatre ans: dans un an la question sera résolue. Catherine réfléchit profondément.

– Oui, certes, dit-elle, cela serait mieux si cela se pouvait ainsi.

– Oh! jugez donc, ma mère, s’écria Henri, quel désespoir pour moi si j’allais avoir troqué la couronne de France contre celle de Pologne! Être tourmenté là-bas de cette idée que je pouvais régner au Louvre, au milieu de cette cour élégante et lettrée, près de la meilleure mère du monde, dont les conseils m’eussent épargné la moitié du travail et des fatigues, qui, habituée à porter avec mon père une partie du fardeau de l’État, eût bien voulu le porter encore avec moi! Ah! ma mère! j’eusse été un grand roi!

– Là, là, cher enfant, dit Catherine, dont cet avenir avait toujours été aussi la plus douce espérance; là, ne vous désolez point. N’avez-vous pas songé de votre côté à quelque moyen d’arranger la chose?

– Oh! certes, oui, et c’est surtout pour cela que je suis revenu deux ou trois jours plus tôt qu’on ne m’attendait, tout en laissant croire à mon frère Charles que c’était pour madame de Condé; puis j’ai été au-devant de Lasco, le plus important des envoyés, je me suis fait connaître de lui, faisant dans cette première entrevue tout ce qu’il était possible pour me rendre haïssable, et j’espère y être parvenu.

– Ah! mon cher enfant, dit Catherine, c’est mal. Il faut mettre l’intérêt de la France avant vos petites répugnances.

– Ma mère, l’intérêt de la France veut-il, en cas de malheur arrivé à mon frère, que ce soit le duc d’Alençon ou le roi de Navarre qui règne?

– Oh! le roi de Navarre, jamais, jamais, murmura Catherine en laissant l’inquiétude couvrir son front de ce voile soucieux qui s’y étendait chaque fois que cette question se représentait.

– Ma foi, continua Henri, mon frère d’Alençon ne vaut guère mieux et ne vous aime pas davantage.

– Enfin, reprit Catherine, qu’a dit Lasco?

– Lasco a hésité lui-même quand je l’ai pressé de demander audience. Oh! s’il pouvait écrire en Pologne, casser cette élection?

– Folie, mon fils, folie… ce qu’une diète a consacré est sacré.

– Mais enfin, ma mère, ne pourrait-on, à ces Polonais, leur faire accepter mon frère à ma place?

– C’est, sinon impossible, du moins difficile, répondit Catherine.

– N’importe! essayez, tentez, parlez au roi, ma mère; rejetez tout sur mon amour pour madame de Condé; dites que j’en suis fou, que j’en perds l’esprit. Justement il m’a vu sortir de l’hôtel du prince avec Guise, qui me rend là tous les services d’un bon ami.

– Oui, pour faire la Ligue. Vous ne voyez pas cela, vous, mais je le vois.

– Si fait, ma mère, si fait, mais en attendant j’use de lui. Eh! ne sommes-nous pas heureux quand un homme nous sert en se servant?

– Et qu’a dit le roi en vous rencontrant!

– Il a pu croire ce que je lui ai affirmé, c’est-à-dire que l’amour seul m’avait ramené à Paris.

– Mais du reste de la nuit, ne vous en a-t-il pas demandé compte?

– Si fait, ma mère; mais j’ai été au souper chez Nantouillet, où j’ai fait un scandale affreux pour que le bruit de ce scandale se répandît et que le roi ne doutât point que j’y étais.

– Alors il ignore votre visite à Lasco?

– Absolument.

– Bon, tant mieux. J’essaierai donc de lui parler pour vous, cher enfant; mais, vous le savez, sur cette rude nature aucune influence n’est réelle.

– Oh! ma mère, ma mère, quel bonheur si je restais, comme je vous aimerais plus encore que je ne vous aime, si c’était possible!

– Si vous restez, on vous enverra encore à la guerre.

– Oh! peu m’importe, pourvu que je ne quitte pas la France.

– Vous vous ferez tuer.

– Ma mère, on ne meurt pas des coups… on meurt de douleur, d’ennui. Mais Charles ne me permettra point de rester; il me déteste.

– Il est jaloux de vous, mon beau vainqueur, c’est une chose dite; pourquoi aussi êtes-vous si brave et si heureux? Pourquoi, à vingt ans à peine, avez-vous gagné des batailles comme Alexandre et comme César? Mais en attendant, ne vous découvrez à personne, feignez d’être résigné, faites votre cour au roi. Aujourd’hui même, on se réunit en conseil privé pour lire et pour discuter les discours qui seront prononcés à la cérémonie; faites le roi de Pologne et laissez-moi le soin du reste. À propos, et votre expédition d’hier soir?

– Elle a échoué, ma mère; le galant était prévenu, et il a pris son vol par la fenêtre.

– Enfin, dit Catherine, je saurai un jour quel est le mauvais génie qui contrarie ainsi tous mes projets… En attendant, je m’en doute, et… malheur à lui!

– Ainsi, ma mère?… dit le duc d’Anjou.

– Laissez-moi mener cette affaire. Et elle baisa tendrement Henri sur les yeux en le poussant hors de son cabinet. Bientôt arrivèrent chez la reine les princesses de sa maison. Charles était en belle humeur, car l’aplomb de sa sœur Margot l’avait plus réjoui qu’affecté; il n’en voulait pas autrement à La Mole, et il l’avait attendu avec quelque ardeur dans le corridor parce que c’était une espèce de chasse à l’affût. D’Alençon, tout au contraire, était très préoccupé. La répulsion qu’il avait toujours eue pour La Mole s’était changée en haine du moment où il avait su que La Mole était aimé de sa sœur. Marguerite avait tout ensemble l’esprit rêveur et l’œil au guet. Elle avait à la fois à se souvenir et à veiller. Les députés polonais avaient envoyé le texte des harangues qu’ils devaient prononcer. Marguerite, à qui l’on n’avait pas plus parlé de la scène de la veille que si la scène n’avait point existé, lut les discours, et, hormis Charles, chacun discuta ce qu’il répondrait. Charles laissa Marguerite répondre comme elle l’entendrait.

Il se montra très difficile sur le choix des termes pour d’Alençon; mais quant au discours de Henri d’Anjou, il y apporta plus que du mauvais vouloir: il fut acharné à corriger et à reprendre.

Cette séance, sans rien faire éclater encore, avait lourdement envenimé les esprits.

Henri d’Anjou, qui avait son discours à refaire presque entièrement, sortit pour se mettre à cette tâche. Marguerite, qui n’avait pas eu de nouvelles du roi de Navarre depuis celles qui lui avaient été données au détriment des vitres de sa fenêtre, retourna chez elle dans l’espérance de l’y voir venir.

D’Alençon, qui avait lu l’hésitation dans les yeux de son frère d’Anjou, et surpris entre lui et sa mère un regard d’intelligence, se retira pour rêver à ce qu’il regardait comme une cabale naissante. Enfin, Charles allait passer dans sa forge pour achever un épieu qu’il se fabriquait lui-même, lorsque Catherine l’arrêta.

Charles, qui se doutait qu’il allait rencontrer chez sa mère quelque opposition à sa volonté, s’arrêta et la regarda fixement:

– Eh bien, dit-il, qu’avons-nous encore?

– Un dernier mot à échanger, Sire. Nous avons oublié ce mot, et cependant il est de quelque importance. Quel jour fixons-nous pour la séance publique?

– Ah! c’est vrai, dit le roi en se rasseyant; causons-en, mère. Eh bien! à quand vous plaît-il que nous fixions le jour?

– Je croyais, répondit Catherine, que dans le silence même de Votre Majesté, dans son oubli apparent, il y avait quelque chose de profondément calculé.

– Non, dit Charles; pourquoi cela, ma mère?

– Parce que, ajouta Catherine très doucement, il ne faudrait pas, ce me semble, mon fils, que les Polonais nous vissent courir avec tant d’âpreté après cette couronne.

– Au contraire, ma mère, dit Charles, ils se sont hâtés, eux, en venant à marches forcées de Varsovie ici… Honneur pour honneur, politesse pour politesse.

– Votre Majesté peut avoir raison dans un sens, comme dans un autre je pourrais ne pas avoir tort. Ainsi, son avis est que la séance publique doit être hâtée?

– Ma foi, oui, ma mère; ne serait-ce point le vôtre par hasard?

– Vous savez que je n’ai d’avis que ceux qui peuvent le plus concourir à votre gloire; je vous dirai donc qu’en vous pressant ainsi je craindrais qu’on ne vous accusât de profiter bien vite de cette occasion qui se présente de soulager la maison de France des charges que votre frère lui impose, mais que, bien certainement, il lui rend en gloire et en dévouement.

– Ma mère, dit Charles, à son départ de France, je doterai mon frère si richement que personne n’osera même penser ce que vous craignez que l’on dise.

– Allons, dit Catherine, je me rends, puisque vous avez une si bonne réponse à chacune de mes objections… Mais, pour recevoir ce peuple guerrier, qui juge de la puissance des États par les signes extérieurs, il vous faut un déploiement considérable de troupes, et je ne pense pas qu’il y en ait assez de convoquées dans l’Île-de-France.

– Pardonnez-moi, ma mère, car j’ai prévu l’événement, et je me suis préparé. J’ai rappelé deux bataillons de la Normandie, un de la Guyenne; ma compagnie d’archers est arrivée hier de la Bretagne; les chevau-légers, répandus dans la Touraine, seront à Paris dans le courant de la journée; et tandis qu’on croit que je dispose à peine de quatre régiments, j’ai vingt mille hommes prêts à paraître.

– Ah! ah! dit Catherine surprise; alors il ne vous manque plus qu’une chose, mais on se la procurera.

– Laquelle?

– De l’argent. Je crois que vous n’en êtes pas fourni outre mesure.

– Au contraire, madame, au contraire, dit Charles IX. J’ai quatorze cent mille écus à la Bastille; mon épargne particulière m’a remis ces jours passés huit cent mille écus que j’ai enfouis dans mes caves du Louvre, et, en cas de pénurie, Nantouillet tient trois cent mille autres écus à ma disposition.

Catherine frémit; car elle avait vu jusqu’alors Charles violent et emporté, mais jamais prévoyant.

– Allons, fit-elle, Votre Majesté pense à tout, c’est admirable, et pour peu que les tailleurs, les brodeuses et les joailliers se hâtent, Votre Majesté sera en état de donner séance avant six semaines.

– Six semaines! s’écria Charles. Ma mère, les tailleurs, les brodeuses et les joailliers travaillent depuis le jour où l’on a appris la nomination de mon frère. À la rigueur, tout pourrait être prêt pour aujourd’hui; mais, à coup sûr, tout sera prêt dans trois ou quatre jours.

– Oh! murmura Catherine, vous êtes plus pressé encore que je ne le croyais, mon fils.

– Honneur pour honneur, je vous l’ai dit.

– Bien. C’est donc cet honneur fait à la maison de France qui vous flatte, n’est-ce pas?

– Assurément.

– Et voir un fils de France sur le trône de Pologne est votre plus cher désir?

– Vous dites vrai.

– Alors c’est le fait, c’est la chose et non l’homme qui vous préoccupe, et quel que soit celui qui règne là-bas…

– Non pas, non pas, ma mère, corbœuf! demeurons-en où nous sommes! Les Polonais ont bien choisi. Ils sont adroits et forts, ces gens-là! Nation militaire, peuple de soldats, ils prennent un capitaine pour prince, c’est logique, peste! d’Anjou fait leur affaire: le héros de Jarnac et de Moncontour leur va comme un gant… Qui voulez-vous que je leur envoie? d’Alençon? un lâche! cela leur donnerait une belle idée des Valois! … D’Alençon! il fuirait à la première balle qui lui sifflerait aux oreilles, tandis que Henri d’Anjou, un batailleur, bon! toujours l’épée au poing, toujours marchant en avant, à pied ou à cheval! … Hardi! pique, pousse, assomme, tue! Ah! c’est un homme que mon frère d’Anjou, un vaillant qui va les faire battre du matin au soir, depuis le premier jusqu’au dernier jour de l’année. Il boit mal, c’est vrai; mais il les fera tuer de sang-froid, voilà tout. Il sera là dans sa sphère, ce cher Henri! Sus! sus! au champ de bataille! Bravo les trompettes et les tambours! Vive le roi! vive le vainqueur! vive le général! On le proclame imperator trois fois l’an! Ce sera admirable pour la maison de France et l’honneur des Valois… Il sera peut-être tué; mais, ventremahon! ce sera une mort superbe!

Catherine frissonna et un éclair jaillit de ses yeux.

– Dites, s’écria-t-elle, que vous voulez éloigner Henri d’Anjou, dites que vous n’aimez pas votre frère!

– Ah! ah! ah! fit Charles en éclatant d’un rire nerveux, vous avez deviné cela, vous, que je voulais l’éloigner? Vous avez deviné cela, vous, que je ne l’aimais pas? Et quand cela serait, voyons? Aimer mon frère! Pourquoi donc l’aimerais-je? Ah! ah! ah! est-ce que vous voulez rire?… (Et à mesure qu’il parlait, ses joues pâles s’animaient d’une fébrile rougeur.) Est-ce qu’il m’aime, lui? Est-ce que vous m’aimez, vous? Est-ce que, excepté mes chiens, Marie Touchet et ma nourrice, est-ce qu’il y a quelqu’un qui m’ait jamais aimé? Non, non, je n’aime pas mon frère, je n’aime que moi, entendez-vous! et je n’empêche pas mon frère d’en faire autant que je fais.