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Czytaj książkę: «La reine Margot», strona 20

Czcionka:

– Mordieu! dit La Mole en pâlissant, y aurait-il déjà trahison?

– À la bonne heure! dit Coconnas. Jure tant que tu voudras, mais ne me dis plus que je me trompe.

La Mole hésita un instant, serrant sa tête entre ses mains et retenu entre son respect et sa jalousie; mais sa jalousie l’emporta, et il s’élança vers la porte, à laquelle il commença à heurter de toutes ses forces, ce qui produisit un vacarme assez peu convenable, eu égard à la majesté du lieu où l’on se trouvait.

– Nous allons nous faire arrêter, dit Coconnas; mais n’importe, c’est bien drôle. Dis donc, La Mole, est-ce qu’il y aurait des revenants au Louvre?

– Je n’en sais rien, dit le jeune homme, aussi pâle que la plume qui ombrageait son front; mais j’ai toujours désiré en voir, et comme l’occasion s’en présente, je ferai de mon mieux pour me trouver face à face avec celui-là.

– Je ne m’y oppose pas, dit Coconnas, seulement frappe un peu moins fort si tu ne veux pas l’effaroucher.

La Mole, si exaspéré qu’il fût, comprit la justesse de l’observation et continua de frapper, mais plus doucement.

XXV. Le manteau cerise

Coconnas ne s’était point trompé. La dame qui avait arrêté le cavalier au manteau cerise était bien la reine de Navarre; quant au cavalier au manteau cerise, notre lecteur a déjà deviné, je présume, qu’il n’était autre que le brave de Mouy.

En reconnaissant la reine de Navarre, le jeune huguenot comprit qu’il y avait quelque méprise: mais il n’osa rien dire, dans la crainte qu’un cri de Marguerite ne le trahît. Il préféra donc se laisser amener jusque dans les appartements, quitte, une fois arrivé là, à dire à sa belle conductrice:

– Silence pour silence, madame. En effet, Marguerite avait serré doucement le bras de celui que, dans la demi-obscurité, elle avait pris pour La Mole, et, se penchant à son oreille, elle lui avait dit en latin:

Sola sum; introito, carissime.2

de Mouy, sans répondre, se laissa guider; mais à peine la porte se fut-elle refermée derrière lui et se trouva-t-il dans l’antichambre, mieux éclairée que l’escalier, que Marguerite reconnut que ce n’était point La Mole.

Ce petit cri qu’avait redouté le prudent huguenot échappa en ce moment à Marguerite; heureusement il n’était plus à craindre.

– Monsieur de Mouy! dit-elle en reculant d’un pas.

– Moi-même, madame, et je supplie Votre Majesté de me laisser libre de continuer mon chemin sans rien dire à personne de ma présence au Louvre.

– Oh! monsieur de Mouy, répéta Marguerite, je m’étais trompée!

– Oui, dit de Mouy, je comprends. Votre Majesté m’aura pris pour le roi de Navarre: c’est la même taille, la même plume blanche, et beaucoup, qui voudraient me flatter sans doute, m’ont dit la même tournure.

Marguerite regarda fixement de Mouy.

– Savez-vous le latin, monsieur de Mouy? demanda-t-elle.

– Je l’ai su autrefois, répondit le jeune homme; mais je l’ai oublié. Marguerite sourit.

– Monsieur de Mouy, dit-elle, vous pouvez être sûr de ma discrétion. Cependant, comme je crois savoir le nom de la personne que vous cherchez au Louvre, je vous offrirai mes services pour vous guider sûrement vers elle.

– Excusez-moi, madame, dit de Mouy, je crois que vous vous trompez, et qu’au contraire vous ignorez complètement…

– Comment! s’écria Marguerite, ne cherchez-vous pas le roi de Navarre?

– Hélas! madame, dit de Mouy, j’ai le regret de vous prier d’avoir surtout à cacher ma présence au Louvre à Sa Majesté le roi votre époux.

– Écoutez, monsieur de Mouy, dit Marguerite surprise, je vous ai tenu jusqu’ici pour un des plus fermes chefs du parti huguenot, pour un des plus fidèles partisans du roi mon mari; me suis-je donc trompée?

– Non, madame, car ce matin encore j’étais tout ce que vous dites.

– Et pour quelle cause avez-vous changé depuis ce matin?

– Madame, dit de Mouy en s’inclinant, veuillez me dispenser de répondre, et faites-moi la grâce d’agréer mes hommages.

Et de Mouy, dans une attitude respectueuse, mais ferme, fit quelques pas vers la porte par laquelle il était entré. Marguerite l’arrêta.

– Cependant, monsieur, dit-elle, si j’osais vous demander un mot d’explication; ma parole est bonne, ce me semble?

– Madame, répondit de Mouy, je dois me taire, et il faut que ce dernier devoir soit bien réel pour que je n’aie point encore répondu à Votre Majesté.

– Cependant, monsieur…

– Votre Majesté peut me perdre, madame, mais elle ne peut exiger que je trahisse mes nouveaux amis.

– Mais les anciens, monsieur, n’ont-ils pas aussi quelques droits sur vous?

– Ceux qui sont restés fidèles, oui; ceux qui non seulement nous ont abandonnés, mais encore se sont abandonnés eux-mêmes, non.

Marguerite, pensive et inquiète, allait sans doute répondre par une nouvelle interrogation, quand soudain Gillonne s’élança dans l’appartement.

– Le roi de Navarre! cria-t-elle.

– Par où vient-il?

– Par le corridor secret.

– Faites sortir monsieur par l’autre porte.

– Impossible, madame. Entendez-vous?

– On frappe?

– Oui, à la porte par laquelle vous voulez que je fasse sortir monsieur.

– Et qui frappe?

– Je ne sais.

– Allez voir, et me le revenez dire.

– Madame, dit de Mouy, oserais-je faire observer à Votre Majesté que si le roi de Navarre me voit à cette heure et sous ce costume au Louvre je suis perdu?

Marguerite saisit de Mouy, et l’entraînant vers le fameux cabinet:

– Entrez ici, monsieur, dit-elle; vous y êtes aussi bien caché et surtout aussi garanti que dans votre maison même, car vous y êtes sur la foi de ma parole.

de Mouy s’y élança précipitamment, et à peine la porte était-elle refermée derrière lui, que Henri parut. Cette fois, Marguerite n’avait aucun trouble à cacher; elle n’était que sombre, et l’amour était à cent lieues de sa pensée. Quant à Henri, il entra avec cette minutieuse défiance qui, dans les moments les moins dangereux, lui faisait remarquer jusqu’aux plus petits détails; à plus forte raison Henri était-il profondément observateur dans les circonstances où il se trouvait.

Aussi vit-il à l’instant même le nuage qui obscurcissait le front de Marguerite.

– Vous étiez occupée, madame? dit-il.

– Moi, mais, oui, Sire, je rêvais.

– Et vous avez raison, madame; la rêverie vous sied. Moi aussi, je rêvais; mais tout au contraire de vous, qui recherchez la solitude, je suis descendu exprès pour vous faire part de mes rêves.

Marguerite fit au roi un signe de bienvenue, et, lui montrant un fauteuil, elle s’assit elle-même sur une chaise d’ébène sculptée, fine et forte comme de l’acier.

Il se fit entre les deux époux un instant de silence; puis, rompant ce silence le premier:

– Je me suis rappelé, madame, dit Henri, que mes rêves sur l’avenir avaient cela de commun avec les vôtres, que, séparés comme époux, nous désirions cependant l’un et l’autre unir notre fortune.

– C’est vrai, Sire.

– Je crois avoir compris aussi que, dans tous les plans que je pourrai faire d’élévation commune, vous m’avez dit que je trouverais en vous, non seulement une fidèle, mais encore une active alliée.

– Oui, Sire, et je ne demande qu’une chose, c’est qu’en vous mettant le plus vite possible à l’œuvre, vous me donniez bientôt l’occasion de m’y mettre aussi.

– Je suis heureux de vous trouver dans ces dispositions, madame, et je crois que vous n’avez pas douté un instant que je perdisse de vue le plan dont j’ai résolu l’exécution, le jour même où, grâce à votre courageuse intervention, j’ai été à peu près sûr d’avoir la vie sauve.

– Monsieur, je crois qu’en vous l’insouciance n’est qu’un masque et j’ai foi non seulement dans les prédictions des astrologues, mais encore dans votre génie.

– Que diriez-vous donc, madame, si quelqu’un venait se jeter à la traverse de nos plans et nous menaçait de nous réduire, vous et moi, à un état médiocre?

– Je dirais que je suis prête à lutter avec vous, soit dans l’ombre, soit ouvertement, contre ce quelqu’un, quel qu’il fût.

– Madame, continua Henri, il vous est possible d’entrer à toute heure, n’est-ce pas, chez M. d’Alençon, votre frère? vous avez sa confiance et il vous porte une vive amitié. Oserais-je vous prier de vous informer si dans ce moment même il n’est pas en conférence secrète avec quelqu’un?

Marguerite tressaillit.

– Avec qui, monsieur? demanda-t-elle.

– Avec de Mouy.

– Pourquoi cela? demanda Marguerite en réprimant son émotion.

– Parce que s’il en est ainsi, madame, adieu tous nos projets, tous les miens du moins.

– Sire, parlez bas, dit Marguerite en faisant à la fois un signe des yeux et des lèvres, et en désignant du doigt le cabinet.

– Oh! oh! dit Henri; encore quelqu’un? En vérité, ce cabinet est si souvent habité qu’il rend votre chambre inhabitable.

Marguerite sourit.

– Au moins est-ce toujours M. de La Mole? demanda Henri.

– Non, Sire, c’est M. de Mouy.

– Lui? s’écria Henri avec une surprise mêlée de joie; il n’est donc pas chez le duc d’Alençon, alors? oh! faites-le venir, que je lui parle…

Marguerite courut au cabinet, l’ouvrit, et prenant de Mouy par la main l’amena sans préambule devant le roi de Navarre.

– Ah! madame, dit le jeune huguenot avec un accent de reproche plus triste qu’amer, vous me trahissez malgré votre promesse, c’est mal. Que diriez vous si je me vengeais en disant…

– Vous ne vous vengerez pas, de Mouy, interrompit Henri en serrant la main du jeune homme, ou du moins vous m’écouterez auparavant. Madame, continua Henri en s’adressant à la reine, veillez, je vous prie, à ce que personne ne nous écoute.

Henri achevait à peine ces mots, que Gillonne arriva tout effarée et dit à l’oreille de Marguerite quelques mots qui la firent bondir de son siège. Pendant qu’elle courait vers l’antichambre avec Gillonne, Henri, sans s’inquiéter de la cause qui l’appelait hors de l’appartement, visitait le lit, la ruelle, les tapisseries et sondait du doigt les murailles. Quant à M. de Mouy, effarouché de tous ces préambules, il s’assurait préalablement que son épée ne tenait pas au fourreau.

Marguerite, en sortant de sa chambre à coucher, s’était élancée dans l’antichambre et s’était trouvée en face de La Mole, lequel, malgré toutes les prières de Gillonne, voulait à toute force entrer chez Marguerite.

Coconnas se tenait derrière lui, prêt à le pousser en avant ou à soutenir la retraite.

– Ah! c’est vous, monsieur de la Mole, s’écria la reine; mais qu’avez-vous donc, et pourquoi êtes-vous aussi pâle et tremblant?

– Madame, dit Gillonne, M. de La Mole a frappé à la porte de telle sorte que, malgré les ordres de Votre Majesté, j’ai été forcée de lui ouvrir.

– Oh! oh! qu’est-ce donc que cela? dit sévèrement la reine; est-ce vrai ce qu’on me dit là, monsieur de la Mole?

– Madame, c’est que je voulais prévenir Votre Majesté qu’un étranger, un inconnu, un voleur peut-être, s’était introduit chez elle avec mon manteau et mon chapeau.

– Vous êtes fou, monsieur, dit Marguerite, car je vois votre manteau sur vos épaules, et je crois, Dieu me pardonne, que je vois aussi votre chapeau sur votre tête lorsque vous parlez à une reine.

– Oh! pardon, madame, pardon! s’écria La Mole en se découvrant vivement, ce n’est cependant pas, Dieu m’en est témoin, le respect qui me manque.

– Non, c’est la foi, n’est-ce pas? dit la reine.

– Que voulez-vous! s’écria La Mole; quand un homme est chez Votre Majesté, quand il s’y introduit en prenant mon costume, et peut-être mon nom, qui sait?…

– Un homme! dit Marguerite en serrant doucement le bras du pauvre amoureux; un homme! … Vous êtes modeste, monsieur de la Mole. Approchez votre tête de l’ouverture de la tapisserie, et vous verrez deux hommes.

Et Marguerite entrouvrit en effet la portière de velours brodé d’or, et La Mole reconnut Henri causant avec l’homme au manteau rouge; Coconnas, curieux comme s’il se fût agi de lui-même, regarda aussi, vit et reconnut de Mouy; tous deux demeurèrent stupéfaits.

– Maintenant que vous voilà rassuré, à ce que j’espère du moins, dit Marguerite, placez-vous à la porte de mon appartement, et, sur votre vie, mon cher La Mole, ne laissez entrer personne. S’il approche quelqu’un du palier même, avertissez.

La Mole, faible et obéissant comme un enfant, sortit en regardant Coconnas, qui le regardait aussi, et tous deux se trouvèrent dehors sans être bien revenus de leur ébahissement.

– de Mouy! s’écria Coconnas.

– Henri! murmura La Mole.

– de Mouy avec ton manteau cerise, ta plume blanche et ton bras en balancier.

– Ah çà, mais… reprit La Mole, du moment qu’il ne s’agit pas d’amour il s’agit certainement de complot.

– Ah! mordi! nous voilà dans la politique, dit Coconnas en grommelant. Heureusement que je ne vois point dans tout cela madame de Nevers.

Marguerite revint s’asseoir près des deux interlocuteurs; sa disparition n’avait duré qu’une minute, et elle avait bien utilisé son temps. Gillonne, en vedette au passage secret, les deux gentilshommes en faction à l’entrée principale, lui donnaient toute sécurité.

– Madame, dit Henri, croyez-vous qu’il soit possible, par un moyen quelconque, de nous écouter et de nous entendre?

– Monsieur, dit Marguerite, cette chambre est matelassée, et un double lambris me répond de son assourdissement.

– Je m’en rapporte à vous, répondit Henri en souriant. Puis se retournant vers de Mouy:

– Voyons, dit le roi à voix basse et comme si, malgré l’assurance de Marguerite, ses craintes ne s’étaient pas entièrement dissipées, que venez-vous faire ici?

– Ici? dit de Mouy.

– Oui, ici, dans cette chambre, répéta Henri.

– Il n’y venait rien faire, dit Marguerite; c’est moi qui l’y ai attiré.

– Vous saviez donc?…

– J’ai deviné tout.

– Vous voyez bien, de Mouy, qu’on peut deviner.

– Monsieur de Mouy, continua Marguerite, était ce matin avec le duc François dans la chambre de deux de ses gentilshommes.

– Vous voyez bien, de Mouy, répéta Henri, qu’on sait tout.

– C’est vrai, dit de Mouy.

– J’en étais sûr, dit Henri, que M. d’Alençon s’était emparé de vous.

– C’est votre faute, Sire. Pourquoi avez-vous refusé si obstinément ce que je venais vous offrir?

– Vous avez refusé! s’écria Marguerite. Ce refus que je pressentais était donc réel?

– Madame, dit Henri secouant la tête, et toi, mon brave de Mouy, en vérité vous me faites rire avec vos exclamations. Quoi! un homme entre chez moi, me parle de trône, de révolte, de bouleversement, à moi, à moi Henri, prince toléré pourvu que je porte le front humble, huguenot épargné à la condition que je jouerai le catholique, et j’irais accepter quand ces propositions me sont faites dans une chambre non matelassée et sans double lambris! Ventre-saint-gris! vous êtes des enfants ou des fous!

– Mais, Sire, Votre Majesté ne pouvait-elle me laisser quelque espérance, sinon par ses paroles, du moins par un geste, par un signe?

– Que vous a dit mon beau-frère, de Mouy? demanda Henri.

– Oh! Sire, ceci n’est point mon secret.

– Eh! mon Dieu, reprit Henri avec une certaine impatience d’avoir affaire à un homme qui comprenait si mal ses paroles, je ne vous demande pas quelles sont les propositions qu’il vous a faites, je vous demande seulement s’il écoutait, s’il a entendu.

– Il écoutait, Sire, et il a entendu.

– Il écoutait, et il a entendu! Vous le dites vous-même, de Mouy. Pauvre conspirateur que vous êtes! si j’avais dit un mot, vous étiez perdu. Car je ne savais point, je me doutais, du moins, qu’il était là, et, sinon lui, quelque autre, le duc d’Anjou, Charles IX, la reine mère; vous ne connaissez pas les murs du Louvre, de Mouy; c’est pour eux qu’a été fait le proverbe que les murs ont des oreilles; et connaissant ces murs-là j’eusse parlé! Allons, allons, de Mouy, vous faites peu d’honneur au bon sens du roi de Navarre, et je m’étonne que, ne le mettant pas plus haut dans votre esprit, vous soyez venu lui offrir une couronne.

– Mais, Sire, reprit encore de Mouy, ne pouviez-vous, tout en refusant cette couronne, me faire un signe? Je n’aurais pas cru tout désespéré, tout perdu.

– Eh ventre-saint-gris! s’écria Henri, s’il écoutait, ne pouvait-il pas aussi bien voir, et n’est-on pas perdu par un signe comme par une parole? Tenez, de Mouy, continua le roi en regardant autour de lui, à cette heure, si près de vous que mes paroles ne franchissent pas le cercle de nos trois chaises, je crains encore d’être entendu quand je dis: de Mouy, répète-moi tes propositions.

– Mais, Sire, s’écria de Mouy au désespoir, maintenant je suis engagé avec M. d’Alençon.

Marguerite frappa l’une contre l’autre et avec dépit ses deux belles mains.

– Alors, il est donc trop tard? dit-elle.

– Au contraire, murmura Henri, comprenez donc qu’en cela même la protection de Dieu est visible. Reste engagé, de Mouy, car ce duc François c’est notre salut à tous. Crois-tu donc que le roi de Navarre garantirait vos têtes? Au contraire, malheureux! Je vous fais tuer tous jusqu’au dernier, et cela sur le moindre soupçon. Mais un fils de France, c’est autre chose; aie des preuves, de Mouy, demande des garanties; mais, niais que tu es, tu te seras engagé de cœur, et une parole t’aura suffi.

– Oh! Sire! c’est le désespoir de votre abandon, croyez-le bien, qui m’a jeté dans les bras du duc; c’est aussi la crainte d’être trahi, car il tenait notre secret.

– Tiens donc le sien à ton tour, de Mouy, cela dépend de toi. Que désire-t-il? Être roi de Navarre? promets-lui la couronne. Que veut-il? Quitter la cour? fournis-lui les moyens de fuir, travaille pour lui, de Mouy, comme si tu travaillais pour moi, dirige le bouclier pour qu’il pare tous les coups qu’on nous portera. Quand il faudra fuir, nous fuirons à deux; quand il faudra combattre et régner, je régnerai seul.

– Défiez-vous du duc, dit Marguerite, c’est un esprit sombre et pénétrant, sans haine comme sans amitié, toujours prêt à traiter ses amis en ennemis et ses ennemis en amis.

– Et, dit Henri, il vous attend, de Mouy?

– Oui, Sire.

– Où cela?

– Dans la chambre de ses deux gentilshommes.

– À quelle heure?

– Jusqu’à minuit.

– Pas encore onze heures, dit Henri; il n’y a point de temps perdu, allez, de Mouy.

– Nous avons votre parole, monsieur? dit Marguerite.

– Allons donc! madame, dit Henri avec cette confiance qu’il savait si bien montrer avec certaines personnes et dans certaines occasions, avec M. de Mouy ces choses-là ne se demandent même point.

– Vous avez raison, Sire, répondit le jeune homme; mais moi j’ai besoin de la vôtre, car il faut que je dise aux chefs que je l’ai reçue. Vous n’êtes point catholique, n’est-ce pas?

Henri haussa les épaules.

– Vous ne renoncez pas à la royauté de Navarre?

– Je ne renonce à aucune royauté, de Mouy; seulement, je me réserve de choisir la meilleure, c’est-à-dire celle qui sera le plus à ma convenance et à la vôtre.

– Et si, en attendant, Votre Majesté était arrêtée, Votre Majesté promet-elle de ne rien révéler, au cas même où l’on violerait par la torture la majesté royale?

– de Mouy, je le jure sur Dieu.

– Un mot, Sire: comment vous reverrai-je?

– Vous aurez, dès demain, une clef de ma chambre; vous y entrerez, de Mouy, autant de fois qu’il sera nécessaire aux heures que vous voudrez. Ce sera au duc d’Alençon de répondre de votre présence au Louvre. En attendant, remontez par le petit escalier, je vous servirai de guide. Pendant ce temps-là la reine fera entrer ici le manteau rouge, pareil au vôtre, qui était tout à l’heure dans l’antichambre. Il ne faut pas qu’on fasse une différence entre les deux et qu’on sache que vous êtes double, n’est-ce pas, de Mouy? n’est-ce pas madame?

Henri prononça ces derniers mots en riant et en regardant Marguerite.

– Oui, dit-elle sans s’émouvoir; car enfin, ce M. de La Mole est au duc mon frère.

– Eh bien, tâchez de nous le gagner, madame, dit Henri avec un sérieux parfait. N’épargnez ni l’or ni les promesses. Je mets tous mes trésors à sa disposition.

– Alors, dit Marguerite avec un de ces sourires qui n’appartiennent qu’aux femmes de Boccace, puisque tel est votre désir, je ferai de mon mieux pour le seconder.

– Bien, bien, madame; et vous, de Mouy? retournez vers le duc et enferrez-le.

XXVI. Margarita

Pendant la conversation que nous venons de rapporter, La Mole et Coconnas montaient leur faction; La Mole un peu chagrin, Coconnas un peu inquiet.

C’est que La Mole avait eu le temps de réfléchir et que Coconnas l’y avait merveilleusement aidé.

– Que penses-tu de tout cela, notre ami? avait demandé La Mole à Coconnas.

– Je pense, avait répondu le Piémontais, qu’il y a dans tout cela quelque intrigue de cour.

– Et, le cas échéant, es-tu disposé à jouer un rôle dans cette intrigue?

– Mon cher, répondit Coconnas, écoute bien ce que je te vais dire et tâche d’en faire ton profit. Dans toutes ces menées princières, dans toutes ces machinations royales, nous ne pouvons et surtout nous ne devons passer que comme des ombres: où le roi de Navarre laissera un morceau de sa plume et le duc d’Alençon un pan de son manteau, nous laisserons notre vie, nous. La reine a un caprice pour toi, et toi une fantaisie pour elle, rien de mieux. Perds la tête en amour, mon cher, mais ne la perds pas en politique.

C’était un sage conseil. Aussi fut-il écouté par La Mole avec la tristesse d’un homme qui sent que, placé entre la raison et la folie, c’est la folie qu’il va suivre.

– Je n’ai point une fantaisie pour la reine, Annibal, je l’aime; et, malheureusement ou heureusement, je l’aime de toute mon âme. C’est de la folie, me diras-tu, je l’admets, je suis fou. Mais toi qui es un sage, Coconnas, tu ne dois pas souffrir de mes sottises et de mon infortune. Va-t’en retrouver notre maître et ne te compromets pas.

Coconnas réfléchit un instant, puis relevant la tête:

– Mon cher, répondit-il, tout ce que tu dis là est parfaitement juste; tu es amoureux, agis en amoureux. Moi je suis ambitieux, et je pense, en cette qualité, que la vie vaut mieux qu’un baiser de femme. Quand je risquerai ma vie, je ferai mes conditions. Toi, de ton côté, pauvre Médor, tâche de faire les tiennes.

Et sur ce, Coconnas tendit la main à La Mole, et partit après avoir échangé avec son compagnon un dernier regard et un dernier sourire.

Il y avait dix minutes à peu près qu’il avait quitté son poste lorsque la porte s’ouvrit et que Marguerite, paraissant avec précaution, vint prendre La Mole par la main, et, sans dire une seule parole, l’attira du corridor au plus profond de son appartement, fermant elle-même les portes avec un soin qui indiquait l’importance de la conférence qui allait avoir lieu.

Arrivée dans la chambre, elle s’arrêta, s’assit sur sa chaise d’ébène, et attirant La Mole à elle en enfermant ses deux mains dans les siennes:

– Maintenant que nous sommes seuls, lui dit-elle, causons sérieusement, mon grand ami.

– Sérieusement, madame? dit La Mole.

– Ou amoureusement, voyons! cela vous va-t-il mieux? il peut y avoir des choses sérieuses dans l’amour, et surtout dans l’amour d’une reine.

– Causons… alors de ces choses sérieuses, mais à la condition que Votre Majesté ne se fâchera pas des choses folles que je vais lui dire.

– Je ne me fâcherai que d’une chose, La Mole, c’est si vous m’appelez madame ou Majesté. Pour vous, très cher, je suis seulement Marguerite.

– Oui, Marguerite! oui, Margarita! oui! ma perle! dit le jeune homme en dévorant la reine de son regard.

– Bien comme cela, dit Marguerite; ainsi vous êtes jaloux, mon beau gentilhomme?

– Oh! à en perdre la raison.

– Encore! …

– À en devenir fou, Marguerite.

– Et jaloux de qui? voyons.

– De tout le monde.

– Mais enfin?

– Du roi d’abord.

– Je croyais qu’après ce que vous aviez vu et entendu, vous pouviez être tranquille de ce côté-là.

– De ce M. de Mouy que j’ai vu ce matin pour la première fois, et que je trouve ce soir si avant dans votre intimité.

– De M. de Mouy?

– Oui.

– Et qui vous donne ces soupçons sur M. de Mouy?

– Écoutez… je l’ai reconnu à sa taille, à la couleur de ses cheveux, à un sentiment naturel de haine; c’est lui qui ce matin était chez M. d’Alençon.

– Eh bien, quel rapport cela a-t-il avec moi?

– M. d’Alençon est votre frère; on dit que vous l’aimez beaucoup; vous lui aurez conté une vague pensée de votre cœur; et lui, selon l’habitude de la cour, il aura favorisé votre désir en introduisant près de vous M. de Mouy. Maintenant, comment ai-je été assez heureux pour que le roi se trouvât là en même temps que lui? c’est ce que je ne puis savoir; mais en tout cas, madame, soyez franche avec moi; à défaut d’un autre sentiment, un amour comme le mien a bien le droit d’exiger la franchise en retour. Voyez, je me prosterne à vos pieds. Si ce que vous avez éprouvé pour moi n’est que le caprice d’un moment, je vous rends votre foi, votre promesse, votre amour, je rends à M. d’Alençon ses bonnes grâces et ma charge de gentilhomme, et je vais me faire tuer au siège de La Rochelle, si toutefois l’amour ne m’a pas tué avant que je puisse arriver jusque-là.

Marguerite écouta en souriant ces paroles pleines de charme, et suivit des yeux cette action pleine de grâces; puis, penchant sa belle tête rêveuse sur sa main brûlante:

– Vous m’aimez? dit-elle.

– Oh! madame! plus que ma vie, plus que mon salut, plus que tout; mais vous, vous… vous ne m’aimez pas.

– Pauvre fou! murmura-t-elle.

– Eh! oui, madame, s’écria La Mole toujours à ses pieds, je vous ai dit que je l’étais.

– La première affaire de votre vie est donc votre amour, cher La Mole!

– C’est la seule, madame, c’est l’unique.

– Eh bien, soit; je ne ferai de tout le reste qu’un accessoire de cet amour. Vous m’aimez, vous voulez demeurer près de moi?

– Ma seule prière à Dieu est qu’il ne m’éloigne jamais de vous.

– Eh bien, vous ne me quitterez pas; j’ai besoin de vous, La Mole.

– Vous avez besoin de moi? le soleil a besoin du ver luisant?

– Si je vous dis que je vous aime, me serez-vous entièrement dévoué?

– Eh! ne le suis-je point déjà, madame, et tout entier?

– Oui; mais vous doutez encore, Dieu me pardonne!

– Oh! j’ai tort, je suis ingrat, ou plutôt, comme je vous l’ai dit et comme vous l’avez répété, je suis un fou. Mais pourquoi M. de Mouy était-il chez vous ce soir? pourquoi l’ai-je vu ce matin chez M. le duc d’Alençon? pourquoi ce manteau cerise, cette plume blanche, cette affectation d’imiter ma tournure?… Ah! madame, ce n’est pas vous que je soupçonne, c’est votre frère.

– Malheureux! dit Marguerite, malheureux qui croit que le duc François pousse la complaisance jusqu’à introduire un soupirant chez sa sœur! Insensé qui se dit jaloux et qui n’a pas deviné! Savez-vous, La Mole, que le duc d’Alençon demain vous tuerait de sa propre épée s’il savait que vous êtes là, ce soir, à mes genoux, et qu’au lieu de vous chasser de cette place, je vous dis: Restez là comme vous êtes, La Mole; car je vous aime, mon beau gentilhomme, entendez-vous? je vous aime! Eh bien, oui, je vous le répète, il vous tuerait!

– Grand Dieu! s’écria La Mole en se renversant en arrière et en regardant Marguerite avec effroi, serait-il possible?

– Tout est possible, ami, en notre temps et dans cette cour. Maintenant, un seul mot: ce n’était pas pour moi que M. de Mouy, revêtu de votre manteau, le visage caché sous votre feutre, venait au Louvre. C’était pour M. d’Alençon. Mais moi, je l’ai amené ici, croyant que c’était vous. Il tient notre secret, La Mole, il faut donc le ménager.

– J’aime mieux le tuer, dit La Mole, c’est plus court et c’est plus sûr.

– Et moi, mon brave gentilhomme, dit la reine, j’aime mieux qu’il vive et que vous sachiez tout, car sa vie nous est non seulement utile, mais nécessaire. Écoutez et pesez bien vos paroles avant de me répondre: m’aimez-vous assez, La Mole, pour vous réjouir si je devenais véritablement reine, c’est-à-dire maîtresse d’un véritable royaume?

– Hélas! madame, je vous aime assez pour désirer ce que vous désirez, ce désir dût-il faire le malheur de toute ma vie!

– Eh bien, voulez-vous m’aider à réaliser ce désir, qui vous rendra plus heureux encore?

– Oh! je vous perdrai, madame! s’écria La Mole en cachant sa tête dans ses mains.

– Non pas, au contraire; au lieu d’être le premier de mes serviteurs, vous deviendrez le premier de mes sujets. Voilà tout.

– Oh! pas d’intérêt… pas d’ambition, madame… Ne souillez pas vous-même le sentiment que j’ai pour vous… du dévouement, rien que du dévouement!

– Noble nature! dit Marguerite. Eh bien, oui, je l’accepte, ton dévouement, et je saurai le reconnaître.

Et elle lui tendit ses deux mains que La Mole couvrit de baisers.

– Eh bien? dit-elle.

– Eh bien, oui! répondit La Mole. Oui, Marguerite, je commence à comprendre ce vague projet dont on parlait déjà chez nous autres huguenots avant la Saint-Barthélemy; ce projet pour l’exécution duquel, comme tant d’autres plus dignes que moi, j’avais été mandé à Paris. Cette royauté réelle de Navarre qui devait remplacer une royauté fictive, vous la convoitez; le roi Henri vous y pousse. de Mouy conspire avec vous, n’est-ce pas? Mais le duc d’Alençon, que fait-il dans toute cette affaire? où y a-t-il un trône pour lui dans tout cela? Je n’en vois point. Or, le duc d’Alençon est-il assez votre… ami pour vous aider dans tout cela, et sans rien exiger en échange du danger qu’il court?

– Le duc, ami, conspire pour son compte. Laissons-le s’égarer: sa vie nous répond de la nôtre.

– Mais moi, moi qui suis à lui, puis-je le trahir?

– Le trahir! et en quoi le trahirez-vous? Que vous a-t-il confié? N’est-ce pas lui qui vous a trahi en donnant à de Mouy votre manteau et votre chapeau comme un moyen de pénétrer jusqu’à lui? Vous êtes à lui, dites-vous! N’étiez-vous pas à moi, mon gentilhomme, avant d’être à lui? Vous a-t-il donné une plus grande preuve d’amitié que la preuve d’amour que vous tenez de moi?

La Mole se releva pâle et comme foudroyé.

– Oh! murmura-t-il, Coconnas me le disait bien. L’intrigue m’enveloppe dans ses replis. Elle m’étouffera.

– Eh bien? demanda Marguerite.

– Eh bien, dit La Mole, voici ma réponse: on prétend, et je l’ai entendu dire à l’autre extrémité de la France, où votre nom si illustre, votre réputation de beauté si universelle m’étaient venus, comme un vague désir de l’inconnu, effleurer le cœur; on prétend que vous avez aimé quelquefois, et que votre amour a toujours été fatal aux objets de votre amour, si bien que la mort, jalouse sans doute, vous a presque toujours enlevé vos amants.

2.Je suis seule; entrez, mon cher.